Les exigences tenant à la laïcité des services publics occupent une place croissante dans le débat public depuis la fin des années 1980. Tantôt source de controverses à visées politiciennes, tantôt objet de débats honorables quant au modèle du « service public à la française », ces questions ont longtemps concerné les usagers des services publics, et notamment les élèves des collèges et lycées publics. L’affaire Mlle. Marteaux déplace le débat vers les agents du service public, en l’occurrence, ici, celui de l’enseignement.

Dans cette affaire, le recteur de l’académie de Reims a mis fin, par un arrêté du 24/02/1999, aux fonctions de surveillante intérimaire de Mlle. Marteaux en raison du port par celle-ci d’un signe religieux. L’intéressée a, alors, saisi le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne afin de faire annuler cette décision. Estimant que la requête posait « une question de droit nouvelle présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges », le président du Tribunal a décidé, par un jugement du 25/01/2000, de surseoir à statuer et de transmettre l’affaire au Conseil d’Etat pour avis. Il s’agit, là, d’une procédureinstituée par l’article 12 de la loi du 31/12/1987 portant réforme du contentieux administratif : elle permet aux juridictions subordonnées de demander au Conseil d’Etat de se prononcer, par anticipation, sur des questions délicates et susceptibles de se poser dans de nombreux cas, sans avoir à attendre que le recours ait été porté devant lui par la voie de la cassation. Le but n’est, alors, que d’accroître l’efficacité de la justice administrative.  La Haute juridiction rend, ici, son avis le 03/05/2000.

Trois questions étaient posées au juge administratif suprême. La première visait à déterminer si les principes de laïcité de l’Etat et de neutralité des services publics devaient être appréciés en fonction de la nature des services publics concernés. Sur ce point, la Haute juridiction réaffirme que ces deux principes, tout comme la liberté de conscience, s’appliquent à l’ensemble des services publics. Les deux autres questions portaient spécifiquement sur le service de l’enseignement public : le juge de première instance demandait, ainsi, s’il convenait de faire varier les exigences du principe de laïcité selon, d’une part, que l’agent exerce ou non des fonctions d’enseignement et, d’autre part, la nature et le degré du caractère ostentatoire du signe religieux porté. Le Conseil d’Etat répond à cette question en suivant la voie qui caractérise depuis toujours sa jurisprudence, en l’occurrence celle d’une permanente conciliation entre des intérêts, parfois, contradictoires. Il rappelle, d’abord, que les agents de ce service public bénéficient, comme tous les agents publics, de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination dans l’accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière fondée sur leur religion. Il décide, en revanche, qu’ils ne peuvent, pendant l’exercice de leur mission, manifester leurs convictions religieuses, qu’ils soient ou non chargés de fonction d’enseignement et quelle que soit la forme prise par l’expression de ces convictions.

Par cet avis, le Conseil d’Etat reconnaît, ainsi, au profit des agents du service de l’enseignement public les droits attachés à leur liberté de conscience (I), mais il met à leur charge les devoirs qui découlent du principe de laïcité des services publics (II).

  • I – Des agents titulaires de droits en vertu de la liberté de conscience
    • A – La liberté de conscience : une liberté fondamentale
    • B – Une liberté qui interdit toute discrimination fondée sur la religion
  • II – Des agents tributaires de devoirs en vertu du principe de laïcité
    • A – Une solution aux fondements solides
    • B – Une solution d’application générale
  • CE, avis, 3/05/2000, Mlle. Marteaux

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