Le système juridictionnel français se caractérise par l’existence de deux ordres de juridictions : les juridictions judiciaires chargées de régler les litiges privés en appliquant le droit privé et les juridictions administratives à qui revient la tâche de juger les litiges mettant en cause l’administration sur la base d’un droit spécifique, le droit administratif. Ce système se différencie fortement du modèle anglo-saxon où l’administration est soumise aux juridictions de droit commun.  Il n’apparaît pas, en revanche, comme une « exception française » dans la mesure où quinze pays de l’Union européenne sur les 27 membres disposent d’une Cour administrative suprême spécifique.

Au regard de la diversité des modèles juridictionnels de traitement des litiges administratifs, l’existence d’un juge spécifique n’est donc pas une obligation. Pour en comprendre les causes, c’est, donc, vers l’histoire et les traditions juridiques propres à chaque pays qu’il faut se tourner. De ce point de vue, le choix français apparaît caractéristique en ce qu’il n’est pas le fruit du hasard, mais apparaît, au contraire, comme le résultat d’une lente maturation en lien avec l’histoire de France.

Les origines du Conseil d’Etat sont, ainsi, anciennes : l’on trouve des traces d’une institution comparable, le Conseil du Roi, dès l’Ancien Régime. Mais, c’est à la Révolution que sera posée la première pierre permettant l’émergence d’une juridiction administrative. Les hommes de 1789 consacrent, en effet, le principe de séparations des autorités administratives et judiciaires. A partir de ce moment, les litiges administratifs sont soustraits à la compétence des tribunaux judiciaires, ce qui ouvre, par conséquent, la voie à la création d’une juridiction spécifique pour trancher ces litiges. Ce n’est, cependant, pas ce choix que feront les révolutionnaires. Dans un premier temps, en effet, le règlement des litiges mettant en cause l’administration sera confié à l’administration elle-même et, plus précisément, au ministre : c’est ce que l’on appellera le système du ministre-juge. Il faudra attendre le Consulat pour que le Conseil d’Etat soit créé. Mais, ses fonctions en matière juridictionnelles ne seront que consultatives au départ. Celui-ci se bornera, en effet, à proposer une solution au chef de l’Etat et ce dernier se déterminera, librement, sur la sentence à prononcer : c’est la « justice retenue ». Dans les faits, cependant, le chef de l’Etat suivra presque toujours l’avis du Conseil d’Etat. Aussi, en 1872, le droit sera mis en accord avec les faits et le Conseil d’Etat se verra confié une « justice déléguée », faisant de lui une juridiction à part entière.  La seconde étape de l’émancipation sera accomplie par le Conseil d’Etat lui-même qui mettra un terme, en 1889, au système du ministre-juge. Près d’un siècle aura donc été nécessaire pour qu’émerge une véritable juridiction administrative. Le siècle suivant sera, lui, consacré à l’édification de l’ordre juridictionnel administratif et à sa consécration constitutionnelle par le Conseil constitutionnel, mettant, ainsi, le juge administratif à l’abri de toute velléité parlementaire.

Il convient donc d’étudier l’ancêtre du Conseil d’Etat que constitue le Conseil du Roi (I), l’émergence de la juridiction administrative (II), l’émancipation de la juridiction administrative (III) et l’achèvement de la construction de l’ordre juridictionnel administratif au XX° siècle (IV).

  • I - Le Conseil du Roi, un ancêtre du Conseil d’Etat
  • II – L’émergence de la juridiction administrative
    • A - La mise à l’écart des tribunaux judiciaires
    • B – L’instauration du système du ministre-juge
    • C - La création du Conseil d’Etat, doté d’une « justice retenue »
  • III - L’émancipation de la juridiction administrative
    • A - La consécration d’une « justice déléguée »
    • B - L’abandon du système du ministre-juge
  • IV – Un XX° siècle pour parfaire la juridiction administrative
    • A - L’édification de l’ordre juridictionnel administratif
    • B - La consécration constitutionnelle de la juridiction administrative

Télécharger