Le Doyen Maurice HAURIOU a pu définir l’État fédéral comme « une société nationale d’États dans laquelle un super-État est superposé aux États associés » (M. HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, Réédition Dalloz, 2015).
Dans cette logique, chaque État apporte alors une part de souveraineté qu’il accepte d’abandonner au profit d’un État fédéral qui va ainsi être constitué, tout en gardant son identité propre et un certain nombre de compétences. Pour le Pr. Bertrand MATHIEU, « en entrant dans la Fédération, les entités fédérées ne perdent pas leur spécificité. Les habitudes antérieures de vie en commun seront préservées et le fédéralisme, comme la décentralisation, rapproche le pouvoir des citoyens, mais en laissant ici entre les mains des autorités fédérées des attributions exercées par le pouvoir central dans l’État unitaire » (B. MATHIEU et P. ARDANT, Droit constitutionnel et institutions politiques, LGDJ, 27e Ed., 2015, p. 45).
Ce fonctionnement est assez ancien et largement répandu à travers le monde. Il convient de distinguer l’État fédéral et la Confédération qui, elle, est une association d’États par un traité. À ce titre, la Suisse est un cas particulier : son fonctionnement résultait du traité de 1315 sur la Confédération helvétique, puis elle a été transformée ensuite en un véritable État fédéral en 1848. À l’heure actuelle, les États-Unis, la Russie, l’Allemagne et la Belgique sont eux aussi des États fédéraux. Une forme étatique qui se trouve à l’opposé de l’État unitaire que nous connaissons, par exemple, en France.
Cette logique fédérative peut résulter d’une association des États fédérés (aussi appelé phénomène d’intégration), mais également par dissociation, c’est-à-dire pas l’éclatement d’un État unitaire. L’Allemagne est devenu un État fédéral par association de l’ancien Empire de Prusse et d’autres territoires germanophones. A contrario, la Belgique était un État unitaire qui est devenu fédéral en raison de divisions importantes et d’un régionalisme très marqué entre Flamands et Wallons (langues et cultures différentes).
La Constitution est ici considérée comme l’acte fondateur de l’État fédéral et elle va sceller le fonctionnement et l’organisation de l’entité de manière durable.
Mais quelles sont les conséquences juridiques et institutionnelles du fédéralisme sur le fonctionnement même et sur l’organisation de l’État ?
Le fonctionnement fédéral de l’État se traduit par la superposition de deux ordres juridiques distincts (I), malgré la persistance d’une prééminence de l’entité fédérale (II).
La superposition de deux ordres juridiques distincts résulte de la Constitution qui établit un principe d’autonomie (A) et un droit de participation pour les États fédérés (B).
L’autonomie des États fédérés est notamment garantie par une répartition constitutionnelle des compétences (1) et une législation propre à chaque État fédéré (2).
La Constitution de l’État fédéral prévoit une répartition de compétences et de législation entre l’entité fédérale et les entités fédérées. Il existe deux types de répartition : généralement la compétence est de principe, c’est-à-dire que les compétences de l’État fédéral sont listées dans la loi fondamentale et celles revenant aux États fédérés sont donc toutes celles qui n’y sont pas énumérées. Aussi, certaines constitutions prévoient plutôt de lister les compétences des États fédérés et l’ensemble des autres compétences sont ainsi réservées à l’État fédéral.
Cette répartition des compétences peut évoluer en cas de modification de la Constitution. Il faut noter que, le plus souvent, cette modification peut être validée par une majorité renforcée des États fédérés et non à l’unanimité. Pour le Pr. Bertrand MATHIEU, cette possibilité marque « l’abdication considérable de liberté consentie par les États membres lors de leur entrée dans la Fédération » (B. MATHIEU et P. ARDANT, Op. Cit., p. 46).
Cette répartition des compétences permet à chaque État fédéré de mettre en œuvre, dans son domaine de compétences, une législation et un fonctionnement institutionnel qui lui sont propres.
En effet, cette répartition de compétences permet à chaque État fédéré de mettre en place une législation qui peut être différente de celle de l’État fédéré voisin, tant qu’il ne s’agit pas des domaines de compétences réservés à l’État fédéral. Plus concrètement cela se traduit, par exemple, aux États-Unis par des législations très différentes en matière de peine de mort, d’avortement, de légalisation du mariage homosexuel ou encore de législation sur les drogues etc… Ces questions sociétales traduisent souvent certains particularismes locaux dans chaque État fédéré : certains d’entre-eux apparaissent ainsi plus conservateurs, d’autres sont plus progressistes. Toutefois, ces différences ne sont pas uniquement valables sur ces questions. En effet, les États fédérés sont également compétents dans d’autres domaines importants : le code de la route, les armes, l’enseignement, en matière d’élections ou de droit de la personne…
Aussi, chaque État fédéré peut avoir sa propre Constitution et un fonctionnement institutionnel propre qui est souvent calqué sur celui de l’entité fédérale. Là encore, l’exemple américain est parlant : dans chaque entité fédérée, on retrouve un gouverneur (exécutif), un parlement (législatif), une cour suprême (judiciaire) etc. Ce découpage contribue aussi à renforcer la séparation des pouvoirs. Les États fédérés possèdent aussi un droit de participation à l’échelle fédérale.
Le droit de participation des États fédérés se traduit le plus souvent au sein des pouvoirs législatif (1) et exécutif (2) à l’échelle de l’État fédéral.
La participation des États fédérés au sein du pouvoir législatif fédéral se traduit – la plupart du temps – par un parlement bicaméral, c’est-à-dire composé de deux chambres. Généralement, une des chambres représente la population pour l’ensemble de l’État fédéral : aux États-Unis, il s’agit de la Chambre des représentants (House of Representatives) ; en Allemagne, il s’agit du Bundestag. L’autre chambre représente, quant à elle, les États fédérés, les territoires : le Sénat, aux États-Unis ; le Bundesrat, en Allemagne.
Aux États-Unis, chaque État fédéré est représenté au Sénat de manière égale quel que soit la population de l’État : deux sénateurs pour chacun des cinquante États, symbolisant ainsi l’égalité des États fédérés. C’est un peu différent en Allemagne (et dans d’autres États fédéraux du monde), où la population influe en partie sur le nombre de représentants au Bundesrat : de 3 à 6 élus par Länder. Il est a noté que le plus souvent, il faut un accord entre les deux chambres pour qu’une loi soit adoptée.
Plus rarement, les États fédérés sont également amenés à participer au pouvoir exécutif de l’État fédéral et y sont représentés.
La participation des États fédérés au pouvoir exécutif est plus rare. C’est principalement en Suisse que les États fédérés participent au pouvoir exécutif de l’État fédéral. Du moins, la Constitution prévoit que le Conseil fédéral – l’organe exécutif collégial, qui compte 7 membres en Suisse – soit composé d’élus représentant les différentes langues des régions suisses et qu’ils soient issus de sept cantons, c’est-à-dire de sept États fédérés différents, sans pour autant les représenter tous.
Autrefois, l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) prévoyait également une telle participation. Quinze membres de l’organe exécutif suprême représentaient la multitude d’États fédérés de l’URSS.
Malgré la place des États fédérés et leurs compétences, l’État fédéral reste largement prééminent dans son fonctionnement institutionnel.
Malgré le poids important des États fédérés dans son fonctionnement institutionnel et politique, l’État fédéral conserve sa prééminence notamment à travers une nouvelle tendance à la centralisation (A) et grâce au rôle centralisateur de la Cour constitutionnelle (B).
Les compétences régaliennes (1) et sa force dans la mondialisation (2) participent à une nouvelle centralisation en faveur de l’État fédéral.
L’entité fédérale est généralement la seule en charge des compétences régaliennes : la diplomatie, la monnaie, la défense nationale, les mesures économiques générales etc. C’est l’État fédéral qui prend les décisions les plus importantes, c’est-à-dire celles qui sont directement attachées à sa souveraineté, mais aussi à l’idée d’État-providence. Plusieurs autres raisons économiques favorisent aussi la strate fédérale.
La force de l’État fédéral et cette centralisation se mesure d’ailleurs dans le cadre du phénomène de mondialisation.
La force de l’État fédéral est pleinement démontrée par le phénomène de mondialisation où il apparaît clairement comme le plus puissant. D’ailleurs, c’est la seule structure qui possède une reconnaissance et une possibilité d’intervention sur la scène internationale. En effet, ce sont bien les États-Unis, l’Allemagne, le Canada et différents autres États fédéraux qui sont, par exemple, représentés à l’Organisation des Nations-Unies (ONU) ou encore dans les ambassades d’autres pays. Le Texas, la Bavière ou le Québec ne sont pas ainsi reconnus et compétents sur la scène internationale. Seul l’État fédéral peut d’ailleurs déclarer la guerre et mener des opérations armées.
Cette tendance à la centralisation, résultat d’un fonctionnement durable du fédéralisme, est aussi renforcée sous l’impulsion du juge constitutionnel.
Le juge constitutionnel intervient, en soutient de cette centralisation, dans les conflits sur le partage de compétences (1), mais aussi à travers une unification des systèmes juridiques (2).
Aux États-Unis, l’affaire Marbury c./ Madison marque, dès 1803, la force du juge constitutionnel qui est chargé de trancher ainsi les conflits concernant le partage de compétences entre l’État fédéral et les États fédérés (V. R. LE MESTRE, « Le contrôle de constitutionnalité des lois par les juridictions anglaises et américaines avant l’arrêt Marbury v. Madison », Revue historique de droit français et étranger, 2010, p. 215). Plusieurs auteurs dans la doctrine font remarquer que la Cour constitutionnelle a tendance à trancher en faveur de l’État fédéral ce qui encourage un phénomène de « recentralisation » en sa faveur (V. B. PAUVERT, Droit constitutionnel, 7e Ed., Studyrama, p. 57).
En 2019, des universitaires belges ont même créé un ouvrage regroupant les grands arrêts en matière de partage de compétences dans leur pays (Céline ROMAINVILLE et Marc VERDUSSEN dir., Les grands arrêts sur le partage des compétences dans l’État fédéral, Larcier Légal Ed., 2019).
Le juge constitutionnel participe aussi à l’unification des systèmes juridiques.
Le juge constitutionnel participe également, dans le cadre de son contrôle de constitutionnalité et de son rôle de juge suprême, à une harmonisation ou une unification des systèmes juridiques au sein de l’État fédéral.
La Cour ou le tribunal constitutionnel va ainsi s’appuyer sur les lois fondamentales de l’État fédéral et veiller à ce que les États fédérés n’y portent pas atteinte par les lois qu’ils adoptent dans le cadre de leurs compétences propres ou partagées. Dans la Constitution américaine, la clause de suprématie (Supremacy clause) vient poser le principe de la suprématie fédérale en précisant que « la Constitution et les lois des États-Unis qui serviront à sa mise en œuvre et tous les traités déjà conclus (…) constitueront la loi suprême du pays ; ils s'imposeront aux juges de chaque État, en dépit de toute disposition contraire dans la Constitution ou les lois de l'État ».
La jurisprudence que la juridiction suprême va dégager aura évidemment des conséquences juridiques sur les actes identiques d’autres États fédérés, marquant une fois encore cette centralisation qui apparaît aller à l’encontre du fédéralisme mais qui en fait partie intégrante.