L'accueil de la Charte de l'environnement par le Conseil d'Etat
(CE, ass., 3/10/2008, Commune d'Annecy)

Introduction

Le droit de l’environnement vit une époque importante. Jamais, depuis la prise de conscience des enjeux écologiques, son évolution ne fut à la fois si rapide et si attendue. Si l’activité normative est intense au niveau international, la plupart des grandes démocraties des pays économiquement développés ont placé les objectifs environnementaux au sommet de leur ordre juridique. C’est cette évolution qu’accompagne le Conseil d’État avec l’arrêt CE, Ass, 3 octobre 2008, Commune d’Annecy, req. n° 297931.

En 2004, le Président de la République s’était engagé à aboutir à l’introduction au sein du bloc de constitutionnalité d’une grande « Charte » de l’environnement. La réforme constitutionnelle adoptée 1er mars 2005 a consacré, au sein du Préambule de la Constitution, un texte nouveau contenant des droits et des obligations relatifs à l’environnement.

Le 1er août 2006, le Premier ministre a adopté un décret, pris pour l’application de l’article L.145-1 du Code de l’urbanisme, établissant une procédure particulière d’urbanisme concernant l’aménagement des abords des lacs de montage de plus de 1000 hectares. La Commune d’Annecy a contesté la légalité de ce décret devant le Conseil d’État, en fondant ses moyens sur les dispositions de la Charte de l’environnement. La haute juridiction administrative était donc appelée à définir non seulement la valeur des obligations contenues dans la Charte, mais également à en délimiter les effets et la portée.

Par un arrêt d’assemblée du contentieux, le Conseil d’État reconnaît la pleine valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement (I) et, de façon particulièrement pédagogique, détaille l’articulation des différentes normes (II).

I - La portée normative réelle de la Charte de l'environnement

Le Conseil d’État n’est pas le premier à reconnaître à la Charte de l’environnement une pleine valeur juridique. Il a pris soin de rendre sa décision en adéquation avec la décision antérieure du Conseil constitutionnel (A). Dans l’interprétation qu’il donne de la Charte, le Conseil agit toutefois avec une forme de retenue (B).

A - L'adéquation de la solution du Conseil d'État avec la décision du Conseil constitutionnel

La Conseil d’État reconnaît la pleine valeur juridique de la Charte (1) tout en se plaçant dans le sillage du Conseil constitutionnel (2). 

1 - Une reconnaissance de la valeur juridique de la Charte

L’apport essentiel de cet arrêt réside dans la reconnaissance de la force obligatoire des dispositions de la Charte de l’environnement. La formule utilisée par le Conseil d’État ne laisse aucune ambiguïté : « ces dernières dispositions, comme l'ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement, et à l'instar de toutes celles qui procèdent du Préambule de la Constitution, ont valeur constitutionnelle ».

La Charte est entièrement assimilée au Préambule de la Constitution. On sait que la question de la juridicité du Préambule est réglée depuis la décision fondatrice du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971, Liberté d’association, n° 71-44 DC. Par cette dernière, le juge constitutionnel avait reconnu la valeur juridique des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, tels qu’ils sont mentionnés au sein du Préambule de la Constitution de 1946, elle-même visée dans le Préambule de celle de 1958. Cette architecture avait permis de déduire la pleine force juridique du Préambule.

Or, le préambule de la Constitution de 1958 avait été modifié en 2005 pour l’adapter à l’accueil de la Charte. Il est désormais rédigé en ces termes : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004. »

La reconnaissance d’une valeur juridique quelconque au Préambule n’était pas évidente. Cette décision se justifie pourtant à deux égards : d’une part, c’est finalement le Préambule qui fait référence à la quasi-totalité des dispositions relatives aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales. Sans ces références, la Constitution de 1958 ne contiendrait quasiment aucune protection au niveau constitutionnel. D’autre part, si un Préambule n’est pas un article stricto sensu, il demeure partie intégrante du texte constitutionnel et, à ce titre, a été adopté par le constituant. En tant que tel, le Préambule constitue un acte de volonté du pouvoir constituant que le Conseil constitutionnel, chargé de protéger, est tenu de prendre en compte.

La Chatre de l’environnement s’exprime donc juridiquement comme un instrument de protection des droits de l’Homme. Plus encore, selon les typologies généralement admises s’agissant des droits et libertés fondamentaux, la Charte exprime à elle seule les droits dits de troisième génération. Alors que la première génération renvoie aux droits politiques, essentiels à l’instauration d’un régime politiquement libéral, contenus au sein de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, alors que le Préambule de la Constitution de 1946 établit les droits économiques, sociaux et culturels, dits de deuxième génération, la Charte, quant à elle, fonde un certain nombre de droits plus qualitatifs, liés à la nécessité de vivre dans un environnement sain.

Cependant, la portée juridique de ces droits n’est pas totalement établie.  Plus précisément, leur expression est hybride. Cela signifie que la Charte, en tant que tel, ne conduit pas nécessairement à des obligations contraignantes, des obligations de faire ou de ne pas faire, mais enrichi le raisonnement du juge chargé de l’appliquer. En l’espèce, le droit de participer à l’élaboration de décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ne se conçoit pas comme une obligation positive absolument contraignante.  

Malgré cette nuance, la position adoptée par le Conseil d’Etat en l’espèce permet de reconnaître la pleine valeur juridique de la Charte et de suivre celle précédemment retenue par le Conseil constitutionnel.

2 - La préservation de l’autorité de la chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel

La valeur juridique de la Charte reconnue, le Conseil juge, en effet, que ses dispositions « s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs ». Cette formule mérite un commentaire car son emploi n’est pas anodin.

Déjà en 2006, le Conseil avait reconnu la valeur constitutionnelle de la Charte et sa capacité à produire des effets de droit. Dans son arrêt du 6 avril 2006, Ligue pour la protection des oiseaux, req. n° 283103, le Conseil était saisi par plusieurs associations de protection de la nature d’un arrêté déterminant les dates d’ouverture de la chasse aux oiseaux de passage et au gibier d’eau. Le Conseil avait, en effet, implicitement reconnu la pleine valeur de la Charte, non seulement en la mentionnant expressément dans ses visas, mais également en jugeant que « la fixation au premier samedi du mois d'août de la chasse aux oies et aux limicoles sur le domaine public maritime des départements côtiers de la Manche et de l'Atlantique et sur une partie de l'estuaire de la Gironde ne méconnaît pas l'objectif de protection complète fixé par la directive du 2 avril 1979 ; que, par voie de conséquence, elle ne méconnaît pas le principe de précaution formulé dans la Charte de l'environnement ainsi qu'à l'article L. 110-1 du code de l'environnement ». Le rapport n’est qu’incident : c’est parce que la norme est conforme aux objectifs d’une directive européenne que « par voie de conséquence », elle ne méconnaît pas le principe constitutionnel de précaution. La formulation est pour le moins elliptique.

Dans l’arrêt commenté, en revanche, nul doute n’est possible. Le fait que les dispositions de la Charte « s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs » doit être lu non seulement par rapport à l’article 62 de la Constitution mais également par rapport aux décisions du Conseil constitutionnel.

L’article 62 confère aux décisions du Conseil constitutionnel l’autorité de la chose jugée. Son 3e alinéa est ainsi formulé : « Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. ».

C’est par un effet de « mise en abyme » que le Conseil d’État procède. Il reprend, en effet, au mot près, le considérant posé par la décision du Conseil constitutionnel du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, n° 2008-564 DC. En procédant de la sorte, le Conseil d’État tire toutes les conséquences à la fois de l’article 62 et de la réforme constitutionnelle de 2005.  La portée de la Charte de l’environnement ne doit pas, pour autant, être surestimée.

I - La portée normative réelle de la Charte de l'environnement

B - La détermination retenue de l'effet de la Charte

L’article 7 de la Charte n’est lu que comme une norme de répartition des compétences (1), dont le Conseil d’État veille à délimiter les effets dans le temps à l’égard du pouvoir règlementaire (2).

1 - L’article 7 de la Charte, une norme de répartition des compétences

Était contestée, devant le Conseil d’État, la conformité du décret litigieux avec l’article 7 de la Charte de 2004. Cet article est ainsi rédigé : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. »

Interprétant ces dispositions de la Charte de l’environnement, le Conseil d’État juge que « Considérant que les dispositions précitées, issues de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, ont réservé au législateur le soin de préciser " les conditions et les limites " dans lesquelles doit s'exercer le droit de toute personne à accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et à participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ; qu'en conséquence, ne relèvent du pouvoir réglementaire, depuis leur entrée en vigueur, que les mesures d'application des conditions et limites fixées par le législateur ; que, toutefois, les dispositions compétemment prises dans le domaine réglementaire, tel qu'il était déterminé antérieurement, demeurent applicables postérieurement à l'entrée en vigueur de ces nouvelles normes, alors même qu'elles seraient intervenues dans un domaine désormais réservé à la loi ; ».

Telle qu’interprétée, l’article 7 de la Charte se conçoit exclusivement comme une norme de répartition des compétences : au législateur la compétence d’établir les conditions et limites dans lesquelles s’applique ce droit ; au pouvoir règlementaire la tâche d’adopter des mesures d’application de ces conditions et limites fixées par le législateur.

Cette approche, relativement restrictive, constitue le pendant, au niveau du juge administratif, de la décision du Conseil constitutionnel du 19 juin 2008 (précitée). Ce dernier, interprétant la même disposition, avait jugé « qu'il ressort de leurs termes mêmes qu'il n'appartient qu'au législateur de préciser « les conditions et les limites » dans lesquelles doit s'exercer le droit de toute personne à accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques ; que ne relèvent du pouvoir réglementaire que les mesures d'application des conditions et limites fixées par le législateur ». On le voit, le Conseil d’État n’a pas innové. Surtout, la formulation de ce considérant laisse penser que cette disposition ne contient finalement qu’une simple norme de répartition de compétence. Cette lecture restrictive est renforcée par le fait que le juge lit ensemble cet article 7 de la Charte avec l’article 34 de la Constitution, et, notamment, la disposition selon laquelle « La loi détermine les principes fondamentaux (…) de la préservation de l’environnement ».

Ce n’est pourtant, heureusement, pas le cas. Si elle a pour effet d’habiliter le législateur à prendre les dispositions qui s’imposent pour rendre effectif ce droit de participation, elle ne s’y limite pas et toute incompétence négative, tout refus du législateur d’exercer sa compétence ou toute dénaturation du droit de participation est sanctionné par le Conseil constitutionnel (voir, par ex. CC, 19 jui 2008, préc., CC, 14 octobre 2011, Association France Nature Environnement, no 2011-183/184 QPC).

Le Conseil d’Etat adapte, ensuite, ces principes à la spécificité de son office.

2 - L’effet dans le temps de la Charte à l’égard du pouvoir règlementaire

En se plaçant dans la ligne tracée par le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État a toutefois adapté et complété la solution à la particularité et aux besoins de son office. Ne pouvant être saisi, en excès de pouvoir, que contre des actes administratifs, il a dû moduler l’effet dans le temps de l’entrée en vigueur de la Charte de l’environnement. C’est la raison pour laquelle il juge que : « qu'en conséquence, ne relèvent du pouvoir réglementaire, depuis leur entrée en vigueur, que les mesures d'application des conditions et limites fixées par le législateur ; que, toutefois, les dispositions compétemment prises dans le domaine réglementaire, tel qu'il était déterminé antérieurement, demeurent applicables postérieurement à l'entrée en vigueur de ces nouvelles normes, alors même qu'elles seraient intervenues dans un domaine désormais réservé à la loi. »

Il ressort de ce considérant que seules les mesures réglementaires nouvelles devront s’abstenir d’intervenir dans le champ de compétence nouveau réservé au pouvoir législatif. Ainsi, l’ensemble des actes règlementaires intervenus antérieurement ne se voit pas privé de force juridique. Cette solution trouve son fondement dans une appréciation à la fois juridique et pratique.

D’un point de vue juridique, une norme n’a, normalement, d’effet que pour l’avenir. Bien que ce principe ne puisse, par définition, pas être imposé aux normes constitutionnelles, il est normal qu’une modification constitutionnelle ne produise pas d’effets dans le passé. Ainsi, par exemple, l’entrée en vigueur de la Constitution de 1958 n’a pas eu pour effet de révoquer l’habilitation législative conférée antérieurement par le Parlement au Gouvernement pour adopter les règles relatives aux marchés publics (CE, 29 avril 1981, Ordre des architectes, req. n° 12851).

Fonctionnant en sens inverse en l’espèce, ce principe, s’il ne prive pas de force juridique les actes antérieurement adoptés par le pouvoir règlementaire, entraîne le fait que le pouvoir règlementaire ne pourra plus modifier les actes déjà existant. Il appartiendra donc au seul législateur de modifier les normes qu’ils posent.

D’un point de vue pratique, on peut estimer que la décision commentée est également fondée sur une appréciation d’opportunité. Si le Conseil avait estimé que tous les actes règlementaires intervenus dans le domaine de la loi antérieurement à la réforme constitutionnelle de 2005 devaient se voir privés d’effet du fait de l’entrée en vigueur de la Charte, cela aurait conduit à créer des vides juridiques. En l’absence de loi substituant de nouvelles normes à celles automatiquement abrogées du fait de l’entrée en vigueur de la Charte, le Conseil aurait privé d’effet toutes les normes de protection existantes. Une telle solution serait allée à l’encontre de l’objectif de renforcement de la protection de l’environnement.

La Charte de l’environnement crée, ainsi, un nouveau terrain d’élection à l’enchevêtrement des normes que le Conseil d’Etat tente, ici, d’encadrer.

II – Les incidences de la Charte de l'environnement sur l'articulation des normes

Afin de rendre effective les dispositions de la Charte, le Conseil d’État prend soin de détailler l’articulation temporelle et matérielle entre la Charte, la loi et le règlement (A). Appliquant ces principes au cas d’espèce, il conclut à l’absence de base légale du décret contesté (B).

A - L'articulation temporelle et matérielle de la Charte, de la loi et du règlement

Le Conseil d’État tire alors toutes les conséquences de sa solution de principe. Les textes antérieurement en vigueur ne perdent pas leur force juridique du seul fait de l’adoption de la réforme du 1er mars 2005. L’effet que confère le Conseil aux dispositions de l’article 7 de la Charte est de confier au seul législateur la compétence pour délimiter l’étendue et le contenu du droit de participation à la prise de décision en matière d’environnement. Ainsi, les textes réglementaires déjà adoptés restent en vigueur, même s’ils interviennent dans le champ de la loi. En jugeant que « depuis la date d’entrée en vigueur de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, une disposition règlementaire ne peut intervenir dans le champ d’application de l’article 7 de la Charte de l’environnement que pour l’application de dispositions législatives », le Conseil interprète la Charte en supprimant tout caractère autonome au pouvoir règlementaire.

On sait que l’une des grandes innovations de la Ve République, dont l’objectif était de « rationnaliser » le parlementarisme (c’est-à-dire, en pratique, de conférer au Gouvernement une latitude d’action plus grande face au Parlement, certains diront « museler » le Parlement), fut de restreindre le champ de la loi. L’article 34 de la Constitution de 1958 limite le champ de l’action législative, tandis que l’article 37 est de principe. Le constituant a également pris soin de permettre au Gouvernement d’opposer une irrecevabilité à un amendement ou une proposition de loi (émanant du Parlement) qui serait contraire à la répartition des compétences (art. 41 C) ou d’obtenir la « délégalisation» d’un texte législatif ayant « débordé » sur les compétences du Gouvernement.

C’est en ayant cette structure en tête qu’il convient de lire l’arrêt Commune d’Annecy. Si le pouvoir règlementaire ne peut plus intervenir, après le 1er mars 2005, qu’en application des textes législatifs, c’est que le Conseil a entendu supprimer le pouvoir règlementaire autonome.

Le Conseil distingue toutefois selon la date d’adoption du texte législatif qui sert de base légale à la norme règlementaire. Si le texte est postérieur à la réforme, il n’appartient pas au Conseil d’État de juger de la constitutionnalité de la loi. Le Conseil constitutionnel aura pu être saisi par l’une des autorités compétentes en vertu de l’article 61 de la Constitution, ou par un justiciable dans la cadre de la question prioritaire de constitutionnalité. En revanche, si la loi est antérieure, le Conseil d’État est compétent pour « constater » l’abrogation implicite de la loi. En effet, le Conseil établit depuis les origines une distinction entre contrôle de constitutionnalité de la loi, qui relève d’un « vrai » contrôle juridictionnel, du simple « constat » de l’abrogation législative. Il l’a rappelé en des termes sans équivoque dans son récent arrêt CE, Ass, 16 décembre 2005, Ministre des Affaires sociales et Syndicat des huissiers de justice : « s’il n’appartient pas au juge administratif d’apprécier la conformité d’un texte législatif aux dispositions constitutionnelles en vigueur à la date de sa promulgation, il lui revient de constater l’abrogation, fût-elle implicite, de dispositions législatives qui découle de ce que leur contenu est inconciliable avec un texte qui leur est postérieur, que celui-ci ait valeur législative ou constitutionnelle ». Par l’effet combiné d’une analyse de la séquence temporelle (loi antérieure, loi postérieure) et du caractère inconciliable des deux normes, le Conseil réalise un exercice qui diffère du contrôle de constitutionnalité.

En « constatant » l’abrogation implicite de loi antérieure par l’effet de la réforme constitutionnelle, le Conseil d’État évite l’application de la théorie de la loi-écran (CE, 1936, Arrighi). S’il écarte la loi antérieure au terme de ce constat, et parce qu’il dénie toute compétence au pouvoir règlementaire autonome, l’acte règlementaire attaqué devant lui perd sa base légale. Il devient donc illégal et le Conseil d’État peut l’annuler.

II – Les incidences de la Charte de l'environnement sur l'articulation des normes

B - Une absence de base légale au décret attaqué

C’est, là, la conclusion à laquelle aboutit le Conseil d’État en l’espèce. Deux textes législatifs étaient invoqués en tant que fondement normatif du décret attaqué : l’article L.110-1 du Code de l’environnement (1) et l’article L.145-1 du Code de l’urbanisme (2).

1 - Le caractère général de l’article L.110-1 du Code de l’environnement

Le premier article invoqué état l’article L. 110-1 du Code de l’environnement. Ce texte, placé en tête dudit Code, rappelle les principes généraux de la matière.  Il énonçait, dans sa rédaction alors applicable, en son II, 4° « Le principe de participation, selon lequel chacun a accès aux informations relatives à l'environnement, y compris celles relatives aux substances et activités dangereuses, et le public est associé au processus d'élaboration des projets ayant une incidence importante sur l'environnement ou l'aménagement du territoire. ».

En jugeant que « l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui se borne à énoncer des principes dont la portée a vocation à être définie dans le cadre d'autres lois, ne saurait être regardé comme déterminant les conditions et limites requises par l'article 7 de la Charte de l'environnement », le Conseil d’État démontre qu’il entend donner à l’article 7 de la Charte toute sa portée. Il est clair que l’article L.110-1 ne créait aucune obligation particulière et le législateur ne pouvait être considéré comme ayant entendu « vider » sa compétence en ne prescrivant qu’un principe aux contours vagues. Du reste, d’un strict point de vue normatif, l’article L.110-1 n’apporte rien de plus que les dispositions pertinentes de la Charte. Toute solution contraire aurait porté atteinte à l’effet utile de cette dernière ou aurait admis que le législateur se soit placé dans une situation d’incompétence négative.

2 - Une lecture restrictive de l’article L.145-1 du Code de l’urbanisme

Au soutien de la légalité du décret querellé était également invoqué l’article L.145-1 du Code de l’urbanisme. Beaucoup plus précis que l’article L.110-1 du Code de l’environnement, cet article n’a toutefois pas été considéré comme satisfaisant aux obligations posées par l’article 7 de la Charte. Le Conseil d’État examine précisément l’objet du texte : « ces dispositions n'avaient pas pour objet de déterminer les conditions et limites d'application des principes d'accès aux informations et de participation du public s'imposant au pouvoir réglementaire pour la délimitation des zones concernées ».

Il est vrai que le texte précité ne prévoyait que l’application du chapitre VI du Titre IV du Livre Ier du Code de l’urbanisme aux opérations d’aménagement des lacs de montagne. Plus précisément, l’article invoqué procédait par renvoi. Or, dans leur rédaction applicable à l’époque, aucune disposition de ce chapitre relatif au littoral ne précisait les modalités d’accès à l’information du public ni ne détaillait les procédures de participation. De ce fait, il était en effet impossible de considérer que le législateur avait exercé sa compétence.

De ce fait, le Conseil juge « qu'en l'absence de la fixation par le législateur de ces conditions et limites, le décret attaqué du 1er août 2006, dont les dispositions, qui prévoient, outre la mise en œuvre d'une enquête publique, des modalités d'information et de publicité, concourent de manière indivisible à l'établissement d'une procédure de consultation et de participation qui entre dans le champ d'application de l'article 7 de la Charte de l'environnement, a été pris par une autorité incompétente ». Le législateur s’étant abstenu, le pouvoir règlementaire ne pouvait agir. On note, toutefois, que le Conseil ne juge pas la disposition législative alors applicable, issue de la loi du 23 février 2005, inconciliable avec le texte constitutionnel. L’abstention ne mène pas à constater l’abrogation implicite. Seule une disposition expresse peut être reconnue comme ayant été implicitement abrogée.  

C’est ainsi que l’on mesure combien la Charte est imparfaite. Finalement, la seule exigence qui puisse être réellement mise en œuvre, en l’état actuel du droit, est la capacité du juge administratif à préserver la répartition des compétences.  Les textes internationaux suppléent les lacunes du texte constitutionnel, mais avec toute la difficulté que l’on connaît à les invoquer.