Un président responsable dans une démocratie irréprochable : voilà le rêve de chacun dans une Cinquième République dont on peine, bien souvent, à déterminer les contours tant les rapports entre les différents organes semblent, parfois, obscurs. Il semble qu’en la matière, la France vient de loin et a encore de réels efforts à fournir.
Ainsi, parler d’un président responsable, en premier lieu, c’est signifier la juste place qui est celle du président de la République dans ce régime, à savoir la Première. Placé de la sorte au centre du jeu institutionnel, le président, d’une manière ou d’une autre, ne peut que voir sa responsabilité croître et le mot « responsabilité » est doté d’une polysémie qu’il convient de souligner.
Etre responsable pour le président de la République, c’est d’abord être responsable politiquement (I), avec certes un système institutionnel qui fait de lui un président initialement irresponsable politiquement, mais qui, par la force des événements et des évolutions constitutionnelles, le devient nécessairement. Etre responsable, c’est aussi l’être pénalement (II), avec un système qui, pour avoir aussi initialement prévu une irresponsabilité pénale, tend vers une responsabilisation indispensable, en la matière, du président de la République.
A la lecture du texte constitutionnel, le président de la République est d’abord présenté comme irresponsable politiquement, la responsabilité étant endossée par les membres du gouvernement (A). La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 ne fait toujours pas de lui un président directement responsable, mais les nouvelles prérogatives qui lui sont accordées le rendent nécessairement davantage responsable aux yeux des français et il s’agit plutôt, en ce cas, d’une responsabilité politique que juridique (B).
Pour constituer un régime mixte alternatif, qui relève aussi bien du régime parlementaire que du régime présidentiel, selon les circonstances, la Cinquième République n’en a pas moins accepté de se situer, en premier lieu, dans une filiation parlementaire. Elle a par conséquent organisé les rapports entre les organes politiques de telle sorte que le gouvernement endosse la responsabilité juridique incombant au chef de l’Etat. Ainsi, l’article 49 de la Constitution fait supporter très clairement cette responsabilité au gouvernement, pour le plus grand bénéfice du président qui s’y voit soustrait. C’est un héritage parlementaire évident dans la droite ligne des deux républiques précédentes.
La lecture du premier alinéa de l’article 49 permet de comprendre à quel point cette responsabilité du gouvernement est forte et, pour y soustraire le président de la République, souligne paradoxalement combien ce dernier, à l’occasion d’une telle procédure, se trouve au cœur du système. Ainsi, « Le Premier ministre, après délibération du conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale ».
D’une part, la responsabilité politique du gouvernement est ainsi très clairement affirmée, soulignant d’autant, en creux, l’irresponsabilité du chef de l’Etat.
D’autre part, cette responsabilité, si la pratique a démontré qu’elle n’était que rarement sanctionnée - une seule motion de censure adoptée à ce jour en 1962 - bien que régulièrement mise en jeu, pèse, au moins théoriquement, sur le gouvernement comme une épée de Damoclès, puisque celle-ci peut se voir engagée lors de la constitution du gouvernement, aux débuts de ce dernier, sur son programme ou, de façon plus circonstanciée, sur une déclaration de politique générale. La menace, théoriquement permanente, n’est en réalité que virtuelle. Enfin et c’est là l’essentiel, la mention « après délibération du conseil des ministres » met en relief le caractère surprenant et pour le moins incohérent des modalités propres à une telle procédure. Par cette mention, l’opération ne peut être engagée qu’après l’approbation du président de la République et le feu vert accordé par celui-ci à son Premier ministre. Ce sont bien là les délices de la cuisine constitutionnelle française qui, tout à la fois, fait du président de la République un organe politiquement irresponsable, mais le place au cœur du système en lui permettant d’être le seul à enclencher la procédure. Bien entendu, un tel scénario ne demeure possible qu’en cas de concordance des majorités présidentielle et parlementaire, le Premier ministre et le gouvernement dans son ensemble ne relevant que du président de la République. En cas de divergence, le Premier ministre peut engager la responsabilité gouvernementale quand bon lui semble, sans l’aval présidentiel.
Le président de la République se voit donc placé au centre du système mais n’a pas à en répondre. Un goût de démocratie inachevée demeure et c’est vers le domaine politique plus que juridique qu’il convient, dans de telles circonstances, de se tourner pour obtenir une responsabilité plus réelle du président de la République.
Juridiquement, le président de la République est bien irresponsable. Il n’en va pas de même politiquement. Le fait qu’il se trouve au cœur du système institutionnel et l’étendue de ses compétences le rendent inévitablement responsable et cette responsabilité ne manque pas de s’exprimer lors des échéances électorales.
En un premier sens, la Constitution lui confère de nombreuses responsabilités. Au titre de ses compétences politiques, le Président exerce des responsabilités lourdes : la nomination du Premier ministre et, sur sa proposition, des ministres , l’exercice de la présidence du Conseil des ministres, le droit de message aux assemblées, la faculté de prendre la parole devant le Parlement réuni en Congrès, celle de demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ainsi que l’ouverture et la clôture des sessions extraordinaires, la consultation du pays par référendum, la dissolution de l’Assemblée nationale et la prise en charge de tous les pouvoirs en cas de nécessité selon l‘article 16 de la Constitution. Au titre de ses compétences exécutives, le chef de l’Etat promulgue les lois dans les quinze jours suivant la transmission au gouvernement de la loi définitivement adoptée, signe les ordonnances et décrets délibérés en Conseil des ministres impliquant la possession par celui-ci du pouvoir réglementaire, nomme aux emplois civils et militaires
Sur le plan diplomatique et militaire, lui incombe la responsabilité de la négociation et de la ratification des traités dont certains ne peuvent l’être qu’en vertu d’une loi, l’accréditation des ambassadeurs, la direction des armées en tant que chef de celles-ci et la présidence des conseils et comités supérieurs de défense nationale. Il est enfin, en matière constitutionnelle et judiciaire, responsable du respect de la Constitution, a l’initiative de la révision de cette dernière en concurrence avec les membres du Parlement et a la charge de la convocation de ce dernier dans la procédure de révision, tout comme il est responsable de l’exercice du droit de grâce à titre individuel, de la demande d’avis au Conseil supérieur de la magistrature ainsi que de la nomination de deux personnalités qualifiées en son sein.
Bien entendu, sans jouer sur les mots, il est possible de parler à ce sujet de prérogatives, de compétences, de responsabilités. De là à dire qu’en ces matières, le président s’avère juridiquement responsable, ce serait une erreur. En revanche, il l’est bien politiquement ! Faisant endosser la responsabilité juridique à ses ministres par le biais du contreseing, il demeure le responsable initial et supérieur de la politique conduite. En tant que capitaine d’une équipe, il aura beau changer de Premier ministre en cours de mandat lorsqu’il estimera celui-ci usé, l’utilisant comme un fusible - ce qui revient peu ou prou à tenter de lui faire aussi endosser sa responsabilité politique - les Français le tiennent pour le premier responsable de la politique en place et, à ce titre, le sanctionne dans le sens qu’ils désirent. Les sondages, les journaux, ce qui est devenu la démocratie d’opinion et médiatique sont là pour le rappeler.
Les échéances électorales s’avèrent le meilleur baromètre en la matière. Un président impopulaire et contesté, sauf stratégie électorale savamment élaborée, risquerait de le payer cher à l’élection présidentielle suivante si celui-ci s’avérait être candidat. De plus, les élections législatives suivantes iraient, très probablement, dans le même sens. Celles-ci, depuis le passage au quinquennat en 2000 et la remise en ordre du calendrier électoral avec une élection présidentielle précédant des élections législatives depuis 2002, pourraient tout à fait sanctionner le président en place tout comme à la suite d’une dissolution présidentielle. D’ailleurs, les élections législatives étaient, avant la réduction du mandat présidentiel, le meilleur étalon pour mesurer, aux yeux des français, la responsabilité du président en place et faisaient jouer celle-ci. Ce que n’ont pas manqué de faire les électeurs à l’encontre de François Mitterrand en 1986 et 1993 ou envers Jacques Chirac en 1997 à la suite de la dissolution ratée.
La cohabitation peut certes pousser le président à un certain retrait, celui-ci par ce résultat, en ayant été tenu pour le premier responsable de la politique conduite, en a, dès lors, payé le prix. Comment imaginer, en effet, qu’il en soit autrement et que les français tiennent pour responsable quelqu’un d’autre que le président de la République ? Qui prétend au premier rôle doit en assumer la responsabilité, aussi bien au sens qu’il doit l’accomplir qu’en rendre compte. L’enseignement de de Gaulle, en la matière, demeure le mètre-étalon.
Enfin, l’attitude de certains titulaires récents de la charge présidentielle (l’«hyper-présidence ») et l’absorption de la fonction gouvernementale par le président, tout comme la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, bien qu’elle ne soit pas allée jusqu’au bout de la logique présidentielle qui présidait justement à son inspiration, ont confirmé le tracé d’un sillon qui vise à renforcer la responsabilité politique présidentielle.
D’arbitre en règle générale, le président de la République devient ainsi, de plus en plus, un capitaine et, à ce titre, il se doit d’être le premier responsable sur le plan politique. Cependant, la responsabilité qui est la sienne ne s’exprime pas que sur le plan politique. Sa responsabilité comprend également une dimension judiciaire et plus précisément pénale.
Si, en application du principe de séparation des pouvoirs, le président de la République ne peut juridiquement pas voir sa responsabilité politique mise en cause, il n’en va de même pénalement, bien que cet engagement de responsabilité pénale demeure l’exception aux termes de l’article 67 de la Constitution. Néanmoins, le système a connu une sensible amélioration de la mise en cause de la responsabilité pénale du président puisqu’on est passé d’un système initial d’irresponsabilité (A) à un système de responsabilisation de ce dernier (B).
Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’ancien article 68 de la Constitution prévoyait l’irresponsabilité pénale du président de la République, sauf en cas de haute trahison. Il s’agissait bien d’une faute pénale, mais très délicate à déterminer hors période de conflit. Cette irresponsabilité politique sous la Cinquième République n’a jamais posé de problème particulier, puisqu’il était clair qu’elle constituait bien le moteur du régime quand l’irresponsabilité pénale du président ne pouvait se voir engagée que dans des circonstances relevant d’événements exceptionnels.
Les difficultés ont commencé à apparaître lorsque le président Chirac s’est vu mis en cause dans plusieurs affaires pour des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale et commis avant son entrée en fonction en 1995.
Le problème juridique était le suivant : ces faits étaient-ils détachables de l’exercice de la fonction, avec comme conséquence que le président se voit attrait devant les juridictions pénales de droit commun ou, à l’inverse, n’étaient-ils pas détachables, ce qui permettait au président Chirac de bénéficier d’une forme d’immunité temporaire, pour ne pas parler d’impunité ?
Chacune des deux possibilités présentait de réels inconvénients. Il a fallu deux décisions d’ordres différents pour préciser les faits. D’une part, le Conseil constitutionnel est intervenu en rendant sa décision, Cour pénale internationale du 22 janvier 1999 et d’autre part, il a fallu attendre un arrêt du 10 octobre 2001 rendu par la Cour de cassation. Depuis, le régime de responsabilité pénale du président de la République a été déterminé avec précision. Ainsi, ces deux jurisprudences ont précisé que les actes commis antérieurement au début du mandat sont considérés comme détachables de l’exercice des fonctions. Toutefois, en vu de protéger la fonction présidentielle, le président de la République conserve le bénéfice de son privilège de juridiction devant la Haute Cour de justice durant l’exercice de son mandat. Tant que celui-ci dure, le président ne peut être poursuivi devant une juridiction ordinaire. Dés lors, la prescription qui s’attache aux infractions pénales doit être suspendue durant l’exercice du mandat présidentiel. Le président Chirac s’est vu appliqué ce système et c’est ainsi qu’un mois après la fin de l’exercice de son mandat, redevenant un justiciable ordinaire, il s’est vu poursuivi par les juridictions pénales ordinaires. Mais, la situation ne pouvait demeurer aussi incertaine et le système appelait de sérieuses améliorations.
Une refonte totale du statut pénal du chef de l’Etat devait intervenir. Elle faisait suite à une promesse électorale du président Chirac lors de la campagne présidentielle de 2002. Une commission présidée par le professeur Pierre Avril fut installée pendant l’été 2002 avec pour mandat de formuler des propositions de révision constitutionnelle. Après la remise de son rapport en fin d’année, ses solutions, s’inspirant des solutions dégagées par les décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation, ont été, pour l’essentiel, reprises par la loi constitutionnelle du 23 février 2007 modifiant le titre IX de la Constitution, ainsi que ses articles 67 et 68.
Désormais, l’article 67 rappelle que « le président de la République n’est pas responsable des actes commis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68 ». L’engagement de sa responsabilité pénale, face à l’irresponsabilité politique permanente, représente une exception.
Toutefois, la Constitution prévoit désormais deux voies permettant l’engagement de la responsabilité pénale du président de la République. La voie internationale, avec l’article 53-2 de la Constitution créé par la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, admet la juridiction de la Cour pénale internationale en cas de crimes commis contre l’humanité. La voie interne trouve une issue au moyen des articles 67 et 68 de la Constitution modifiés par la loi constitutionnelle du 23 février 2007. Le premier de ces deux articles précise que quelle que soit la nature des faits reprochés et quel que soit le moment où ils ont été commis pendant l’exercice du mandat, le président de la République en fonction ne peut, devant aucune juridiction ou autorité administrative française, « être requis de témoigner, non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu. Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions ».
Il est bien évident que cette protection fonctionnelle du chef de l’Etat, lors de l’exercice de son mandat, cesse en cas de destitution par le Parlement réuni en Haute Cour. L’article 68 de la Constitution, tel qu’issu de la révision constitutionnelle du 23 février 2007 et à la suite des propositions de la commission Avril, postule une sorte d’impeachment à la française, inspiré ce cette procédure américaine et, en cela, constitue une originalité au regard de la tradition républicaine française. Ainsi, le président de la République peut désormais être destitué en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » et cette « destitution est prononcée par le Parlement réuni en Haute Cour ».
C’est cette procédure que l’on peut qualifier de responsabilisante en matière pénale du président de la République. La responsabilité du chef de l’Etat, depuis l’installation d’un tel mécanisme, s’est vue considérablement améliorée et elle constitue, depuis la mise en place du quinquennat en 2000, changement qui a entraîné une présidentialisation du régime, un impératif démocratique. Le risque réside dans la possibilité de voir glisser cette responsabilité, seulement pénale, vers une responsabilité irrémédiablement politique. En effet, l’imprécision de la qualification des faits permettant d’enclencher une procédure de destitution pose un problème. L’article 68 de la Constitution ne parle que de « manquements à ses devoirs manifestement incompatibles avec l’exercice de son mandat ». Il faut bien admettre qu’une telle formulation, aussi vague, s’avère quelque peu absconse. Dans la même veine, ne plus parler de « Haute Cour de justice » au bénéfice de l’appellation de « Haute Cour » seulement constitue, là aussi, une curiosité car de quoi peut-il s’agir d’autre si ce n’est de justice ? L’appellation retenue est pour le moins douteuse et appelle quelques critiques.
Des règles procédurales très strictes ont, par chance, été mises en place pour éviter toutes sortes de dérives. La Haute Cour, présidée par le président de l’Assemblée nationale, statue, aux termes de l’article 68 de la Constitution, à bulletins secrets et « à la majorité des deux tiers des membres composant l’assemblée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution ». Autant de dispositions qui préservent le président de la République d’une justice politique.
Le président de la République était initialement juridiquement irresponsable en matière politique. Il le demeure, n’ayant toujours pas à rendre de compte à la représentation nationale de la politique qu’il détermine, et fait endosser celle-ci par le gouvernement. Juridiquement, ce sont les ministres qui sont responsables par le biais du contreseing et politiquement, c’est le gouvernement qui porte cette responsabilité, comme dans tout régime parlementaire, que ce soit par la voie de l’adoption d’une motion de censure ou de l’engagement de responsabilité pour lequel le chef de l’Etat conserve un rôle essentiel. Sa responsabilité politique ne peut être engagée que lors d’échéances électorales nationales - élections législatives entraînant une cohabitation ou élection présidentielle perdue à la suite d’un premier mandat.
Il existe donc bien une certaine forme de responsabilité politique du président de la République, relayée, par ailleurs, par une responsabilité pénale qui, pour être réduite voire inexistante aux origines de la Cinquième République, est parvenue à se développer et à s’imposer. Ni politiquement ni pénalement, la responsabilité du président de la République n’est totalement satisfaisante. Mais, l’on voit mal, sur le plan politique, la façon d’y remédier, sauf à adopter clairement un régime présidentiel au détriment du régime parlementaire. Pénalement, il en va de même, car il demeure impossible d’engager, pendant l’exercice du mandat, la responsabilité du président pour des actes détachables de l’exercice de la fonction et de l’attraire devant une juridiction, sauf cas de manquement précisé à l’article 68 de la Constitution. Si le président de la République doit demeurer un justiciable et répondre des accusations portées contre lui, il ne faudrait pas que, pour autant, la fonction suprême soit atteinte et abîmée par de perpétuelles mises en causes qui pourraient avoir d’autres fondements que juridiques.