La chambre mixte de la Cour de cassation rend un arrêt dit « Jacques Vabre » le 24 mai 1975 ayant trait à la primauté du droit de l’Union Européenne.
En l’espèce, la société des cafés Jacques Vabre a importé du café d’un autre pays membre de la communauté européenne, les Pays-Bas, en vue d’une commercialisation sous forme de café soluble en France. La société Weigel, commissionnaire en douane, a versé le dédouanement à l’administration des douanes pour chacune des importations de 1967 à 1971 conformément à la loi de 1966 relative aux taxes douanières. Les deux sociétés ont assigné l’administration des douanes pour obtenir la restitution des droits de douane versés, ceux-ci étant supérieurs à l’imposition des mêmes cafés fabriqués et consommés en France, ce qui est discriminatoire au regard de l’article 95 du traité de Rome du 25 mars 1957.
Suite à un arrêt de première instance, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 7 juillet 1973, accueille favorablement les demandes des sociétés. L’administration française se pourvoit alors en cassation.
Les Hauts magistrats ont dû répondre au problème de droit suivant : La Cour de cassation est-elle compétente pour juger de la hiérarchie des normes entre le traité de Rome et une loi française postérieure ?
Les juges de la Cour de cassation ont rejeté le pourvoi. Ils ont rappelé que le traité de Rome a bien une autorité supérieure à la loi nationale même si celle-ci lui est postérieure, conformément à l’article 55 de la Constitution.
À l’occasion de cette décision, la Chambre mixte de la Cour de cassation a pu rappeler la primauté du droit communautaire sur le droit national (I). Elle a également consacré la compétence du juge judiciaire pour contrôler la conventionnalité de la loi (II).
Dans cette décision, les Hauts magistrats ont fait une application stricte de l’article 55 de la Constitution (A). La Cour de cassation fait également dans cet arrêt une interprétation innovante de la hiérarchie des normes consacrant la primauté du droit communautaire (B).
Dans cet arrêt la Cour de cassation a tranché en faveur de la primauté du traité de Rome sur une loi française postérieure (2), apportant ainsi une réponse au conflit normatif entre ces deux textes (1).
L’article 55 de la Constitution précise que « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. »
En l’espèce, la société Jacques Vabre importe du café des Pays Bas vers la France. Or une loi française de 1966 met en place des taxes douanières à l’importation. Cependant, le traité de Rome de 1957 prévoit quant à lui, la libre circulation des marchandises entre les États parties à ce traité, ce qui est le cas des deux pays en l’espèce.
Il s’agit ainsi de savoir quelle législation s’applique. En effet, les deux dispositions sont contradictoires puisque l’une prévoit une taxe quand l’autre l’abolit. Du fait de la coexistence de l’ordre juridique de l’Union avec un ordre juridique national, le droit européen étant directement applicable dans l’ordre interne, cet arrêt pose le débat de la régulation des rapports normatifs entre droit communautaire et droit national. La Cour de cassation va répondre à cette question dans la droite ligne de la jurisprudence Costa c/ Enel en consacrant le principe de primauté du droit de l’Union.
Il est intéressant de constater que les deux parties s’appuient sur l’article 55 de la Constitution mais en font une interprétation contraire. Effectivement, l’administration des douanes souligne qu’il n’appartient pas au juge, selon l’article 55, d’écarter une loi interne seulement parce qu’elle est considérée comme inconstitutionnelle.
Au contraire, les deux sociétés estiment que l’article 55 de la Constitution confère une autorité supérieure au traité sur la loi interne même si cette dernière lui est postérieure. C’est cette solution que la Cour a finalement retenue. En cela, elle s’écarte de la doctrine Matter, du nom du juriste Paul Matter, qui prévoyait la primauté de la loi interne postérieure sur les traités internationaux.
Une telle décision emporte des conséquences majeures sur les relations entre droit français et droit européen. Il est à noter que la primauté demeure un principe uniquement jurisprudentiel, dégagé par la Cour de justice dans son arrêt Costa c/ Enel, qui ne figure pas explicitement dans les traités européens. L’intérêt de cet arrêt est, pour la jurisprudence française, de dégager une règle de conflit normatif entre une disposition de droit de l’Union et une disposition de droit national.
Les sociétés ayant subi un préjudice du fait de la double application, contraire au traité de Rome, d’une taxe à l’importation (1), la Cour de cassation sanctionne l’administration française en s’alignant sur la jurisprudence européenne en matière de primauté (2).
L’article 95 du Traité de Rome précise qu’ « aucun État membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres États membres d'impositions intérieures, de quelque nature qu'elles soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires.
En outre, aucun État membre ne frappe les produits des autres États membres d'impositions intérieures de nature à protéger indirectement d'autres productions.
Les États membres éliminent ou corrigent, au plus tard au début de la deuxième étape, les dispositions existant à l'entrée en vigueur du présent traité qui sont contraires aux règles ci-dessus. »
En l’espèce, les sociétés se sont vues imposer des taxes douanières alors qu’elles commerçaient entre deux pays membres de la Communauté Économique Européenne (CEE). Elles invoquent l’article susvisé qui précise que les marchandises circulant dans la CEE n’ont pas à subir une imposition supérieure à celle appliquée en l’occurrence en France. À cela, la Cour répond positivement à la supériorité de la législation communautaire sur la législation interne et reconnaît le préjudice subi par les sociétés. Cette interprétation s’avère logique au regard de l’affirmation antérieure par la CJUE de la primauté du droit communautaire.
Cette décision est innovante dans la jurisprudence interne car c’est la première fois que la Cour de cassation reconnaît la supériorité du droit international et plus particulièrement du droit communautaire sur le droit national. Elle se trouve toutefois dans la droite ligne de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) qui avait rappelé antérieurement que les législations nationales devaient se soumettre devant les législations internationales.
Dans sa décision Costa c/ Enel du 15 juillet 1964, la Cour avait ainsi considéré que « le traité de la CEE a institué un ordre juridique propre intégré au système juridique des États membres [...] et qui s’impose à leur juridiction ». La Cour consacre avec cet arrêt le principe de primauté du droit communautaire, c’est-à-dire l’ « impossibilité pour les États de faire prévaloir, contre [le droit communautaire], une mesure unilatérale ultérieure ». La CJUE a réitéré cette position dans plusieurs arrêts postérieurs tels que les arrêts Fratelli Variola SpA du 10 octobre 1973 ou Simmenthal du 9 mars 1978. Cette solution confère de plus au juge judiciaire le pouvoir de contrôle de la conventionnalité des lois.
Le juge judiciaire se voit octroyer la possibilité d’écarter une loi contraire à un traité (A). Cette décision sera progressivement partagée par les autres juridictions françaises, consacrant elles aussi la primauté du droit international sur le droit interne de nature infraconstitutionnelle (B).
Cet arrêt consacre la compétence du juge judiciaire en matière de contrôle de conventionnalité du fait de l’incompétence du Conseil constitutionnel en la matière (1). Une telle décision ouvre des questionnements sur les contours respectifs des pouvoirs législatif et judiciaire (2).
La CJUE, dans son arrêt Costa c. Enel du 15 juillet 1964, précise que le juge national, lorsque la loi nationale est déclarée contraire au droit européen, doit écarter l’application de cette loi.
En l’espèce, les sociétés invoquent l’incompatibilité entre la loi française et la législation communautaire quant aux taxes douanières.
Par leur décision, en tranchant entre ces deux législations contradictoires, les Hauts magistrats attribuent au juge judiciaire un pouvoir de contrôle de la conventionnalité des lois. Cette décision confère dès lors au juge le pouvoir d’écarter l’application d’une loi.
Cette faculté confiée au juge judiciaire découle de l’incompétence du juge constitutionnel dans un tel conflit de norme. En France, comme l’affirme la décision IVG du 15 janvier 1975, le Conseil constitutionnel contrôle la constitutionnalité des lois et non pas leur conventionnalité. Il s’était à ce titre déclaré incompétent pour juger de la conformité d’une loi française à un traité, ce qui implique qu’une loi contraire à un traité n’est pas nécessairement contraire à la Constitution.
Cette solution soulève des questionnements autour du pouvoir des juges et de leurs limites. Ainsi, différents juges pourraient intervenir dans un conflit de ce type afin de juger de la hiérarchie à établir entre plusieurs textes. En donnant la primauté à la norme européenne, le juge a semblé réduire la marge de manœuvre du législateur. Celui-ci est désormais obligé de se conformer aux normes internationales, et la loi postérieure au Traité de Rome est implicitement révoquée puisque inférieure au droit européen et en contradiction avec ce dernier. Cette décision revêt un aspect presque politique en définissant les frontières du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire.
Le conflit entre une norme communautaire et une loi française qui lui est ultérieure est donc une situation hautement politique, puisque la hiérarchie que le juge va exprimer par la solution choisie va dessiner les marges de souveraineté du législateur. Les autres juridictions françaises sont venues peu à peu entériner la solution retenue par la Cour de cassation.
La juridiction administrative suprême s’est alignée avec retard sur la décision de la Cour de cassation avec l’arrêt Nicolo de 1989 (1). Toutefois, les juridictions internes refusent d’étendre cette primauté de manière absolue pour ce qui concerne les dispositions de nature constitutionnelle (2).
Dans son arrêt Nicolo du 20 octobre 1989, le Conseil d’Etat consacre la primauté des traités internationaux sur les lois internes, et étend le contrôle de conventionnalité aux lois et actes administratifs, y compris postérieurs au traité international.
La décision de la Cour de cassation est inédite en ce que les juridictions françaises s’accordaient pour faire primer le droit français sur le droit communautaire. En cela, le présent arrêt vient rompre avec cette tradition et s’accorder à la lettre de l’article 55 de la Constitution française comme du Traité de Rome.
Cela a opéré un revirement de jurisprudence qui a peu à peu gagné les autres juridictions françaises. Ainsi la plus haute juridiction administrative, le Conseil d’Etat, est venue s’aligner sur cette décision plus de 14 ans après l’arrêt Jacques Vabre. Le Conseil d’Etat s’estimait auparavant incompétent pour juger de la compatibilité d’une loi postérieure avec un traité. Dans l’arrêt Nicolo, le Conseil d’Etat a procédé à un revirement de jurisprudence en acceptant de contrôler la compatibilité d’une loi avec le traité de Rome. Le Conseil d’Etat rejoint alors la décision de la Cour de cassation et se conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui invite les juridictions ordinaires à contrôler la conventionnalité des lois. Cette vision de la primauté ne s’étend toutefois pas à toutes les normes de droit internes, notamment lorsqu’elles portent une nature constitutionnelle.
La solution retenue par l’arrêt Jacques Vabre, qui porte sur une norme de valeur infraconstitutionnelle, reste sujette à débat en ce qui concerne les normes de valeur constitutionnelle. Deux points de vue s’opposent en la matière. Du point de vue du droit de l’Union, la primauté englobe toute les normes de droit interne, y compris de nature constitutionnelle. Du point de vue du droit interne, la constitution est la norme suprême de l’ordre juridique et le droit de l’Union ne pourrait primer sur cette dernière.
Du point de vue européen, la primauté du droit de l’Union sur tous les textes de droit interne est affirmée dès l’arrêt Costa C/ Enel. Cette position a été explicitement réaffirmée à plusieurs reprises par la CJUE, notamment dans la décision « Handelsgesellschaft » du 17 décembre 1970 dans lequel la Cour avait précisé que « le droit constitutionnel des États doit plier devant le droit communautaire ».
Pour ce qui concerne les juridictions françaises, le Conseil d’État a affirmé notamment dans les arrêts Saran du 30 octobre 1998 et SNIP du 3 décembre 2001 que le droit de l’Union ne peut remettre en cause la suprématie de la Constitution dans l’ordre interne. La Cour de cassation, dans son arrêt Fraisse du 2 juin 2000 reconnaît également la suprématie de la Constitution dans l’ordre juridique français. Le Conseil constitutionnel étant de son côté incompétent pour connaître du droit de l’Union, il n’a pas à se prononcer sur la question. Néanmoins, il a pu déduire de l’article 88-1 de la Constitution une obligation constitutionnelle de transposer les directives européennes et de respecter les règlements européens tout en précisant que la transposition d’une directive ne peut aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France. En l’absence d’une mise en cause d’une telle règle ou d’un tel principe, le Conseil constitutionnel se déclare incompétent pour contrôler la constitutionnalité de dispositions législatives qui se bornent à transposer une directive européenne ou à adapter le droit interne à un règlement européen. Le Conseil rappelle qu’il appartient aux juridictions administratives et judiciaires de contrôler la compatibilité de la loi avec les exigences du droit européen.
Les visions respectives du Conseil d’État et de la Cour de cassation d’une part et de la Cour de Justice de l’Union européenne d’autre part semblent à première vue incompatibles. Toutefois, pour tenter de sortir du débat insoluble de la primauté réciproque du droit de l’Union sur les constitutions nationales, peut être envisagé un rapport d’équivalence normative. Dans cette conception, les constitutions nationales et le droit primaire de l’Union sont considérées comme compatibles car de même valeur normative, ce qui permet de ne pas établir de hiérarchie entre ces deux normes. En cas de conflit, il appartiendra au juge de concilier ces normes en mettant en balance les règles constitutionnelles nationales et les exigences du droit européen.
SUR LE PREMIER MOYEN PRIS EN SES DEUX BRANCHES :
ATTENDU QU'IL RESULTE DES ENONCIATIONS DE L'ARRET DEFERE (PARIS, 7 JUILLET 1973) QUE, DU 5 JANVIER 1967 AU 5 JUILLET 1971, LA SOCIETE CAFES JACQUES VABRE (SOCIETE VABRE) A IMPORTE DES PAYS-BAS, ETAT MEMBRE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE EUROPEENNE, CERTAINES QUANTITES DE CAFE SOLUBLE EN VUE DE LEUR MISE A LA CONSOMMATION EN FRANCE; QUE LE DEDOUANEMENT DE CES MARCHANDISES A ETE OPERE PAR LA SOCIETE J. WIEGEL ET C. (SOCIETE WEIGEL), COMMISSIONNAIRE EN DOUANE; QU'A L'OCCASION DE CHACUNE DE CES IMPORTATIONS, LA SOCIETE WEIGEL A PAYE A L'ADMINISTRATION DES DOUANES LA TAXE INTERIEURE DE CONSOMMATION PREVUE, POUR CES MARCHANDISES, PAR LA POSITION EX 21-02 DU TABLEAU A DE L'ARTICLE 265 DU CODE DES DOUANES; QUE, PRETENDANT QU'EN VIOLATION DE L'ARTICLE 95 DU TRAITE DU 25 MARS 1957 INSTITUANT LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE EUROPEENNE, LESDITES MARCHANDISES AVAIENT AINSI SUBI UNE IMPOSITION SUPERIEURE A CELLE QUI ETAIT APPLIQUEE AUX CAFES SOLUBLES FABRIQUES EN FRANCE A PARTIR DU CAFE VERT EN VUE DE LEUR CONSOMMATION DANS CE PAYS, LES DEUX SOCIETES ONT ASSIGNE L'ADMINISTRATION EN VUE D'OBTENIR, POUR LA SOCIETE WIEGEL, LA RESTITUTION DU MONTANT DES TAXES PERCUES ET, POUR LA SOCIETE VABRE, L'INDEMNISATION DU PREJUDICE QU'ELLE PRETENDAIT AVOIR SUBI DU FAIT DE LA PRIVATION DES FONDS VERSES AU TITRE DE LADITE TAXE;
ATTENDU QU'IL EST REPROCHE A LA COUR D'APPEL D'AVOIR ACCUEILLI CES DEMANDES EN LEUR PRINCIPE ALORS, SELON LE POURVOI, D'UNE PART, QUE LA COMPETENCE JUDICIAIRE EN MATIERE DE DROITS DE DOUANES EST LIMITEE AUX LITIGES CONCERNANT L'EXISTENCE LEGALE, LA DETERMINATION DE L'ASSIETTE ET LE RECOUVREMENT DE L'IMPOT; QU'ELLE NE PEUT ETRE ETENDUE AUX CONTESTATIONS CONCERNANT LE PRETENDU CARACTERE PROTECTIONNISTE DE L'IMPOT QUI SUPPOSENT UNE APPRECIATION DE L'IMPOSITION DU POINT DE VUE DE LA REGLEMENTATION DU COMMERCE EXTERIEUR, QUI RESSORTIT A LA COMPETENCE EXCLUSIVE DU JUGE ADMINISTRATIF; ET ALORS, D'AUTRE PART, QUE L'ARTICLE 95 DU TRAITE DU 25 MARS 1957, INVOQUE PAR LES DEMANDEURS A L'ACTION, NE VISE PAS UNE IMPOSITION DETERMINEE, MAIS CARACTERISE LE REGIME DISCRIMINATOIRE EN FONCTION DE L'ENSEMBLE DES "IMPOSITIONS INTERIEURES DE QUELQUE NATURE QU'ELLES SOIENT ", EN POSTULANT, PAR LA MEME, UNE APPRECIATION DE L'INCIDENCE ECONOMIQUE DE LA TOTALITE DES CHARGES FISCALES ET PARAFISCALES SUSCEPTIBLES DE GREVER LE PRODUIT LITIGIEUX, QUI EXCEDE MANIFESTEMENT LES LIMITES DU CONTENTIEUX DOUANIER ET DONC LA COMPETENCE DU JUGE CIVIL;
MAIS ATTENDU QUE L'INCOMPETENCE DES TRIBUNAUX JUDICIAIRES, AU PROFIT DU JUGE ADMINISTRATIF, N'A PAS ETE INVOQUEE DEVANT LES JUGES DU FOND; QU'AUX TERMES DE L'ARTICLE 14 DU DECRET DU 20 JUILLET 1972, LES PARTIES NE PEUVENT SOULEVER LES EXCEPTIONS D'INCOMPETENCE QU'AVANT TOUTES AUTRES EXCEPTIONS ET DEFENSES; QU'IL EN EST AINSI ALORS MEME QUE LES REGLES DE COMPETENCE SERAIENT D'ORDRE PUBLIC; D'OU IL SUIT QUE LE MOYEN EST IRRECEVABLE EN L'UNE ET L'AUTRE DE SES BRANCHES;
SUR LE DEUXIEME MOYEN :
ATTENDU QU'IL EST DE PLUS FAIT GRIEF A L'ARRET D'AVOIR DECLARE ILLEGALE LA TAXE INTERIEURE DE CONSOMMATION PREVUE PAR L'ARTICLE 265 DU CODE DES DOUANES PAR SUITE DE SON INCOMPATIBILITE AVEC LES DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 95 DU TRAITE DU 24 MARS 1957, AU MOTIF QUE CELUI-CI, EN VERTU DE L'ARTICLE 55 DE LA CONSTITUTION, A UNE AUTORITE SUPERIEURE A CELLE DE LA LOI INTERNE, MEME POSTERIEURE, ALORS, SELON LE POURVOI, QUE S'IL APPARTIENT AU JUGE FISCAL.D'APPRECIER LA LEGALITE DES TEXTES REGLEMENTAIRES INSTITUANT UN IMPOT LITIGIEUX, IL NE SAURAIT CEPENDANT, SANS EXCEDER SES POUVOIRS, ECARTER L'APPLICATION D'UNE LOI INTERNE SOUS PRETEXTE QU'ELLE REVETIRAIT UN CARACTERE INCONSTITUTIONNEL; QUE L'ENSEMBLE DES DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 265 DU CODE DES DOUANES A ETE EDICTE PAR LA LOI DU 14 DECEMBRE 1966 QUI LEUR A CONFERE L'AUTORITE ABSOLUE QUI S'ATTACHE AUX DISPOSITIONS LEGISLATIVES ET QUI S'IMPOSE A TOUTE JURIDICTION FRANCAISE;
MAIS ATTENDU QUE LE TRAITE DU 25 MARS 1957, QUI, EN VERTU DE L'ARTICLE SUSVISE DE LA CONSTITUTION, A UNE AUTORITE SUPERIEURE A CELLE DES LOIS, INSTITUE UN ORDRE JURIDIQUE PROPRE INTEGRE A CELUI DES ETATS MEMBRES; QU'EN RAISON DE CETTE SPECIFICITE, L'ORDRE JURIDIQUE QU'IL A CREE EST DIRECTEMENT APPLICABLE AUX RESSORTISSANTS DE CES ETATS ET S'IMPOSE A LEURS JURIDICTIONS; QUE, DES LORS, C'EST A BON DROIT, ET SANS EXCEDER SES POUVOIRS, QUE LA COUR D'APPEL A DECIDE QUE L'ARTICLE 95 DU TRAITE DEVAIT ETRE APPLIQUE EN L'ESPECE, A L'EXCLUSION DE L'ARTICLE 265 DU CODE DES DOUANES, BIEN QUE CE DERNIER TEXTE FUT POSTERIEUR; D'OU IL SUIT QUE LE MOYEN EST MAL.FONDE;
SUR LE TROISIEME MOYEN :
ATTENDU QU'IL EST AU SURPLUS REPROCHE A L'ARRET D'AVOIR FAIT APPLICATION DE L'ARTICLE 95 DU TRAITE DU 25 MARS 1957, ALORS, SELON LE POURVOI, QUE L'ARTICLE 55 DE LA CONSTITUTION SUBORDONNE EXPRESSEMENT L'AUTORITE QU'IL CONFERE AUX TRAITES RATIFIES PAR LA FRANCE A LA CONDITION EXIGEANT LEUR APPLICATION PAR L'AUTRE PARTIE; QUE LE JUGE DU FOND N'A PU, DES LORS, VALABLEMENT APPLIQUER CE TEXTE CONSTITUTIONNEL SANS RECHERCHER SI L'ETAT (PAYS-BAS) D'OU A ETE IMPORTE LE PRODUIT LITIGIEUX A SATISFAIT A LA CONDITION DE RECIPROCITE;
MAIS ATTENDU QUE, DANS L'ORDRE JURIDIQUE COMMUNAUTAIRE, LES MANQUEMENTS D'UN ETAT MEMBRE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE EUROPEENNE AUX OBLIGATIONS QUI LUI INCOMBENT EN VERTU DU TRAITE DU 25 MARS 1957 ETANT SOUMIS AU RECOURS PREVU PAR L'ARTICLE 170 DUDIT TRAITE, L'EXCEPTION TIREE DU DEFAUT DE RECIPROCITE NE PEUT ETRE INVOQUEE DEVANT LES JURIDICTIONS NATIONALES; D'OU IL SUIT QUE LE MOYEN NE PEUT ETRE ACCUEILLI;
SUR LE QUATRIEME MOYEN :
ATTENDU QU'IL EST ENCORE REPROCHE A L'ARRET D'AVOIR DECLARE LA TAXE LITIGIEUSE ENTACHEE D'UN CARACTERE DISCRIMINATOIRE AU REGARD DE L'ARTICLE 95 DU TRAITE DU 25 MARS 1957, ALORS, SELON LE POURVOI, QUE D'APRES LA COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES, LE RAPPORT DE SIMILITUDE EXIGE PAR L'ARTICLE 95 DUDIT TRAITE N'EXISTE QU'AUTANT QUE LES PRODUITS EN QUESTION RELEVENT DE LA "MEME CLASSIFICATION FISCALE, DOUANIERE OU STATISTIQUE" (ARRET DU 4 AVRIL 1968); QUE LE PRODUIT FINI IMPORTE (EXTRAITS SOLUBLES DE CAFE) ET LA MATIERE PREMIERE, RETENUE PAR L'ARRET A TITRE DE REFERENCE (CAFE VERT), RELEVENT DE DEUX POSITIONS TARIFAIRES DISTINCTES; QUE LA PROPORTION SELON LAQUELLE CES DEUX MARCHANDISES ETAIENT RESPECTIVEMENT TAXEES - QUI A D'AILLEURS ETE SUPPRIMEE A UNE DATE (1964) ANTERIEURE A LA PERIODE NON COUVERTE PAR LA PRESCRIPTION (CF JUGEMENT CONFIRME) - N'IMPLIQUE NULLEMENT QUE LES FABRICANTS FRANCAIS D'EXTRAITS SOLUBLES EMPLOIERAIENT REELLEMENT 3,600 KILOS DE CAFE VERT POUR PREPARER UN KILO DE CAFE SOLUBLE, LA TENEUR EN CAFE DE CETTE PREPARATION ETANT EXTREMEMENT VARIABLE, NON SEULEMENT A L'INTERIEUR DU MARCHE COMMUN, MAIS, EN OUTRE, A L'INTERIEUR DU TERRITOIRE FRANCAIS; QU'EN OUTRE, LA REGLEMENTATION NATIONALE, ISSUE DU DECRET DU 3 SEPTEMBRE 1965, IMPOSE AUX FABRICANTS FRANCAIS DE NOMBREUSES SUJETIONS, CONCERNANT NOTAMMENT LA QUALITE DU CAFE VERT, QUI EN DIMINUENT SENSIBLEMENT LE RENDEMENT ET, PAR CONSEQUENT, MODIFIENT LA TENEUR DES COMPOSANTES DU PRODUIT FINI; D'OU IL SUIT QUE L'ARRET ATTAQUE NE JUSTIFIE PAS VALABLEMENT DE LA SIMILITUDE ENTRE LES PRODUITS EN QUESTION, DONT LA PREUVE INCOMBAIT AUX SOCIETES WEIGEL ET VABRE;
MAIS ATTENDU QUE SI L'ARRET INVOQUE DE LA COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES, RENDU A TITRE PREJUDICIEL PAR APPLICATION DE L'ARTICLE 177 DU TRAITE, DISPOSE QUE "LE RAPPORT DE SIMILITUDE VISE A L'ARTICLE 94, ALINEA 1., EXISTE LORSQUE LES PRODUITS EN QUESTION SONT NORMALEMENT A CONSIDERER COMME TOMBANT SOUS LA MEME CLASSIFICATION, FISCALE, DOUANIERE OU STATISTIQUE SUIVANT LE CAS", IL AJOUTE QUE "L'ALINEA 2 DE L'ARTICLE 95 PROHIBE LA PERCEPTION DE TOUTE IMPOSITION INTERIEURE QUI... FRAPPE UN PRODUIT IMPORTE PLUS LOURDEMENT QU'UN PRODUIT NATIONAL.QUI, SANS ETRE SIMILAIRE AU SENS DE L'ARTICLE 95, ALINEA 1., SE TROUVE CEPENDANT EN CONCURRENCE AVEC LUI..."; QUE C'EST DONC A JUSTE TITRE QU'AYANT CONSTATE QUE, BIEN QUE L'EXTRAIT DE CAFE IMPORTE DES PAYS-BAS ET LE CAFE VERT SERVANT EN FRANCE A LA FABRICATION D'UNE TELLE MARCHANDISE NE FIGURENT PAS A LA MEME CLASSIFICATION DOUANIERE, CES PRODUITS SE TROUVENT NEANMOINS EN CONCURRENCE ET QU'AYANT, EN RETENANT LES ELEMENTS DE FAIT PAR ELLE ESTIMES PERTINENTS, APPRECIE SOUVERAINEMENT LA PROPORTION DE CAFE VERT NECESSAIRE A LA PRODUCTION D'UNE QUANTITE DONNEE D'EXTRAIT SOLUBLE DE CAFE, LA COUR D'APPEL A FAIT APPLICATION EN LA CAUSE DE L'ARTICLE SUSVISE DU TRAITE; D'OU IL SUIT QUE LE MOYEN EST MAL.FONDE;
SUR LE CINQUIEME MOYEN PRIS EN SES DEUX BRANCHES :
ATTENDU QU'IL EST DE PLUS REPROCHE A LA COUR D'APPEL D'AVOIR RETENU LE CARACTERE DISCRIMINATOIRE SUSVISE DE LA TAXE EN CAUSE, ALORS, SELON LE POURVOI, QU'EN VERTU DES DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 95 DU TRAITE DU 25 MARS 1957, LE CARACTERE DISCRIMINATOIRE D'UN REGIME FISCAL.DOIT ETRE APPRECIE EN FONCTION DE L'ENSEMBLE DES IMPOSITIONS, DE QUELQUE NATURE QU'ELLES SOIENT, SUSCEPTIBLES DE GREVER DIRECTEMENT OU INDIRECTEMENT LE PRODUIT EN QUESTION; QU'AINSI QUE L'ADMINISTRATION L'A RAPPELE DANS SES CONCLUSIONS LAISSEES SANS REPONSE, LE PRODUIT FRANCAIS SUPPORTAIT, OUTRE LA TAXE A L'IMPORTATION SUR LE CAFE VERT, LA TAXE SUR LA VALEUR AJOUTEE GREVANT LE PRODUIT A TOUS LES STADES DE SA FABRICATION ET COMMERCIALISATION; QU'EN OUTRE, LES CHARGES RESULTANT DE CETTE TAXE INTERNE SONT D'AUTANT PLUS LOURDES QUE LE COUT DE REVIENT DU PRODUIT EST PLUS ELEVE, QUE LE PRODUIT FRANCAIS EST SOUMIS A UNE REGLEMENTATION PARTICULIEREMENT RIGOUREUSE EDICTEE PAR LE DECRET DU 3 SEPTEMBRE 1965, QUI INTERDIT NOTAMMENT L'EMPLOI, DANS LA FABRICATION DU CAFE SOLUBLE, DE GRAINS BRISES OU PRESENTANT UNE DEFECTUOSITE QUELCONQUE; QU'EN OMETTANT D'EXAMINER L'ENSEMBLE DES IMPOSITIONS DE TOUTE NATURE AINSI QUE LA REGLEMENTATION INTERNE AYANT POUR EFFET D'AUGMENTER LE MONTANT DES CHARGES FISCALES QUI GREVAIENT LE PRODUIT NATIONAL, ET DONT LE PRODUIT IMPORTE ETAIT EXEMPTE, LE JUGE DU FOND A MANQUE DE DONNER A SA DECISION UNE BASE LEGALE;
MAIS ATTENDU QU'AUX CALCULS EFFECTUES PAR LE PREMIER JUGE DES CHARGES FISCALES AUXQUELLES ETAIENT SOUMIS, D'UN COTE LES EXTRAITS DE CAFE FABRIQUES EN FRANCE ET D'UN AUTRE COTE LES EXTRAITS IMPORTES, L'ADMINISTRATION DES DOUANES S'EST BORNEE, DEVANT LA COUR D'APPEL, A OPPOSER, DE FACON IMPRECISE, QUE LES COMPOSANTS DES PRODUITS NATIONAUX, "AUX DIVERS STADES DES OPERATIONS DONT ILS FONT L'OBJET SONT SOUMIS A LA FISCALITE INTERNE, ESSENTIELLEMENT REPRESENTEE PAR LA TAXE SUR LA VALEUR AJOUTEE", SANS FAIRE VALOIR EN QUOI L'INCIDENCE DE CETTE TAXE PESAIT D'AUTANT PLUS LOURDEMENT SUR LE PRIX DE REVIENT DU PRODUIT FRANCAIS QUE LA MATIERE PREMIERE D'OU IL ETAIT ISSU, ETAIT SOUMISE A DE STRICTES REGLES DE QUALITE ET SANS EXPLICITER EN QUOI CETTE INCIDENCE POUVAIT AMENER UNE EGALITE FISCALE ENTRE LES DEUX CATEGORIES DE PRODUITS; QU'EN S'APPROPRIANT, EN CET ETAT, LES ELEMENTS DE CALCUL DU TRIBUNAL, LA COUR D'APPEL A REPONDU AUX CONCLUSIONS INVOQUEES ET DONNE AINSI UNE BASE LEGALE A SA DECISION; D'OU IL SUIT QUE LE MOYEN N'EST PAS MIEUX FONDE QUE LES PRECEDENTS;
SUR LE SIXIEME MOYEN :
ATTENDU QUE L'ARRET EST ENFIN ATTAQUE EN CE QU'IL A DECIDE QUE LES SOMMES PERCUES PAR L'ADMINISTRATION DES DOUANES DEVAIENT ETRE RESTITUEES DANS LEUR INTEGRALITE, AU MOTIF QUE L'ARTICLE 369 DU CODE DES DOUANES INTERDIT AU JUGE DE MODERER LES DROITS, ALORS, SELON LE POURVOI, QUE LA REPETITION DU MONTANT DE L'IMPOT NE PEUT ETRE ORDONNEE QUE DANS LA MESURE OU CELUI-CI REVETIRAIT UN CARACTERE DISCRIMINATOIRE ET NON PAS POUR SA TOTALITE, QU'EN OUTRE, L'ARTICLE 369 DU CODE DES DOUANES DEFEND AU JUGE DU FOND DE MODERER LES DROITS, LES CONFISCATIONS ET AMENDES, AINSI QUE D'EN ORDONNER L'EMPLOI AU PREJUDICE DE L'ADMINISTRATION DES DOUANES; QUE L'ARRET MECONNAIT CES DISPOSITIONS EN ACCORDANT AU CONTRIBUABLE LA RESTITUTION DU MONTANT DE L'IMPOT QUI ETAIT DU DES LORS QU'IL N'EST PAS ETABLI PAR L'ARRET QUE LA TAXE LITIGIEUSE SERAIT, POUR LA TOTALITE DE SON MONTANT, DISCRIMINATOIRE AU REGARD DES DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 95 DU TRAITE DU 25 MARS 1957;
MAIS ATTENDU QUE, NOUVEAU ET MELANGE DE FAIT ET DE DROIT, LE MOYEN EST IRRECEVABLE;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE LE POURVOI FORME CONTRE L'ARRET RENDU LE 7 JUILLET 1973 PAR LA COUR D'APPEL DE PARIS (1. CHAMBRE).