Les origines de l’État unitaire sont évidemment lointaines et historiques, la monarchie centralisant le pouvoir durant longtemps. En 1791, le Royaume de France était reconnu comme « un et indivisible » dans la première Constitution qui suit les évènements révolutionnaires. Aussi, comme le rappelle une étude publiée en 1988, les constituants de la Ière République ont également fait ce choix : « En proclamant la République ‘’une et indivisible’’, les Conventionnels jacobins de la Révolution française ont défini de la manière la plus concise l’État unitaire. Ils rejetaient ainsi la décentralisation chère aux Girondins et plus encore la conception fédéraliste qui avait prévalu au début de la Révolution » (J. WILLIAM LAPIERRE, « Le modèle de l’État unitaire : l’instauration de l’unité de langue », Le Pouvoir politique et les langues, PUF, 1988, pp. 79-130).
Cette notion d’État « unitaire », mais aussi d’État « centralisé », est finalement utilisée pour désigner les pays qui, comme la France, fonctionnent sans réelles divisions internes. Il existe finalement une seule administration étatique, un seul parlement qui vote une loi qui s’applique à tous. Toutefois cette fidèle définition a été amenée à évoluer à travers différents processus de modernisation de l’État unitaire. Il faut dire que la France est particulièrement riche de ses territoires aux cultures parfois bien différentes. Aussi, l’État unitaire est amené à s’organiser autour de « relais » entre le pouvoir central et les territoires.
Mais comment le caractère unitaire de la France a-t-il évolué jusqu’à être aujourd’hui menacé ?
Il apparaît évident que malgré les évolutions, le caractère unitaire de la République française persiste (I) et ce malgré un plein essor du phénomène de décentralisation, qui octroie une place toujours plus importante aux collectivités territoriales (II).
Le maintien de l’État unitaire est clairement acté (A), alors même qu’il s’est modernisé dans son fonctionnement à travers le processus de la déconcentration (B).
Ce maintien est pleinement acté par le caractère indivisible de la République (1), mais aussi par une coexistence plutôt réussie entre les principes d’unité et de diversité sur notre territoire (2).
L’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 évoque aujourd’hui « une République indivisible ». Un principe énoncé dans les textes constitutionnels de notre pays, de manière historique, depuis la Constitution du 1791. L’indivisibilité de la République est également symbolisée par l’article 2 de la Constitution qui mentionne à la fois la langue de la République, le drapeau tricolore, la devise républicaine et l’hymne national.
On retient ainsi l’existence d’un pouvoir normatif national et d’une souveraineté indivisible résidant dans le peuple tout entier. La loi est votée par les représentants du peuple, notamment les députés – qui sont députés « de la Nation », même s’ils sont rattachés à un territoire en particulier – et des sénateurs, ou directement par le peuple dans le cadre de référendums nationaux.
L’étude du Pr. Michel VERPEAUX met en avant la coexistence particulière entre le principe d’unité, tellement attaché au fonctionnement même de l’État français, et la diversité qui le constitue et qui appelle à une certaine reconnaissance (V. Michel VERPEAUX, « L’unité et la diversité dans la République », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 42, 2014).
À plusieurs reprises, Michel VERPEAUX met en lumière des décisions où le Conseil constitutionnel a pu montrer l’importance de son rôle dans le maintien de ce principe d’unité. C’est le cas notamment lorsque les Sages refusent la mention d’un « peuple » régional (décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991) ou encore lorsqu’ils reconnaissent que la charte des langues régionales est contraire à la Constitution (décision n° 99-412 DC du 15 juin 1999).
Pour autant, quelques marques de reconnaissance de la diversité française restent présentes : statuts particuliers de la Corse, de l’Outre-mer, persistance du droit local alsacien et mosellan (Décision n° 2011-157 QPC du 5 août 2011). Aussi, l’État unitaire a dû se moderniser pour ne pas paraître trop éloigné de la population dans son ensemble et des différents territoires qui le constituent.
L’État a ainsi été amené à entamer un processus de déconcentration justifié et avec des objectifs clairs (1). Ce phénomène a permis aussi le maintien de l’État central dans les territoires (2).
Malgré une volonté historique des pouvoirs publics de conserver une organisation très centralisée de la France, avec Paris comme cœur, ce fonctionnement administratif fait apparaître des rouages étatiques particulièrement lourds et lents. Il nécessite la mise en œuvre du phénomène de déconcentration, dès le début du XIXème siècle.
En effet, la loi du 28 Pluviose an VIII est venue notamment créer les Préfets, représentants de l’État dans les départements. Le pouvoir central s’est ainsi, petit à petit, déplacé du centre vers la périphérie. Différents services administratifs sont ainsi encore représentés dans les territoires à l’heure actuelle (rectorat, impôts…) et depuis de nombreuses décennies.
Ce phénomène de déconcentration est apparu indispensable pour éviter aussi les vents régionalistes ou autonomistes de territoires qui pourraient se sentir très éloignés des décisions ou abandonnés ou encore incompris par l’État central. La population locale a également un interlocuteur au niveau local qui représente l’État, en cas de protestations par exemple.
Longtemps privilégiée, la présence de l’État dans les territoires tend aujourd’hui à se raréfier, dans un cadre budgétaire plus contraint qu’il ne l’était autrefois et face à un autre phénomène : la décentralisation. En effet, des entités territoriales ont acquis la personnalité juridique et des compétences primordiales aujourd’hui.
S’il conserve son caractère unitaire, l’État peut trouver une certaine concurrence au sein des collectivités territoriales (communes, départements …), la décentralisation leur ayant donné un nouveau rang (A). Aussi, l’émergence de « super-collectivités » (métropoles, intercommunalités, grandes régions, collectivités à statut particulier…) reste encadrée par l’État central qui pourrait se sentir menacé (B).
Le phénomène de décentralisation, marquant le recul de l’unité étatique, s’est ainsi construit en plusieurs phases successives (1), mais le rôle de l’État a tout de même été maintenu auprès des collectivités de plusieurs manières (2).
Le premier acte de décentralisation est souhaité par le gouvernement socialiste, avec les lois Gaston Defferre, en 1982. Ces textes vont permettre de mettre en place une certaine organisation territoriale plus approfondie qu’elle ne l’était jusqu’alors, même si la création du territoire communal ou départemental en tant que tel est bien moins récente. Ces lois de décentralisation vont donner une certaine autonomie aux collectivités territoriales qui acquièrent leur personnalité juridique : elles ont ainsi un territoire, des organes exécutif et délibérant et un pouvoir d’édicter des règles dans le cadre des lois nationales.
La révision constitutionnelle inscrit en 2003 le caractère « décentralisée » de la République à l’article 1er de la Constitution. L’article 72 marque aussi le principe de libre-administration des collectivités territoriales. De nouvelles compétences et de nouvelles collectivités ont également été créées par la suite, notamment à partir de 2010 : les métropoles, … La procédure d’expérimentation prévue par la Constitution permet aussi à une collectivité de mettre en œuvre une dérogation locale à la législation nationale. Cette dérogation peut ensuite être étendue à l’ensemble du territoire ou être abandonnée pour tous (art. 72 alinéa 4 de la Constitution).
Malgré le transfert de nombreuses compétences vers les collectivités territoriales, la présence de l’État unitaire reste marquante à leurs côtés.
L’État n’est pas complètement effacé, puisqu’il continue à tenir un rôle considérable auprès même des collectivités territoriales et ce malgré le principe de libre-administration. En effet, dans le cadre des dispositions de l’article 72, les actes des collectivités territoriales sont soumis à un contrôle de légalité de la part du Préfet de département. Le représentant de l’État qui « a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois » peut ainsi demander le retrait d’un acte qu’il considère comme illégal et porter l’affaire devant la juridiction administrative (déféré préfectoral notamment) si la collectivité refuse de la retirer.
Aussi, les finances locales et les compétences dévolues aux collectivités sont également l’affaire de l’État. D’une part, le législateur peut conduire à une profonde modification de ces compétences et créer des collectivités spécifiques. D’autre part, les différentes dotations (notamment la dotation globale de fonctionnement) sont étatiques. On voit l’importance des impacts des différentes décisions budgétaires et fiscales sur les territoires, notamment avec les polémiques ayant eu lieu autour de la réforme de la taxe d’habitation.
L’émergence de « super-collectivités » engendre un certain nombre de menaces, pour le caractère unitaire de la France, que l’État tente de contenir. Il s’agit notamment des « grandes régions » (1) et d’un certain nombre de collectivités à statuts particuliers (2).
Alors que le débat sur une certaine « régionalisation » ne date pas d’hier (premiers pas en 1969 avec le référendum voulu par de Gaulle), la loi NOTRe du 7 août 2015 est venue redéfinir les compétences des régions. La loi du 16 janvier 2015 est venue redéfinir le découpage régional de la France avec l’émergence de « grandes régions ».
La région prend une place considérable, notamment du point de vue économique, venant ainsi concurrencer l’État sur une compétence pourtant régalienne. Les collectivités régionales deviennent donc incontournables. Toutefois, le Législateur a souhaité limiter quelques peu les compétences des régions, afin que l’on ne se dirige pas vers un « État régional » ou « État régionalisé ». Il en ira de même pour certaines collectivités à statut particulier, marque souvent d’un fort régionalisme, avec des pouvoirs importants mais qui restent encadrés. Aussi, le contrôle de légalité du représentant de l’État et les choix de l’État en matière de dotations, comme pour les autres collectivités, permettent de « contrôler » en quelque sorte l’action de ces « super-collectivités ».
La Constitution du 4 octobre 1958 prévoit un certain nombre de dispositions sur des collectivités à statut particulier ou des territoires aux particularités régionales qu’il faut remarquer malgré le caractère unitaire de l’État. Les article 73 et 74 mentionnent les populations et collectivités d’Outre-mer, pour lesquelles « les lois et règlements (…) peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
Depuis longtemps, la Corse est aussi considérée comme une collectivité à statut particulier, avec des compétences particulières définies par le Législateur. Au-delà de la simple mention à l’article 72, les élus corses souhaiteraient que la prochaine révision constitutionnelle fasse figurer très spécifiquement leur collectivité.
Plus récemment, une loi du 1er août 2019 est venue créer une collectivité spécifique supplémentaire : la collectivité européenne d’Alsace. Évidemment, l’émergence de ces collectivités particulières peut être vue comme le signe d’un recul considérable de l’État central et l’émergence d’une nouvelle forme étatique pour la France. Pour autant, le Conseil constitutionnel devrait veiller à ce que le caractère unitaire de la France n’en soit point trop affecté.