Introduction
Avant de juger au fond un recours pour excès de pouvoir (REP), c’est-à-dire de décider de la solution à donner au litige, le juge administratif doit, au préalable, examiner sa recevabilité. Il s’agit, en d’autres termes, pour le juge de déterminer s’il convient ou non de juger l’affaire au fond. Le caractère essentiel de ce préalable explique, ainsi, que les règles en la matière soient d’ordre public.
Ces règles concernent trois grands points : l’acte, le requérant et la requête. Sur le premier, un recours pour excès de pouvoir ne peut être formé que contre un acte administratif unilatéral. Il y a, là, un principe fondamental auquel la jurisprudence n’apporte que peu d’exceptions. Comme dans le cadre de toute action contentieuse, le requérant doit, ensuite, disposer de la capacité d’agir en justice. Mais, il doit surtout justifier d’un intérêt lui donnant qualité à agir. Si cette condition a été appréciée dans un sens de plus en libéral par le Conseil d’Etat, ce dernier s’est, néanmoins, toujours refusé à faire du REP une action populaire ouverte à tous, de sorte que cette condition est, à certains égards, encore aujourd’hui, appréciée strictement. Quant aux règles relatives à la requête, elles impliquent le respect de certaines conditions de forme et de délai, ainsi que l’absence de recours parallèle permettant au justiciable d’atteindre un résultat équivalent au REP.
Les conditions de recevabilité du recours pour excès de pouvoir tiennent donc à l’acte attaqué (I), au requérant (II) et à la requête (III).
I – Les conditions relatives à l'acte attaqué
Le recours pour excès de pouvoir est un recours dirigé non contre une personne, mais contre un acte. Aussi, pour qu’il soit recevable, il convient qu’il soit dirigé contre une décision qui, de surcroît, doit faire grief.
Le premier impératif fait référence à la règle dite de la « décision préalable ». Cette règle est une spécificité du droit administratif. Alors que dans le cadre d’un procès civil le requérant peut directement saisir le juge, les recours formés en matière administrative ne sont recevables que s’ils sont dirigés contre une décision explicite ou implicite de l’administration. Cette règle, initialement consacrée par la jurisprudence et actuellement posée à l’article R 421 – 1 du Code de justice administrative (CJA), est d’application générale puisqu’elle vaut tant pour les recours formés contre une personne publique que pour ceux dirigés contre une personne privée chargée de la gestion d’un service public. Cette règle ne pose pas de problème en cas de décision explicite. Il en va de même en cas de silence de l’administration, la technique de la décision implicite de rejet permettant de surmonter cette absence de réponse.
L’acte attaqué doit, ensuite, être un acte administratif unilatéral. Cet impératif conduit à regarder comme irrecevables les REP formés contre les mesures ne faisant pas grief, telles que les mesures d’ordre intérieur. Il en allait, par le passé, de même pour les circulaires et directives – lignes directrices et, plus généralement, pour les actes de droit souple, mais plusieurs jurisprudences sont venues ouvrir la voie du REP à l’encontre de ces décisions dans certaines hypothèses. Ainsi, peuvent être déférées au juge de l’excès de pouvoir « les avis, recommandations, mises en garde et prises de position … lorsqu’ils énoncent des prescriptions individuelles … mais aussi lorsqu’ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles elles s’adressent » (CE, ass., 21/03/2016, Fairvesta-Numéricable). Par la suite, la Haute juridiction a considéré que « les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif … peuvent être déférées au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre » (CE, sect., 12/06/2020, GISTI).
II – Les conditions relatives au requérant
Dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, le requérant doit disposer de la capacité d’agir en justice (A) et, surtout, d’un intérêt à agir (B).
A – La capacité d'agir en justice
Il s’agit, là, d’une exigence qui n’est pas spécifique au REP, ni même au contentieux administratif, mais qui innerve l’ensemble des branches du droit. Ses modalités d’appréciation varient selon qu’il s’agit de personnes physiques ou de groupements.
Dans le premier cas, la personne doit être majeure et capable, ce qui signifie que les mineurs et majeurs sous tutelle ne peuvent ester en justice. Par ailleurs, un recours peut être intenté pour le compte d’autrui, mais sous la condition de disposer d’un mandat de représentation.
Dans le second cas, les groupements doivent détenir la personnalité morale. Quant à leur représentation, elle est réglée par la législation s’il s’agit de sociétés, par leurs statuts s’il s’agit d’associations ou de syndicats ou par des textes s’il s’agit de personnes publiques. Dans cette dernière hypothèse, les collectivités locales et les établissements publics sont représentées par leur organe exécutif (maire, président ou directeur) qui ne peuvent, en principe, agir en justice qu’en vertu d’une délibération préalable de leur assemblée. Quant à l’Etat, il n’est généralement représenté que par un ministre ou un préfet.
B – L'intérêt à agir
Tout justiciable désirant contester un acte administratif unilatéral doit justifier d’un intérêt lui donnant qualité à agir. Cette condition a été appréciée dans un sens de plus en plus libéral par le Conseil d’Etat de manière à permettre à un plus grand nombre d’administrés d’utiliser la voie du REP. S’il y a, là, un progrès certain pour le respect de la légalité, la Haute juridiction s’est, néanmoins, toujours refusée à faire du recours pour excès de pouvoir une action populaire ouverte à tous par crainte d’un encombrement de son prétoire ou de recours abusifs. Les modalités d’appréciation de l’intérêt à agir résultent donc d’un compromis entre ces deux exigences contradictoires.
Les requérants doivent donc respecter certaines conditions pour justifier d’un intérêt à agir (1), lequel peut présenter plusieurs dimensions (2).
1 – Les conditions générales
L’intérêt à agir suppose que le requérant justifie d’un grief et que ce grief porte atteinte à intérêt légitime et suffisamment direct. Il convient, par ailleurs, que le requérant appartienne à une catégorie limitée d’administrés.
Sur le premier point, le grief doit, bien sûr, exister. Il peut, cependant, être tant matériel que moral. Il doit, ensuite, être certain. En d’autres termes, le REP sera jugé irrecevable si le grief n’est qu’éventuel, tel le requérant qui conteste le permis de construire d’un magasin en invoquant la qualité de client éventuel de ce dernier. En revanche, le grief éventuel, mais vraisemblable, est assimilé au grief certain : par exemple, est recevable le REP d’un diplômé qui attaque la nomination d’un concurrent à un emploi auquel son diplôme lui permettait de prétendre.
Sur le second point, le grief doit porter atteinte à un intérêt présentant certains caractères. Cet intérêt doit, ainsi, être légitime. Tel n’est pas le cas de l’occupant sans titre d’un hôtel qui attaque le permis de construire autorisant sa transformation en appartements. Il y a, là, une application du principe traditionnel selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Cet intérêt doit, également, être suffisamment direct. Il faut comprendre par-là que le requérant doit être la personne qui est la plus directement atteinte par l’acte attaqué : par exemple, un permis de construire ne peut être contesté que par les personnes les plus proches de la construction, pas par les personnes plus éloignées. L’on retrouve, ici, de manière claire, la volonté du juge administratif de restreindre l’accès à son prétoire.
Sur le troisième point, l’intérêt à agir d’un requérant, bien que remplissant les conditions précédentes, ne sera reconnu que si celui-ci agit en tant que membre d’une catégorie d’administrés suffisamment restreinte de manière que le REP ne devienne pas une action populaire. Tel est le cas d’un justiciable agissant en tant que contribuable d'une commune (CE, 29/03/1901, Casanova) ou d’usagers d’un service public (CE, 21/12/1906, Syndicat des propriétaires et contribuables du quartier Croix-de-Seguey-Tivoli). A l’inverse, lorsque la catégorie d’administrés est trop large, le Conseil d’Etat n’admet pas l’intérêt à agir des requérants : il en va ainsi, par exemple, des contribuables de l’Etat, des citoyens en cette seule qualité ou des téléspectateurs.
2 – Les dimensions de l’intérêt à agir
Quatre hypothèses d’intérêt à agir peuvent être relevées.
Dans la première celle d’un intérêt personnel, le juge admet la recevabilité d’un REP dès lors que la mesure emporte des conséquences sur la situation personnelle des individus : ainsi, les candidats au baccalauréat se voient reconnaître un intérêt à agir contre les épreuves de leur centre d’examen, mais non contre celles des autres centres.
Dans la deuxième, celle d’un intérêt collectif, le recours des groupements est recevable pour les mesures qui portent atteinte à l’intérêt collectif qu’ils défendent, tel qu’il résulte de leurs statuts, mais non pour celles qui concernent l’intérêt individuel de l’un de leurs membres. Cette action collective a été admise à partir de 1906 (CE, 28/12/1906, Syndicat des patrons coiffeurs de Limoges). Elle a pris une place croissante, de nos jours, dans le contentieux de l’excès de pouvoir : en effet, les associations et syndicats voient, là, un moyen supplémentaire de défendre les causes qui sont les leurs.
L’action de ces groupements est, cependant, encadrée. Il faut, ainsi, un lien entre la mesure contestée et l’objet social du groupement. Quant aux actes pouvant faire l’objet d’un REP, il faut distinguer selon qu’ils présentent un caractère règlementaire ou individuel. Dans la première hypothèse, l’intérêt collectif est facilement reconnu : par exemple, un syndicat ouvrier est recevable à attaquer les circulaires qui modifient la situation des travailleurs étrangers en France. En revanche, lorsque l’acte est individuel, le recours n’est jugé recevable que si cet acte est favorable à son destinataire, dans la mesure où, en accordant un avantage à un individu, cet acte est susceptible de léser collectivement les membres du groupement qui avaient vocation à en bénéficier. Dans le cas contraire, c’est-à-dire lorsque l’acte individuel est défavorable à son destinataire, le recours du groupement est regardé comme irrecevable, car l’acte porte, ici, plus atteinte à l’intérêt individuel de sa victime qu’à l’intérêt collectif du groupement.
L’intérêt à agir des groupements revêt, également, une dimension spatiale : ainsi, une association dont le champ d’intervention est national ne peut, en principe, contester une décision administrative ayant un champ d’application local. Mais, la jurisprudence admet, parfois, des exceptions à cette règle lorsque la mesure attaquée pose, en raison de ses implications en matière de libertés publiques notamment, des questions qui excèdent les seules circonstances locales : ainsi, de l’arrêté de police d’un maire interdisant la mendicité sur le territoire de sa commune et pouvant affecter de façon spécifique des personnes d’origine étrangère (CE, 18/11/2015, Ligue des droits de l’homme).
Enfin, il faut noter que les collectivités publiques sont recevables à exercer un REP contre les actes mettant en cause leurs intérêts, tels qu’ils résultent des textes définissant leurs compétences. C’est le cas des collectivités locales et des établissements publics contre les actes de l’Etat (CE, 18/04/1902, Commune de Néris-les-bains). Et, inversement.
Une troisième hypothèse d’intérêt à agir concerne les usagers et les agents du service public. Les premiers peuvent attaquer l’ensemble des mesures règlementaires ou individuelles relatives à l’organisation ou au fonctionnement du service public (CE, 21/12/1906, Association des usagers du quartier Croix-Seguey-Tivoli). Mais, une fois leurs droits respectés, ceux-ci ne doivent pas s’immiscer dans l’organisation interne du service. De même, les agents publics peuvent contester toutes les mesures susceptibles de porter atteinte aux droits qu’ils tiennent de leur statut, aux prérogatives de leurs corps. Mais, ils ne peuvent, là-aussi, contester les mesures d’organisation du service qui relèvent de la seule administration.
Une dernière hypothèse concerne les deux types d’actions collectives instituées par la loi du 18/11/2016. Le premier concerne les actions de groupe déposées par certaines associations en vue soit de la cessation d’un manquement, soit de l’indemnisation d’un préjudice lorsque plusieurs personnes, placées dans une situation similaire, subissent un même dommage. Les associations et syndicats peuvent également former une action collective en reconnaissance de droits individuels au profit d’un groupe indéterminé de personnes placées dans la même situation juridique.
III – Les conditions relatives à la requête
La requête doit respecter certaines conditions de forme et de délai (A) et le justiciable ne doit pas disposer d’un recours parallèle (B).
A – Les conditions de forme et de délai
Deux points doivent retenir l’attention : les formes que doit revêtir la requête (1) et le délai dans lequel elle doit être déposée (2)
1 – Les conditions de forme
Le dépôt d’un recours pour excès de pouvoir obéit aux règles classiques du contentieux administratif. Ainsi, la requête doit être écrite, rédigée en langue française, contenir les informations permettant d’identifier le requérant et être accompagnée de la décision attaquée et de plusieurs copies du recours. Elle doit, également, comporter l’exposé des conclusions du requérant et les moyens de fait et de droit de nature à justifier ses prétentions. La plupart du temps, cette formalité est effectuée en deux temps : le requérant dépose d’abord, dans le délai de recours contentieux, une requête introductive d’instance contenant un bref exposé de ses conclusions, qu’il complète ultérieurement (c’est-à-dire même après l’expiration du délai de recours contentieux) par un mémoire complémentaire plus détaillé.
Les recours doivent, en principe, être présentés par des avocats, et plus précisément, lorsque le litige est porté devant le Conseil d’Etat, par des « avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation » (officiers ministériels propriétaires de leur charge jouissant du monopole de la représentation des parties devant la Haute juridiction). Ce principe connaît, toutefois, un certain nombre d’exceptions. Il en va ainsi dans de nombreuses hypothèses en première instance devant les tribunaux administratifs. Mais, la principale dérogation concerne les recours pour excès de pouvoir, à l’exception des appels des jugements des tribunaux administratifs depuis 2003 et des pourvois en cassation.
Traditionnellement, le dépôt de la requête s’effectuait directement au greffe de la juridiction ou par voie postale. Mais, depuis le décret du 02/11/2016, ce dépôt doit obligatoirement être fait par internet sur l’application Télérecours : il en va ainsi pour les requêtes présentées par un avocat, une personne publique autre qu’une commune de moins de 3 500 habitants et un organisme privé chargé à titre permanent d’une mission de service public. Dans les autres hypothèses, la saisine via cette application constitue une simple faculté.
2 – Les conditions de délai
En vertu d’un principe traditionnel, repris à l’article R 421 – 1 du CJA, le délai de recours contentieux est de deux mois. Cette limitation dans le temps du délai de recours s’explique par un impératif de sécurité juridique : il importe, en effet, de ne pas faire peser trop longtemps des risques d’annulation contentieuse sur les situations juridiques existantes. Elle présente, cependant, l’inconvénient de laisser un acte illégal produire des effets de droit de manière illimitée dès lors qu’aucun recours n’a été effectué dans le délai de deux mois. Aussi, le juge admet-il la technique de l’exception d’illégalité qui permet de contester, à l’occasion d’un recours formé contre un acte administratif individuel, la légalité du règlement sur lequel cet acte se fonde. Si le règlement est illégal, il n’est pas annulé, mais voit son application écartée dans le cas d’espèce et l’acte individuel est annulé pour défaut de base légale. Ainsi, se trouvent conciliés les impératifs de sécurité juridique et de respect du principe de légalité. Toutefois, le juge administratif a, récemment, renforcé le premier de ces deux impératifs : celui-ci a, en effet, jugé que, dans le cadre de l’exception d’illégalité, les vices de forme et de procédure ne sont plus susceptibles d’être invoqués à l’encontre d’un acte règlementaire (CE, ass., 18/05/2018, Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT).
Le point de départ du délai de recours contentieux est la notification ou la publication pour les décisions explicites. Dans le cas particulier des décisions implicites de rejet, le délai de recours contentieux commence à courir le lendemain du jour où le délai donné à l’administration pour répondre a expiré. La jurisprudence déduit, logiquement, de ces règles que le délai de recours n’est, pour les décisions explicites, pas opposable aux administrés lorsque les actes n’ont fait l’objet d’aucune mesure de notification ou de publication. En d’autres termes, les administrés peuvent les attaquer indéfiniment. Deux solutions particulières doivent, toutefois, être relevées concernant les décisions individuelles. Ainsi, dans le cas particulier des actes individuels notifiés, mais non publiés, si les destinataires ne peuvent saisir le juge que dans le délai traditionnel de deux mois, les tiers peuvent, en revanche, attaquer indéfiniment ces actes faute de publication faisant courir le délai à leur égard. Seconde solution, en principe, « les délais de recours ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés ainsi que les voies de recours dans la notification de la décision » (art. R 421-5 CJA). Jusqu’à il y a peu, l’absence d’indication des délais et voies de recours dans la décision notifiée permettait à son destinataire de la contester indéfiniment. Mais, afin de faire droit à l’impératif de sécurité juridique, le Conseil d’Etat a jugé qu’en pareille hypothèse le recours doit être exercé dans un délai raisonnable qui est, en principe, d’un an (CE, ass., 13/07/2016, M. Czabaj). Cette jurisprudence n’est, toutefois, pas applicable en matière de recours en responsabilité.
Le délai de recours contentieux peut, également, être prorogé. La prorogation consiste à interrompre ce délai et à le faire repartir à zéro pour une nouvelle durée de deux mois. Il en va, ainsi, en cas de recours gracieux ou hiérarchique, de recours exercé devant une juridiction incompétente ou dans le cas d’une demande faite au préfet tendant à ce qu’il défère au Tribunal administratif un acte d’une collectivité locale. Mais, pour que la prorogation soit valide, ces recours ou demandes doivent intervenir avant l’expiration du délai de recours contentieux.
Cette règle de deux mois connaît certaines exceptions. Il peut, ainsi, être tantôt plus court, tantôt plus long, afin de tenir compte de la spécificité de certains contentieux. Il est, par exemple, de 48 heures à l’encontre des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière ou de cinq jours pour les recours des électeurs contre les résultats des élections municipales et cantonales. Jusqu’à il y a peu, il existait, également, plusieurs hypothèses dans lesquelles le recours contentieux pouvait être exercé à tout moment. Mais, dans un souci de sécurité juridique, des textes de 2015 et 2016 ont restreint la liste de ces exceptions. Aussi, à ce jour, seuls les recours dirigés contre les actes réputés juridiquement inexistants et les recours contre certaines décisions implicites de rejet peuvent être attaqués sans condition de délai.
B – L'exception de recours parallèle
L’exception de recours parallèle signifie que le recours pour excès de pouvoir n’est recevable que si le requérant ne dispose pas d’un autre recours juridictionnel lui permettant d’obtenir un résultat équivalent à celui qu’il cherche à se procurer. Peu importe que cet autre recours relève du juge administratif (un recours de plein contentieux, tel que celui que les parties à un contrat peuvent exercer contre celui-ci) ou du juge judiciaire. Cette solution a été posée en 1868 afin de freiner l’essor que connaissait le REP après que le Conseil d’Etat ait consacré la dispense de ministère d’avocat en la matière (CE, 20/02/1868, Bouchers de Paris). Elle connaît, cependant, deux exceptions.
Au titre de la première, que l’on nomme théorie des actes détachables, le juge administratif admet la recevabilité d’un REP, bien qu’un autre recours soit possible, lorsqu’il est dirigé contre un acte administratif unilatéral détachable de l’opération relevant de cet autre recours. C’est par exemple le cas à propos des décisions portant convocation des électeurs, car celles-ci sont considérées comme détachables de l’opération électorale relevant du plein contentieux.
La seconde concerne les décisions pécuniaires. Les recours contre ces dernières relèvent normalement du plein contentieux. Or, cette voie de droit ne peut être utilisée que par l’intermédiaire d’un avocat. Dès lors, n’admettre les recours contre de telles décisions que dans ce cadre peut conduire certains requérants à renoncer à leur action lorsque les sommes en jeu sont modestes (les frais d’avocat dépassant le montant de l’indemnité escomptée) et, ainsi, à consacrer des décisions illégales. C’est la raison pour laquelle le Conseil d’Etat a écarté, en la matière, l’exception de recours parallèle (CE, 08/03/1912, Lafage). Dans cet arrêt, la Haute juridiction offre un choix au requérant : soit utiliser la voie du recours de plein contentieux pour demander au juge de condamner l’administration à lui verser la somme d’argent, soit attaquer par la voie du REP l’acte administratif unilatéral le privant de cette somme ; dans cette seconde hypothèse, l’administration aura l’obligation implicite de verser ladite somme et, si elle ne s’exécute pas, le justiciable pourra saisir le juge administratif afin qu’il use de son pouvoir d’injonction. Cette jurisprudence s’applique, notamment, dans le contentieux pécuniaire de la fonction publique, mais elle a une portée très générale, même si le Conseil d’Etat a, en 1988, exclu de son champ d’application les actes liés au recouvrement des créances publiques par l’administration (états exécutoires et ordres de versement).
