La notion d'acte administratif unilatéral

L’acte administratif unilatéral peut se définir de deux façons. Par son auteur, d’abord : c’est, ainsi, l’acte d’une personne publique, même si, dans certaines hypothèses, il peut aussi être édicté par une personne privée. Par son caractère, ensuite : c’est, là, un acte qui fait grief et qui peut donc faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (REP). Différents types de mesures donnent lieu à questionnement en la matière : les mesures d’ordre intérieur (MOI), les circulaires et les directives.

L’interdiction d’accès au local syndical n’est pas une mesure d’ordre intérieur ! (CE, 10/12/2021, Hôpitaux de Paris)

Comme le rappelle la Pr. Jacqueline Morand-Deviller, citant le Doyen Maurice Hauriou, les mesures d’ordre intérieur « sont destinées à régir l’organisation et le fonctionnement interne des services » (J. Morand-Deviller, Droit administratif, LGDJ, 16e Ed., p. 345 et Maurice HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, Dalloz, 12e réédition, 2002). Ces dernières font évidemment partie d’une palette d’outils de l’administration au sein de la catégorie juridique des « actes administratifs unilatéraux ». L’acte administratif unilatéral est, sans nul doute, l’un des principaux procédés de l’action administrative puisqu’il permet, dans le cadre de prérogatives de puissance publique, d’adopter unilatéralement une décision qui a plus ou moins de conséquences juridiques. Il faut évidemment distinguer les actes administratifs créateurs de droits et d’obligations, des actes administratifs non-exécutoires tels que les mesures d’ordre intérieur (MOI).

Les circulaires impératives : une approche qui renouvelle le contrôle du juge administratif (CE, sect., 18/12/2002, Mme. Duvignères)

« On estime à plus de 10 000 le nombre de circulaires émises chaque année par les seules autorités centrales, relayées ensuite par les autorité déconcentrées », rappelle le Pr. Morand-Deviller (J. MORAND-DEVILLER, Droit administratif, 13ème Ed., L.G.D.J, 2013, p. 323). Comme l’explique également le Pr. Didier Truchet, « l’Administration n’est jamais tenue de prendre une circulaire mais en pratique, elle en prend beaucoup, au point que les services les attendent pour appliquer concrètement une loi ou un règlement nouveaux » (Didier TRUCHET, Droit administratif, 7ème Ed., PUF, 2017, p. 307).

La reconnaissance des directives – lignes directrices (CE, sect., 11/12/1970, Crédit Foncier de France)

Dans cette affaire, comme le rappelle le Pr. Didier TRUCHET, « le Conseil d’État avait tenté d’offrir aux autorités dépourvues de pouvoir réglementaire une solution intermédiaire entre la simple mesure d’ordre intérieur et le véritable acte : la directive (qu’il ne faut pas confondre avec la directive de l’Union européenne) » (Didier TRUCHET, Droit administratif, 7ème Ed., PUF, 2017, p. 309).

Le recul des MOI dans les prisons (CE, ass., 17/02/1995, Marie ; CE, ass., 14/12/2007, Planchenault)

Les mesures d’ordre intérieur (MOI) régissent, selon le Doyen Hauriou, « la vie intérieure des services » (v. notamment Maurice HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, Dalloz, 12e réédition, 2002). En effet, il s’agit de mesures adoptées par le pouvoir hiérarchique s’agissant du fonctionnement et de l’organisation interne des casernes, des prisons ou encore des établissements scolaires. En droit français, le juge administratif n’a pas à contrôler les MOI, qui s’imposent aux agents du service public et n’ont que peu de conséquences sur les administrés. Mais dans certaines situations sensibles, la Cour européenne des droits de l’Homme, de même que le juge administratif, ont fait évoluer leur jurisprudence en qualifiant certaines mesures d’actes faisant grief, alors même qu’ils les considéraient autrefois comme des MOI.  Cette nouvelle qualification autorise ainsi un contrôle juridictionnel à travers le recours pour excès de pouvoir (REP) à l’encontre de tels actes lorsqu’ils sont ainsi qualifiés.

Le recul des MOI dans l’armée (CE, ass., 17/02/1995, Hardouin)

Si l’histoire du droit administratif est celle de la soumission croissante de l’administration au droit, il demeure, encore aujourd’hui, des actes que le juge administratif s’abstient de contrôler. Il en va, ainsi, des actes de Gouvernement parce qu’ils traduisent plus l’exercice de la fonction gouvernementale que celui de la fonction administrative. C’est aussi le cas des mesures d’ordre intérieur (MOI) dont l’objet est d’assurer un certain ordre au sein des services publics, mais qui sont de trop faible importance pour pouvoir faire l’objet d’un recours. Cette situation peut, cependant, heurter quand la mesure a, en fait, des effets non négligeables. Aussi, le Conseil d’Etat a entrepris, au tournant des années 1990, un vaste mouvement de restriction du champ des MOI. L’arrêt Hardouin en constitue l’une des étapes.

Vers un contrôle du droit souple en matière de régulation économique (CE, ass., 21/03/2016, Société Fairvesta International GMBH)

La nature de l’acte juridique, en général, et de l’acte administratif unilatéral (AAU) en particulier, est une question complexe. Elle est complexe, car paradoxale. D’un côté, la nature de l’acte administratif unilatéral semble frappée par l’évidence de sa dénomination. D’un autre côté, en revanche, une étude plus approfondie démontre que chacun des termes qui la compose est équivoque. La combinaison de ce qu’ils recouvrent précisément ajoute à la difficulté. L’arrêt annoté CE, 21 mars 2016, Fairvesta, propose une nouvelle approche de la notion de droit souple, plus conforme au pragmatisme et aux nécessités de l’administration active.

L’Afnor et ses normes devant le Conseil d’État (CE, 17/02/1992, Société Textron)

La notion de service public a, longtemps, constitué le critère cardinal déterminant la compétence du juge administratif (TC, 8/02/1873, Blanco). Ce rôle clé fut, cependant, rapidement mis à mal lorsque le Tribunal des conflits créa la catégorie des services publics industriels et commerciaux majoritairement soumis au droit privé (TC, 22/01/1921, Société commerciale de l’ouest africain). Quant à la notion de service public, elle perdit, quelques années plus tard, le versant organique de sa définition lorsqu’il fut admis qu’une personne privée puisse gérer un service public en dehors de toute délégation contractuelle (CE, ass., 13/05/1938, Caisse primaire « Aide et Protection »). La question s’est, alors, posée de savoir comment identifier tant les services publics gérés par des personnes privées, que les actes administratifs que de tels organismes peuvent édicter. C’est cet ensemble de problèmes que soulève l’arrêt Soc. Textron.

Une application de la jurisprudence Magnier aux Ass. communales de chasse agréées (TC, 09/07/2012, ACCA d’Abondance)

Confronté à la multiplication des interventions des personnes privées dans l’exécution des missions de service public, le juge administratif dû très vite s’adapter pour parvenir à soumettre ces personnes aux mêmes exigences de légalité que celles qui s’appliquent aux personnes publiques. Cependant, si la nature particulière de leurs missions commandait d’aller en ce sens, le caractère privé de ces entités imposait, lui, de ne faire peser ces exigences que sur ceux de leurs actes les plus intimement liés à la sphère publique. Pour ce faire, le Conseil d’Etat et le Tribunal des conflits élaborèrent, alors, un ensemble de solutions afin de circonscrire le champ des actes de ces entités pouvant être qualifiés d’administratifs. L’arrêt présentement commenté se révèle une illustration particulièrement didactique des principes retenus dans le cas où le service public géré est un service public administratif (SPA).

Les ressors de la jurisprudence Epx. Barbier (TC, 15/01/1968, Epx. Barbier)

Tout au long du XX° siècle, les interventions de l’Etat n’ont eu de cesse que de se diversifier. L’une des tendances de fond de ce mouvement a été pour les autorités administratives d’associer, toujours plus fréquemment, des personnes privées à l’exécution des missions de service public, que cela soit par le biais d’une habilitation contractuelle, telle que la concession de service public, ou en dehors de tout lien contractuel (voir pour cette dernière hypothèse : CE, ass., 13/05/1938, Caisse primaire « Aide et Protection"). La question s’est, alors, posée de savoir si de tels organismes pouvaient édicter des actes administratifs et, si oui, à quelles conditions. L’arrêt Epx. Barbier apporte, ici, une réponse pour ceux de ces organismes qui sont en charge d’un service public industriel et commercial (SPIC).

La notion d’organisation du service public dans la jurisprudence Epx. Barbier (TC, 11/01/2016, Comité d’établissement de l’Unité « Clients et Fournisseurs Ile-de-France »)

C’est en 1968, par un célèbre arrêt de principe, que le Tribunal des conflits jugea que des personnes privées gérant un service public industriel et commercial (SPIC) pouvaient, sous certaines conditions, édicter de véritables actes administratifs (TC, 15/01/1968, Cie. Air France c/ Epx. Barbier). Ce faisant, la Haute juridiction consacrait une exception à la primauté du droit privé en la matière fondée, principalement, sur la notion d’organisation du service public. C’est cette notion que le juge des conflits appréhende plus strictement en l’espèce, tempérant, alors, la portée de la jurisprudence Epx. Barbier.