Introduction
Si la seconde moitié du XX° siècle n’a offert que peu d’affaires en matière de responsabilité sans faute de l’Etat du fait des lois ou des conventions internationales, il existe, ces derniers temps, une prolifération d’arrêts du Conseil d’Etat dans ce domaine. L’arrêt Bizouerne, objet du présent commentaire, en est l’une des multiples illustrations, et concerne une autre prolifération … celle des cormorans.
Dans cette affaire, la loi du 10 Juillet 1976 a interdit l’élimination des grands cormorans, espèce protégée. S’en est suivie une prolifération desdits oiseaux qui a occasionné des pertes pour l’activité de pisciculture de M. Bizouerne. Celui-ci a, alors, demandé au préfet de l’Yonne la réparation du préjudice ainsi causé. Mais, le représentant de l’Etat a opposé un refus par une décision expresse du 18 août 2006. Cette décision a été attaquée devant le tribunal administratif de Dijon qui a, toutefois, rejeté le recours le 25 juin 2009. Un appel a été interjeté devant la cour administrative d’appel de Lyon qui a retenu, le 7 janvier 2011, la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture de l'égalité devant les charges publiques du fait du préjudice causé par la prolifération des grands cormorans protégés par la loi de 1976. Le ministre de l’Ecologie se pourvoit donc en cassation contre cet arrêt. Il en va de même de M. Bizouerne en raison de la limitation des dommages accordés. Le 1° février 2012, le Conseil d’Etat censure l’arrêt des juges d’appel sur la base d’une erreur dans l’appréciation du préjudice subi.
La Haute juridiction ne conteste pas le fondement de la responsabilité retenue par la cour administrative d’appel de Lyon, à savoir la responsabilité sans faute du fait des lois. Tout au contraire, le juge reprend le considérant de principe traditionnel en la matière. Mais, il considère que la cour a mal apprécié les conditions relatives au préjudice en matière de responsabilité sans faute fondée sur la rupture de l’égalité devant les charges publiques, à savoir la spécialité et la gravité de préjudice. C’est l’occasion pour le Conseil d’Etat de préciser les contours de ces deux critères qui permettent de matérialiser l’anormalité d’un préjudice.
Il convient, donc, d’étudier, dans une première partie, la responsabilité sans faute du fait des lois qu’illustre l’arrêt présentement commenté (I) et d’analyser, dans une seconde partie, les précisions apportées par le Conseil d’Etat quant à l’appréciation de l’anormalité du préjudice (II).
I – Une illustration de la responsabilité sans faute du fait des lois
Le Conseil d’Etat applique en l’espèce le régime de responsabilité sans faute de l’Etat du fait des lois, en l’occurrence ici la loi du 10 juillet 1976. Ce régime de responsabilité a été instauré en 1938 (A) et assoupli en 2005 (B). C’est la version libérale donnée à ce régime que l’on retrouve dans l’affaire présentement commentée.
A – Un régime de responsabilité consacré en 1938
A l’origine, l’Etat législateur jouissait d’une irresponsabilité totale. C’est ce que le Conseil d’Etat jugeait traditionnellement depuis son arrêt Duchâtellier (CE, 11/01/1838). Plus précisément, le juge administratif considérait que, dans le silence de la loi, il n’avait pas le pouvoir d’accorder de réparation en cas de préjudice causé par une loi. Cette position était logique pour l’époque, la loi étant l’expression de la volonté générale et étant, de ce fait, regardée comme un acte intouchable.
Cette solution fut abandonnée en 1938 avec l’arrêt Société des produits Laitiers « La Fleurette » (CE, ass., 14/01/1938). Dans cette affaire, le Conseil d’Etat admet, pour la première fois, la possibilité d’engager sans faute la responsabilité de l’Etat lorsqu’une loi cause un préjudice à un administré. Ainsi, dorénavant, lorsqu’un préjudice est causé par des dispositions législatives, celui-ci peut, même dans le silence de la loi, donner lieu à indemnisation s’il ressort de la loi ou des travaux préparatoires que le législateur n’a pas voulu faire supporter ce préjudice par les victimes de la loi et si le préjudice présente un caractère anormal. Cette solution sera, par la suite, appliquée aux conventions internationales (CE, ass., 30/03/1966, Compagnie générale d’énergie radio-électrique) et à la coutume internationale (CE, sect., 14/10/2011, Mme Saleh).
Ce régime de responsabilité sans faute se fonde sur le principe d’égalité des citoyens devant les charges publiques (art. 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789). En vertu de ce principe, les charges doivent, normalement, être équitablement réparties entre tous les citoyens. Mais, il arrive, parfois, du fait de certains textes, que certains administrés se trouvent dans une situation plus défavorable que celle des autres citoyens. Aussi, le juge administratif considère que, si la puissance publique peut, légalement, faire supporter, au nom de l'intérêt général, des charges particulières à certains membres de la collectivité, cette situation commande d’indemniser la personne (ou les quelques personnes) qui est la seule à souffrir des conséquences d’un acte ou d’une activité menée dans l’intérêt général, donc dans l’intérêt de tous. C’est ce régime de responsabilité qu’applique le Conseil d’Etat en l’espèce, dans sa version assouplie telle qu’elle résulte d’un arrêt rendu en 2005.
B – Un régime de responsabilité assoupli en 2005
Jusqu’à récemment, les limites posées à l’application de la responsabilité sans faute du fait des lois étaient strictement entendues. Ce régime suppose, en effet, que le texte même de la loi et ses travaux préparatoires ne permettent pas de penser que le législateur a entendu exclure toute indemnisation. Or, cette intention du législateur était, traditionnellement, appréciée dans un sens défavorable aux administrés. Deux décisions sont, toutefois, venues tempérer cette approche. C’est l’une d’elles que reprend le Conseil d’Etat en l’espèce.
En premier lieu, la jurisprudence administrative admettait volontiers l’existence d’une intention tacite de ne pas indemniser en l’inférant de la prééminence du but d’intérêt général visé par la loi. C’est ainsi qu’était refusée la réparation d’un préjudice causé par l’application d’une loi visant un intérêt économique et social d’ordre général, la sauvegarde de la santé publique, la protection du patrimoine ou, encore, l’élimination des déchets. Cette solution a, toutefois, été abandonnée en 2003 lorsque le Conseil d’Etat a jugé que l’idée selon laquelle l’intérêt général prééminent visé par la loi suffit à exclure la responsabilité de l’Etat n’est plus un motif valable de rejet de la responsabilité de l’Etat (CE, sect., 30/07/2003, Association développement de l’aquaculture en région Centre).
En second lieu, le juge inférait, également, l’existence d’une intention tacite de ne pas indemniser du fait que le préjudice, étant inhérent à l’objet même de la loi, devait être regardé comme ayant été voulu par le législateur. N’étaient, alors, pas admises les demandes d’indemnisation des dommages causés par des lois dont l’objet même était d’instaurer un régime discriminatoire. En d’autres termes, ici, le dommage supporté était l’objet même de la loi ; il apparaissait comme une charge voulue par le législateur : par exemple, pour une loi qui règlemente une activité, le législateur était supposé refuser l’indemnisation de ceux qui s’en trouvaient désormais écartés. Ce motif de rejet a, toutefois, été abandonné en 2005 lorsque le Conseil d’Etat a jugé que le silence d’une loi sur les conséquences que peut comporter sa mise en œuvre ne peut être interprété comme excluant par principe tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de provoquer, de sorte que le critère tiré de ce que la volonté du législateur d’exclure tout droit à réparation peut être inférée implicitement de l'objet de la loi n’est plus un critère opérant (CE, 2/11/2005, Société coopérative agricole Ax’ion). C’est ce principe que le juge administratif reprend en l’espèce lorsqu’il stipule « qu'il résulte des principes qui gouvernent l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat que le silence d'une loi sur les conséquences que peut comporter sa mise en œuvre ne saurait être interprété comme excluant, par principe, tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de provoquer ». Le Conseil d’Etat considère, alors, que même si la loi du 10 juillet 1976 ne le prévoit pas expressément, le préjudice résultant de la prolifération des animaux sauvages appartenant à des espèces dont la destruction a été interdite en application de ladite loi peut faire l’objet d’une indemnisation. Cette dernière est, toutefois, astreinte au respect de certaines conditions que l’arrêt présentement commenté ne manque pas de préciser.
II – Des précisions apportées quant à l'appréciation de l'anormalité du préjudice
Le Conseil d’Etat considère, en l’espèce, que le préjudice causé par une loi « doit faire l'objet d'une indemnisation par l'Etat lorsque, excédant les aléas inhérents à l'activité en cause, il revêt un caractère grave et spécial et ne saurait, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés ». En d’autres termes, pour ouvrir droit à réparation sur la base du principe d’égalité devant les charges publiques, le préjudice doit être spécial (A) et grave (B) de sorte que son anormalité soit justifiée. Ce sont ces critères que le Conseil d’Etat précise dans l’affaire présentement commentée.
A – Des précisions concernant la spécialité du préjudice
S’agissant de la spécialité, le principe est que le préjudice doit n’atteindre que certains membres de la collectivité. Ce critère présente un aspect quantitatif (le dommage doit concerner un nombre raisonnablement limité d’administrés) et un aspect qualitatif (les personnes affectées doivent l’être particulièrement). Les choses sont simples si une seule personne est atteinte. Lorsque plusieurs personnes sont concernées, le préjudice ne sera regardé comme spécial que s’il apparaît que ces personnes le sont plus que d’autres en raison de leur activité particulière. En ne retenant que les préjudices spéciaux, le Conseil d’Etat limite, ainsi, la responsabilité de l’administration aux seuls cas où il y a vraiment rupture de l’égalité devant les charges publiques, puisque seuls certains membres de la collectivité sont touchés. Ce critère est, en matière de responsabilité du fait des lois, de nature à réduire considérablement les cas d’engagement de la responsabilité de l’Etat, les personnes visées par le législateur étant, en principe, fort nombreuses.
L’appréciation de cette condition pouvait poser un problème en l’espèce. En effet, l’exploitation du requérant n’est pas la seule à subir des dommages du fait des prélèvements de poissons par les cormorans. De nombreuses régions connaissent des problèmes identiques, notamment dans un grand quart nord-est. La productivité de nombreuses exploitations se trouve, ainsi, affectée à des niveaux comparables. La cour administrative d’appel de Lyon, suivie implicitement par le Conseil d’Etat, considère, toutefois, cette condition remplie en l’espèce en retenant une conception relativement souple de la spécialité du préjudice invoqué. Celle-ci considère, ainsi, que ledit préjudice « ne concerne que les pisciculteurs exerçant leur activité dans les zones à forte prolifération de cormorans ». En d’autres termes, elle se fonde sur le nombre important de cormorans affectant l’exploitation en cause. C’est cette situation de prolifération desdits oiseaux qui constitue le marqueur qui permet de caractériser la spécialité de la situation du requérant.
D’autres précisions sont apportées concernant la gravité du préjudice.
B – Des précisions concernant la gravité du préjudice
Pour être anormal, un préjudice doit, également, être affecté d’un certain degré de gravité. Il faut comprendre par-là que le préjudice doit excéder les simples gênes que les membres de la collectivité doivent supporter sans compensation. En effet, indemniser tous les préjudices conduirait à une inaction de l’Etat, puisque chacun de ses agissements cause, à un point de vue ou à un autre, un dommage. Aussi, le juge détermine la part du préjudice qui est imputable aux aléas normaux de la vie en collectivité et indemnise la part du dommage qui va au-delà. Autrement dit, le seuil de gravité déclenche la possibilité de l’indemnisation par la reconnaissance du caractère anormal du préjudice, mais pose aussi une limite à celle-ci puisque seul le préjudice qui va au-delà des aléas que tout administré se doit de supporter sera indemnisé.
C’est ce que le Conseil d’Etat note en l’espèce en considérant que le préjudice doit donner lieu à réparation s’il excède « les aléas inhérents à l'activité en cause ». Ici, l’activité de pisciculture est, par nature, affectée par les prélèvements de poissons opérés par les cormorans. Dès lors, cette partie du préjudice est inhérente à cette activité et ne peut donner lieu à indemnisation. En revanche, la loi de 1976 protège ces oiseaux, ce qui a pour conséquence leur prolifération et donc une hausse des prélèvements de poissons. Cette partie là du préjudice ouvre droit à indemnisation au profit du requérant car elle va au-delà de ce qu’un pisciculteur doit s’attendre à subir dans le cadre de son activité.
Or, en l’espèce, la cour administrative d’appel de Lyon a regardé le préjudice comme important et indemnisé la totalité du préjudice (hors faute de la victime). Le Conseil d’Etat considère, alors, « qu'en statuant ainsi, alors que l'évaluation du préjudice allégué était discutée devant elle et qu'il lui appartenait de rechercher dans quelle mesure le préjudice subi dépassait l'aléa inhérent à l'exploitation afin, le cas échéant, de ne prévoir l'indemnisation que de la part de ce préjudice excédant les pertes résultant normalement de cet aléa, la cour n'a pas légalement justifié sa décision ». En conséquence, la Haute juridiction annule l’arrêt attaqué.
CE, 1°/02/2012, Bizouerne
Vu, 1° sous le n° 347205, le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 3 mars, 3 juin et 9 décembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. François B, demeurant ..., et l'EARL DE L'ETANG DE GALETAS, dont le siège est ... ; les requérants demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'article 2 de l'arrêt n° 09LY02049 du 7 janvier 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir annulé le jugement n° 0602443 du 25 juin 2009 du tribunal administratif de Dijon, a limité à 50 000 euros la somme que l'Etat a été condamné à leur verser en réparation des préjudices occasionnés à leur activité piscicole du fait de l'accroissement du nombre d'oiseaux ichtyophages appartenant à des espèces protégées ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
3°) réglant l'affaire au fond, de faire intégralement droit à leur demande ;
Vu, 2° sous le n° 347446, le pourvoi, enregistré le 14 mars 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'ECOLOGIE, DU DEVELOPPEMENT DURABLE, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT ; le ministre demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 09LY02049 du 7 janvier 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a annulé le jugement n° 0602443 du 25 juin 2009 du tribunal administratif de Dijon et a condamné l'Etat à verser à M. A et à l'EARL de l'Etang de Galetas la somme de 50 000 euros, sur le terrain de sa responsabilité sans faute, en réparation des conséquences dommageables de l'accroissement du nombre d'oiseaux ichtyophages ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. A et de l'EARL de l'Etang de Galetas ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la directive 79/409/CEE du Conseil du 2 avril 1979 ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Raphaël Chambon, Auditeur,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. B et de la SOCIÉTÉ EARL DE L'ETANG DE GALETAS,
- les conclusions de M. Cyril Roger-Lacan, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. B et de la SOCIÉTÉ EARL DE L'ETANG DE GALETAS ;
Considérant qu'à la suite d'une expertise diligentée par le tribunal administratif de Dijon le 6 septembre 2005, M. B et l'EARL L'ETANG DE GALETAS ont saisi le préfet de l'Yonne d'une demande tendant à l'indemnisation des préjudices occasionnés à leur activité piscicole du fait de l'accroissement du nombre d'oiseaux ichtyophages appartenant à des espèces protégées, qui a fait l'objet d'une décision expresse de rejet le 18 août 2006 ; que, par un jugement du 25 juin 2009, le tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser diverses sommes en réparation de ces préjudices ; que, par un arrêt du 7 janvier 2011, la cour administrative d'appel de Lyon a, par des motifs non contestés, rejeté les conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité pour faute de l'Etat ; qu'elle a toutefois retenu la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture de l'égalité devant les charges publiques en raison des dommages causés à leur exploitation par la prolifération des grands cormorans, espèce protégée dont la destruction avait été interdite en application des dispositions de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, et condamné l'Etat à verser aux requérants la somme de 50 000 euros ; que le MINISTRE DE L'ECOLOGIE, DU DEVELOPPEMENT DURABLE, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT se pourvoit en cassation contre cet arrêt, en tant qu'il a retenu la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture de l'égalité devant les charges publiques ; que M. B et l'EARL L'ETANG DE GALETAS se pourvoient également en cassation contre l'arrêt, en tant que son article 2 a limité à 50 000 euros la somme que l'Etat a été condamné à leur verser ; que ces pourvois sont dirigés contre la même décision ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi du ministre ;
Considérant qu'il résulte des principes qui gouvernent l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat que le silence d'une loi sur les conséquences que peut comporter sa mise en oeuvre ne saurait être interprété comme excluant, par principe, tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de provoquer ; qu'ainsi, en l'absence même de dispositions de la loi du 10 juillet 1976 le prévoyant expressément, le préjudice résultant de la prolifération des animaux sauvages appartenant à des espèces dont la destruction a été interdite en application de ces dispositions, désormais codifiées à l'article L. 411-1 du code de l'environnement, doit faire l'objet d'une indemnisation par l'Etat lorsque, excédant les aléas inhérents à l'activité en cause, il revêt un caractère grave et spécial et ne saurait, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés ;
Considérant que, pour juger que la responsabilité de l'Etat était engagée sur ce terrain et fixer le montant de l'indemnité due aux requérants, la cour administrative d'appel de Lyon s'est bornée, après avoir relevé que la surpopulation du grand cormoran était la cause unique du préjudice subi par les exploitants de pisciculture, à énoncer que ce préjudice, " qui ne concerne que les pisciculteurs exerçant leur activité dans les zones à forte prolifération de cormorans, notamment, présente, en raison de son importance, un caractère anormal et spécial " ; que, si la cour a par ailleurs retenu une faute de la victime de nature à exonérer l'Etat de la moitié des conséquences dommageables de cette surpopulation, elle a évalué à 100 000 euros les pertes subies par l'activité piscicole des requérants, en se fondant sur le rapport d'expertise du 16 mai 2006 " dont la méthode de calcul du préjudice n'est pas entachée d'un vice " ;
Considérant qu'en statuant ainsi, alors que l'évaluation du préjudice allégué était discutée devant elle et qu'il lui appartenait de rechercher dans quelle mesure le préjudice subi dépassait l'aléa inhérent à l'exploitation afin, le cas échéant, de ne prévoir l'indemnisation que de la part de ce préjudice excédant les pertes résultant normalement de cet aléa, la cour n'a pas légalement justifié sa décision ; que, par suite, le ministre est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué, en tant qu'il a retenu la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques et l'a, sur ce fondement, condamné à verser aux requérants la somme de 50 000 euros ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions du pourvoi de M. B et de l'EARL L'ETANG DE GALETAS tendant à l'annulation de cet arrêt en tant qu'il a limité la condamnation de l'Etat à 50 000 euros se trouvent ainsi privées d'objet ; que, dès lors, il n'y a pas lieu d'y statuer ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par M. B et l'EARL L'ETANG DE GALETAS sous le n° 347446 ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à celles qu'ils ont présentées au même titre sous le n° 347205 ;
DECIDE :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 7 janvier 2011 est annulé en tant qu'il a retenu la responsabilité sans faute de l'Etat et condamné ce dernier à verser à M. B et à l'EARL L'ETANG DE GALETAS la somme de 50 000 euros.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi de M. B et de l'EARL L'ETANG DE GALETAS tendant à l'annulation de l'article 2 du même arrêt.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. B et l'EARL L'ETANG DE GALETAS au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la MINISTRE DE L'ECOLOGIE, DU DEVELOPPEMENT DURABLE, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT, à M. François B et à l'EARL L'ETANG DE GALETAS.
