A la suite de la Révolution d’octobre 1917, le nouveau régime soviétique refusa de se reconnaître redevable des engagements pris par la Russie tsariste. L’un de ces engagements fut un emprunt levé par la Russie auprès des Français. Ce refus soviétique engendra un certain ressentiment français. A la chute de l’URSS et afin d’améliorer les relations franco-russes, le nouveau pouvoir de Russie accepta de verser une certaine compensation financière aux Français détenant ces emprunts (sans pour autant que l’Etat ne se reconnaisse responsable de cette créance). Un accord franco-russe du 27 mai 1997 fixe les modalités d’indemnisation liées à ces actions et obligations particulières.
Kandyrine de Brito Paiva est portugais. Son grand-oncle, ressortissant français, lui a légué des obligations et actions russes. Le 15 décembre 1998, le trésorier principal du huitième arrondissement de Paris a refusé de lui enregistrer une déclaration de créance en application du décret du 3 juillet 1998. M. de Brito Paiva a formulé un recours hiérarchique auprès du ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, dont relève le trésorier principal. Le 17 mai 1999, le ministre rejette sa demande. M. de Brito Paiva saisit le juge administratif pour annuler ce refus et enjoindre l’administration à enregistrer sa déclaration de créance. Le Tribunal administratif de Paris rejette ses demandes le 20 juin 2003. Le requérant fait appel auprès de la Cour administrative d’appel de Paris qui rejette sa requête le 18 octobre 2006. M. de Brito Paiva saisit le Conseil d’Etat qui lui donne partiellement raison. Il annule l’arrêt de la Cour d’appel le 23 décembre 2011 et juge sur le fond pour finalement, donner raison au trésorier principal.
Les pouvoirs publics français, pour refuser d’enregistrer la déclaration de créance de M. de Brito Paiva font valoir que l’accord franco-russe du 27 mai 1997 ne peut être qu’au bénéfice des ressortissants français. Kandyrine de Brito Paiva conteste cela et invoque la Convention européenne des Droits de l’Homme (Convention EDH) et le principe de l’interdiction de toute discrimination en raison de la nationalité. Le Conseil d’Etat a dû faire face à une confrontation de traités applicables en l’espèce. En ce cas, lui appartient-il de trancher quel doit être le traité applicable ? Et si les deux le sont, peut-il en préférer un sur l’autre ?
Conformément à sa jurisprudence, le Conseil d’Etat accepte d’interpréter les traités internationaux (I). Il fait usage de ce pouvoir lorsqu’est en cause la Convention EDH, mais s’y refuse face au droit de l’Union européenne (II).
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I - L’interprétation des traités par le juge administratif
- A - Une jurisprudence expansive sur l’interprétation des traités
- B - L’accroissement du pouvoir d’interprétation
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II – Le pouvoir d’interprétation du juge face à la Convention EDH et le droit de l’UE
- A – La conciliation entre la Convention EDH et l’accord franco-russe
- B - La place particulière réservée au droit de l’Union européenne
- CE, ass., 23/12/2011, Kandyrine de Brito Paiva