Introduction

Louis FAVOREU voit dans le Conseil constitutionnel « un aiguilleur », tandis que Michel DEBRÉ évoquait une « arme contre la déviation du régime parlementaire », dans son discours du 27 août 1958.

Cette institution a été nouvellement créée par la Constitution de la Ve République. Évoqué au titre VII (articles 56 à 63) de la Constitution du 4 octobre 1958, le Conseil constitutionnel compte neuf membres qui sont désignés par le Président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale. Chaque membre siège, en principe, durant neuf ans et chacune des autorités de nomination renouvelle un membre tous les trois ans. Les anciens présidents de la République sont membres de droit, même si le seul à y siéger actuellement est Valéry Giscard d’Estaing. Le président du Conseil constitutionnel est Laurent FABIUS, ancien Premier ministre, qui a remplacé Jean-Louis DEBRÉ, depuis 2016. L’article 57 de la Constitution prévoit notamment que « les fonctions de membre du Conseil constitutionnel sont incompatibles avec celles de ministre ou de membre du Parlement. Les autres incompatibilités sont fixées par une loi organique ». Il s’agit de conserver une certaine indépendance.

S’il s’inspire du Comité constitutionnel de la IVe République, ses pouvoirs sont largement plus importants. Il ne s’agit pas non plus d’une véritable cour constitutionnelle comme il en existe dans d’autres pays du monde. Effectivement, aucun contrôle de constitutionnalité n’existait réellement en France avant 1958, la loi étant considérée comme l’expression de la « volonté générale » et le législateur étant tout puissant. Il apparaît pourtant primordial pour faire respecter la primauté de la Constitution sur les autres textes juridiques (V. Notamment la hiérarchie des normes d’Hans KELSEN). Mais quelles sont réellement aujourd’hui les missions de cette institution apparue avec la Constitution de 1958 ?

Le Conseil constitutionnel remplit de nombreuses missions : des missions originelles (I), qu’il détient depuis la mise en place de notre Constitution, et des missions plus récemment acquises (II).

I - Les missions originelles du Conseil constitutionnel

Parmi les missions du Conseil constitutionnel apparues en 1958, on retrouve un véritable et inédit contrôle du respect de la Constitution (A). Il tient aussi un rôle, plus secondaire, de juge électoral (B).

A - Un contrôle inédit du respect de la Constitution en France

Le Conseil constitutionnel, véritable « autorité constitutionnelle », est amené à intervenir de manière obligatoire (1) et aussi, parfois, de manière facultative (2).

1 - Des interventions obligatoires

La Constitution du 4 octobre 1958 prévoit plusieurs hypothèses où l’intervention du Conseil constitutionnel est obligatoire. Pour la mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels de l’article 16, le Conseil constitutionnel est consulté par le Président de la République qui décide de leur mise en œuvre. Puis « après trente jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d'examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée » (art. 16, al. 6).

Aussi, le Conseil constitutionnel est amené à intervenir, sous certaines conditions, dans le cadre des procédures de délégalisation et d’irrecevabilité (articles 37 al. 2 et 41) qui permettent de protéger le domaine réglementaire et le domaine de la loi.

L’article 61 alinéa 1er précise que l’institution contrôle également de manière obligatoire « les lois organiques, avant leur promulgation, les propositions de loi mentionnées à l'article 11 avant qu'elles ne soient soumises au référendum, et les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application ».  Dans d’autres perspectives, le contrôle du Conseil constitutionnel reste purement facultatif, ce qui démontre son rôle « incomplet ».

2 - Des interventions facultatives

L’article 61 alinéa 2 prévoit un contrôle du Conseil constitutionnel pour l’ensemble des textes de lois ordinaires. Ce contrôle a priori est effectué uniquement si elles [les lois] sont « déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs ». Le contrôle à l’initiative de soixante députés ou soixante sénateurs est possible uniquement depuis une révision constitutionnelle de 1974. L’initiative de ce contrôle appartient donc aux politiques qui vont saisir les « Sages » quand ils le désirent.

Enfin, le Conseil peut intervenir, selon l’article 54 de la Constitution, sur les engagements internationaux, en veillant notamment à ce que la Constitution fasse l’objet d’une révision si des engagements internationaux apparaissent incompatibles avec les dispositions constitutionnelles en vigueur.

Dans tous les cas, que le Conseil intervienne dans le cadre d’un contrôle facultatif ou obligatoire, ses décisions « ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles » (art. 62). Il en sera de même dans le cadre de son rôle de juge électoral.

B - Un rôle de juge électoral

Le Conseil constitutionnel est juge électoral pour les élections nationales (1). Cette mission lui a été octroyé pour restreindre le rôle du Parlement en la matière (2).

1 - Le Conseil constitutionnel : compétent pour les élections « nationales »

Les constituants ont souhaité lui octroyer le rôle de juge du contentieux électoral national (V. Loïc PHILIP, « Le Conseil constitutionnel, juge électoral », Pouvoirs n° 13, 1986). Ainsi, l’article 58 précise que le Conseil « veille à la régularité de l’élection du Président de la République. Il examine les réclamations et proclame les résultats du scrutin ». Il participe notamment à contrôler la récolte des cinq-cents parrainages d’élus locaux nécessaires pour se présenter à l’élection présidentielle. De même, le Conseil constitutionnel intervient sur le contentieux des élections parlementaires : l’article 59 précise ainsi qu’il « statue, en cas de contestation, sur la régularité de l’élection des députés et des sénateurs ».

De même, le Conseil constitutionnel veille selon l’article 60 « à la régularité des opérations de référendum prévues aux articles 11 et 89 et au titre XV. Il en proclame les résultats ». Les contestations dans le cadre d’autres élections sont évidemment l’affaire des juridictions administratives. Les constituants ont fait le choix d’un véritable contrôle juridictionnel qui restreint notamment les missions du Parlement en la matière.

2 - Un moyen de restreindre le rôle du Parlement

Effectivement, aucun réel contrôle n’existait jusqu’alors concernant l’élection du Président de la République, notamment sous les IIIe et IVe Républiques. Il faut dire que son rôle n’était pas le même que dans notre régime actuel. Sous la Ve République, le Président occupe des fonctions renouvelées et l’élection au suffrage universel direct, à partir de 1962, a renforcé considérablement cette nécessité d’un contrôle sur sa légitimité et les conditions de son accession au pouvoir.

Pour ce qui est des élections parlementaires, les lois constitutionnelles de la IIIe République et la Constitution d’octobre 1946 confiaient ce rôle aux parlementaires eux-mêmes. L’article 8 de la Constitution de 1946 précise que « chacune des deux Chambres est juge de l'éligibilité de ses membres et de la régularité de leur élection ». Un problème, largement mis en avant par la doctrine, est ici évident. En effet, les parlementaires demeuraient à la fois juge et partie en cas de contestation. L’indépendance de ce contrôle pouvait prêter à confusion et apparaître tout à faire compromettant. D’autres missions du Conseil constitutionnel sont également apparues plus tardivement.

II - Les missions renouvelées du Conseil constitutionnel

Les missions du Conseil constitutionnel ont été amenées à évoluer vers un profond contrôle du respect des libertés et des droits fondamentaux (A), pleinement renforcé par l’émergence de la QPC depuis dix ans (B).

A - Un contrôle sur le respect des libertés et droits fondamentaux

Le Conseil constitutionnel va étendre la norme constitutionnelle de référence à d’autres textes qui forment ainsi le bloc de constitutionnalité (1), contrôlant donc plus largement le respect des libertés publiques et des droits fondamentaux par le législateur (2).

1 - Une extension de la norme de référence : le bloc de constitutionnalité

Au départ, il est évident que le Conseil constitutionnel avait pour norme de référence le texte de la Constitution du 4 octobre 1958. Le contrôle était ainsi relativement limité. Le Conseil lui-même a consacré l’extension de la norme constitutionnelle.

Dans la célèbre décision Liberté d’association (décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971), le Conseil constitutionnel accepte de contrôler aussi sur le fondement du Préambule de la Constitution de 1958. Aujourd’hui, l’ensemble des textes de références – en plus de la Constitution – sont les suivants, puisque le préambule les mentionne : Préambule de 1946, Déclaration des droits de l’Homme de 1789, les principes et objectifs à valeur constitutionnelle, la Charte de l’environnement de 2004… C’est ce que le Conseil appelle « le Bloc de constitutionnalité ». Le Conseil constitutionnel contrôle également sur la base des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR). Le contrôle effectué par cette institution est ainsi renouvelé et plus largement tourné vers le respect des libertés publiques.

2 - Un contrôle tourné vers les libertés publiques et les droits fondamentaux

Avec l’extension de la norme de référence de son contrôle constitutionnel, le Conseil est devenu un véritable « gardien » des libertés publiques et des droits fondamentaux. En effet, ces textes comportent de nombreux droits-libertés, droits-créances, droits sociaux et libertés fondamentales. Parmi ceux-là, on retrouve notamment le droit à la santé, le droit de grève, le droit à l’éducation etc… Le Conseil constitutionnel veille désormais que les dispositions législatives les respectent.

Une large partie de la doctrine critique toutefois le manque d’indépendance du Conseil constitutionnel de par la nomination politique de ses membres (T. HOCHMAN, « Et si le Conseil constitutionnel était une cour constitutionnelle de référence », RDLF 2019, 32). Cela tranche donc avec la dynamique affichée en faveur des libertés fondamentales. De même, l’institution semble parfois mener un contrôle trop limité ou politique sur certains sujets sensibles (P. BLACHER, « Le Conseil constitutionnel en fait-il trop ? », Pouvoirs n°105, 2003, p. 17). D’aucuns critiqueront enfin le manque de professionnalisme des membres du Conseil constitutionnel appelant à une rénovation du système de nomination pour y inclure des professionnels du droit (Proposition de loi constitutionnelle de Louis ALLIOT, Assemblée nationale). Jean-Louis DEBRÉ constate toutefois, lors d’une allocution que « le Conseil constitutionnel a rendu d'importantes décisions abrogeant des dispositions législatives contraires aux droits et libertés constitutionnellement garantis », notamment dans le cadre de la QPC (Allocution de JL. Debré devant le CNB, 21 octobre 2011).

B - L’émergence de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC)

Issue de la révision constitutionnelle de 2008, la QPC devient un nouveau mode de saisine du Conseil après 2010 (1), permettant ainsi, et pour la première fois, un véritable contrôle a posteriori au profit des justiciables (2).

1 - La QPC : un nouveau mode de saisine depuis 2010

Depuis la révision de juillet 2008, l’article 61-1 de la Constitution met en place un contrôle a posteriori, par voie d’exception, la QPC : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ». La loi organique du 10 décembre 2009 vient préciser les conditions d’application de cette procédure.

Plusieurs conditions de fond et de forme doivent ainsi être remplies pour pouvoir déposer un QPC : elle doit porter d’abord sur une disposition législative qui violerait des « droits et libertés que la Constitution garantit ». Évidemment, cette disposition législative doit s’appliquer au litige ou à la procédure en question. La disposition ne doit pas avoir déjà fait l’objet d’une déclaration de conformité et le juge, dès la première instance, va examiner le caractère sérieux et nouveau de la question qui doit lui être posée par écrit dans un mémoire distinct de la requête principale. Cette procédure ouvre enfin un contrôle constitutionnel à l’initiative et au profit des justiciables, comme il en existait déjà dans plusieurs États.

2 - Un contrôle au profit des justiciables

Avant la QPC, seuls les « politiques » pouvaient être à l’origine d’une saisine du Conseil constitutionnel, comme nous avons pu le voir. Avec ce nouvel outil, tous les justiciables peuvent avoir accès à un contrôle de constitutionnalité au cours d’un procès auquel ils sont partie. C’est ainsi que des QPC ont été soulevées, ces dernières années, sur des dispositions législatives parfois particulièrement sensibles. A l’issue de la procédure, c’est-à-dire une fois que la question a passé tous les « filtres » de la procédure, le Conseil constitutionnel peut être amené à déclarer la disposition conforme à la Constitution. Il peut aussi déclarer la disposition législative comme contraire à la Constitution : dans ce cas de figure, la décision QPC entraine l’abrogation de la disposition déclarée inconstitutionnelle. Il peut toutefois différer l’abrogation de la disposition dans le temps pour faciliter l’intervention du législateur. 

La force de ce contrôle, au profit des justiciables, fait dire à Jean-Louis DEBRÉ, à l’époque président du Conseil constitutionnel : « La Constitution, jusqu'à présent, était quelque chose d'inatteignable. C'était l'affaire des politiques, pas des citoyens. La QPC permet à chacun de se prévaloir de la Constitution ! » (P. ROGER, « Jean-Louis Debré : la Constitution est désormais l'affaire des citoyens », Le Monde, 5 mars 2011).