Introduction

« C’est une relation inaccessible à l’analyse de qui que ce soit, et rien que ça, c’est une façon de la caractériser. Ils ont l’un et l’autre le souci de faire en sorte qu’elle n’appartienne qu’à eux ». Cette phrase prononcée par Gilles Le Gendre (ancien président du groupe LRM à l’Assemblée Nationale) à propos du binôme de l’exécutif constitué par Emmanuel Macron et Edouard Philippe dans un article du 11 février 2020 paru dans Le Monde illustre bien l’ambiguïté de la relation qui unit le Président de la République et le Premier Ministre sous la Ve République. Au cours de la présente dissertation nous reviendrons sur les relations entre « duo et duel » (pour reprendre les termes de Philippe Ardant) au sein du binôme de l’exécutif, qui oscillent entre opposition et complémentarité au grès des événements de la vie politique.

Dans la logique parlementaire de la Constitution de 1958, les pouvoirs sont partagés entre un Président de la République élu au suffrage universel direct et un gouvernement avec à sa tête un Premier Ministre nommé par le Président et responsable devant le Parlement. Sous la Ve République le Président dispose librement d’un certain nombre de pouvoirs nécessaires à l’exercice de sa fonction d’arbitre (article 5 de la Constitution). Bien qu’un certain nombre de ses actes soient soumis à un contreseing ministériel (article 19), il est irresponsable politiquement (article 67) et dispose de pouvoirs réels. La pratique du pouvoir sous la Ve République a mené à une présidentialisation du régime, c’est à dire le fait pour le Président de s’affirmer comme le centre d’impulsion de l’exécutif alors même qu’il subsiste un Premier ministre à la tête du gouvernement et que seul ce dernier est responsable devant l’Assemblée Nationale (article 49). Le phénomène de présidentialisation a été entamé par de Gaulle mais a perduré chez ses successeurs. Les cohabitations ont néanmoins marqué un retour vers un certain parlementarisme. En effet, la cohabitation, qui n’est pas définie dans la constitution, s’incarne par la coexistence entre un président et une majorité politique qui lui est opposée à l’Assemblée Nationale. Le Chef de l’Etat a dès lors l’obligation de désigner un Premier Ministre qui appartient à cette majorité.

D’un point de vue historique l’objectif de la Constitution lors de son adoption en 1958 était triple : restaurer la fonction présidentielle, stabiliser le gouvernement, et affaiblir l’institution parlementaire. 65 ans plus tard force est de constater que le premier objectif est largement atteint, notamment depuis l’élection au suffrage universel du Président de la République instaurée en 1962. Cette réforme marque un tournant dans la Ve République, le Président devient élu par le peuple ce qui lui donne une légitimité supérieure à celle du Parlement. Il incarne la totalité de la souveraineté populaire et représente l’unité du pouvoir. Pourtant certains pays, comme le Portugal par exemple, où le Président est également élu au suffrage universel direct, demeurent des régimes parlementaires où le chef de l’Etat a un rôle plus en retrait et n’empiète pas sur les compétences gouvernementales. Ce présidentialisme propre à la Ve République est en partie dû à la personnalité marquante du Général De Gaulle, véritable monarque républicain dont la pratique du pouvoir a infusé dans les institutions et a perduré. L’histoire de la Ve République a été marquée par trois cohabitations qui ont affaibli le phénomène présidentialiste et marqué un retour vers un régime plus parlementaire. Ces trois cohabitations ont eu lieu de 1986 à 1988 (Président : François Mitterrand, PM : Jacques Chirac), de 1993 à 1995 (Président : François Mitterrand, PM : Edouard Balladur) et de 1997 à 2002 (Président : Jacques Chirac, PM : Lionel Jospin). Suite à ces trois expériences de cohabitation le mandat présidentiel est passé de sept à cinq ans en 2000. Couplé à une inversion du calendrier législatif (l’élection des députés suit celle du Président) l’instauration du quinquennat a mis fin, jusqu’à aujourd’hui, au phénomène de cohabitation. 

Le présent sujet invite à s’interroger sur les relations entre le Président et le Premier ministre sous la Ve République, notamment en mettant en regard la lettre du texte constitutionnel et la pratique réelle du pouvoir.

Pour ce faire nous analyserons dans un premier temps l’ascendant pris par le Président sur le Premier ministre en période majoritaire, malgré les ambiguïtés du texte constitutionnel sur leurs rôles respectifs (I) avant de voir comment les périodes de cohabitation ont abouti à un rééquilibrage du pouvoir au sein du binôme de l’exécutif (II).

I - La Ve République : un régime marqué par un bicéphalisme ambivalent tournant à l'avantage présidentiel en période majoritaire

Le Président de la République, qualifié « d’arbitre » par l’article 5 de la Constitution possède en réalité des pouvoirs très importants et s’impose comme le centre de gravité du régime (A). Le caractère présidentialiste du régime de la Ve République a conduit à un effacement du Premier ministre au profit du chef de l’État (B).

A - Un président arbitre aux pouvoirs très étendus

Si le Président se voit doté de pouvoirs larges et importants par la Constitution (1) ces derniers s’exercent en principe avec le contreseing du Premier ministre (2).

1 - Un Président doté d’importants pouvoirs par la Constitution

Le président de la République a une place dominante dans la vie politique comme le démontre symboliquement sa place dans la Constitution. En effet les articles qui le concernent sont placés au début du texte, avant ceux relatifs au Gouvernement et au Parlement. L’étendue et l’importance de ses prérogatives souligne la place importante du Président, véritable « clef de voute » du régime pour reprendre l’expression de Michel Debré. Le Président peut ainsi nommer le Premier ministre (article 8), il préside le conseil des ministres (article 9), il promulgue les lois (article 10), il peut proposer au référendum un projet de loi ou une révision de la constitution (articles 11 et 89), il peut dissoudre l’Assemblée nationale (article 12), il signe les ordonnances et les décrets délibérés en conseil des ministres et nomme aux emplois civils et militaires de l’État (article 13), il accrédite les ambassadeurs envoyés à l’étrangers et les ambassadeurs étrangers sont accrédités auprès de lui (article 14), il est le chef des armées (article 15), il peut se voir accorder des pouvoirs exceptionnels en cas de crise (article 16), il a le droit de grâce (article 17), il peut faire lire un message au Parlement ou s’exprimer devant le Parlement réuni en Congrès (article 18), il négocie et ratifie les traités internationaux (article 52), il nomme certains membres du Conseil constitutionnel (article 56), il peut saisir le Conseil constitutionnel pour examen d’une loi (article 61), il est le garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire (article 64), il est irresponsable politiquement, civilement et pénalement (article 67).

2 - Des pouvoirs présidentiels exercés en principe avec le contreseing du Premier ministre

Il est cependant important de noter qu’en principe les pouvoirs du Président s’exercent avec le contreseing du Premier ministre comme le prévoit l’article 19 de la Constitution : « Les actes du Président de la République autres que ceux prévus aux articles 8 (1er alinéa), 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61 sont contresignés par le Premier ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables ». Il découle de cet article que le contreseing du Premier ministre est le principe, les exceptions étant citées de manière exhaustive. Cette pratique du contreseing permet d’offrir un contre-poids aux importants pouvoirs que la Constitution confère au Président. Cela souligne que le Président ne dispose pas seul des pouvoirs juridiques et administratifs pour mettre en œuvre sa politique. C’est au Gouvernement, responsable devant le Parlement, de mener au jour le jour la politique voulue par le Président. Il faut néanmoins opposer deux bémols à cette observation. D’une part les exceptions prévues par l’article 19 de la Constitution sont larges. Ainsi la nomination du Premier ministre, la soumission d’un projet de loi à référendum, la dissolution de l’Assemblée nationale, le déclenchement des pouvoirs de crise, la réunion du Parlement en Congrès, la saisine du Conseil constitutionnel et la nomination de ses membres sont des pouvoirs propres pour le Président, c’est à dire qu’ils peuvent être exercés sans contreseing. D’autre part la pratique présidentielle a contribué à minorer la marge de manœuvre du Premier ministre et à faire du contreseing une simple formalité administrative.

B - L'effacement du Premier ministre au profit de la figure présidentielle

Le Premier ministre est chargé par la Constitution de diriger le Gouvernement, qui détermine et conduit la politique de la nation (1). Néanmoins cette place importante d’après le texte constitutionnel est minorée par la pratique du pouvoir qui a conduit à la marginalisation du chef du Gouvernement (2).

1 - Un Premier ministre chargé par la Constitution de diriger le Gouvernement

Les articles de la Constitution concernant le Gouvernement et le Premier ministre sont placés après ceux relatifs au Président. La Constitution est bien plus succincte concernant le Gouvernement que le Président (4 articles contre 15 articles). La Constitution précise que le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation, dispose de l'administration et de la force armée et est responsable devant le Parlement (article 20). Concernant le Premier ministre il dirige l'action du Gouvernement, il est responsable de la défense nationale, il assure l'exécution des lois, il exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires (article 21).

Ces dispositions constitutionnelles soulignent la nature parlementaire de la Ve République. C’est au gouvernement, sous l’autorité du Premier ministre et responsable devant le Parlement, de conduire « la politique de la nation ». Le Premier ministre dispose pour cela de moyens juridiques et administratifs importants grâce au contre-seing des actes présidentiels et au pouvoir réglementaire. Le Président, dans cette architecture, est supposé être un « arbitre » au-delà des contingences partisanes qui fixe les grandes orientations mais ne s’ingère pas au jour le jour dans la politique gouvernementale.

2 - Un Premier ministre marginalisé par la pratique présidentielle du pouvoir

Bien que la Ve République ait été conçue comme un régime parlementaire, le Gouvernement étant responsable devant le Parlement, l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel direct depuis 1962 lui donne une forte légitimité. De plus, la réduction du mandat présidentiel à 5 ans limite la possibilité de décalage entre majorité présidentielle et parlementaire, ce qui amplifie la prépondérance présidentielle. La Ve République a en effet connu un phénomène croissant de présidentialisation du régime, amplifié par les réformes constitutionnelles de 1962 et de 2000, ce qui a conduit à réduire l’autonomie du Premier ministre. Si la majorité parlementaire est disciplinée et soudée autour du Président, cela entraine un présidentialisme parfait et la disparition presque totale de la politique du gouvernement qui ne fait qu’appliquer la politique du Président. Ce dernier apparait comme le véritable chef de la majorité, il absorbe de facto les pouvoirs du Gouvernement. Cette situation constitue une forme de négation de la nature parlementaire du régime, pourtant clairement affirmée en 1958.

Cette marginalisation du Premier ministre s’observe dès sa nomination. En effet d’après l’article 8 de la Constitution le Président nomme le Premier ministre mais ne peut mettre à fin à ses fonctions que « sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement ». De plus les autres membres du gouvernement sont supposés être nommés « sur la proposition du Premier ministre ». Dans les faits le Premier ministre et l’ensemble des membres du Gouvernement sont nommés à la discrétion du Président. De plus le Président peut révoquer son Premier ministre quand il le souhaite (ce qui avait faire dire à Michel Rocard, alors Premier ministre de François Mitterrand, qu’il avait « le bail le plus précaire de Paris »). Dès lors la tentation pour le Président est l’instrumentalisation du Premier ministre qui apparait comme un fusible faisant barrière entre l’opposition et le chef de l’Etat, assumant les effets négatifs de l’action politique de ce dernier.

Le bicéphalisme peut parfois induire une ambiguïté au sein du pouvoir exécutif. Cette ambiguïté est parfois le fait du texte constitutionnel lui-même comme c’est le cas en matière militaire par exemple. En effet selon l’article 15 de la Constitution « le Président de la République est le chef des armées » tandis que le Premier ministre « est responsable de la défense nationale » aux termes de l’article 21. Difficile dès lors de distinguer les responsabilités respectives dans ce domaine, même si la pratique tend, là encore, à entériner la prépondérance présidentielle puisque la défense est considérée comme relevant du « domaine réservé » du chef de l’État. De manière plus générale il arrive assez souvent que des ministres demandent directement l’arbitrage présidentiel, en prenant acte du fait que c’est ce dernier qui tranchera en dernier recours. Le fait de court-circuiter ainsi le Premier ministre ne manque pas de fragiliser sa position comme chef du Gouvernement.

Au-delà des ambiguïtés ou des partages de compétences parfois peu clairs il apparait que, en période majoritaire, le Premier ministre est marginalisé par le Président sous le double effet du texte constitutionnel et de la pratique des institutions. Si l’autorité du Gouvernement peut-être variable selon les personnalités respectives du Premier ministre et du Président ou le degré de cohésion de la majorité parlementaire il n’en demeure pas moins que la prépondérance du chef de l’État sur son chef du Gouvernement est une constante de la Ve République, par-delà les alternances politiques. Les cartes sont cependant rebattues en période de cohabitation, comme nous allons le voir dans la deuxième partie de cette dissertation.

II - Une redistribution des rôles entre Président et Premier ministre en période de cohabitation

La cohabitation signe un retour à un fonctionnement plus parlementaire du régime, où le Premier ministre fixe réellement l’action du Gouvernement et apparait comme le chef de la majorité parlementaire (A). Néanmoins cette situation induit également une conflictualité au sein d’un binôme de l’exécutif issu de deux bords politiques opposés (B).

A - Un retour à la nature parlementaire du régime de la Ve République

La cohabitation est une situation qui n’est pas prévue par le texte Constitutionnel, et n’est donc pas soumise à un corps de règle particulier (1). Elle aboutit dans les fait à une revalorisation du rôle du Premier ministre par rapport au chef de l’État (2).

1 - La cohabitation : une situation non prévue explicitement par la Constitution

La cohabitation s’incarne par la coexistence entre un Président et une majorité politique qui lui est opposée à l’Assemblée Nationale. Le Chef de l’Etat a dès lors l’obligation de désigner un Premier ministre qui appartient à cette majorité. La cohabitation n’est pas définie ou mentionnée dans la Constitution et n’est donc pas soumise à des règles spécifiques.

La Ve République a connu trois périodes de cohabitation : de 1986 à 1988 (Président : François Mitterrand, PM : Jacques Chirac), de 1993 à 1995 (Président : François Mitterrand, PM : Edouard Balladur) et de 1997 à 2002 (Président : Jacques Chirac, PM : Lionel Jospin). Il faut souligner à cet égard que la cohabitation représente plutôt l’exception sous la Ve République (9 ans au total en 65 ans d’existence de la Constitution). Lors de la première cohabitation, situation alors inédite sous la Ve République, François Mitterrand avait déclaré dans une adresse lue au Parlement « la Constitution, rien que la Constitution, toute la Constitution ». Si cela peut sembler à première vue paradoxal, puisque cette situation n’est pas définie par la Constitution, il s’agissait pour le Président de la République de rappeler qu’il peut s’appuyer sur la loi fondamentale, et les pouvoirs qui en découlent, afin d’affirmer sa légitimité face à un gouvernement d’un autre bord politique que lui. Cette nécessité pour le Président de rappeler son autorité s’explique par l’importance que donne la cohabitation au Premier ministre.

2 - La mise au premier plan du Premier ministre en cas de cohabitation

En période de cohabitation l’article 20 de la Constitution prend tout son sens : « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ». Le Premier ministre de cohabitation, qui s’appuie sur une majorité parlementaire qui le soutient, va retrouver une latitude d’action inconnue en période majoritaire. Le Gouvernement va devenir le véritable atelier législatif et va pouvoir préparer les projets de lois hors de la tutelle présidentielle. Le Premier ministre va également pouvoir avoir un vrai poids sur le choix des ministres. La pratique du contreseing va retrouver de l’importance, le Gouvernement endosse réellement la responsabilité des actes présidentiels. De manière générale c’est le Gouvernement qui apparait comme réellement responsable devant l’opinion publique, les médias, les autres formations politiques…

La mise en lumière du Premier ministre entraine une, relative, mise en retrait du Président. S’il reste l’homme fort du régime, ne serait-ce que par sa place dans la Constitution, la cohabitation met un terme à l’extension des pouvoirs présidentiels. Le chef de l’Etat se replie alors sur un rôle d’arbitre plus conforme à l’esprit de l’article 5 de la Constitution. Il exerce son autorité essentiellement dans le « domaine réservé » (c’est à dire la défense et les affaires étrangères). In fine on peut considérer que la cohabitation signe un retour à un fonctionnement plus parlementaire du régime et correspond mieux à l’esprit de la Constitution. En effet le Premier ministre « dirige » réellement l’action du Gouvernement, qui « détermine et conduit » la politique de la Nation tandis que le Président a un rôle « d’arbitre ». Néanmoins le fait que le Gouvernement et le Président soient de bords politiques opposés entraine une forme de conflictualité au cœur du pouvoir exécutif.

B - La cohabitation : une source de conflictualité au sein du binôme de l'exécutif

La cohabitation n’est pas pour autant une situation idéale pour le fonctionnement des institutions puisqu’elle entraine une conflictualité au sommet de l’exécutif (1). L’expérience des trois cohabitation a motivé l’adoption d’une réforme constitutionnelle pour mettre fin à cette situation (2).

1 - Une opposition entre le chef de l’État et le chef du Gouvernement susceptible de brouiller le fonctionnement des institutions

Il est indiscutable que les trois expériences de cohabitation ont contribué à renforcer le rôle du Gouvernement, et notamment du Premier ministre, tout en signant un relatif effacement du Président. Si le retour au fonctionnement d’un régime parlementaire plus « classique » peut sembler une bonne chose, les différentes cohabitations ont également perturbé le jeu institutionnel. En effet, la cohabitation implique que le Premier ministre a fait campagne contre le Président ce qui induit une rivalité politique au sommet de l’État. Les deux membres du binôme de l’exécutif peuvent se prévaloir de la légitimité populaire, d’autant plus que les électeurs ont d’une certain manière désavoué la Président en votant pour une majorité parlementaire qui lui est opposée.

Cette opposition politique contribue à rendre plus opaque le fonctionnement des institutions et les pouvoirs respectifs du Président et du Premier ministre. La cohabitation a contribué à brouiller, aux yeux de l’opinion publique, le rôle et les responsabilités respectives au sein de l’exécutif, rendant plus problématique le chevauchement des compétences qui existe déjà en période « normale ». On peut aussi souligner qu’une rivalité permanente au sein de l’exécutif n’est pas la situation la plus propice à l’efficacité et au fonctionnement apaisé des institutions.

Le Président de la République, qui devait retrouver un rôle d’arbitre, se mue en opposant politique au Gouvernement. Cette situation s’est particulièrement illustrée lors de la première cohabitation (1986-1988), marquée par les rapports conflictuels entre J. Chirac et F. Mitterrand. Ce dernier a soutenu les actions de l’opposition parlementaire, mis son véto à la nomination de ministres (notamment dans le domaine réservé) et refusé de signer certaines ordonnances dans le but de gêner les actions du gouvernement Chirac. Cela souligne également l’importance des relations personnelles entre le Président et le Premier ministre. Ainsi la deuxième cohabitation (1993-1995) a pu être qualifiée de « cohabitation de velours » en référence aux rapports plus apaisés entre F. Mitterrand et E. Balladur.

2 - Une volonté politique de mettre fin à la cohabitation par la réforme des institutions

Le bilan suite aux trois épisodes de cohabitation, entre retour au régime parlementaire via la réhabilitation du Premier ministre et guerre au sommet de l’exécutif, est mitigé. La question de la cohabitation sera finalement tranchée par le référendum constitutionnel du 24 septembre 2000 sur le passage du septennat, au quinquennat. Il est à noter qu’il s’agit de la seule modification constitutionnelle sur la base de l’article 89 entérinée par référendum et non par la voie du Congrès. Les français ont approuvé le quinquennat à une large majorité (73,21%) dans un scrutin marqué par une très forte abstention (69,81%). Cette réforme institutionnelle aboutit à aligner la durée du mandat présidentiel sur celui des députés. Elle a été complétée par une loi de 2001 inversant le calendrier électoral (les élections législatives se tiennent désormais juste après les élections présidentielles). L’objectif de cette réforme était de mettre fin à la possibilité d’une cohabitation du fait de l’organisation des élections législatives juste après la présidentielle (si les français ont voté en majorité pour un Président il est très probable qu’ils votent dans la foulée en majorité pour des députés soutenant ce Président) et de l’absence d’élections législatives durant la durée du mandat présidentiel.

Cette réforme a porté ses fruits : les Présidents élus en 2002, 2007, 2012, 2017 et 2022 ont échappé à la cohabitation et ont pu bénéficier d’une majorité parlementaire. Néanmoins, de l’avis de nombreux constitutionnalistes, cette réforme a contribué à accentuer la présidentialisation du régime déjà à l’œuvre depuis 1962 et à marginaliser le Premier ministre et l’autonomie du Gouvernement. Cette réforme ne renforce pas non plus les droits du Parlement, les élections législatives apparaissant comme une simple confirmation sur le nom du Président nouvellement élu. Il faut noter une situation inédite depuis l’instauration du quinquennat suite aux élections législatives de 2022 : pour la première fois le Président n’a pas obtenu de majorité absolue à l’issue des élections législatives. Il ne s’agit pas d’une situation de cohabitation puisque les députés de la majorité présidentielle forment le groupe le plus important et qu’il n’existe pas de majorité alternative. Néanmoins cette configuration inédite peut-être de nature à fragiliser le gouvernement puisqu’il existe une majorité de députés de l’opposition. Pour autant aucune motion de censure n’a aboutie à ce jour, d’une part car les députés de l’opposition représentent des groupes différents en désaccord sur de nombreux aspects et d’autre part car la dissolution de l’Assemblée nationale peut être actionnée par le Président en « représailles ». Ainsi les institutions de la Ve République permettent une stabilité gouvernementale même en cas de majorité relative. De plus cette situation n’a pas bouleversé les relations entre le Président et le Premier ministre. Elle montre néanmoins que la réforme de 2000 ne garantit en rien « automatiquement » une majorité absolue.

Il faut enfin souligner que la question du quinquennat, et plus généralement des relations entre le Président et le Premier ministre, revient périodiquement dans le débat politique (retour au septennat, instauration d’un mode de scrutin proportionnel aux élections législatives….). L’actuel Président, E. Macron, a plusieurs fois évoqué la possibilité d’une réforme constitutionnelle depuis 2017 sans que celle-ci aboutisse à ce stade. Nul doute que ces questions institutionnelles continueront à animer le débat, particulièrement dans la perspective de l’élection présidentielle de 2027.