Introduction
« L’État ne représente pas un parti ; l’État représente la collectivité nationale ; il comprend tout, il est au-dessus de tout ; protège tout et se dresse contre quiconque porte atteinte à son imprescriptible souveraineté ». Cette citation du leader fasciste Benito Mussolini, issue d’un discours prononcé le 20 septembre 1922, permet de commencer à cerner les caractéristiques de l’État fasciste.
Le fascisme désigne, au sens strict, le régime mis en place par Benito Mussolini en Italie de 1922 à 1945. Celui-ci est fondé sur la dictature d'un parti unique, sur un pouvoir autoritaire, nationaliste et anticommuniste. Le régime fasciste est basé sur l’idée que la nation est unie derrière un seul homme. Le régime repose ainsi sur un culte de la personnalité et une valorisation de la hiérarchie. L’individu doit s'effacer devant l'Etat. Le fascisme rejette la démocratie libérale, la séparation des pouvoirs et les droits de l’Homme. Il s'accompagne d'un Etat policier fort et sécuritaire, d'une organisation verticale des métiers en corporation et d'une méfiance envers les étrangers. Le fascisme est considéré comme une des formes du totalitarisme, qui désigne un régime politique dans lequel un parti unique détient la totalité des pouvoirs. L’ensemble des citoyens est supposé rassemblée derrière l’Etat car le totalitarisme n’admet aucune opposition. Un Etat totalitaire prétend gérer, outre la vie publique, la vie privée des individus (régime policier, encadrement de la jeunesse et des relations professionnelles…). Il est à noter que le fascisme est parfois utilisé dans le débat politique contemporain pour désigner l’ensemble des partis et mouvements politiques d’extrême droite ou, encore plus largement, pour discréditer un adversaire. Nous nous limiterons dans la présente dissertation à étudier le terme dans son sens originel.
Le totalitarisme est issu du fascisme. Mussolini fut le premier à parler d’ « État totalitaire ». Pour Mussolini, l'individu n'existe que par rapport au collectif, peuple ou nation. L'État devient un absolu, objet d'un véritable culte. Il est militarisé pour assurer la terreur et asseoir sa domination sur les individus. Le concept d’Etat totalitaire se rapproche de celui de dictature qui désigne un régime politique arbitraire dans lequel tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains d'un seul ou d'un groupe. La dictature s'oppose à la démocratie : pas de séparation des pouvoirs, pas d’élections libres. Les libertés individuelles ne sont pas garanties. La dictature s’appuie sur l’armée et sur un parti unique pour s'imposer et se maintenir par la force. Pour la philosophe Hannah Arendt contrairement au régime autoritaire classique (dictature) qui se limite à un territoire déterminé, un régime totalitaire est à la recherche d'une domination totale et sans limites. Le régime fasciste peut également être qualifié de monocratie et de statocratie. La monocratie est une forme de gouvernement où le pouvoir réside entièrement dans la volonté d’un seul homme. Une monocratie est notamment caractérisée par l’absence de séparation des pouvoirs et par un gouvernant unique qui prend seul l’ensemble des décisions politiques. La statocratie désigne un système dans lequel l'État domine la vie de la nation.
D’un point de vue historique le régime fasciste trouve son origine en 1919 quand Benito Mussolini scissionne avec le Parti Socialiste Italien et fonde les Faisceaux italiens de combat (Fasci italiani di combattimento). C'est ce terme de « faisceau », que l'on peut définir comme étant « un groupe d'hommes liés entre eux en vue d'une action indéterminée », qui va donner le terme de « fascisme ». Le 28 octobre 1922 Mussolini, s’appuyant notamment sur les Chemises noires, une force paramilitaire fasciste et anticommuniste, effectue un coup de force, « la marche sur Rome » (marcia su Roma), afin de forcer le gouvernement à démissionner. Suite à cet événement, le roi Victor-Emmanuel III l’appelle pour former un nouveau gouvernement. Ainsi les fascistes accèdent au pouvoir pour la première fois en Europe, 11 ans avant l'élection d'Adolf Hitler au poste de Chancelier. Par la suite, les fascistes italiens vont exercer le pouvoir pendant environ deux décennies, de 1922 à 1943, et appliquer la doctrine fasciste. De cette expérience du pouvoir, va se créer le concept d’État fasciste. Se présentant comme une « 3ème voie », rejetant à la fois la démocratie libérale individualiste, issue de la révolution de 1789, et le marxisme-léninisme collectiviste, issu de la révolution russe de 1917, les fascistes vont construire l'idée d'un État omnipotent et tout-puissant.
Il est intéressant d’étudier l’État fasciste, qui représente une sorte de matrice des totalitarismes du XXe siècle, afin de mieux le distinguer des caractéristiques juridiques des régimes démocratiques. La présente dissertation tente ainsi de répondre à la question suivante : quelles sont les caractéristiques de l’État fasciste ?
Pour répondre à cette question nous verrons dans un premier temps en quoi l’État fasciste s’est construit en opposition à la démocratie libérale (I) pour dans un deuxième temps étudier les caractéristiques qui en font un régime totalitaire (II).
I - L'État national fasciste comme opposition à la démocratie libérale
La raison d’être première du fascisme est de réaliser l’unité de la nation et d’établir la toute-puissance de l’État (A). Cette unité n’est possible, pour les fascistes, qu’à la condition de rejeter les principes fondant la démocratie libérale (B).
A - La soumission de l'ensemble des composantes de la nation à l'unité étatique
Le maître mot de l’État fasciste est l’unité, qui se décline de plusieurs manières : morale, politique et économique (1). La puissance de l’État devient dès lors l’unité de mesure de la richesse d’une nation (2).
1 - Les trois unités du fascisme
Selon le professeur Sergio Pannunzio, l’élément essentiel du fascisme est son principe unificateur. La mission principale du régime est la réduction de la multitude populaire à l'unité étatique. Le fascisme s’oppose ainsi à l’individualisme et au libre arbitre, caractéristiques essentielles de la démocratie libérale, au profit de l’unité de la nation sous la direction d’un chef providentiel. La violence d’État contre les « ennemis intérieurs » est justifiée au nom de la préservation de cette unité.
L’unité étatique, dans la vision fasciste, peut se décomposer en trois unités distinctes. Tout d’abord l’unité morale : la nation est une substance immatérielle pour la doctrine fasciste, c'est dans la nation que chacun trouve ses raisons temporelles de vie. Ensuite l'unité politique : le fascisme rejette toute forme d'individualisme, et rejette aussi l'idéologie des droits de l'Homme. La nation est une formation volontaire et autoritaire qui se réalise grâce à l’État qui lui donne sa forme. Enfin l’unité économique : l’objectif de l’État fasciste est l'autosuffisance et l'autarcie intégrale. C'est le fruit de la conjugaison d'une prise de conscience morale de la nation (c'est-à-dire des acteurs privés) et de l'action volontariste du gouvernement.
2 - Une conception collective de la richesse de la nation
Pour les fascistes, la richesse est nationale et collective, elle ne se mesure qu'en fonction de la prospérité et de la puissance de l'Etat comme l'explique l'article 2 de la Charte du travail (Carta del lavoro) de 1927 : « Le travail sous toutes ses formes d'organisation ou d'exécution, intellectuel, technique, manuel est un devoir social. A ce titre, et seulement à ce titre, il est sous l'autorité de l'État. Le complexe de la production est unitaire du point de vue national ; et ses objectifs sont unitaires et se résument dans le bien-être des individus et le développement de la puissance nationale ».
Les fascistes transposent le concept marxiste de lutte des classes aux Etats. Ainsi, l’Italie est une nation prolétaire en opposition avec les nations capitalistes (France, États-Unis, Royaume-Uni). À l’intérieur de la nation l’unité étatique est supposée transcender les oppositions de classes sociales au travers du parti unique. Pour autant la politique économique de l’État fasciste s’écarte du communisme et de la collectivisation des moyens de production. Il s’agit d’une politique économique dirigiste, marquée par des nationalisations et un contrôle de l’État mais sans expropriations massives.
B - Le rejet de la démocratie libérale
Le rejet des principes fondateurs de la démocratie libérale s’exprime notamment par l’existence d’un parti unique dont le but est d’exalter la puissance de l’État et de son chef (1). De ce fait la notion même d’individualisme et de libre arbitre est rejetée par l’État fasciste (2).
1 - Un parti unique au service de l’État
L’État national est l'antithèse de l’État libéral qui est fondé sur une conception individualiste de l'Homme. L’État fasciste veut ordonner la société nationale et ne se réduit pas aux individus. À ce titre l’État embrigade de nombreux groupes sociaux dans des milices ou des organisations de jeunesse. Tout opposant s’expose à la violence car il représente une menace pour l’unité étatique. Le parti est chargé d’organiser une véritable « religion civile » au travers d’un culte du chef, de symboles, de propagande…
Mussolini affirme en 1933 que le « le XIXème siècle était le siècle du socialisme, du libéralisme, de la démocratie » alors que le XXème siècle sera un « siècle de l’autorité […] un siècle fasciste […] le siècle « collectif », et ainsi le siècle de l'État. ». Dans le fascisme mussolinien, l’État prime sur le parti, contrairement à l’Allemagne ou le parti et l’État collaborent et à l'URSS où l’État est subordonné au parti. C'est une particularité du fascisme italien qui illustre le fait que c'est l’État qui doit tout contrôler.
2 - Le refus de tout individualisme
Le fascisme s'oppose à toute conception individualiste issue de la doctrine révolutionnaire française de la souveraineté nationale qui consiste à abattre les corps intermédiaires entre l'individu et la nation. Les libertés individuelles, la démocratie parlementaire, le libéralisme politique ou les droits de l’Homme sont rejetés en bloc (tout comme le communisme).
Selon la doctrine de l’État fasciste, la nation est une unité propre et constante de vie morale et physique. La doctrine fasciste développe une véritable mystique de la nation. Ainsi la nation procède de la conscience active et durable d'une solidarité dans l'espace et dans le temps. De ce fait, il y a un lien entre les vivants, les morts et les générations à venir. La nation correspond donc à la lignée fondée sur le sang (et la race).
Cette conception de la nation se retrouve dans l'article 1er de la Charte du travail de 1927 : « La Nation italienne est un organisme ayant des buts, une vie et des moyens d'action supérieurs par leur force et leur durée à ceux des individus divisés ou des groupes qui la composent. C’est une unité morale politique et économique qui se réalise intégralement dans l'État fasciste. ». L’État fasciste impose ainsi à sa population la puissance de la solidarité organique avec la nation, qu'il construit, en lieu et place des liens de solidarité interindividuels. À terme l’État, dans cette conception, tend à se confondre avec la nation.
II - Un Etat totalitaire fondé sur le culte de la personnalité
L’État fasciste est une monocratie, dirigée par un seul homme et un parti unique (A). L’ensemble de ses caractéristiques en fait un régime totalitaire (B).
A - L'instauration d'une monocratie
La monocratie fasciste est marquée par l’absence de séparation des pouvoirs, qui sont centralisés à l’extrême (1) ainsi que par un véritable culte du chef (2).
1 - La centralisation du pouvoir
Au sein de l’État fasciste, la séparation des pouvoirs est proscrite, il ne doit pas y avoir de contre-pouvoirs. Ce qui est recherché est l'unicité du pouvoir. Rien n'arrête le pouvoir et le pouvoir se voit doté de l'intégralité des fonctions étatiques.
Dans cette statocratie les libertés individuelles n'ont pas leur place car l'individualisme est considéré comme le creuset de l'anarchie et de la désobéissance aux lois (entre 1924 et 1943 les lois dites fascistissimes ont abolies toutes les libertés individuelles). L’État fasciste élimine toute structure fédérative ou syndicale impliquant des libertés collectives. Le fait d'admettre en son sein l'existence de tels ordonnancements juridiques consisterait en un reniement pur et simple de la doctrine fasciste.
Cette mainmise de l’État sur les syndicats se constate à la lecture de l'article 3 de la Charte du travail : « L'organisation syndicale et professionnelle est libre. Mais seul le syndicat légalement reconnu et soumis au contrôle de l'État a le droit de représenter légalement toute la catégorie des employeurs et des travailleurs pour laquelle il est constitué (...) ».
2 - Le culte de la personnalité
L’État fasciste va plus loin que la simple centralité administrative. En effet, dans l’État fasciste les associations ou les syndicats sont transformés en organes étatiques dits « populaires », ou « corporatifs », dont le but est de maintenir et de perfectionner l’État. Ces institutions dites « populaires » obéissent à la même logique centralisatrice que les institutions gouvernementales car le Duce, le chef du gouvernement, est aussi président des corporations. Ainsi, l'incarnation personnelle parachève l'unité étatique.
Cette incarnation du pouvoir est complétée par un fort culte de la personnalité, ce qui n'est pas une spécificité du régime fasciste italien. Le chef du gouvernement dispose de pouvoirs concentrés, il gouverne seul ; délié du contrôle du Parlement, c'est un dictateur (même si subsistent pour la forme un roi, un sénat, des ministres et une chambre des députés).
B - Un État totalitaire
Le caractère totalitaire de l’État fasciste se matérialise notamment par un encadrement fort de la vie sociale, professionnelle comme privée (1) ains que par l’organisation de la répression de toute forme d’opposition ou de contestation (2).
1 - Une vie sociale encadrée
Selon la définition de Joseph-Thomas Delos, le totalitarisme traduit les prétentions de l’État à coïncider avec avec la société qu'il recouvre, jusqu'à s'identifier avec elle.
Dans l’État fasciste, tous les aspects de la vie publique et de la vie privée doivent être inclus dans l’État. Il y a une volonté de l’État de régir tous les aspects de la vie des citoyens, ce qui est une caractéristique commune à tous les régimes totalitaires, et qui est le fondement même de l'identification du concept de totalitarisme. Dans l’État fasciste disparaît toute vie autonome en dehors de l’État. Les relations entre les particuliers cessent d'être libres et extérieures à l’état.
L'État transcende la vie publique et englobe les diverses manifestations de l'activité sociale. Par exemple, l’État s'intéresse à la vie après le travail, (dopo lavoro) interdit certains spectacles, en conseille d'autres. Il devient le seul animateur de la vie sociale (colonies de vacances pour les enfants, voyages de noces pour les jeunes couples mariés, conseils vestimentaires par exemple en recommandant de porter des chapeaux de paille et d’allonger les robes…).
2 - Une répression politique organisée
Aucune opposition n'est tolérée, l’État totalitaire doit se glisser jusque dans la tête de ses citoyens pour en formater l'esprit par la propagande et la répression. L’État fasciste exalte l’obéissance et le respect du Duce. Toute voix discordante ou critique est désignée comme celle d’un traitre ou d’un ennemi intérieur susceptible de mettre à mal l’unité de la Nation. Comme Mussolini l’exprime en 1925 : « Tout dans l'État, rien hors de l'État, rien contre l'État ! ». Cette position justifie la violence d’État contre les opposants.
Pour ce faire, au début des années 1930, est créée l'OVRA, une police politique chargée de réprimer les opposants au régime. Ce caractère répressif est partagé par l'ensemble des autres États totalitaires (création de la Gestapo en Allemagne, procès de Moscou en URSS…). Le régime s’appuie également sur les Chemises noires, qui forment une sorte de milice paramilitaire depuis l’arrivée au pouvoir de Mussolini.
