La Commission européenne : l'incarnation de l'intérêt général de l'Union européenne ? (dissertation)

Introduction

L’article 17§1 du TUE (Traité sur l’Union européenne) éclaire sur le rôle de la Commission européenne en affirmant que cette dernière « promeut l'intérêt général de l’Union ».

La Commission européenne est une des institutions de l’Union au sens de l’article 13§1 du TUE (tout comme, par exemple, le Parlement européen, le Conseil ou le Conseil européen). La Commission européenne, à l’instar de la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne), la BCE (Banque centrale européenne) ou la Cour des comptes, est une institution supranationale. En droit de l’Union européenne (UE) une institution est dite supranationale dès lors qu’elle promeut l’intérêt général de l’Union (et non pas celui de chacun des États membres comme peut le faire, par exemple, le Conseil européen) et qu’elle bénéficie, afin de promouvoir cet intérêt général, d’une indépendance.

Historiquement la Commission européenne tire son origine de la Haute Autorité établie par le traité de Paris de 1951. Cette Haute Autorité avait déjà pour objectif de promouvoir « l’intérêt général de la Communauté » comme le précise l’article 9 du traité CECA (traité de Paris instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier). Dès 1951 on note ainsi l’idée d’une nécessaire contrepoids au Conseil, qui est une institution intergouvernementale représentant l’intérêt des États membres. Par la suite le traité de Rome de 1957 a institué la Commission, qui fusionnera avec la Haute Autorité en 1965. Par la suite la Commission européenne a été marquée par la personnalité de ses Présidents (Jean Monnet ou Jacques Delors par exemple) et a su jouer un rôle moteur dans la construction européenne.

Le présent sujet amène à s’interroger sur la place de la Commission européenne au sein de l’édifice institutionnel européen. Les pouvoirs et le fonctionnement de la Commission lui permettent-ils d’assurer le rôle de promotion de « l’intérêt général de l’Union » qui lui assigne l’article 17 du TUE ?

Il est à noter que le présent sujet aborde la Commission européenne sous l’angle de son fonctionnement en tant qu’institution indépendante de l’Union et non pas sous l’angle de la procédure législative européenne. Pour tenter de répondre à cette question nous verrons dans un premier temps que la Commission européenne est une institution juridiquement indépendante au sein de laquelle les États membres conservent en pratique une influence certaine, notamment au stade de la nomination de ses membres (I) avant de nous pencher sur la nature collégiale de la prise de décision au sein de cette institution (II).

I - La Commission européenne : une institution influencée par les États membre dans sa composition malgré son caractère supranational et indépendant

La Commission européenne est une institution supranationale de l’Union européenne. Les États membres conservent une importance prépondérante dans le choix de son Président et de ses membres (A). Pour autant la Commission européenne est une institution dont l’indépendance est explicitement affirmée par les traités européens (B). 

A - L'importance des États membres dans le choix des membres de la Commission européenne

Les États membres, réunis au sein du Conseil européen, ont choisi de conserver la règle d’un Commissaire européen par État membre malgré les élargissements successifs de l’Union (1). Le processus de nomination, d’abord du Président puis de l’ensemble des membres de la Commission, est ainsi marqué par l’influence des États membres (2).

1 - Une volonté étatique de maintenir la règle d’un Commissaire européen par État membre

Comme le précise l’article 17§3 du TUE les membres de la Commission européenne sont choisis pour un mandat de cinq ans « en raison de leur compétence générale et de leur engagement européen et parmi des personnalités offrant toutes garanties d’indépendance ». Il faut préciser que les membres de la Commission européenne ne sont pas chargés de représenter l’État membre dont ils sont originaires.

Initialement, à une époque où le nombre d’États membres était nettement inférieur à aujourd’hui, la Commission comptait au moins un, et au maximum deux, membres pour chaque État membre. Avec l’élargissement de l’UE cette règle a entrainé une augmentation du nombre de Commissaires européens, ce qui ne manque pas de poser des problèmes d’efficacité et de lourdeur dans la gouvernance. Le traité de Maastricht de 1992 n’a pas modifié les règles en la matière. Un protocole annexé au traité de Nice (2001) a finalement retenu la règle d’un seul commissaire par État membre. Un système de rotation géographique avait également été discuté à ce moment en prévision des élargissements futurs.

Ce système de rotation a trouvé une consécration avec l’article 17§5 du traité de Lisbonne (2008). Cet article dispose en effet qu’ « à partir du 1er novembre 2014, la Commission est composée d'un nombre de membres, y compris son président et le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, correspondant aux deux tiers du nombre d'États membres, à moins que le Conseil européen, statuant à l'unanimité, ne décide de modifier ce nombre ». Ce même article précise ensuite « les membres de la Commission sont choisis parmi les ressortissants des États membres selon un système de rotation strictement égale entre les États membres permettant de refléter l'éventail démo­graphique et géographique de l'ensemble des États membres ». Cette disposition avait pour but de diminuer le nombre de Commissaires européens tout en assurant une représentation satisfaisante de la diversité des États membres. Cette nouvelle forme d’organisation est cependant restée théorique puisque le Conseil européen a décidé en 2009 de s’en tenir au système d’un Commissaire par État membre, soit 27 actuellement.

2 - Le processus de désignation des membres de la Commission européenne

Pour ce qui concerne la désignation des Commissaires européens l’article 17§7 du TUE fixe les conditions en la matière. Cette désignation débute par celle du Président, qui se fait par le Conseil européen à la majorité qualifiée et « en tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consulta­tions appropriées ». Le choix du Président doit être ensuite entériné par un vote à la majorité du Parlement européen. Il revient alors au Conseil et au nouveau Président de la Commission d’établir la liste des Commissaires sur la base de suggestions faites par chacun des États membres. Le Parlement européen vote alors une nouvelle fois pour valider la Commission dans son ensemble. Le Commission est enfin définitivement nommée par un vote à la majorité qualifiée du Conseil européen.

Dans la pratique on observe que les États membres désignent des candidats que le Président répartit ensuite entre les différents postes de Commissaires. La nomination de la Commission nécessite ainsi un accord politique entre le Président et les États membres. Il s’agit en définitive d’un processus aussi bien juridique que politique et diplomatique. Pour autant cette importance des États membres au stade de la nomination n’est pas de nature à remettre en cause l’indépendance de la Commission, explicitement affirmée par les traités.

B - Une indépendance de la Commission européenne garantie juridiquement au nom de la préservation de l'intérêt général de l'Union

L’indépendance statuaire de la Commission européenne est explicitement précisée dans les traités européens, notamment les articles 17§3 du TUE et 245 du Traite sur le fonctionnement de l’UE - TFUE (1). Au nom de la préservation de cette indépendance les Commissaires européens sont soumis à une série d’obligations, le cas échant assorties de sanctions (2).

1 - Une indépendance consacrée par les traités européens

La Commission européenne est une institution supranationale statutairement indépendante. Cette caractéristique ressort notamment de l’article 17§3 du TUE selon lequel « La Commission exerce ses responsabilités en pleine indépendance. […] les membres de la Commission ne sollicitent ni n'acceptent d'instructions d'aucun gouvernement, institution, organe ou organisme ».

Cette indépendance est renforcée par les dispositions de l’article 245 TFUE qui précise, à propos des commissaires européens, « les États membres respectent leur indépendance et ne cherchent pas à les influencer dans l'exécution de leur tâche ».

La CJUE n’a jamais eu à se prononcer sur une violation par un État membre de l’indépendance de la Commission. Au contraire il est arrivé à plusieurs reprises que des Commissaires s’opposent à leur État d’origine. On peut penser à l’exemple de Pierre Moscovici qui a supervisé le respect par la France des règles de discipline budgétaire dans ses fonctions de Commissaire européen aux affaires économiques et monétaires alors même qu’il s’était montré critique envers ces mêmes règles quelques mois plus tôt en tant que ministre français de l’Économie.

L’indépendance de la Commission s’entend vis à vis des États membres mais aussi des autres institutions de l’Union et des acteurs privés. La Commission est de plus responsable devant le Parlement européen. Les Commissaires européens sont également soumis à une série d’obligations afin de garantir cette indépendance.

2 - Les obligations des Commissaires européens afin de garantir l’indépendance

Cet article fixe aussi certaines incompatibilités en affirmant que « les membres de la Commission ne peuvent, pendant la durée de leurs fonctions, exercer aucune autre activité professionnelle, rémunérée ou non ». De manière générale les commissaires sont soumis aux « obligations découlant de leur charge, notamment les devoirs d'honnêteté et de délicatesse ». Ces obligations sont valables y compris après la cessation des fonctions de commissaire. La CJUE a eu l’occasion de préciser à ce propos que les devoirs mentionnés dans l’article 245 TFUE ne sont que des exemples, les Commissaires doivent de manière générale observer « les normes les plus rigoureuses en matière de comportement » afin « d’agir en pleine indépendance et dans l’intérêt général de [l’Union] » (CJUE, 11 juillet 2006, Commission c. Cresson). Les Commissaires sont de plus soumis au secret professionnel et à un code de conduite depuis 1999. Au titre de ce code de conduite les commissaires doivent notamment remplir une déclaration d’intérêt. Ces déclarations sont transmises aux députés européens chargés d’auditionner les Commissaires avant leur nomination. Le code de conduite ne prévoit des contrôles après la cessation des fonctions que pour le Président de la Commission européenne. Ces contrôles, d’une durée de trois ans, ont pour objectif de vérifier le respect des principes d’indépendance d’honnêteté et de délicatesse. Les anciens Commissaires n’ont pas d’interdiction spécifique d’exercer certaines professions après leur mandat.

Des sanctions sont prévues par l’article 245 TFUE en cas de non-respect des obligations par un membre de la Commission européenne. Une démission d’office peut être prononcée par la CJUE suite à une requête du Conseil (statuant à la majorité simple) ou de la Commission elle-même. Une telle procédure est possible si le Commissaire ne remplit plus les conditions nécessaires à l’exercice de ces fonctions ou a commis une faute grave. La CJUE peut également, dans les mêmes conditions, prononcer une déchéance du droit à pension. Dans une décision de 2006 la CJUE a considéré que la Commissaire Édith Cresson avait bien manqué à ses obligations au titre de l’article 245 TFUE mais n’a pas prononcé de déchéance de son droit à pension (CJUE, 11 juillet 2006, Commission c. Cresson). Il s’agissait de la première Commissaire à faire l’objet d’une telle procédure.

Il faut distinguer la démission d’office prévue par l’article 245 TFUE de la démission volontaire d’un Commissaire. Cette démission peut-être spontanée mais aussi effectuée à la demande du Président de la Commission (article 17§6 TUE : « Un membre de la Commission présente sa démission si le président le lui demande »).

II - La Commission européenne : une institution collégiale fonctionnant essentiellement par le biais du consensus

La Commission européenne prend des décisions de manière collégiale et par consensus. Pour atteindre ce consensus le Président de la Commission a un rôle tout particulièrement important (A). De plus la Commission possède un règlement intérieur qui fixe certaines règles en matière de prise de décision, notamment pour ce qui concerne les possibilités de délégation (B).

A - Le rôle prépondérant du Président dans la prise de décision au sein de la Commission européenne

La particularité du rôle du Président ressort explicitement des traités européens, notamment des articles 248 du TFUE et 17§6 du TUE (1). Il en découle que le Président a un rôle important pour animer fixer les orientations et animer les débats au sein de la Commission afin de parvenir in fine à un consensus (2).

1 - Un rôle particulier du Président mentionné explicitement par les traités

La Commission est une institution de nature collégiale, ce qui implique que les décisions sont endossées par l’ensemble de ses membres. Néanmoins l’article 248 TFUE donne un rôle particulier à son Président puisque « les responsabilités incombant à la Commission sont structurées et réparties entre ses membres par le président ». L’article 17§6 TFUE vient préciser les pouvoirs du Président. Il est en effet chargé de définir « les orientations dans le cadre desquelles la Commission exerce sa mission », de décider de « l'organisation interne de la Commission afin d'assurer la cohérence, l'efficacité et la collégialité de son action » ainsi que de nommer « des vice-présidents, autres que le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, parmi les membres de la Commission ». En pratique, nous l’avons vu, les États désignent un Commissaire et le Président lui attribue un portefeuille. Le Président peut également décider de remanier la Commission au cours de son mandat.

2 - Une institution fonctionnant sur la base du consensus

Au titre des articles 248 TFUE et 17§6 TUE le Président a un rôle assez large et déterminant pour définir les orientations suivies par la Commission. Le rôle et l’importance politique de la Commission dépendent ainsi en partie de la personnalité de son Président. Il est d’ailleurs intéressant de noter à ce propos que l’on désigne une Commission du nom de son Président (par exemple on a pu parler de « Commission Delors » pour désigner la Commission présidée par Jacques Delors).

Le Président de la Commission prononce chaque un année depuis 2010 un discours sur l’État de l’Union devant le Parlement européen. Ce discours permet de tirer le bilan de l’année écoulée et de fixer les priorités à venir. Il s’agit d’un moment très important dans la vie politique de l’Union. Le rôle du Président est ainsi tout aussi administratif que politique.

Pour autant la Commission est dite collégiale car les décisions sont collectives. En principe la Commission statue à la majorité (article 250 TFUE) même si en pratique les décisions se prennent plutôt par consensus sans recourir à un vote formel. Le vote intervient plutôt pour trancher en cas de blocage. Le règlement intérieur de la Commission européenne apporte certaines précisions quant à la prise de décision, notamment en ce qui concerne les possibilités de délégations.

B - Un règlement intérieur permettant d'organiser la prise de décision au sein de la Commission

L’existence d’un règlement intérieur au sein de la Commission européenne est une obligation au titre de l’article 249 du TFUE afin de permettre d’expliciter son organisation interne (1). Ce règlement intérieur permet des délégations qui ont pour conséquence d’offrir une certaine indépendance aux Commissaires dans leurs prises de décisions (2).

1 - Un règlement intérieur prévu explicitement par les traités pour régir l’organisation interne de la Commission

La Commission possède un règlement intérieur qui régit son organisation et son fonctionnement (article 249 TFUE). Ce règlement intérieur organise la Commission en directions générales, elles-mêmes subdivisées en directions puis en unités. Un Commissaire européen est chargé de superviser une ou plusieurs directions générales qui correspondent à ses attributions. Le périmètre des directions générales a évolué à plusieurs reprises dans l’histoire de la Commission. Outre les directions générales la Commission comporte des services comme l’OLAF (l’Office européen de lutte antifraude), le service juridique ou les archives. Il est aussi arrivé que les États membres désignent une personne avec rang de directeur général pour une mission particulière (ce fut par exemple le cas de Michel Barnier lors de sa désignation en 2016 comme négociateur en chef avec le Royaume-Uni dans le cadre du Brexit).

2 - Une relative indépendance des Commissaires dans la prise de décision du fait de la possibilité de délégations

Pour favoriser l’efficacité du fonctionnement de la Commission, et malgré le principe de collégialité, le règlement intérieur prévoit une possibilité de délégation qui permet à un Commissaire de prendre seul, sous certaines conditions, des décisions dans des domaines fixés à l’avance. Il doit s’agir de mesures d’administration ou de gestion dans un domaine précis et fixé par le cadre de la délégation. Une subdélégation par le Commissaire à un directeur général ou autre chef de service est possible. La CJUE peut contrôler les décisions prises dans le cadre d’une délégation afin de vérifier que les mesures prises correspondent au périmètre autorisé. Il faut noter que la délégation est accordée à une fonction et non pas à une personne ce qui implique qu’elle reste valable même quand le titulaire de la fonction change.