Introduction

Les valeurs humanistes du continent européen ont été particulièrement mises à mal par la Seconde Guerre mondiale. De la même façon durant cette période, l’humanité, le professionnalisme et l’impartialité de la justice – d’une manière plus large, les droits des justiciables – a pu être remise en cause dans de nombreux pays européens tels que la France.

Pour tirer les leçons du passé, plusieurs États européens ont souhaité renforcer leurs liens et coopérations avec pour objectif premier d’assurer un dialogue de paix entre les nations du vieux continent, mais aussi assurer le respect des droits les plus fondamentaux des êtres humains. Depuis le Traité de Londres (5 mai 1949), puis l’adoption de la Convention – enrichie régulièrement de protocoles sur différents sujets – les États européens ont fini par se doter d’une juridiction : la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), située à Strasbourg.

L’une des missions de la Cour et l’un des droits fondamentaux de la Convention est le respect du droit au procès équitable et au recours effectif. Le très complet – et plutôt long – article 6 de la Convention prévoit ainsi que :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

  1. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
  2. Tout accusé a droit notamment à :
  3. a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
  4. b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
  5. c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
  6. d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
  7. e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

Les dispositions de l’article 6 sont à la fois vastes et complexes, ce qui ne manque pas d’interroger les juristes et spécialistes des droits de l’Homme sur leur étendue. Elles renvoient en réalité plus précisément au droit et à l’accès à un tribunal (I), avant d’apporter certaines garanties procédurales nécessaires au droit à un procès équitable et au recours effectif (II).

I - La garantie du droit d'accès à un tribunal

Les dispositions de l’article 6, en son premier alinéa, consacrent le droit d’accès à un tribunal, avec des obligations pour les États membres (A), mais aussi des limitations – qui peuvent d’ailleurs être plus ou moins positives – à ce droit qui sont reconnues par la CEDH (B).

A - Le droit d'accès à un tribunal : des obligations variées pour les États

Avant toute chose, il doit être donné une définition du droit d’accès à un tribunal, ce qu’entend faire la CEDH dans sa jurisprudence (1), avant d’en détailler les obligations positives et négatives qui en découlent (2).

1 - Une définition du « droit d’accès à un tribunal »

L’arrêt Golder c./ Royaume-Uni apparait fondamental en ce qu’il apporte une définition claire et précise du droit d’accès à un tribunal dans le cadre de l’article 6 de la Convention. Pour la CEDH, l’accès au tribunal apparait comme un droit inhérent à différentes garanties plus ou moins procédurales consacrées par les dispositions de l’article 6 (CEDH, 21 février 1975, Aff. Golder c./ Royaume-Uni, n° 4451/70). Il apparait clairement, dans la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, que ce droit s’entend comme la possibilité de déposer devant un tribunal impartial et indépendant, un recours tant en matière civile, que dans le domaine du droit pénal. Dans l’affaire Naït-Liman c./ Suisse, les juges précisent que « le droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, doit s’interpréter à la lumière du principe de la prééminence du droit, qui exige l’existence d’une voie judiciaire effective permettant de revendiquer les droits civils. Chaque justiciable a droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. C’est ainsi que l’article 6 § 1 de la Convention consacre le droit à un tribunal, dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir un tribunal en matière civile, constitue un aspect particulier » (CEDH, 15 mars 2018, Aff. Naït-Liman c./ Suisse, n° 51357/07). En réalité, il en va de même lorsque le justiciable est victime d’une infraction pénale, mais aussi plus indirectement lorsqu’il est accusé d’une telle infraction. Chacun bénéficiera alors des mêmes garanties procédures que nous mentionnerons par la suite.

2 - Des obligations positives et négatives

Il découle assez clairement de ce droit d’accès à un tribunal civil ou pénal, mais aussi d’ailleurs aujourd’hui à une juridiction administrative, des obligations positives et négatives pour les États signataires. Il convient notamment et en premier lieu que des voies de recours suffisantes (la Cour parle d’un droit « concret et effectif ») existent et soient facilement accessibles aux justiciables (CEDH, 15 mars 2018, Aff. Naït-Liman c./ Suisse, n° 51357/07 ; V. Également : CEDH, 1995, Aff. Bellet c./ France).

De cette manière, la Cour intime également aux autorités nationales d’agir pour que le justiciable ait connaissance au plus tôt de la procédure le concernant en vue de pouvoir comparaitre ou se défendre (CEDH, 24 avril 2017, Aff. Schmidt c./ Lettonie, n° 22493/05). De la même façon, il leurs incombe de donner à l’ensemble des justiciables – accusés ou victimes – la lecture de leurs droits en la matière. De la même manière, un fonctionnaire sanctionné par l’administration ou un restaurateur frappé d’une sanction administrative lors d’un contrôle sanitaire doit pouvoir avoir accès à un tribunal – même « administratif » – qui examinera la proportionnalité et la légalité de l’acte contesté (CEDH, 27 décembre 2011, Aff. Menarini Diagnostics c./ Italie, n° 43509/08). L’État doit également faciliter l’accès lorsque celui-ci a un certain coût : c’est le mécanisme de l’aide juridictionnelle qui existe, notamment en France, pour les justiciables les plus pauvres.

B - Un droit d'accès au tribunal limité par des justifications légitimes

Quoi qu’il en soit, il apparait très clair que le droit d’accès à un tribunal consacré par la CEDH n’est pas absolu et peut être limité. Il en va ainsi de toute une série de limitations tout à fait légitimes (1), mais aussi d’une limitation plus « positive » : l’existence d’une immunité pour certains justiciables (2).

1 - Des limitations tout à fait légitimes

Il apparait très clairement que, tant en matière pénale qu’en matière civile, le droit d’accès à un tribunal ne saurait être absolu et illimité (par exemple : CEDH, 3 déc. 2009, Aff. Kart c./ Turquie, n° 8917/05 ; CEDH, 21 février 1975, Aff. Golder c./ Royaume-Uni, n° 4451/70). D’une manière générale, il apparait que les limitations dans ce domaine doivent tendre à la réalisation d’un but légitime et il doit exister un rapport raisonnable et proportionné entre les moyens employés et l’objectif à atteindre.

Tout d’abord, ce droit peut être encadré par des règles de compétentes contentieuses, c’est-à-dire qu’un tribunal saisi peut tout à fait se déclarer incompétent compte-tenu de la nature même de l’affaire (CEDH, 22 novembre 2021, Aff. Ali Riza c./ Suisse, n° 74989/11). De la même manière, dès lors qu’il n’est pas porté atteinte à la substance même du droit d’accès à un tribunal, il apparait légitime pour le bon fonctionnement de la justice que les recours soient soumis à des délais contentieux ou puissent être sanctionnés lorsqu’ils sont manifestement abusifs (CEDH, 14 décembre 2006, Aff. Marcovicz et autres c./ Italie, n° 1398/03). De même, il peut être accepté certaines restrictions dans l’accès au contrôle juridictionnel lorsqu’une certaine autonomie est donnée aux ordres professionnels pour gérer des questions internes ou encore lorsqu’un mécanisme de conciliation est privilégié dans un premier temps.

2 - Une limitation positive : l’immunité

Une autre limitation, d’une substance tout à fait différente, consiste aux garanties offertes par l’immunité, notamment parlementaire ou diplomatique. En effet, cette immunité permet à ceux qui en sont titulaires de ne pas être accusés par un tribunal ni jugés responsables. De la sorte, cette immunité permet de déroger au droit commun et atteint de façon plus indirecte le droit d’accéder à un tribunal. La CEDH la considère en tout cas comme une telle limitation justifiée, sous certaines conditions. Cette immunité ne doit pas empêcher toute mise en cause, mais elle vise à éviter les intentions de nuire à l’activité politique d’un député ou à sa liberté de parole. Pour les juges de Strasbourg, « des poursuites pénales engagées contre un député, de même que les mesures coercitives dont elles peuvent être assorties, peuvent affecter le fonctionnement même de l’assemblée à laquelle l’intéressé appartient et perturber la sérénité des travaux parlementaires. Elle reconnaît en ce sens la finalité institutionnelle de cette prérogative qui vise à garantir le fonctionnement normal et l’intégrité de l’institution parlementaire » (CEDH, 3 déc. 2009, Aff. Kart c./ Turquie, n° 8917/05). Mais cela n’empêche pas, dans cette même affaire, la Cour de préciser qu’elle « doit vérifier si l’inviolabilité parlementaire, telle que mise en œuvre par les instances parlementaires, ne restreint pas le droit du requérant découlant de l’article 6 de la Convention d’une manière ou à un point tel qu’il s’en trouve atteint dans sa substance même. Ce contrôle de proportionnalité implique la prise en compte du juste équilibre à ménager entre l’intérêt général que constitue la préservation de l’intégrité du Parlement et l’intérêt individuel du requérant ».

II - L'apport de garanties procédurales indispensables

L’article 6 apporte un certain nombre de garanties procédurales indispensables, notamment relatives à l’équité de la justice (A), mais aussi à sa rapidité et à sa transparence (B).

A - Des garanties relatives à l'équité de la justice

Parmi ces garanties, les principes généraux liés à la question de l’équité (1) et la nécessaire motivation des décisions de justice (2) apparaissent particulièrement importants.

1 - Le droit au procès équitable : principes généraux

Les principes généraux du droit au procès équitables sont finalement assez nombreux et recouvrent plusieurs éléments. L’égalité des « armes » et l’existence d’une procédure réellement contradictoire apparaissent au premier chef de cette notion d’équité. En effet, un accusé ne doit pas être placé dans une situation désavantageuse par rapport à son adversaire (accusation ou/et victime ; CEDH, 18 mars 1997, Aff. Foucher c./ France, n° 222209/93). L’ensemble des parties doivent ainsi pouvoir accéder aux preuves et observations produites à destination du tribunal (CEDH, 28 août 1991, Aff. Brandstetter c./ Autriche, n° 11170/84 et a.). Cette question d’équité inclut également le droit de garder le silence tout au long de la procédure et de ne pas s’incriminer (CEDH, 8 février 1996, Aff. Murray c./ Royaume-Uni, n° 18731/91), mais aussi les droits de la défense.

Le §2 de l’article 6 précise notamment les contours de la présomption d’innocence. De son côté, le §3 du même article revient plus particulièrement sur les nombreuses implications liées aux droits de la défense. Il s’agit notamment du droit à l’information dans sa langue sur la nature de l’accusation (CEDH, 19 décembre 1989, Aff. Brozicek c./ Italie, n° 10964/84) ou encore de l’accès à un avocat et du droit à se défendre soi-même dans certaines circonstances (CEDH, 15 novembre 2007, Aff. Galstyan c./ Arménie, n° 26986/03).

2 - La question de la motivation des décisions de justice

Il est clair que toute décision de justice – et même certaines sanctions ou décisions administratives – doit être justifiée et motivée. La CEDH en fait une des garanties les plus importantes de l’article 6 de la Convention. Pour la Cour, « la motivation a notamment pour finalité de démontrer aux parties qu’elles ont été entendues et, ainsi, de contribuer à une meilleure acceptation de la décision » (CEDH, 10 mai 2012, Aff. Magnin c./ France, n° 26219/08 ; CEDH, 2001, Aff. Papon c./ France). La motivation doit notamment permettre et indiquer les voies d’appel susceptibles d’être utilisées par les justiciables (CEDH, 27 septembre 2001, Aff. Hirvissaari c./ Finlande, n° 49684/99). Il apparait clairement que cette motivation est adaptée in concreto et n’oblige pas à apporter une réponse à l’ensemble des arguments des requérants. La Cour de Strasbourg précise notamment que les juridictions d’appels doivent motiver leur refus d’admettre un recours. Aussi, elle rappelle par exemple qu’une cour constitutionnelle qui opère un revirement de sa jurisprudence en exprimant un simple désaccord, mais en n’en donnant pas les motivations juridiques, n’a pas suffisamment motivé sa décision (CEDH, 15 mars 2022, Aff. Grzeda c./ Pologne, n° 43572/18).

La question de la motivation évoquée pour les magistrats professionnels ne manque pas de poser question pour les jurys populaires qui peuvent exister dans un certain nombre d'États membres. Si généralement, la Cour constate que chaque juré n’a pas à motiver sa conviction, l’article 6 permet d’écarter tout risque d’arbitraire. À ce titre, la CEDH pourra être attentive aux éclaircissements ou instructions données à des jurés par un président de Cour d’assises qui peuvent permettre de motiver leur décision (CEDH, 30 mars 1992, Aff. R. c./ Belgique, n° 15957/90).

B - Des garanties relatives à la rapidité et à la transparence de la justice

Parmi ces garanties, la question de la durée d’un procès (1), mais aussi celle de sa publicité (2) apparaît particulièrement importante pour la CEDH.

1 - La question de la durée d’un procès

L’article 6 de la Convention aborde effectivement la question indispensable du « délai raisonnable » dans lequel la justice doit être rendue. Les États signataires doivent donc veiller à une bonne organisation de leurs tribunaux afin que des retards ne permettent pas de remettre en cause l’efficacité et la crédibilité du système juridique (CEDH, 29 mars 2006, Aff. Scordino c./ Italie, n° 36813/97 ; CEDH, 24 octobre 1989, Aff. H. c./ France, n° 10073/82). Généralement, la Cour de Strasbourg prend en compte la première saisine d’une juridiction compétente comme point de départ (CEDH, 29 mars 1989, Aff. Bock c./ Allemagne, n° 11118/84).

Pour apprécier le délai raisonnable dans lequel une procédure de justice s’achève, les juges de la CEDH vont prend en compte plusieurs éléments, notamment : « la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour l'intéressé » (CEDH, 27 juin 2000, Aff. Frydlender c./ France, n° 30979/96). Il est apparu récemment que le contexte de l’épidémie de Covid-19 ne remettait pas en cause la possibilité d’engager la responsabilité d’un État membre qui ne respectait pas cette obligation de « délai raisonnable » (CEDH, 20 juin 2022, Aff. Q. et R. c./ Slovénie, n° 19938/20).

2 - La question de la publicité d’un procès

L’article 6 de la Convention octroie à tout justiciable le droit à une audience publique en ce qu’il permet un véritable contrôle du public et évite les errements d’une justice « secrète » (CEDH, 2 septembre 2022, Aff. Straume c./ Lettonie, n° 59402/14). Pour autant, il est possible à de rares occasions de déroger à cette publicité des audiences, mais cela n’est possible que dans des conditions très exceptionnelles : « quand une audience n’est pas rendue nécessaire par l’existence de questions de crédibilité ou de faits contestés, et que les tribunaux peuvent équitablement et raisonnablement trancher l’affaire sur la base du dossier ; quand les affaires soulèvent des questions purement juridiques et de portée restreinte ou des questions de droit sans complexité particulière ; quand les affaires portent sur des questions hautement techniques. (…) En revanche, la Cour a jugé que la tenue d’une audience est nécessaire : lorsqu’il faut apprécier si les faits ont été correctement établis par les autorités ; lorsque les circonstances commandent que le tribunal se fasse sa propre impression du justiciable et donne à celui-ci a la possibilité d’expliquer sa situation personnelle, en personne ou par l’intermédiaire de son représentant ; lorsque le tribunal doit obtenir, notamment par ce moyen, des précisions sur certains points » (CEDH, 6 novembre 2018, Aff. Ramos Nunes de Carvalho c./ Portugal, n° 55391/13 et s. ; V. Également : CEDH, 7 juillet 2014, Aff. Grande Stevens c./ Italie, n° 18640/10).

De la même façon, les juges de Strasbourg ont pu préciser que l’absence d’audience orale et publique devait être exceptionnelle en matière de procédures disciplinaires, dès lors que les conséquences sur la vie et la carrière des intéressés peuvent être importantes (CEDH, 6 novembre 2018, Aff. Ramos Nunes de Carvalho c./ Portugal, n° 55391/13 et s). Il en va de même pour le droit d’un détenu à comparaitre devant le tribunal qui doit se prononcer sur son sort dans l’affaire pour laquelle il est en détention ou pour une autre affaire (CEDH, 23 novembre 2006, Aff. Jussila c./ Finlande, n° 73053/01).