Introduction

Avec les dotations de l’Etat et la fiscalité locale, l’emprunt constitue l’une des ressources des collectivités locales. A la fin de l’année 2020, l’encours de la dette locale s’élevait à 230 milliards d’euros, soit 10 % du PIB et 8,7 % de la dette publique totale. Ce n’est que depuis la loi du 2 mars 1982 que les collectivités disposent, en la matière, d’une liberté totale.

Avant cette loi, en effet, la capacité d’emprunter des collectivités locales était étroitement dépendante des décisions de l’Etat. Pour emprunter auprès d’un organisme privé, notamment, elles devaient obtenir l’autorisation du préfet.

Depuis cette loi, l’ensemble des contraintes antérieures ont été levées. Les collectivités choisissent, dorénavant, librement, le montant, le taux et la personne à laquelle elles s’adressent pour se financer. Cette ouverture du marché financier local a, rapidement, provoqué l’émergence d’une multitude d’organismes prêteurs et la diversification des produits financiers proposés aux collectivités.

Il convient donc d’étudier, dans une première partie, la règlementation avant 1982 (I) et d’analyser, dans une seconde partie, la règlementation après 1982 (II).

I - La réglementation avant 1982 : une capacité d'emprunt strictement encadrée

Jusqu’à la loi du 2 mars 1982, les collectivités locales étaient soumises à un ensemble d’obligations lorsqu’elles souhaitaient recourir à l’emprunt. D’une part, elles devaient obtenir du préfet son autorisation pour emprunter auprès d’organismes privés ou lorsque le taux d’intérêt ou la durée d’amortissement étaient supérieurs à des limites fixées par arrêté publié chaque mois au Journal officiel. D’autre part, elles devaient affecter le produit de l'emprunt aux investissements précis pour lesquels la demande avait été faite. Et, si elles pouvaient bénéficier de prêts à taux privilégiés auprès d’institutions financières publiques, elles devaient, pour ce faire, obtenir de l’Etat une subvention, ce qui les rendait très dépendantes des décisions de ce dernier.

Tel qu’il fonctionnait, ce système ne laissait guère d’initiative aux collectivités locales. Tout au contraire, il les plaçait dans un état de dépendance vis-à-vis de l’Etat qui pouvait, via ce levier, intervenir économiquement et financièrement sur les politiques locales et orienter, ainsi, leurs actions.

Ce système devait s’avérer inefficace dans les faits. Ainsi, le dispositif d’octroi de subventions pour être éligibles aux prêts à taux privilégiés eut pour conséquence qu’au lieu d'accorder des subventions globales aux collectivités, l'Etat orientait sa politique en fonction des prêts demandés, ce qui conduisait à un émiettement des subventions.

Les premiers signes d’une libéralisation apparurent en 1976 avec la mise sur pied de prêts globalisés accordés par le groupe Caisse des dépôts et consignations à certaines communes de plus de 10 000 habitants. Ce principe de globalisation des prêts fut, ensuite, généralisé, en 1979, à l’ensemble communes de plus de 10 000 habitants. Il fallut, cependant, attendre 1982 pour que soit libéralisé le droit d’emprunter des collectivités locales.

II - La réglementation après 1982 : une liberté d'emprunt reconnue

La loi du 2 mars 1982 a libéralisé la capacité d’emprunter des collectivités locales (A), provoquant l’émergence d’un nouveau marché financier local (B).

A – La libéralisation de l'emprunt des collectivités locales

Cette libéralisation repose sur certains principes (1) et fait l’objet de mesures d’encadrement (2).

1 – Les principes

La loi du 2 mars 1982 vient consacrer la liberté d'emprunter des collectivités locales en supprimant l’ensemble des obligations antérieures. Il n’existe, ainsi, désormais, plus de régime d’approbation préalable, ni de contrôle a priori. Les collectivités choisissent, librement, le montant, le taux et l’organisme prêteur.

La décision de contracter un emprunt est prise par l'assemblée délibérante de la collectivité (même si elle peut déléguer ce pouvoir à l'exécutif local). Cette décision est exécutoire de plein droit dès publication et transmission au représentant de l’Etat.

Demeure, toutefois, le contrôle a posteriori du préfet, mais celui-ci ne peut s'opposer aux emprunts dont les conditions lui paraissent défavorables aux intérêts de la collectivité si aucune illégalité n'est relevée.

2 – L’encadrement

La liberté, ainsi, reconnue aux collectivités locales fait l’objet de mesures d’encadrement.

D’une part, les collectivités locales ne peuvent se prêter entre elles. Toutefois, le département peut prêter à une commune se trouvant sur son territoire s’il s’agit de financer un équipement présentant un intérêt départemental ou intercommunal. Il en est de même pour la région en cas d’existence d’un intérêt régional.

D’autre part, la possibilité d’emprunter ne peut concerner que la couverture des dépenses d’équipement. En aucun cas, l'emprunt ne peut venir financer les dépenses de la section de fonctionnement.

Par ailleurs, le remboursement du capital emprunté doit se faire conformément à la règle de l'équilibre propre de la section d'investissement, ce qui interdit de rembourser l'emprunt par l'emprunt et impose de couvrir le remboursement du capital par des ressources propres de la section d’investissement. En cas de non-respect de cette règle, le préfet saisit la Chambre régionale des comptes (CRC) pour qu'elle propose des mesures à mêmes de rétablir cet équilibre.

Enfin, le service de la dette constitue une dépense obligatoire, qu'il s'agisse du remboursement du capital ou des intérêts. Le préfet et le prêteur sont en droit de saisir la CRC afin de mettre en œuvre les procédures d'inscription et de mandatement d'office et obtenir, ainsi, le paiement des annuités en cas de défaillance de la collectivité.

B – Le nouveau marché financier local

Cette nouvelle liberté d’emprunter a offert aux collectivités locales l’accès au marché financier. Celles-ci se sont vu proposer de multiples possibilités tant en ce qui concerne les prêteurs (1) que les produits proposés (2). Il leurs a fallu utiliser des pratiques de gestion nouvelles et apprendre à gérer les risques et maîtriser des mécanismes complexes. Or, toutes les collectivités ne sont pas suffisamment armées, en termes de ressources et de compétences techniques, pour faire face à de telles contraintes. De plus, leur inscription au sein d’un marché financier globalisé les rend dépendantes des incertitudes qui accompagnent celui-ci.

1 - Les prêteurs

Les organismes prêteurs aux collectivités locales sont divers et variés. Ils ont évolué au cours du temps. Plusieurs d’entre eux peuvent être évoqués.

Historiquement, c’est la Caisse des dépôts et consignations (CDC) qui a été le prêteur originel des collectivités locales. Ce rôle a été affirmé en 1837 lorsque les caisses d’épargne ont été dans l’obligation de déposer leurs fonds dans ses caisses. A partir de 1960, la CDC et les Caisses d’épargne ont institué certaines procédures tendant à la simplification de l’octroi des prêts. Et, en 1966, en raison d’un accroissement de la demande de prêts, les deux institutions ont créé la Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales qui deviendra, en 1987, le Crédit local de France. De nos jours, la CDC occupe une place essentielle dans le dispositif mis en place pour répondre au besoin de financement des petites collectivités et pour des opérations concernant la réhabilitation thermique, l’assainissement ou les réseaux d’eau. Cette politique s’appuie, depuis 2018, sur la Banque des territoires qui regroupe un ensemble de service de la CDC.

Les Caisses d’épargne jouent, également, un rôle non négligeable sur ce marché. Elles peuvent, en effet, accorder elles-mêmes des prêts aux collectivités depuis 1950. Et, une loi de 1983 a réformé leur organisation en mettant en place un réseau composé d’un nombre réduit de Caisses d’épargne fonctionnant comme de véritables banques.

Deux grandes banques sont, également, des prêteurs traditionnels des collectivités locales. La première est le Crédit agricole qui intervient sur le secteur local depuis 1923, plus particulièrement en milieu rural bien que ces dernières années cette banque se soit, également, implantée en milieu urbain. La seconde est le Crédit mutuel qui a orienté une partie de son action vers le prêt aux collectivités locales à partir de 1976 : en effet, en contrepartie de la création des « Livrets bleus » (équivalents des Livret A), cette institution a été tenue d’affecter 65 % des sommes ainsi collectées à des prêts aux collectivités.

Deux grands organismes ont, aussi, récemment, été créés. Devant le manque de liquidités qui menaçait les collectivités locales à la suite de la crise des subprimes de 2008, il a été décidé, par le Gouvernement, la création d’un pôle public de financement des territoires qui associe la Banque postale et la Caisse des dépôts et consignations. Ce pôle est composé de plusieurs institutions chargées de trouver les financements nécessaires aux collectivités. Par ailleurs, sous l’impulsion d’élus locaux, a été créée en 2013 l’Agence France locale chargée d’emprunter sur les marchés obligataires et de prêter, ensuite, aux collectivités locales.

A côté de l’ensemble de ces institutions, les banques traditionnelles jouent, également, un rôle en la matière. Elles se sont fortement intéressées au marché financier local à compter de 1982, considérant que les collectivités locales étaient des clients extrêmement fiables. Mais, avec la mise en évidence du risque que peuvent, parfois, représenter ces collectivités et des contraintes financières qui sont associées à ce marché, les banques ont adopté une attitude plus réservée.

2 – Les produits

Au départ, les prêts accordés aux collectivités locales étaient des prêts à taux fixes et à annuités constantes. Il s’agissait, là, d’un procédé simple et facile à mettre en œuvre. Mais, ce système devait se révéler inadapté au milieu des années 1980 lorsque les taux d’intérêt et l’inflation diminuèrent fortement. Cette situation obéra très lourdement les budgets des collectivités locales qui entamèrent un virage vers une approche plus technicienne, plus gestionnaire de l’emprunt.

Ont, alors, été proposés aux collectivités des produits plus sophistiqués : par exemple, des prêts à taux révisables (le taux est préfixé) ou variables (le taux est postfixé) prévoyant une indexation sur le marché obligataire ou monétaire. Ainsi, les collectivités locales disposent, à présent, d’une gamme de produits financiers aussi variés que peuvent l’être les imaginations des prêteurs. Toutefois, ce système oblige les collectivités à gérer activement leur dette pour en retirer un plein bénéfice et éviter les risques, parfois importants, qui peuvent en résulter. Or, si les grandes collectivités disposent d’une expertise financière leurs permettant de se prémunir contre ces risques, tel n’est pas le cas des collectivités les plus modestes.