Introduction
L’histoire des finances publiques françaises est, consubstantiellement, liée à celle de l’Etat. Les premières permettent, en effet, au second de se développer quand le second influe sur le poids des premières. Ce constat peut être fait à chacune des étapes ayant ponctué cette histoire.
Les finances publiques apparaissent, ainsi, lorsque l’évolution des sociétés humaines est telle qu’elle permet d’opérer des prélèvements obligatoires, autrement dit des impôts, pour entretenir une forme rudimentaire d’organisation politique (I). Ce processus, limité au départ, se développe et se sophistique tout au long des premiers siècles des civilisations humaines.
En France, il faut attendre le Moyen-âge pour que les finances publiques connaissent un nouvel essor (II). C’est, en effet, à partir de ce moment que l’Etat moderne apparaît. Son développement, notamment sur le plan militaire, suppose de lever de nouveaux impôts. Afin d’y parvenir, le principe du consentement à l’impôt est, provisoirement, appliqué. Mais, les nombreux conflits militaires vont provoquer une succession de crises financières. Ce sera, là, l’une des causes de la Révolution de 1789.
La fin du XVIII° siècle et le début du XIX° siècle sont marqués par la volonté, tant des révolutionnaires que de Napoléon, de réformer les finances publiques (III). Mais, ces efforts se révèlent sans réels effets sur la situation des comptes de la France. S’impose, alors, une nouvelle conception des finances publiques. D’obédience libérale, elle promeut la limitation des interventions de l’Etat afin de ne pas brider la liberté individuelle et de ne pas entraver le fonctionnement de l’économie (IV).
Cette politique prend fin avec la Première Guerre mondiale du fait des dépenses d’armement et des nécessités de la reconstruction. La crise des années 1930 va imposer des efforts pour soutenir les secteurs économiques en difficulté et prendre en charge les problèmes sociaux. Après la Seconde Guerre mondiale, outre les efforts de reconstruction, ce sont les grands projets industriels et le développement de la couverture sociale qui constituent les nouveaux chantiers de l’Etat. Des évolutions qui traduisent une mutation du rôle de ce dernier : de l’Etat-Gendarme, l’on passe, ainsi, à un Etat interventionniste, puis providence (V).
Enfin, la crise économique, amorcée au cours des années 1970, marque le début d’une nouvelle ère (VI). En effet, la récurrence des déficits publics et la mise en place, en Europe, d’une monnaie unique vont provoquer, à partir des années 1990, l’instauration d’un encadrement européen des finances publiques françaises et une refonte du cadre budgétaire national.
I - A l'origine des finances publiques : l'apparition de l'impôt
Il ne peut y avoir de finances publiques que dès lors qu’existent des mécanismes de prélèvements obligatoires destinés à entretenir une administration publique. L’origine des finances publiques remonte, ainsi, aux premières formes d’organisation humaine où des impôts sont, progressivement, instaurés pour financer des activités publiques, principalement d’ordre militaire au départ. L’apparition de ces derniers repose sur des facteurs d’ordre tant économiques et politiques (A) que religieux (B).
A - Les facteurs économiques et politiques
L’apparition de l’impôt est fondamentalement liée au stade de développement des sociétés humaines. C’est, en effet, à partir du moment où celles-ci sont parvenues, par le développement de l’agriculture, à produire plus que leurs besoins qu’une forme de prélèvement a pu être possible.
Prenant, à l’origine, la forme de pillages désordonnés, ces prélèvements vont progressivement revêtir le caractère de tributs destinés à entretenir l’organisation politique institutionnalisée. Cette transition est rendue possible par l’évolution des sociétés humaines qui, progressivement, se sédentarisent, apprennent à gérer les surplus de production et élaborent des mécanismes de relations sociales de plus en plus complexes. L’impôt apparait, alors, comme intimement lié à l’apparition de l’Etat. Ces deux phénomènes se nourrissent, d’ailleurs, mutuellement : l’Etat marque la domination nécessaire à la réalisation du prélèvement, mais, en retour, l’impôt consolide les rapports de domination par le développement d’une armée et d’une administration qu’il permet.
B - Les facteurs religieux
L’impôt, que l’on appelle, d’ailleurs, aussi sacrifice fiscal, peut, également, être appréhendé comme un phénomène religieux. Celui-ci serait la continuité du rituel sacrificiel qui anime l’espèce humaine depuis la nuit des temps. Selon certaines théories, en effet, l’homme se considèrerait comme éternellement débiteur des dieux. Il n’aurait, alors, de cesse que de se livrer à de tels sacrifices pour tenter de renouer avec la communauté invisible, celle des dieux, et reconstituer la communauté originelle. L’impôt remplirait, là, une fonction d’intégration au sein d’un ordre universel transcendant toute forme d’organisation sociale.
Plus tard, l’apparition de l’Etat, c’est-à-dire d’une entité détenant le pouvoir sur la société, aurait conduit à laïciser, en quelque sorte, le sacrifice religieux : à la césure hommes / dieux aurait succédé la coupure hommes / Etat, et le sentiment de dette aurait été transféré des dieux à l’Etat.
II - Du Moyen-âge à 1789 : des finances publiques qui accompagnent la naissance de l'Etat moderne
La période qui va du Moyen-âge à la Révolution de 1789 voit l’apparition de l’Etat moderne. Son développement suppose de trouver de nouvelles recettes. Face à l’hostilité des contributeurs, le Roi sera contraint de soumettre à l’approbation d’assemblées de telles levées : émerge, ainsi, mais de manière temporaire, le principe du consentement à l’impôt apparu en Grande-Bretagne (A). Cette période est, aussi, marquée par le développement considérable des dépenses publiques, notamment militaires. Celles-ci commandent le niveau des prélèvements et sont à l’origine d’une multitude de crises financières qui déboucheront sur la Révolution de 1789 (B).
A - L'émergence, temporaire, du principe du consentement à l'impôt
Le principe du libre consentement à l’impôt est né en Grande-Bretagne au XIII° siècle. L’on en trouve une première illustration dans la Grande Charte de Jean sans Terre de 1215 : celle-ci prévoit qu’« aucun écuage ou aide ne sera établi dans notre royaume sans le consentement du commun conseil de notre royaume ». Par la suite, cette Charte ne sera pas appliquée par la dynastie des Tudors. Il faudra attendre la dynastie des Stuart pour que le principe qu’elle consacre soit à nouveau appliqué. Ainsi, lorsque Charles I° décide de gouverner en ayant recours à l’emprunt forcé, le Parlement rappelle, par la Pétition des droits de 1628, le principe du consentement à l’impôt. Puis, c’est le célèbre Bill of Rights de 1689 qui viendra consacrer ledit principe. L’utilisation des fonds ainsi levées, c’est-à-dire la dépense publique, fait, également, l’objet d’un contrôle du Parlement. Les bases d’un véritable droit financier public sont, dès lors, posées.
En France, le principe du consentement à l’impôt s’affirme progressivement au cours du Moyen-âge. C’est, en effet, à partir de cette période que l’Etat moderne apparait. Le développement de l’administration qui accompagne ce mouvement amène la monarchie à ne plus se contenter des revenus traditionnels tirés du domaine royal et à chercher de nouvelles recettes, en l’occurrence des impôts. La Guerre de Cent ans marque un tournant dans la mesure où le financement des opérations militaires suppose de trouver des recettes extraordinaires. Sont, alors, créés quatre nouveaux prélèvements : les aides (impôts indirects sur les ventes et transports de marchandises), la gabelle sur le sel, les traites (« droits de douane » entre provinces) et le fouage (impôt indirect perçu sur les roturiers, ancêtre de la taille).
Afin d’éviter des révoltes fiscales, la levée de ces impôts est soumise à l’approbation des Etats généraux. Ceux-ci se réunissent pour la première fois sous Philippe le Bel en 1302. Pendant la Guerre de Cent ans, ils autorisent la levée des quatre impôts créés, d’abord de manière provisoire, puis de façon permanente. Est, ainsi, transposé en France le principe du consentement à l’impôt né en Grande-Bretagne, même si celui-ci n’est appliqué que de manière limitée puisque les Etats généraux ne se réunissent que sur convocation du Roi et de manière non permanente. Par la suite, confronté à la hausse des besoins et à l’hostilité des parlements de Paris et de province, le Roi ne parvient pas à réformer le système. Les Etats généraux ne seront, alors, plus réunis de 1614 à 1789, marquant, ainsi, l’effacement, temporaire, du principe du consentement à l’impôt.
B - Une logique dépensière impulsée par l'effort militaire
Jusqu’au règne de François I°, les recettes commandaient les dépenses : en d’autres termes, le Roi dépensait en fonction du niveau de ses recettes. A partir du XVI° siècle, la logique s’inverse et la nécessité de financer la diplomatie et les moyens militaires commande de prélever en fonction des besoins. Il s’ensuit un accroissement des ressources financières du Royaume et du pouvoir d’influence du Roi de France. Le poids des dépenses militaires dans le budget de l’Etat sera tel qu’il représentera, sous le règne de Louis XIV, la moitié des dépenses totales en temps de paix et les deux-tiers en période de guerre.
Ce mouvement aura pour conséquence une succession de crises financières. Ainsi, la lutte contre toutes les coalitions étrangères faite par Louis XIV laisse, à la fin de son règne, une dette de deux milliards de livres. Pour la rembourser, le régent Philippe d’Orléans émet massivement du papier-monnaie jusqu’en 1720 où le système s’effondre. Malgré le retour à une certaine orthodoxie financière, les dépenses continuent leur mouvement ascendant, notamment en raison de plusieurs guerres. Face à la nécessité de trouver de nouvelles recettes, le Roi envisage de recourir à la fiscalité, mais les parlements s’y opposent, ne laissant à la monarchie que la voie de la fiscalité indirecte. La dette publique s’accroit, malgré tout, tout au long du XVIII° siècle et les tentatives de Louis XVI pour moderniser les finances publiques ne résoudront pas le problème. Ce sera, là, l’un des éléments déclencheurs de la Révolution de 1789.
III - De la Révolution de 1789 à la chute de Napoléon : des progrès, mais une persistance de la crise financière
La fin du XVIII° siècle et le début du XIX° siècle sont marqués par la volonté, tant des révolutionnaires (A) que de Napoléon (B), de réformer les finances publiques. Malgré quelques progrès, notamment sur le plan des principes, ces efforts restent sans réels effets sur la situation des comptes de la France.
A - L'action des révolutionnaires de 1789
La Révolution de 1789 est née de la conjonction de plusieurs facteurs, au nombre desquels figurent, notamment, une crise politique doublée d’une crise financière. Il est, ainsi, fréquemment, admis que le rejet par le parlement de Paris de la réforme fiscale de 1787 va accélérer la convocation des Etats généraux en 1789. L’une des tâches principales des révolutionnaires sera, alors, de réformer les finances publiques de la France en suivant deux directions principales.
D’une part, les révolutionnaires commencent par affirmer ou réaffirmer certains principes fondamentaux. Ainsi, la Déclaration de 1789 pose plusieurs principes qui caractérisent encore les finances publiques contemporaines : le caractère indispensable d’une contribution commune pour financer les dépenses d’administration, l’égale répartition de cette contribution ou, encore, le principe du consentement à l’impôt. S’agissant de ce dernier, c’est dès le 17 juin 1789 que l’Assemblée nationale déclare nuls et illégaux tous les impôts existants, car non consentis par la Nation. Quelques jours plus tard, Louis XVI sera contraint d’accepter que toute création ou prorogation d’impôt soit soumise au consentement des députés. C’est aussi, à partir de ce moment, que l’assemblée aura à approuver, chaque année, en plus des recettes, le volet dépenses publiques.
D’autre part, les révolutionnaires suppriment les impôts indirects – la gabelle sera supprimée en 1790 - jugés inéquitables et contreproductifs économiquement, même si le Directoire les rétablira plus tard. Ils créent, en revanche, des impôts directs, tels que la contribution foncière, la contribution mobilière qui pèse sur tous les revenus qui ne sont pas tirés du commerce et de la terre, ainsi que la patente qui frappe les professions selon des signes extérieurs. Un lien est, par ailleurs, établi entre fiscalité et citoyenneté du fait du suffrage censitaire.
Si ces réformes portent leur fruit sur le plan des principes, elles ne parviennent pas à rétablir la situation des comptes de la France. La nouvelle fiscalité dégage, en effet, moins de recettes que sous l’Ancien Régime, la suppression des impôts indirects expliquant en partie cette situation. Quant aux ressources ponctuelles tirées de la vente des biens du clergé, elles se révèlent rapidement insuffisantes. En ce qui concerne les dépenses, les guerres engagées en Europe par la France révolutionnaire finissent d’aggraver les déficits publics. Cette situation ne variera guerre sous le I° Empire.
B - L'action de Napoléon
A son arrivée au pouvoir, Napoléon manifeste la volonté de redresser la situation des finances publiques de la France. Cela passe, notamment, par le renforcement des contrôles sur les finances françaises, avec la création en 1807 de la Cour des comptes chargée de contrôler, de manière centralisée, les comptes et les comptables publics.
Mais, les visées hégémoniques de Napoléon et les guerres qu’elles impliquent provoquent un accroissement considérable des dépenses militaires. La pression fiscale demeure, toutefois, mesurée, notamment parce qu’une partie de ces dépenses est financée par un prélèvement exceptionnel sur les pays conquis. Cette situation explique, alors, que de nombreux auteurs aient, à partir de la fin du I° Empire, tenté d’élaborer un corps de doctrines financières axées autour de l’idée de discipline financière. C’est la période classique des finances publiques.
IV - De la Restauration à la Première Guerre mondiale : les finances publiques classiques
Si de François I° à Napoléon, la dépense commandait la recette, la chute de Napoléon marque l’émergence d’une nouvelle conception des finances publiques qui restera en vigueur jusqu’à la Première Guerre mondiale. Cette doctrine s’organise autour d’une conception libérale de l’Etat en vertu de laquelle celui-ci ne doit s’occuper que des missions régaliennes. Il s’agit, ainsi, d’éviter que l’intervention financière de l’Etat ne vienne brider la liberté individuelle et entraver le fonctionnement de l’économie.
Cette nouvelle doctrine s’articule autour de trois idées essentielles. La première est la neutralité budgétaire, ce qui signifie que le budget ne doit pas être utilisé pour agir sur la conjoncture économique ou pour jouer un rôle redistributif. Les dépenses publiques doivent, par ailleurs, être réduites : plus précisément, elles doivent être, principalement, consacrées au financement des fonctions régaliennes de l’Etat. C’est, ainsi, qu’à cette époque le budget de l’Etat représente moins d’1/10° de la richesse du pays. Enfin, le budget de l’Etat doit être équilibré, le but étant de ne prélever sur l’économie que ce qui est strictement nécessaire au financement des missions essentielles. Ainsi, s’explique qu’à cette époque les recettes proviennent essentiellement de l’impôt, les manipulations monétaires n’ayant plus cours et le recours à l’emprunt étant exceptionnel.
C’est à cette époque qu’est créée la règle des « quatre temps alternés », selon laquelle le Gouvernement prépare le budget, le Parlement le vote, l’Exécutif l’exécute et les assemblées le contrôle. Cette procédure est marquée par un renforcement des pouvoirs du Parlement, illustré, notamment, par la consécration de quatre principes budgétaires fondamentaux, toujours en vigueur à l’heure actuelle : les principes d’annualité, d’unité, d’universalité et de spécialité budgétaire.
Finalement, l’ensemble de ces réformes permettent aux comptes de la France de se redresser, malgré des guerres ou des révolutions. Quant à l’Etat, s’il commence à élargir ses missions, cette évolution se fait sans trahir le principe de l’équilibre budgétaire. Les bouleversements induits par les deux guerres mondiales et la crise de 1929 vont, toutefois, rapidement, bouleverser cette équation.
V - De la Première Guerre mondiale à la fin du XX° siècle : les finances publiques modernes
Le XX° siècle voit la dépense publique s’accroitre considérablement : de moins de 10 % du PIB avant la Première Guerre mondiale, elle passe à 30 % du PIB dans l’entre-deux-guerres pour atteindre plus de 40 % après la Guerre de 1939 - 1945. Cette évolution traduit une mutation du rôle de l’Etat : de l’Etat-Gendarme, l’on passe à un Etat interventionniste, puis providence (A). Cette extension des interventions de l’Etat va nécessiter un encadrement juridique global des finances publiques, au travers de l’adoption d’une « constitution financière » (B). Si jusqu’aux années 1970, ces nouvelles interventions se font dans le respect de l’équilibre budgétaire, la crise économique, qui débute lors de cette décennie, va rompre cette équation et marquer le début de la crise de la dette publique, signe du commencement d’une nouvelle ère pour les finances publiques (C).
A - Le bouleversement du rôle de l'Etat
L’émergence de la société industrielle au cours du XIX° siècle conduit l’Etat à développer ses interventions dans les domaines économique et social. Ce mouvement va s’accentuer avec la Première Guerre mondiale du fait des dépenses d’armement et des nécessités de la reconstruction. La crise des années 30 va imposer des efforts pour soutenir les secteurs économiques en difficulté et prendre en charge les problèmes sociaux, auxquels s’ajouteront, une nouvelle fois, des besoins d’armement. Après la Seconde Guerre mondiale, outre les efforts de reconstruction, ce sont les grands projets industriels et le développement de la couverture sociale qui constituent les nouveaux chantiers d’un Etat qui n’est plus simplement interventionniste, mais aussi providence.
Cette évolution de la conception du rôle de l’Etat a bénéficié de la popularité des idées de l’économiste britannique Keynes. Ce dernier recommande, en effet, d’utiliser les différents canaux des finances publiques pour agir sur l’économie : qu’il s’agisse de l’augmentation des dépenses publiques afin de soutenir le pouvoir d’achat des ménages et la demande s’adressant aux entreprises, de l’usage de la politique fiscale à des fins redistributives et incitatives, ou, encore, de l’intervention directe de l’Etat dans l’économie au travers de monopoles ou de la détention directe d’entreprises de manière à impulser un mouvement.
Ces bouleversements ont été théorisés par Richard Musgrave qui décèle trois missions principales attribué à l’Etat contemporain. Celui-ci a, d’abord, une fonction d’allocation des ressources qui consiste à utiliser la politique budgétaire pour orienter les comportements individuels. Par sa fonction de distribution, l’Etat corrige la répartition spontanée des revenus et des richesses afin d’en assurer une juste répartition. Enfin, l’Etat joue un rôle de stabilisation de manière garantir le plein emploi des facteurs de production, tels que le travail et la stabilité des prix.
B - L'adoption d'une « constitution financière »
L’extension des interventions de l’Etat va imposer de disposer d’un cadre juridique plus affirmé dans les domaines de la préparation, du vote et de l’exécution du budget. Les constitutions de 1946 et de 1958 renvoient, toutes deux, à une loi organique le soin de fixer ces règles. Le premier texte à prévoir une organisation d’ensemble des finances publiques est le décret - loi organique du 19 juin 1956 : outre la simplification de la mise en œuvre des principes budgétaires, ce texte renforce les pouvoirs de l’Exécutif en matière de préparation et d’exécution du budget.
Mais, c’est l’ordonnance du 2 janvier 1959 qui constituera longtemps, jusqu’à la LOLF, la « constitution financière » de la France. Cette ordonnance a été élaborée avec le même objectif que tous les textes adoptés sous l’impulsion du Général de Gaulle sous la V° République, à savoir la prééminence de l’exécutif. Du point de vue du contenu de ce nouveau droit budgétaire, l’orientation consistait principalement à faire du budget un budget de moyens. Mais, cette logique est, progressivement, apparue inadaptée à la crise des déficits qui devait caractériser la France à compter des années 1970, ce qui imposa l’adoption d’une nouvelle « constitution financière » en 2001.
C - La crise des années 1970 et ses conséquences
Les deux chocs pétroliers provoquent une immense crise économique mondiale. Dans ce contexte, les pouvoirs publics augmentent les dépenses publiques afin de tenter de relancer la croissance. Mais, ce faisant, des déficits publics apparaissent, alors que, jusqu’à présent, les interventions de l’Etat s’étaient opérées en garantissant l’équilibre budgétaire. C’est, ainsi, que la France est, depuis 1974, en situation de déficit budgétaire permanent.
L’autre évolution qu’il convient de noter est que la dépense publique se diversifie. Si à la Libération, les dépenses de l’Etat représentaient les 2/3 des dépenses publiques, elles n’en représentent plus que 30 % aujourd’hui. En effet, outre les dépenses des collectivités locales qui se sont développées du fait de la décentralisation, ce sont les dépenses de Sécurité sociale qui, aujourd’hui, représentent la plus grande part des dépenses publiques. Le même mouvement a affecté les prélèvements obligatoires.
C’est dans ce contexte qu’une nouvelle approche des finances publiques a été impulsée, au cours des années 1990, tant sur le plan communautaire que sur le plan interne.
VI - Les finances publiques aujourd'hui : un renouveau impulsé par la crise des déficits
La question des déficits publics et de la dette publique occupe, depuis les années 1990, une place cruciale dans le débat politique. En effet, l’importance des déficits touchant la plupart des Etats industrialisés pose la question de la soutenabilité des finances publiques, c’est-à-dire de la capacité des Etats à honorer leurs engagements financiers. Cette question a pris une importance accrue, en Europe, avec la mise en place de la monnaie unique.
Ces deux facteurs ont provoqué une série de quatre grands mouvements : la mise en place d’un encadrement européen des finances nationales (A), la refonte de l’encadrement national des finances publiques (B), une mouvement de consolidation des finances publiques (C) et le développement de la pluriannualité budgétaire (D).
A - Un encadrement européen déterminant
Le traité de Maastricht mettait en place la monnaie unique. A cette fin, il posait des critères d’entrée dans l’union économique et monétaire (UEM) : le déficit public ne pouvait, ainsi, pas dépasser 3 % du PIB et la dette publique 60 % du PIB. Toutefois, aucune règle n’avait été fixée pour contrôler les finances des États une fois qu’ils en étaient membres. Il a, donc, été décidé que les règles conditionnant l’entrée au sein de l’UEM s’appliqueraient de manière permanente aux pays ayant adopté l’euro. La raison d’être de ce dispositif tient à la volonté de se prémunir contre le risque de ce que l’on appelle le comportement de « free rider » (passager clandestin) qui consiste pour un pays à profiter de son appartenance à la zone euro pour mener des politiques budgétaires laxistes provoquant, alors, des conséquences néfastes pour toute la zone.
Ce processus d’encadrement européen des finances nationales s’est fait en trois temps. La première pierre a été posée par le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) adopté au Conseil européen d’Amsterdam du 17 juin 1997. Ce pacte se voulait l’instrument des pays de la zone euro pour coordonner leurs politiques budgétaires nationales et éviter l’apparition de déficits budgétaires excessifs. Il imposait à ces États d’avoir à terme des budgets proches de l’équilibre ou excédentaires. A cet fin, il comportait un volet préventif avec une procédure d’examen et de surveillance mutuelle des politiques budgétaires et un volet répressif en cas de dépassement par un Etat du critère de déficit public.
La faiblesse de la croissance économique au début des années 2000 devait, toutefois, conduire nombre de pays européens à ne pouvoir respecter les règles les plus fondamentales du PSC. Aussi, un assouplissement fut décidé en 2005, notamment au regard des règles de mise en œuvre de la procédure de déficit excessif.
La crise économique et financière amorcée en 2008 et la crise de la dette souveraine qui s’en est suivi devaient, à l’inverse, conduire les Etats membres de l’UE à durcir les règles applicables. Trois réformes destinées à mieux encadrer les finances publiques des Etats furent adoptées : le « six pack », le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l’Union économique et monétaire et le « two pack ». Parmi les règles posées, figure, notamment, celle qui prévoit que les objectifs budgétaires à moyen terme soient inscrits dans la législation nationale et que les déficits structurels, c’est la fameuse « règle d’or », soient limités à 0,5 % du PIB. La transcription de cette obligation a été effectuée, en France, par la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.
B – Le renouveau de l'encadrement national des finances publiques
Les finances publiques françaises ont été régies, pendant plus de 40 ans, par l’ordonnance du 2 janvier 1959. La succession des déficits publics du fait de la crise économique débutée au cours des années 1970 et le poids des engagements européens de la France devaient rendre cette ordonnance inadaptée. En effet, en plus de ne pas avoir permis de maîtriser ces déficits, ce texte ne permettait pas de répondre aux impératifs des finances publiques contemporaines, notamment le contrôle de la pertinence de l’utilisation des crédits. Aussi, ce cadre budgétaire a été réformé et une loi organique relative aux lois de finances, dite LOLF, a été adoptée, en 2001, dans un large consensus politique (1). Ce dispositif a, par la suite, été remanié en 2021 (2).
1 – La LOLF
La LOLF poursuit deux grands objectifs : le renforcement de la performance de la dépenses publique et l’accroissement des prérogatives des parlementaires.
Le premier objectif visé est l’efficacité de la gestion budgétaire de l’Etat, tant au niveau de la préparation de la loi de finances que de son vote et de son exécution. C’est, là, la fameuse exigence de performance. Ainsi, là où l’ordonnance de 1959 prévoyait un budget de moyens, la LOLF opte pour une structuration des crédits selon une logique fonctionnelle, c’est-à-dire à partir des objectifs à atteindre et d’indicateurs permettant de vérifier si ceux-ci sont atteints. L’exigence de performance se traduit, également, au niveau de la marge de manœuvre dont disposent les gestionnaires publics en ce qui concerne l’affectation des crédits votés. Ainsi, si chaque programme constitue un plafond de crédits, les décideurs publics peuvent redéployer les crédits au sein d’un programme, étant précisé que les dépenses de personnel ne peuvent recevoir de crédits d'autres titres du programme : c’est ce que l’on appelle la fongibilité asymétrique.
Le second objectif est le renforcement des prérogatives des parlementaires. Outre les informations supplémentaires qui leurs sont fournies, les élus disposent, à présent, d’une plus grande marge de manœuvre dans le vote du budget. Ils peuvent, en effet, dans le respect du plafond global de chaque mission, créer des programmes à l’intérieur d’une mission en prélevant des crédits sur les autres programmes de la mission, répartir autrement les crédits entre programmes d’une même mission, ou supprimer un ou plusieurs programmes d’une mission.
2 – La loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques
Discutée et adoptée au cours de l’année 2021, la loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques a été promulguée le 28 décembre 2021. D’initiative parlementaire, elle vise à doter le législateur financier des outils permettant de gérer efficacement les enjeux propres aux finances publiques issus de la crise sanitaire. Cette loi complète, ainsi, la LOLF et abroge la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, mais en insérant l’ensemble du contenu de ce texte au sein de la LOLF. Plus précisément, elle touche, outre l’enrichissement du cadre organisant la pluriannualité budgétaire (voir VI-D), trois grands domaines.
Elle procède, d’abord, à un ensemble de changements en matière de lois de finances. Elle renomme, ainsi, la loi de règlement en loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année afin de mettre l’accent sur la fonction de contrôle du Parlement. Elle crée, par ailleurs, une nouvelle catégorie de loi de finances : la loi de finances de fin de gestion qui correspond aux actuelles lois de finances rectificatives adoptées en fin d’année. Elle rationnalise le calendrier budgétaire dans une perspective de renforcement du chaînage vertueux entre l’exécution et la prévision : à ce titre, elle prévoit l’organisation d’un débat commun sur le rapport d’orientation des finances publiques et le programme de stabilité, et ramène le délai de dépôt de ce que l’on appelait la loi de règlement du 1° juin au 1° mai. Elle renforce, enfin, la transparence des finances publiques, notamment en matière de taxes affectées à des personnes autres que les collectivités locales et les organismes de sécurité sociale.
La loi organique de 2021 améliore, ensuite, l’information du Parlement. S’agissant des annexes, certaines voient leur date de dépôt être avancée, d’autres leur contenu être enrichi. Un rapport sur la dette publique et un rapport sur la situation des finances publiques locales devront, également, être déposés. Quant aux commissions des finances, elles voient leurs pouvoirs pour obtenir certaines informations être renforcés.
Enfin, elle étend les missions du Haut conseil des finances publiques, notamment en lui reconnaissant la compétence pour se prononcer sur le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses du projet de loi de finances de l’année et du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
C - Un mouvement de consolidation des finances publiques
A côté des finances de l’Etat, se sont, progressivement, développées les finances sociales et les finances locales. Les premières sont, essentiellement, apparues à la Libération avec la volonté d’un financement, indépendant de l’Etat et de l’impôt, provenant des cotisations sociales liées au travail. Cette logique perdure encore aujourd’hui même si l’on constate une certaine fiscalisation des ressources sociales. Les secondes ont pris leur essor avec l’acte I de la décentralisation en 1982-1983 et l’acte II à la suite de la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003. Ce mouvement s’est accompagné de transferts de compétences de l’Etat au profit des collectivités locales et a nécessité, pour ces dernières, des ressources adéquates.
Face à cet éclatement des finances publiques, s’est faite jour la nécessité d’un pilotage global des trois branches qui les composent : c’est ce que l’on a appelé la consolidation des finances publiques. Deux arguments militaient en ce sens. D’une part, la crise économique frappe de manière aveugle les différents acteurs publics. C’est ainsi que les organismes de Sécurité sociale et les collectivités locales connaissent, tout comme l’Etat, des déficits chroniques et une hausse de leur dette. L’objectif de maitrise de ces dérives budgétaires passe, alors, par une appréhension globale des dépenses de ces différents acteurs. D’autre part, l’appartenance à l’Union européenne et l’instauration de la monnaie unique ont provoqué la mise en place d’un dispositif européen d’encadrement des politiques budgétaires des Etats. Or, celui-ci s’intéresse aux finances de l’ensemble du secteur public, Etat, collectivités locales et organismes de Sécurité sociale compris.
Ce mouvement de consolidation s’est traduit par la création des lois de financement de la Sécurité sociale afin de réguler l’évolution des finances sociales. Il a, également, provoqué la création d’organismes paritaires de régulation, composés de représentants de l’Etat, des collectivités locales et des organismes de Sécurité sociale, tels que la Conférence nationale des finances publiques et le Conseil d’orientation des finances publiques en 2006. Le but de ces entités est d’organiser une dialogue entre les acteurs publics et de promouvoir un pilotage global et renforcé des finances publiques. Enfin, la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques a institué un Haut conseil des finances publiques chargé de veiller au respect par les lois de programmation, mais également par les lois financières annuelles de l’objectif de déficit « structurel » de 0,5 % maximum du PIB conformément à ce que prévoit le TSCG.
D - Le développement de la pluriannualité budgétaire
La récurrence des déficits publics a mis en avant l’idée selon laquelle le retour à l’équilibre budgétaire supposait d’avoir une vision à moyen terme des finances publiques. Outre les programmes de stabilité transmis annuellement à l’Union européenne, cet objectif s’est traduit par le développement de la pluriannualité budgétaire au travers, d’une part, des lois de programmation des finances publiques (1) et, d’autre part, de la programmation budgétaire triennale de l’Etat (2).
1 – Les lois de programmation des finances publiques
Les lois de programmation des finances publiques ont été créées par la loi de révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et organisées par la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques adoptée à la suite de la ratification du Traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union économique et monétaire. Selon l’article 34 révisé de la Constitution, « Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques. »
Cette réforme vient consacrer la pluriannualité budgétaire (trois ans minimum) avec pour objectif d'assurer une meilleure gouvernance des finances publiques dans leur ensemble, tant en ce qui concerne la maitrise des dépenses publiques que la prévisibilité des recettes. Ces lois concernent, en effet, chacun des acteurs de la dépense publique : Etat, collectivités territoriales et administrations de Sécurité sociale. Elles doivent, par ailleurs, comporter la fixation de l’objectif à moyen terme d’équilibre des administrations publiques, la définition de la trajectoire pour atteindre cet objectif sous la forme d’un solde structurel défini pour chaque année de la programmation et la fixation, pour l’ensemble des administrations publiques, de la trajectoire en solde structurel et en solde effectif par sous-secteur et la présentation d’une trajectoire de la dette publique.
La programmation pluriannuelle budgétaire a été renforcée par la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques. Cette dernière prévoit ainsi que les lois de programmation doivent déterminer, pour chacun des exercices de la programmation, un objectif d’évolution en volume et une prévision en milliards d’euros des dépenses des administrations publiques. Afin de renforcer la portée de cette nouvelle règle, un compteur des écarts à cette norme de dépense est prévu : en cas d’écart, le Gouvernement devra justifier les raisons qui l’expliquent au sein du Rapport économique, social et financier et préciser les mesures destinées à la réduire. La loi organique complète, également, les informations devant figurer au sein de l’article liminaire des différentes lois financières afin que soit mieux appréciée la conformité des choix faits chaque année aux objectifs fixés par la loi de programmation.
Malgré ces avancées, ce dispositif connaît une limite qui tient au fait que les lois de programmation demeurent dépourvues de toute force obligatoire sur le plan financier : elles ne sont, en effet, pas des lois de finances, mais des lois ordinaires. Mais, à travers elles, le vote de la représentation nationale donne un caractère solennel aux engagements budgétaires qu’elles contiennent. Malgré ces défauts, les lois de programmation des finances publiques apparaissent comme un instrument utile pour le pilotage de l’ensemble du secteur financier public. La prochaine étape sera, probablement, d’accorder à leurs dispositions un caractère obligatoire afin que parlementaires comme Gouvernement ne puissent s’en écarter.
2 – La programmation budgétaire triennale
La programmation budgétaire triennale a été mise en œuvre pour la première fois en 2009. Celle-ci concerne uniquement les dépenses et le périmètre étatique. Il s’agit d’une programmation semi-glissante. Autrement dit, un plafond global de dépense est fixé en fonction de la norme de dépense et fait l’objet d’une programmation ferme sur trois ans. Ce plafond peut, toutefois, être modifié en fonction d’une révision des taux d’inflation initialement prévus si l’évolution est à la hausse. Des plafonds sont, également, fixés par mission au titre des autorisations d’engagement et des crédits de paiement : ils sont fermes les deux premières années, mais révisables la troisième dans le respect du plafond global. Sont, ensuite, fixés les crédits répartis par programme : ils sont fermes la première année, mais modifiables les deux suivantes. La troisième année sert de base au prochain budget pluriannuel. Il convient, toutefois, de noter que seules les lois de finances annuelles, qui continuent à être soumises chaque année au vote du Parlement, détiennent une valeur contraignante. Mais, ce dispositif permet de les insérer dans le cadre d’une vision stratégique triannuelle en ce qui concerne les dépenses.
