Le recours de plein contentieux des tiers contre un contrat administratif (CE, ass., 04/04/2014, Département de Tarn-et-Garonne)

Introduction

Comme le rappelle le Professeur Didier Truchet, « le contrat a toujours été l’un des instruments d’action de l’Administration. Historiquement, il a été surtout utilisé par elle d’une part pour se procurer des biens et des services sur le marché (marchés publics), d’autre part pour déléguer à un opérateur (généralement privé) une mission de travail public ou de service public (concessions), enfin pour autoriser certaines occupations du domaine public » (Didier Truchet, Droit administratif, Coll. Thémis, PUF, 2017, p. 275). Les litiges nés de la conclusion ou de l’exécution de ces contrats relèvent des juridictions administratives, pour ceux qui sont qualifiés de contrats administratifs et du juge judiciaire pour les contrats de droit privé. Depuis quelques dizaines d’années, le droit de la commande publique, mais aussi les règles du contentieux des contrats administratifs, ont largement évolué. 

En l’espèce, la commission permanente du Conseil départemental (Conseil général à l’époque) de Tarn-et-Garonne a autorisé son président, par une délibération en date du 20 novembre 2006, à signer avec la société Sotral un marché à bons de commande ayant pour objet la location de véhicules de fonction, en longue durée, pour les services de la collectivité. En janvier 2007, Monsieur François Bonhomme, conseiller général, a contesté cette délibération devant le tribunal administratif (TA) de Toulouse, dans le cadre d’un recours en excès de pouvoir. Le TA de Toulouse a annulé cette délibération, par un jugement du 20 juillet 2010 (n° 0700239). Une décision confirmée par la Cour administrative d’appel (CAA) de Bordeaux, dans un arrêt du 28 février 2012 (n° 10BX02641). Le département de Tarn-et-Garonne a alors demandé au Conseil d’État d’annuler cet arrêt, contestant les prétentions de l’élu qui arguait notamment d’une méconnaissance de certaines règles de la commande publique, de vices en termes de publicité et de mise en concurrence, mais aussi d’une absence d’information suffisante à destination des élus de la Commission permanente. Malgré tout, la Haute-juridiction annule l’arrêt de la CAA de Bordeaux et le jugement du TA de Toulouse, considérant que la délibération respectait les règles en vigueur et ne comportait pas d’illégalité susceptible en tout cas d’engendrer une annulation de la délibération en question. En effet, le Conseil d’État considère qu’en l’espèce, le vice présent en matière de publicité et de mise en concurrence « n’a été susceptible, (…) ni d’exercer une influence sur le sens de la délibération contestée ni de priver d’autres candidats d’une garantie » (v. aussi CE Ass., 23 décembre 2011, Danthony, n° 335033).

Au-delà du fond, le Conseil d’État profite de cet arrêt pour renouveler, en profondeur, les voies de recours ouvertes aux tiers à l’encontre des contrats administratifs (I). Pour autant, il laisse également ouverte la voie des autres recours auparavant accessibles, en appliquant cette nouvelle solution uniquement aux contrats conclus à l’avenir (II).

I – L'ouverture du recours de pleine juridiction aux tiers à un contrat administratif

La Haute-juridiction va ainsi permettre à certains tiers d’intenter un recours de pleine juridiction, semblable à celui intenté par les parties à un contrat (A), tout en l’assortissant de certaines conditions et obligations à respecter (B).

A - Un recours de pleine juridiction rapprochant tiers et parties dans le contentieux des contrats

Le recours de pleine juridiction nouvellement ouvert aux tiers par l’arrêt Département de Tarn-et-Garonne vient remettre en cause les raisonnements des jurisprudences antérieures (1), tout en le réservant uniquement à certaines catégories de tiers (2). 

1 - Une remise en cause des jurisprudences Martin et Tropic

Jusqu’à cette décision du Conseil d’État en 2014, peu de voies étaient ouvertes aux tiers en matière de contentieux des contrats administratifs, malgré plusieurs évolutions notables dans la jurisprudence.

Tout d’abord, seule la jurisprudence Martin (CE, 4 août 1905, n° 14220, Lebon) autorise le recours des tiers à l’encontre des « actes détachables », c’est-à-dire la contestation des actes qui - tout en étant extérieurs - sont liés au contrat. Il s’agit notamment d’une délibération autorisant l’exécutif d’une collectivité à mener telles ou telles actions contractuelles. Le Pr. Jacqueline Morand-Deviller rappelle que « le caractère d’acte détachable s’applique à la fois aux actes relatifs à la formation du contrat (…) et à ceux relatifs à l’exécution du contrat » (J. Morand-Deviller, Droit administratif, LGDJ, 2013, p. 417). Il faut rappeler que ce recours s’effectue uniquement dans le cadre d’un recours en excès de pouvoir (REP). Le Conseil d’État a d’ailleurs eu l’occasion de rappeler, à ce titre, qu’aucune stipulation contractuelle ne pouvait être invoquer ici (CE Ass., 8 janvier 1988, Ministre chargé du Plan et de l’aménagement du territoire, n° 74361, Lebon).

Ensuite, l’arrêt Tropic (CE Ass., 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, n° 291545, Lebon) a permis aux seuls « concurrents évincés » (sur cette notion, v. l’Avis du CE, 11 avril 2012), de contester la validité d’un contrat conclu, dans le cadre d’un recours de pleine juridiction où les pouvoirs du juge sont plus larges. Le Conseil d’État rappelle alors qu’à « partir de la conclusion du contrat, et dès lors qu'il dispose du recours ci-dessus défini, le concurrent évincé n'est, en revanche, plus recevable à demander l'annulation pour excès de pouvoir des actes préalables qui en sont détachables ». 

Malgré l’existence de ces deux recours, l’arrêt Département de Tarn-et-Garonne apporte une réponse nouvelle. En effet, le juge administratif permet à certains tiers – au-delà du simple concurrent évincé – de contester la validité du contrat dans le cadre d’un recours de pleine juridiction, y compris pour les clauses non-réglementaires divisibles du contrat, remettant en cause la jurisprudence existante. 

2 - Le recours de plein contentieux ouvert uniquement à certains tiers

En effet, pour le juge administratif, au-delà des recours existants notamment devant le juge de l’excès de pouvoir, des tiers à un contrat administratif pourront désormais « former (…) un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles ». Il rapproche ainsi les parties et les tiers, dans les voies de recours qui leur sont ouvertes, l’arrêt Béziers I (CE 28 décembre 2009, Béziers I, n° 304802) permettant déjà aux « parties à un contrat administratif [de] saisir le juge d’un recours de plein contentieux contestant la validité du contrat qui les lie ». 

Mais les juges du Palais-Royal ont entendu préciser les tiers pouvant accéder à ce recours devant le « juge du contrat ». Au-delà de l’hypothèse de « tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses » (par exemple, les concurrents évincés, les usagers d’un service public contractuellement concédé ou, encore, les contribuables locaux), ce recours est également ouvert « aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'État dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité ». Là encore, il faut rappeler que dans le cadre de la jurisprudence Martin, les élus d’une collectivité pouvaient attaquer uniquement les actes détachables, mais pas le contrat lui-même. Le juge administratif est venu ainsi mettre fin à certaines insuffisances en matière de contentieux des contrats administratifs. Des règles particulières sont établies par la Haute-juridiction, avec des conditions et obligations – en fonction des tiers à l’origine de la contestation – attachées à ce nouveau recours. 

B - Les conditions et obligations particulières attachées à ce nouveau recours

Ce nouveau recours comporte un certain nombre de règles en ce qui concerne les moyens invocables en fonction des tiers concernés (1), alors même que de nouveaux pouvoirs sont exercés par le juge du contrat dans le cadre de ce nouveau type de contentieux (2). 

1 - Les moyens invoqués par les tiers concernés

Le Conseil d’État va reconnaître, dans le cadre de ce nouveau recours, l’invocabilité de différents moyens et ce en fonction des tiers à l’origine du contentieux. En effet, il précise notamment, d’une part, que « le représentant de l'État dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini ». D’autre part, il considère que « que les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office ». Les élus et le préfet bénéficient donc d’une certaine facilité, dans le cadre de ce recours, assurant notamment un large contrôle de légalité de l’acte. Pour les autres tiers, le juge est amené à étudier plus spécifiquement les arguments présentés. En effet, les vices justifiant le recours doivent avoir un rapport direct avec l’intérêt lésé du requérant. Aussi, ils peuvent invoquer certains vices que le juge soulèverait également d’office en raison de leur gravité (incompétence, illicéité grave…). Pour le Pr. Truchet, « la détermination de ces moyens opérants sera l’une des difficultés d’application de la jurisprudence nouvelle » (Didier Truchet, Op. Cit., p. 300).

Des règles de procédures existent également pour ce nouveau recours : délai de recours de deux mois à compter des mesures de publicité (à défaut de mesure de publication, ce délai ne court pas, mais le contrat ne peut être contesté que dans un délai raisonnable qui, sauf circonstance particulière, est d’un an à compter du jour où le requérant en a eu connaissance : CE, 19/07/2023, So. Seateam aviation), ministère d’avocat obligatoire sauf pour le représentant de l’État etc. Aussi, le juge administratif rappelle que, sur le fondement des dispositions du Code de justice administrative (CJA), le requérant peut potentiellement assortir son recours d’une demande de suspension de l’exécution du contrat. Le juge du plein contentieux possédera d’ailleurs un certain nombre de pouvoirs plus larges que dans le cadre de l’excès de pouvoir.

2 - Les pouvoirs considérables du « juge du contrat »

De même que dans l’arrêt Tropic, le Conseil d’État admet la possibilité pour le requérant de demander la suspension de l’exécution du contrat et pour le juge la possibilité d’y faire droit. Au-delà, le juge du contrat doit, d’une manière générale, « apprécier l’importance et les conséquences » des vices invoqués. 

La Haute-juridiction évoque ainsi plusieurs hypothèses qui s’offrent au juge administratif, dans le cadre de ce recours de pleine juridiction. Tout d’abord, il peut, après avoir étudié la nature des vices invoqués par l’auteur du recours, « soit décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat ». Aussi, « en présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci ». Ces mesures sont plus graves mais apparaissent proportionnées aux irrégularités qui touchent le contrat. Enfin, dans le cadre de ce recours de pleine juridiction, le juge peut octroyer des dommages et intérêts. En ce sens, les juges du Palais-Royal précisent qu’il peut « s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés ». L’éventail des pouvoirs que s’octroie le juge administratif, dans le cadre de ce nouveau recours, est particulièrement large. Ces pouvoirs sont d’ailleurs là encore semblables aux pouvoirs du juge dans le cadre des recours intentés par les parties à un contrat administratif (v. les pouvoirs du juge dans le cadre de l’arrêt Béziers I). Pour autant, d’autres recours en excès de pouvoir – où les pouvoirs du juge seront moins étendus – restent admis.

II – La persistance du contentieux en excès de pouvoirs auparavant accessible

Le contentieux de l’excès de pouvoir ne disparaît pas d’un trait de plume, avec l’arrêt Département de Tarn-et-Garonne. Le juge administratif décide de moduler dans le temps l’application de cette jurisprudence nouvelle (A), laissant aussi la place à quelques exceptions dans la quasi-disparition de l’excès de pouvoir en matière de contrats administratifs (B).

A - Le recours en excès de pouvoir : une modulation de Tarn-et-Garonne dans le temps

Comme à son habitude, le juge administratif fait preuve de prudence quand l’impact d’une telle jurisprudence. Il prend ainsi en compte l’impératif de sécurité juridique (1) et reconnaît la légalité du recours en excès de pouvoir contre les actes détachables, pour le cas d’espèce (2).

1 - L’impératif de sécurité juridique en matière contractuelle

Pour le Conseil d’État, « eu égard à l'impératif de sécurité juridique tenant à ce qu'il ne soit pas porté une atteinte excessive aux relations contractuelles en cours, le recours ci-dessus défini ne pourra être exercé par les tiers qui n'en bénéficiaient pas et selon les modalités précitées qu'à l'encontre des contrats signés à compter de la lecture » de son arrêt Département de Tarn-et-Garonne.

Cette précision n’est guère surprenante, puisqu’en matière contractuelle ce n’est pas la première fois que l’impératif de sécurité juridique est invoqué. En effet, les juges du Tribunal des conflits avaient également invoqué ce principe de sécurité juridique (v. A.-L. Valembois, La constitutionnalisation de l’exigence de sécurité juridique en droit français, LGDJ, 2005 ; CE 24 mars 2006, Sté KPMG) dans la jurisprudence Mme Rispal sur l’appréciation de la nature juridique d’un contrat au moment de sa conclusion (TC, 9 mars 2015, Mme Rispal, n° C3984). Cet impératif permet ainsi de faire persister le recours en excès de pouvoir contre les actes détachables des contrats signés avant l’arrêt du 4 avril 2014.

2 - Persistance du recours en excès de pouvoir contre les actes détachables pour les contrats antérieurs

Le Conseil d’État vient préciser que « l'existence d'un recours contre le contrat, qui, hormis le déféré préfectoral, n'était ouvert avant la présente décision qu'aux seuls concurrents évincés, ne prive pas d'objet les recours pour excès de pouvoir déposés par d'autres tiers contre les actes détachables de contrats signés jusqu'à la date de lecture de la présente décision ». Ainsi, le juge administratif reconnaît encore la légalité du recours en excès de pouvoir introduit, en l’espèce, par l’élu M. Bonhomme. C’est dans ce cadre que le recours contre la délibération de la commission permanente du département, autorisant le président à conclure un contrat de marché public, est étudiée. Il pourra en être ainsi, la jurisprudence Martin continuant à s’appliquer aux recours à l’encontre des actes détachables pour les contrats conclus antérieurement à cet arrêt de la Haute-juridiction administrative. 

B - Des exceptions permettant l'admission du recours pour excès de pouvoir

La doctrine s’interroge légitimement sur la quasi-disparition du contentieux de l’excès de pouvoir (v. Dominique Pouyaud, « Que reste-t-il du recours pour excès de pouvoir dans le contentieux des contrats », RFDA 2015, p. 727 ; Pierre Delvolvé, « De Martin à Bonhomme. Le nouveau recours des tiers contre les contrats administratifs », RFDA 2014, p. 438), qui se maintient pourtant pour les clauses réglementaires et les contrats de recrutement des agents publics (1), ainsi que pour certains actes détachables (2).

1 - Contre les clauses réglementaires et les contrats de recrutement des agents publics

Deux jurisprudences traditionnelles font subsister les recours en excès de pouvoir à l’encontre de certains actes en matière de contrats administratifs. En effet, le REP subsiste ainsi pour les clauses réglementaires, ainsi que pour les contrats de recrutement des agents publics.

Pour les premières, c’est la traditionnelle jurisprudence Cazeeyle (CE Ass., 10 juillet 1996, Cazeeyle, n° 138536, Lebon) qui autorise le REP de la part des usagers à l’encontre des clauses réglementaires des concessions de service public, mais aussi des marchés publics ayant un lien avec le fonctionnement du service public. Le caractère réglementaire de ces clauses, qui permet le recours en excès de pouvoir, tient à ce qu’elles fixent un certain nombre de droits et d’obligations pour les usagers du service public. Le Conseil d’État, dans la décision Tarn-et-Garonne, écarte expressément les clauses réglementaires du recours de pleine juridiction, maintenant pour autant le voie du REP à leur encontre. Évidemment, des interrogations se posent légitimement dans la doctrine concernant l’impact d’une annulation de telles clauses sur le contrat lui-même. 

Concernant les contrats de recrutement des agents publics, c’est la célèbre jurisprudence Ville de Lisieux (CE Sect., 30 octobre 1998, Ville de Lisieux, n° 149662, Lebon) qui précise « qu'eu égard à la nature particulière des liens qui s'établissent entre une collectivité publique et ses agents non titulaires les contrats par lesquels il est procédé au recrutement de ces derniers sont au nombre des actes dont l'annulation peut être demandée au juge administratif par un tiers y ayant un intérêt suffisant ». Dans Tarn-et-Garonne, le Conseil d’État laisse aussi à l’écart du recours de plein contentieux ces contrats de recrutement, jugés assez semblables aux actes unilatéraux de nomination au sein de la fonction publique. La voie du REP subsiste là encore après cette décision.

2 - Le maintien d’un îlot de recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables

L’extension du recours de plein contentieux a pour conséquence une quasi-disparition du recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables. Demeurent, toutefois, deux exceptions à ce nouveau paradigme.

D’une part, depuis l’arrêt Département du Tarn-et-Garonne, les actes unilatéraux qui ont concourru à la formation du contrat ne sont plus susceptibles de recours pour excès de pouvoir et ne peuvent être contestés qu’à l’occasion d’un recours de plein contentieux dirigé contre le contrat lui-même. Cette position vide ainsi la théorie des actes détachables de l’essentiel de son contenu. Toutefois, il est fait exception à ce principe pour l’acte administratif d’approbation du contrat qui, adopté par une autorité distincte des cocontractants, est nécessaire à l’entrée en vigueur d’un contrat déjà signé (CE, 02/12/2022, n° 454318). Mais, le Conseil a jugé quel les tiers « ne peuvent toutefois soulever, dans le cadre d'un tel recours, que des moyens tirés de vices propres à l'acte d'approbation, et non des moyens relatifs au contrat lui-même » (CE, 23/12/2016, Ass. Etudes et Consommation CFDT du Languedoc-Roussillon).

En revanche, s’agissant du recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables en matière d’exécution des contrats administratifs, le Conseil d’Etat a fait évoluer plus radicalement sa jurisprudence. Initialement, le REP n’était ouvert qu’aux tiers et à l’encontre des décisions les plus importantes (principalement, les décisions de résiliation ou de modification du contrat). Mais, le Conseil d’Etat a, récemment, abandonné sa jurisprudence qui voyait dans le refus de résilier un contrat un acte détachable susceptible de recours pour excès de pouvoir de la part des tiers (CE, sect., 30/06/2017, Synd. mixte de promotion de l’activité transmanche). Désormais, le tiers qui se heurte à un tel refus doit saisir le juge du contrat d’un recours de plein contentieux tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution de contrat. Ce nouveau recours de pleine juridiction est conçu sur le modèle de celui bâti par la jurisprudence Département du Tarn-et-Garonne.

D’autre part, le Conseil d’État rappelle dans l’arrêt Département du Tarn-et-Garonne une autre exception : « toutefois, dans le cadre du contrôle de légalité, le représentant de l’État dans le département est recevable à contester la légalité de ces actes devant le juge de l'excès de pouvoir jusqu'à la conclusion du contrat, date à laquelle les recours déjà engagés et non encore jugés perdent leur objet ». En effet, le préfet du département peut, par exception, recourir au déféré préfectoral contre les actes détachables qui ont trait au choix du cocontractant, à ceux autorisant la conclusion du contrat et la décision de la signature. 

Cependant, ce recours s’inscrit dans l’urgence puisqu’il est recevable uniquement dans la période précontractuelle, c’est-à-dire avant signature du contrat. Si le Conseil d’État reconnaît, expressément, la persistance de cette voie, il n’en demeure pas moins qu’il rappelle que les recours introduits ou jugés après la conclusion du contrat ne pourront plus être examinés dans le cadre du REP, qui apparaît dès lors plus restreint. L’autorité préfectorale devra alors user du nouveau recours ouvert par les juges du Palais-Royal.

CE, ass., 04/04/2014, Département de Tarn-et-Garonne

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 avril et 11 juillet 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le département de Tarn-et-Garonne, représenté par le président du conseil général ; le département de Tarn-et-Garonne demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 10BX02641 du 28 février 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0700239 du 20 juillet 2010 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a, à la demande de M. François Bonhomme, annulé la délibération en date du 20 novembre 2006 de la commission permanente du conseil général de Tarn-et-Garonne autorisant le président du conseil général à signer avec la société Sotral un marché à bons de commande ayant pour objet la location en longue durée de véhicules de fonction pour les services du conseil général et enjoint au département d'obtenir la résolution du contrat ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa requête d'appel ; 
3°) de mettre à la charge de M. A... le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les frais de contribution à l'aide juridique ; 

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le règlement (CE) n° 1564/2005 de la Commission du 7 septembre 2005 ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Dominique Nuttens, maître des requêtes en service extraordinaire, 
- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Foussard, avocat du département du Tarn-et-Garonne et à la SCP Delvolvé, avocat de M. François Bonhomme ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un avis d'appel public à la concurrence du 26 juin 2006, le département de Tarn-et-Garonne a lancé un appel d'offres ouvert en vue de la conclusion d'un marché à bons de commande ayant pour objet la location de longue durée de véhicules de fonction pour les services du conseil général ; que, par une délibération en date du 20 novembre 2006, la commission permanente du conseil général a autorisé le président de l'assemblée départementale à signer le marché avec la société Sotral, retenue comme attributaire par la commission d'appel d'offres ; que le 18 janvier 2007, M. François Bonhomme, conseiller général de Tarn-et-Garonne, a saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande d'annulation pour excès de pouvoir de la délibération du 20 novembre 2006 ; que le conseil général de Tarn-et-Garonne se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 28 février 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 20 juillet 2010 annulant la délibération attaquée et invitant les parties, à défaut de résolution amiable du contrat, à saisir le juge du contrat ; 

Sur les recours en contestation de la validité du contrat dont disposent les tiers :

2. Considérant qu'indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles ; que cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité ; que les requérants peuvent éventuellement assortir leur recours d'une demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution du contrat ; que ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi ; que la légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu'à l'occasion du recours ainsi défini ; que, toutefois, dans le cadre du contrôle de légalité, le représentant de l'Etat dans le département est recevable à contester la légalité de ces actes devant le juge de l'excès de pouvoir jusqu'à la conclusion du contrat, date à laquelle les recours déjà engagés et non encore jugés perdent leur objet ; 

3. Considérant que le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini ; que les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office ;

4. Considérant que, saisi ainsi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences ; qu'ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat ; qu'en présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci ; qu'il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés ;

5. Considérant qu'il appartient en principe au juge d'appliquer les règles définies ci-dessus qui, prises dans leur ensemble, n'apportent pas de limitation au droit fondamental qu'est le droit au recours ; que toutefois, eu égard à l'impératif de sécurité juridique tenant à ce qu'il ne soit pas porté une atteinte excessive aux relations contractuelles en cours, le recours ci-dessus défini ne pourra être exercé par les tiers qui n'en bénéficiaient pas et selon les modalités précitées qu'à l'encontre des contrats signés à compter de la lecture de la présente décision ; que l'existence d'un recours contre le contrat, qui, hormis le déféré préfectoral, n'était ouvert avant la présente décision qu'aux seuls concurrents évincés, ne prive pas d'objet les recours pour excès de pouvoir déposés par d'autres tiers contre les actes détachables de contrats signés jusqu'à la date de lecture de la présente décision ; qu'il en résulte que le présent litige a conservé son objet ;

Sur le pourvoi du département de Tarn- et- Garonne :

6. Considérant que, pour confirmer l'annulation de la délibération du 20 novembre 2006 par laquelle la commission permanente du conseil général a autorisé le président de l'assemblée départementale à signer le marché avec la société Sotral, la cour administrative d'appel de Bordeaux a énoncé qu'en omettant de porter les renseignements requis à la rubrique de l'avis d'appel public à la concurrence consacrée aux procédures de recours, le département avait méconnu les obligations de publicité et de mise en concurrence qui lui incombaient en vertu des obligations du règlement de la Commission du 7 septembre 2005 établissant les formulaires standard pour la publication d'avis dans le cadre des procédures de passation des marchés publics conformément aux directives 2004/17/CE et 2004/18/CE du Parlement et du Conseil ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si l'irrégularité constatée avait été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la délibération contestée ou de priver d'une garantie les personnes susceptibles d'être concernées par l'indication des procédures de recours contentieux, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le département de Tarn-et-Garonne est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

8. Considérant que si M. A... soutient que l'avis d'appel public à la concurrence publié par le département de Tarn-et-Garonne ne comportait pas la rubrique " Procédures de recours " en méconnaissance des dispositions du règlement de la Commission du 7 septembre 2005, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette irrégularité ait été, dans les circonstances de l'espèce, susceptible d'exercer une influence sur le sens de la délibération contestée ou de priver des concurrents évincés d'une garantie, la société attributaire ayant été, d'ailleurs, la seule candidate ; que, par suite, le département de Tarn-et-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler la délibération du 20 novembre 2006, le tribunal administratif de Toulouse s'est fondé sur la méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence qui incombaient au département en ne portant pas les renseignements requis à la rubrique " Procédures de recours " de l'avis d'appel public à la concurrence ;

9. Considérant toutefois qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse ;

10. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que les membres de la commission permanente ont été, contrairement à ce que soutient M. A..., destinataires d'un rapport mentionnant les principales caractéristiques du marché ; 

11. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 71 du code des marchés publics alors en vigueur : " Lorsque, pour des raisons économiques, techniques ou financières, le rythme ou l'étendue des besoins à satisfaire ne peuvent être entièrement arrêtés dans le marché, la personne publique peut passer un marché fractionné sous la forme d'un marché à bons de commande " ; que si M. A... fait valoir que le département de Tarn-et-Garonne a méconnu ces dispositions en recourant au marché fractionné pour la location de ses véhicules de service, il ressort des pièces du dossier que, compte tenu du renouvellement à venir de l'assemblée départementale et de la perspective du transfert de nouvelles compétences aux départements, le département de Tarn-et-Garonne n'était pas en mesure d'arrêter entièrement l'étendue de ses besoins dans le marché ; 

12. Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 57 du code des marchés publics alors en vigueur : " Le délai de réception des offres ne peut être inférieur à 52 jours à compter de l'envoi de l'appel public à la concurrence (...) " ; que si M. A... soutient que le département de Tarn-et-Garonne aurait méconnu ces dispositions en fixant le délai de réception des offres à dix-sept heures le cinquante-deuxième jour suivant l'envoi de l'avis d'appel public à la concurrence, il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est pas même soutenu, qu'un candidat aurait été empêché de présenter utilement son offre en raison de la réduction alléguée de quelques heures du délai de 52 jours de réception des offres ; qu'ainsi, le vice allégué affectant la procédure de passation du marché n'a été susceptible, dans les circonstances de l'espèce, ni d'exercer une influence sur le sens de la délibération contestée ni de priver d'autres candidats d'une garantie ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées à la demande de M. A... par le département de Tarn-et-Garonne, que ce dernier est fondé à soutenir que c'est à tort que par son jugement du 10 juillet 2010, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la délibération du 20 novembre 2006 par laquelle la commission permanente du conseil général a autorisé le président de l'assemblée départementale à signer le contrat ; 

14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge du département de Tarn-et-Garonne, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes demandées par M. A... devant la cour administrative d'appel au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le département de Tarn-et-Garonne au titre des mêmes dispositions et de l'article R. 761-1 du code de justice administrative dans sa rédaction applicable à la présente affaire ;

DECIDE :
Article 1er : L'arrêt du 28 février 2012 de la cour administrative d'appel de Bordeaux et le jugement du 20 juillet 2010 du tribunal administratif de Toulouse sont annulés. 
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse et ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, présentées devant la cour administrative d'appel de Bordeaux, sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi du département de Tarn-et-Garonne est rejeté. 
Article 4 : La présente décision sera notifiée au département de Tarn-et-Garonne, à M. François Bonhomme et à la société Sotral.