Un strict devoir de neutralité pour les membres de l’enseignement public (CE, avis, 3/05/2000, Mlle. Marteaux)

Introduction

Les exigences tenant à la laïcité des services publics occupent une place croissante dans le débat public depuis la fin des années 1980. Tantôt source de controverses à visées politiciennes, tantôt objet de débats honorables quant au modèle du « service public à la française », ces questions ont longtemps concerné les usagers des services publics, et notamment les élèves des collèges et lycées publics. L’affaire Mlle. Marteaux déplace le débat vers les agents du service public, en l’occurrence, ici, celui de l’enseignement.

Dans cette affaire, le recteur de l’académie de Reims a mis fin, par un arrêté du 24/02/1999, aux fonctions de surveillante intérimaire de Mlle. Marteaux en raison du port par celle-ci d’un signe religieux. L’intéressée a, alors, saisi le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne afin de faire annuler cette décision. Estimant que la requête posait « une question de droit nouvelle présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges », le président du Tribunal a décidé, par un jugement du 25/01/2000, de surseoir à statuer et de transmettre l’affaire au Conseil d’Etat pour avis. Il s’agit, là, d’une procédure instituée par l’article 12 de la loi du 31/12/1987 portant réforme du contentieux administratif : elle permet aux juridictions subordonnées de demander au Conseil d’Etat de se prononcer, par anticipation, sur des questions délicates et susceptibles de se poser dans de nombreux cas, sans avoir à attendre que le recours ait été porté devant lui par la voie de la cassation. Le but n’est, alors, que d’accroître l’efficacité de la justice administrative.  La Haute juridiction rend, ici, son avis le 03/05/2000.

Trois questions étaient posées au juge administratif suprême. La première visait à déterminer si les principes de laïcité de l’Etat et de neutralité des services publics devaient être appréciés en fonction de la nature des services publics concernés. Sur ce point, la Haute juridiction réaffirme que ces deux principes, tout comme la liberté de conscience, s’appliquent à l’ensemble des services publics. Les deux autres questions portaient spécifiquement sur le service de l’enseignement public : le juge de première instance demandait, ainsi, s’il convenait de faire varier les exigences du principe de laïcité selon, d’une part, que l’agent exerce ou non des fonctions d’enseignement et, d’autre part, la nature et le degré du caractère ostentatoire du signe religieux porté. Le Conseil d’Etat répond à cette question en suivant la voie qui caractérise depuis toujours sa jurisprudence, en l’occurrence celle d’une permanente conciliation entre des intérêts, parfois, contradictoires. Il rappelle, d’abord, que les agents de ce service public bénéficient, comme tous les agents publics, de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination dans l’accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière fondée sur leur religion. Il décide, en revanche, qu’ils ne peuvent, pendant l’exercice de leur mission, manifester leurs convictions religieuses, qu’ils soient ou non chargés de fonction d’enseignement et quelle que soit la forme prise par l’expression de ces convictions.

Par cet avis, le Conseil d’Etat reconnaît, ainsi, au profit des agents du service de l’enseignement public les droits attachés à leur liberté de conscience (I), mais il met à leur charge les devoirs qui découlent du principe de laïcité des services publics (II).

I – Des agents titulaires de droits en vertu de la liberté de conscience

Au même titre que les autres administrés, les agents du service de l’enseignement public bénéficient de la liberté de conscience. Liberté fondamentale par essence (A), cette dernière prohibe toute discrimination fondée sur la religion (B).

A – La liberté de conscience : une liberté fondamentale

Le Conseil d’Etat relève, dans son avis, que « les agents du service de l’enseignement public bénéficient comme tous les autres agents publics de la liberté de conscience ». Cette dernière a pour composante essentielle la liberté de religion que l’on peut définir comme la liberté de croire ou de ne pas croire, avec, dans la première de ces deux hypothèses, la liberté de choix du culte objet de la foi. Enjeu de maintes luttes au cours de l’histoire, cette liberté a fait, au fil du temps, l’objet d’une protection croissante.

Sur le plan interne, l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose : « nul ne peut être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Après en avoir fait un principe fondamental reconnu par les lois de la République, le Conseil constitutionnel rattache, désormais, la liberté de conscience à cette disposition du texte de 1789 (voir notamment CC, 2017-695 QPC du 29/03/2018). Le Conseil d’Etat évoque, pour sa part, « un principe constitutionnel de liberté d’expression religieuse » (CE, 27/06/2018, Mme. M.).

Les engagements internationaux souscrits par la France ont, également, permis de renforcer les garanties offertes aux citoyens en la matière. Ains, l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales prévoit : « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique le droit de changer de religion ou de conviction, ainsi que le droit de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ». 

Autant de textes et principes qui prohibent les discriminations fondées sur la religion des agents publics, dont ceux du service de l’enseignement public.

B – Une liberté qui interdit toute discrimination fondée sur la religion

Le Conseil d’Etat dispose, en l’espèce, que la liberté de conscience « interdit toute discrimination dans l’accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière qui serait fondée sur leur religion [des agents publics] ». Si ces mots reflètent fidèlement la jurisprudence administrative actuelle (2), le Conseil d’Etat n’assurait, par le passé, qu’une protection partielle de ce principe (1).

1 – Hier, une protection incomplète

La première moitié du XX° siècle voit le juge administratif faire varier sa position selon que les intéressés sont de simples pratiquants ou des membres du clergé. 

Dans le premier cas, la protection assurée par le juge était déjà garantie. Ainsi, la pratique d’une religion ne pouvait, en aucun cas, constituer un critère discriminant à l’encontre d’un candidat à l’entrée dans la fonction publique, tout comme dans le déroulement de sa carrière.

En revanche, le Conseil d’Etat regardait comme légale la décision de refuser à un ecclésiastique le droit de se présenter au concours d’agrégation de philosophie (CE, 10/05/1912, Abbé Bouteyre). Cette solution se fondait sur le fait qu’en embrassant l’état ecclésiastique, l’intéressé avait manifesté, par un acte extérieur, qu’il ne serait pas apte à faire preuve dans son enseignement de l’impartialité et de la neutralité requises. Par cette décision, la Haute juridiction estimait, ainsi, que les fonctions de ministre du culte n’étaient pas compatibles avec celles de professeur de l’enseignement secondaire public. A ce jour, cette jurisprudence n’a pas été formellement abandonnée, mais elle ne semble plus représenter les positions réelles du juge administratif. 

2 – Aujourd’hui, une protection quasi-parfaite

Actuellement, l’interdiction des discriminations fondées sur la religion apparaît pleinement assurée. Elle le reste pour les pratiquants. Elle semble l’être, aussi, devenue pour les ecclésiastiques puisque le Conseil d’Etat a, dans un avis rendu par son Assemblée générale le 21/09/1972, considéré que « si les dispositions constitutionnelles qui ont établi la laïcité de l’Etat et celle de l’enseignement imposent la neutralité de l’ensemble des services publics et en particulier la neutralité du service de l’enseignement à l’égard de toutes les religions, elles ne mettent pas obstacle par elles-mêmes à ce que des fonctions de ces services soient confiées à des membres du clergé ». Ainsi, dorénavant, seul l’enseignement primaire public demeure, en vertu de la loi du 30/10/1886, interdit aux ministres du culte.

L’appartenance à une religion, tout comme sa pratique, qu’elle soit notoire ou non, doivent, ainsi, demeurer des circonstances indifférentes tant dans le recrutement des agents du service de l’enseignement public que dans le déroulement de leur carrière. A ce titre, l’article 6 de la loi du 13/07/1983 portant droits et obligations des fonctionnaires rappelle la liberté d’opinion, notamment religieuse, des fonctionnaires. 

Seuls des agissements spécifiques établissant l’incapacité d’un agent ou d’un candidat-agent à remplir sa mission au sein du service de l’enseignement public dans le respect du principe de laïcité sont de nature à justifier une mesure à son encontre : est en cause, en effet, ici, non la foi elle-même et son expression, mais la pratique qui en est faite au regard des principes du service public. Si la liberté de conscience confère des droits, le principe de laïcité alloue, quant à lui, des devoirs.

II – Des agents tributaires de devoirs en vertu du principe de laïcité

Le Conseil d’Etat considère, en l’espèce, que « le principe de laïcité fait obstacle à ce qu’ils [les agents du service de l’enseignement public] disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses ». Autrement dit, la Haute juridiction dénie toute liberté d’expression religieuse à ces agents dans l’exercice de leurs missions. Cette interdiction de principe, que le juge administratif entend largement (B), doit, selon nous, être approuvée (A).

A – Une solution aux fondements solides

La position prise par le juge administratif suprême peut se prévaloir de deux fondements : le premier tient à la particularité de la fonction d’agent de l’administration (1), le second est relatif à la nature singulière du service de l’enseignement public (2).

1 – Les membres de la communauté éducative : des représentants de l’administration

Les agents du service de l’enseignement public se doivent, d’abord, de respecter les principes de laïcité et de neutralité dans la mesure où ils sont des agents publics et où ces principes, consacrés, notamment, par la loi de séparation des Eglises et de l’Etat du 09/12/1905 et l’article 1° de la Constitution du 04/10/1958 selon lequel « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », s’appliquent à l’ensemble des services publics. A ce titre, ils doivent traiter l’ensemble des usagers de manière identique, indépendamment de leurs convictions religieuses : c’est ce que l’on nomme la neutralité de fait.

La question posée au Conseil d’Etat, à l’occasion de cette demande d’avis, porte sur le point de savoir s’ils doivent, également, s’abstenir d’exprimer leurs convictions religieuses, notamment par le port d’un signe religieux. En d’autres termes, doivent-ils, en plus, avoir les apparences de cette neutralité ? La Haute juridiction répond à cette interrogation par l’affirmative. Cette solution se fonde sur la position particulière de tout agent public. En effet, à la différence des usagers qui ne représentent qu’eux-mêmes, les agents publics sont la voix et le visage de l’administration ; ils n’ont d’existence, aux yeux du public, que parce qu’ils la représentent. A ce titre, ils se doivent, alors, de manifester matériellement, par l’absence d’expression de toute conviction religieuse (ou de toutes autres opinions), la neutralité du service public dont ils assurent le fonctionnement. C’est, là, une garantie, certes insuffisante, mais indispensable, pour qu’aucun doute ne puisse naître, dans l’esprit des usagers, sur l’impartialité de ces agents.

Avec cet avis, le Conseil d’Etat fait preuve d’une exigence plus forte que celle qu’il avait retenu à l’égard des élèves de l’enseignement public : il avait, en effet, jugé que le port, par ces derniers, de signes religieux n’est pas, par lui-même, incompatible, avec le principe de laïcité (CE, avis, ass. gén., 27/11/1989 ; confirmé par : CE, 02/11/1992, Kherouaa). Cette solution a, cependant été remise en cause par la loi du 15/03/2004 interdisant le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse, de sorte que la situation des élèves s’est, depuis, rapprochée de celle de la communauté éducative.

La position prise par le Conseil d’Etat dans cet avis a, par la suite, été confortée par plusieurs dispositions législatives. Ainsi, l’article L 121-2 du Code général de la fonction publique, reprenant et élargissant les dispositions d’une loi du 20 avril 2016, énonce que « dans l’exercice de ses fonctions, l’agent public est tenu à l’obligation de neutralité … il s’abstient notamment de manifester ses opinions religieuses ». Les obligations de neutralité et de laïcité ne sont donc pas liées aux fonctions des agents, mais à leur qualité même d’agent public. La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a, toutefois, mentionné, que l’obligation de ne pas manifester ses convictions religeuses s’applique dans la mesure où les agents publics « participent à l’exécution du service public ». La même solution a été retenue, par le même texte, pour les salariés de droit privé d’une personne privée gestionnaire d’un service public dès lors qu’ils participent à une mission de service public (conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation du 19/0/2013, Mme X). Ces dispositions semblent impliquer que les agents exerçant des fonctions subalternes ne sont pas assujettis à une telle obligation. Aussi, si la chose peut s’entendre pour la seconde hypothèse, il y a, en revanche, de quoi être étonné pour la première quand l’on sait que l’intention du législateur était de renforcer le respect des principes de neutralité et de laïcité dans les services publics.

Un autre argument tient à la particularité du service de l’enseignement public lui-même.

2 – Le service de l’enseignement public : un service public singulier

Le service de l’enseignement public est, sans aucun, doute le plus singulier des services publics. S’il est celui par lequel se fait la transmission tant des connaissances fondamentales que celles nécessaires à l’exercice d’une profession, il n’en demeure pas moins un vecteur essentiel de l’apprentissage de la citoyenneté. C’est, en effet, par lui que l’esprit critique, les valeurs républicaines et l’histoire de la France sont transmis aux plus jeunes.

Or, l’ensemble de ces missions s’exercent au profit d’un public qui n’est pas encore en mesure, par lui-même, de mettre à l’épreuve les discours qui lui sont adressés. Aussi, l’exigence de neutralité doit être, ici, appréciée de la manière la plus large possible afin qu’aucun choix préférentiel, qu’il soit politique, religieux ou philosophique, ne puisse influencer des esprits dont la capacité de critique et d’affirmation de soi est encore fragile. Et, il doit en aller de la sorte quelle que soit la forme que prend l’expression de l’opinion en cause, qu’il s’agisse d’un discours ou du port d’un signe d’appartenance à une idéologie ou une religion.

Les motivations que l’on devine derrière la position adoptée par le Conseil d’Etat apparaissent, donc, extrêmement fortes. Ainsi, s’explique qu’il entende largement l’interdiction de principe qu’il consacre.

B – Une solution d'application générale

Le Conseil d’Etat considère que l’interdiction du droit de manifester ses convictions religieuses est générale et absolue : elle vise, en effet, tous les agents du service de l’enseignement public (1) et vaut pour toutes les manifestations de convictions religieuses (2).

1 – Une solution valable pour tous les agents du service de l’enseignement public

Selon la Haute juridiction, « il n’y a pas lieu d’établir une distinction entre les agents de ce service public selon qu’ils sont ou non chargés de fonctions d’enseignement ». Autrement dit, l’interdiction s’applique tant aux enseignants qu’aux personnels de surveillance, administratifs ou, encore, techniques. Il apparaît, en effet, justifié d’exiger la même neutralité de l’ensemble de la communauté éducative : le port d’un signe religieux par un surveillant est autant susceptible de heurter les convictions des élèves que lorsqu’il est le fait d’un enseignant.

Cette solution semble, également, avoir été retenue par le juge administratif pour sa simplicité d’application. En effet, distinguer selon que les agents occupent ou non des fonctions d’enseignement aurait pu poser des problèmes pratiques dans la mesure où les agents peuvent voir leurs fonctions évoluer au cours du temps. Or, l’interdiction de l’expression des convictions religieuses ne peut être variable selon les moments.

Cette position n’a pas empêché un Tribunal administratif de considérer, sur la base d’un avis non publié du Conseil d’Etat du 23/12/2013, que les mères voilées accompagnant les élèves lors d’une sortie scolaire devaient être regardées comme des usagers du service public de l’éducation et n’étaient, donc, pas soumises au respect du principe de neutralité religieuse (TA Nice, 09/06/2015, Mme. D). Cette solution est totalement défendable, tout comme aurait pu l’être celle consistant à considérer qu’en accompagnant les élèves dans le cadre du service public de l’éducation, les intéressées étaient, de fait et pour un temps, des membres de la communauté éducative. Une Cour administrative d’appel s’est, toutefois, écartée de cette position dans un cas spécifique en jugeant que « les personnes qui, à l'intérieur des locaux scolaires, participent à des activités assimilables à celles des personnels enseignants, sont astreintes aux mêmes exigences de neutralité » (CAA Lyon, 23/07/2019, n° 17LY04351). Dans cette décision, ce n’était plus la qualité de la personne qui était en cause, mais la nature de son action, à savoir sa participation à une activité d’enseignement.

L’interdiction de principe posée par le Conseil d’Etat revêt la même généralité s’agissant des manifestations de convictions religieuses concernées.

2 – Une solution valable pour toutes les manifestations de convictions religieuses

Là encore, le Conseil d’Etat fait œuvre de simplicité. Ce sont, ainsi, toutes les manifestations de croyances religieuses, dont le port d’un signe religieux n’est qu’une hypothèse, qui se trouvent prohibées. Le non-respect de cette interdiction par un agent dans l’exercice de ses fonctions constitue un manquement à ses obligations. 

Il n’y a pas lieu de distinguer, au plan du principe, entre les types d’expression, selon le degré de leur caractère ostentatoire. Ces éléments doivent, cependant, être pris en compte au niveau du traitement du dossier par l’autorité administrative. Le Conseil d’Etat juge, en effet, que « les suites à donner à ce manquement, notamment sur le plan disciplinaire, doivent être appréciées par l’administration sous le contrôle du juge, compte tenu de la nature et du degré de caractère ostentatoire de ce signe, comme des autres circonstances dans lesquelles le manquement est constaté ». Concrètement, dans l’hypothèse d’une sanction, le juge administratif en appréciera la légalité au regard de la nature de l’expression des convictions religieuses, du niveau hiérarchique de l’agent et des fonctions qu’il exerce ou, encore, des avertissements qui auraient déjà pu lui être adressés.

Avec l’avis Mlle. Marteaux, le Conseil d’Etat adopte, donc, une solution équilibrée qui reflète, parfaitement, l’exigence qui irrigue la jurisprudence administrative : celle d’une incessante conciliation entre des intérêts, parfois, contradictoires, en l’occurrence, ici, la liberté de conscience des agents publics et le devoir de neutralité qui s’impose à eux en tant que représentants de l’administration. Cette solution apparaît, également, conforme à l’esprit de la loi de 1905 dont le cœur réside dans l’équilibre entre l’intérêt général et l’ordre public d’une part et la liberté de religion et son expression d’autre part. Elle a fait l’objet d’une « validation » par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 26/11/2015, Mme Ebrahimian c/ France).

CE, avis, 3/05/2000, Mlle. Marteaux

Vu, enregistré le 2 février 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement du 25 janvier 2000 par lequel le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, avant de statuer sur la demande de Mlle Julie X... tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 février 1999 par lequel le recteur de l'académie de Reims a mis fin à ses fonctions de surveillante intérimaire à temps complet, a décidé, par application des dispositions de l'article 12 de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :

1°) les exigences tenant aux principes de la laïcité de l'Etat et de la neutralité des services publics qui fondent l'obligation de réserve incombant à un agent public, doivent-elles être appréciées en fonction de la nature des services publics concernés ;

2°) dans le cas du service public de l'enseignement, convient-il de distinguer suivant que l'agent assure ou non des fonctions éducatives et, dans cette éventualité, suivant qu'il exerce ou non des fonctions d'enseignement ;

3°) convient-il, dans certains cas, d'opérer une distinction entre les signes religieux selon leur nature ou le degré de leur caractère ostentatoire ; 

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ; 
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 et notamment son article 12 ; 
Vu la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 ; 
Vu les articles 57-11 à 57-13 ajoutés au décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 modifié par le décret n° 88-905 du 2 septembre 1988 ; 
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945 et le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 ;

Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Picard, Maître des Requêtes,
- les conclusions de M. Schwartz, Commissaire du gouvernement ;

1°) Il résulte des textes constitutionnels et législatifs que le principe de liberté de conscience ainsi que celui de la laïcité de l'Etat et de neutralité des services publics s'appliquent à l'ensemble de ceux-ci ;

2°) Si les agents du service de l'enseignement public bénéficient comme tous les autres agents publics de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination dans l'accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière qui serait fondée sur leur religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu'ils disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses ;
Il n'y a pas lieu d'établir une distinction entre les agents de ce service public selon qu'ils sont ou non chargés de fonctions d'enseignement ;

3°) Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le fait pour un agent du service de l'enseignement public de manifester dans l'exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations ;
Les suites à donner à ce manquement, notamment sur le plan disciplinaire, doivent être appréciées par l'administration sous le contrôle du juge, compte tenu de la nature et du degré de caractère ostentatoire de ce signe, comme des autres circonstances dans lesquelles le manquement est constaté ; 

Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, à Mlle Julie X..., au ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat et au ministre de l'éducation nationale ;
Il sera publié au Journal officiel de la République française.