Un droit d’accueil minimum au profit des élèves des écoles maternelles et élémentaires (CE, 17/06/2009, Syndicat UNSA et Commune de Brest ; CE, 7/10/2009, Commune du Plessis-Paté)

Introduction

Le droit des services publics est régi par des lois dites de Rolland, du nom du professeur qui les a systématisées dans les années 1930, c’est-à-dire par plusieurs grands principes organisant et garantissant le fonctionnement de ces activités : il s’agit de la continuité, la mutabilité et l’égalité. De nouveaux principes ont également émergé plus tard dans la jurisprudence, tels que la neutralité, la laïcité et la gratuité.

La continuité du service public est donc une exigence essentielle pour le bon fonctionnement de celui-ci et la satisfaction de l’intérêt général. Ce principe a d’ailleurs été reconnu comme principe à valeur constitutionnelle (Conseil constitutionnel, 25 juillet 1979, Droit de grève à la télévision).

Dans les établissements scolaires aussi, le principe de continuité du service public a son importance. Il a fait l’objet de bon nombre de débats, face à différents mouvements de grèves de la part des enseignants. La loi du 20 août 2008 met en place un service minimum d’accueil pour les enfants dans les écoles maternelles et élémentaires.

D’une part, le Conseil d’Etat est amené à se prononcer en juin 2009, sur la légalité de la circulaire d’application (circulaire n° 2008-111 du 26 août 2008 du ministre de l'éducation nationale) de la loi du 20 août 2008. En effet, le Syndicat des enseignants UNSA et la Commune de Brest en demandaient l’annulation. Aussi, la collectivité territoriale demandait l’annulation du décret du 4 septembre 2008 relatif à la compensation financière de l’Etat aux communes au titre de la mise en place de ce service minimum d’accueil. Le juge administratif annulera la circulaire en certaines de ses dispositions, mais retiendra la légalité du décret.

D’autre part, la Haute-juridiction est également amenée à se prononcer quelques mois plus tard, en octobre 2009, sur la légalité de la délibération adoptée par le conseil municipal de la Commune de Plessis-Platé, refusant de mettre en place ce service minimum d’accueil. Le juge des référés du Tribunal administratif de Versailles, confirmé par l’ordonnance du juge des référés de la Cour administrative d’appel, a suspendu l’exécution de cette délibération, enjoignant la commune sous astreinte à prendre les dispositions qui s’imposaient pour pouvoir assurer ce service minimum à l’occasion d’une grève prochaine. Une ordonnance confirmée par le Conseil d’Etat, qui rejette les arguments juridiques de la commune.

Le Conseil d’Etat évoque l’instauration par la loi d’un service minimum d’accueil des élèves, confirmant l’existence d’une obligation en ce sens à la charge des communes (II).

I - L'instauration par la loi d'un service minimum d'accueil des élèves

Dans ces deux arrêts, le Conseil d’Etat rappelle la garantie d’un service minimum d’accueil pour les élèves, marque d’une véritable conciliation entre le droit de grève et l’accueil des élèves (A), dans le cadre d’une procédure strictement définie par la loi d’août 2008 (B).

A - Une conciliation entre droit de grève et accueil des élèves

Ce service minimum marque réellement l’émergence d’une conciliation entre le respect du droit de grève et l’accueil des élèves au sein du service public de l’enseignement.

Le droit de grève est évidemment un droit garanti à tous les citoyens de la République française. Il figure dans notre bloc de constitutionnalité, notamment dans le Préambule de la Constitution de 1946 qui précise que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Ainsi, on le voit bien, si ce droit est clairement reconnu et garanti, il demeure également encadré. C’était déjà le sens donné par le Conseil d’Etat en 1950 (CE, 7 juillet 1950, Dehaene) où le juge administratif tente de concilier droit de grève des fonctionnaires et continuité du service public.

La loi d’août 2008, créant, après de nombreux débats, un service minimum d’accueil dans les écoles maternelles et élémentaires en cas de grève, ne remet pas en cause le droit de grève des enseignants, mais vient en réglementer certaines modalités, tout en garantissant aux parents que leurs enfants soient tout de même accueillis au sein de ces structures scolaires. Codifiée à l’article L. 133-1 du Code de l’éducation, elle prévoit ainsi que « tout enfant scolarisé dans une école maternelle ou élémentaire publique ou privée sous contrat est accueilli pendant le temps scolaire pour y suivre les enseignements prévus par les programmes et qu' il bénéficie gratuitement d'un service d'accueil lorsque ces enseignements ne peuvent lui être délivrés en raison de l'absence imprévisible de son professeur et de l'impossibilité de le remplacer ainsi qu' en cas de grève ». Pour le Conseil d’Etat, il s’agit d’ailleurs d’un nouveau service public, distinct du service public de l’éducation, mais qui participe pour autant à la continuité de celui-ci.

La loi vient également encadrer le droit de grève des enseignants, en prévoyant plusieurs conditions qu’il faut nécessairement respecter. Codifiées à l’article L. 133-2 du Code de l’éducation, ces conditions sont rappelées par la Haute-juridiction. Un préavis doit notamment être déposé dans les conditions fixées par le Code du travail et les enseignants doivent annoncer leur participation à la grève au moins 48 heures avant le début du mouvement social. Ainsi, dans l’arrêt du 17 juin 2009, le Conseil d’Etat rappelle qu’en « tout état de cause, [l’autorité administrative] doit être informée, au plus tard quarante-huit heures avant le début de la grève, du nombre, par école, des personnes ayant déclaré leur intention d'y participer ».

B - Une procédure strictement définie par la loi d'août 2008

Le Conseil d’Etat montre son attachement à la procédure et au cadre juridique du service minimum d’accueil, strictement définis par la loi du 20 août 2008. En effet, le juge administratif met en avant deux causes d’illégalité de la circulaire d’application, qui outrepasse les conditions de mise en œuvre prévues par le texte législatif. Il s’agit tout d’abord, de la question de la consultation du fichier judiciaire national des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes concernant les personnes proposées par le maire pour assurer le service minimum. Il s’agit, ensuite, de la possibilité pour la commune de confier l’organisation du service d’accueil à une association qui gère un centre de loisirs.

Dans l’affaire concernant la Commune de Brest, le juge administratif précise ainsi que seule l’autorité académique peut consulter le fichier judiciaire national automatisé. En effet, la circulaire mise en cause prévoyait au contraire que « lorsque la consultation par l'autorité académique du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes fait apparaître qu'une ou plusieurs personnes proposées par le maire figurent sur ce fichier, le préfet en est informé ». Le Conseil d’Etat rappelle que « le 3° de l'article 706-53-7 du code de procédure pénale ne prévoit aucun cas dans lequel le préfet aurait la qualité de destinataire des informations contenues dans le fichier et qu'il restreint l'accès direct au fichier du préfet et des administrations au seul besoin des décisions administratives leur incombant concernant l'exercice ou le contrôle de l'exercice des activités ou professions impliquant un contact avec des mineurs, et qu'en l'espèce c'est à la seule autorité académique, à l'exclusion de toute autre y compris du préfet » que ce contrôle incombe, comme le précisent les dispositions de l’article L. 133-7 du Code de l’éducation.

De la même manière, la circulaire outrepasse les dispositions de la loi en indiquant que cette dernière « autorise tous les mécanismes conventionnels d'association ou de délégation du service et, en particulier, que la commune peut ainsi confier le soin d'organiser pour son compte le service d'accueil... à une association gestionnaire d'un centre de loisirs ». Le Conseil d’Etat considère, qu’au contraire, la loi et les travaux préparatoires à cette dernière font apparaitre une limitation du recours à la délégation du service public. Il précise ainsi « qu'il résultait [de la loi mettant en place ce service minimum d’accueil] que le législateur a fixé de façon limitative les délégataires autorisés pour l'exercice par la commune du service public d’accueil ». En effet, l’article L. 133-10 du Code de l’éducation précise notamment que « la commune peut confier par convention à une autre commune ou à un établissement public de coopération intercommunale l'organisation, pour son compte, du service d'accueil. Elle peut également confier par convention cette organisation à une caisse des écoles, à la demande expresse du président de celle-ci ».

Le Conseil d’Etat rappelle aussi, de manière non-exhaustive, que « pour figurer sur la liste des personnes susceptibles d'assurer le service d'accueil, la commune peut faire appel à des agents municipaux, dans le respect de leurs statuts, mais également à des assistantes maternelles, des animateurs d'associations gestionnaires de centre de loisirs, des membres d'associations familiales, des enseignants retraités, des étudiants, des parents d’élèves… ». Le maire doit toujours s’assurer de la qualité des personnes par rapport à la mission qui leur est confiée.

La loi créée finalement une véritable obligation pour les communes, garantissant ainsi ce service minimum d’accueil.

II - Un service minimum d'accueil des élèves à la charge des communes

Le Conseil d’Etat confirme l’illégalité du refus d’une commune de prévoir l’organisation d’un service minimum d’accueil (A), actant ainsi une véritable obligation pour les communes. Pour autant, la mise en place de ce service permet à la commune de bénéficier d’une compensation financière de la part de l’Etat (B).

A - L'illégalité du refus de prévoir un service minimum d'accueil

Comme l’avait déjà précisé le TA de Paris (TA Paris, 30 janvier 2009, Préfet de Paris) quelques mois auparavant, il est possible pour le juge des référés d’enjoindre au maire de constituer la liste des personnes prévues pour l’organisation du service d’accueil dans les écoles. Une décision qui montrait la rigueur du juge administratif sur cette question et son attachement à l’obligation incombant aux communes concernées. En effet, la loi d’août 2008 précise que « la commune met en place le service d'accueil à destination des élèves d'une école maternelle ou élémentaire publique située sur son territoire lorsque le nombre des personnes qui ont déclaré leur intention de participer à la grève en application du premier alinéa est égal ou supérieur à 25 % du nombre de personnes qui exercent des fonctions d'enseignement dans cette école ». Une obligation que confirme le Conseil d’Etat en jugeant illégale la délibération de la commune de Plessis-Platé refusant de mettre en place ce service minimum.

Pour justifier ce refus, dans une délibération municipale du 13 octobre 2008, le conseil municipal de Plessis-Platé met en avant deux arguments. Tout d’abord, le manque d’effectifs d’animateurs au sein de la commune, ce qui l’empêcherait d’organiser correctement ce service, mais également la faible probabilité que la grève prévue le mois suivant n’atteignent au moins le taux de 25% de grévistes requis par la loi pour que le service d’accueil soit mis en place. Des arguments que la CAA de Versailles et le Conseil d’Etat rejettent considérant que ces arguments sont « sans effet sur la légalité de cette délibérations ».

En tout état de cause, la commune a donc l’obligation, en collaboration avec l’Etat, de prévoir une liste de personnes susceptibles de prendre en charge cet accueil, conformément à la loi, peu importe que le taux de grévistes soit susceptible d’atteindre la limite nécessaire de 25%.

L’organisation de ce service minimum d’accueil n’a pas un caractère facultatif, d’autant plus que la loi d’août 2008 prévoit la mise en place d’une compensation financière de l’Etat pour aider les communes qui organisent effectivement ce service.

B - La mise en place d'une compensation financière par l'Etat

Les deux arrêts du Conseil d’Etat qui nous intéressent mettent aussi en avant la compensation financière de l’Etat prévue par la loi, pour aider financièrement les collectivités territoriales.

Le décret du 4 septembre 2008 relatif à la compensation financière au titre du service d’accueil au profit des élèves, considéré comme légal par le Conseil d’Etat, ainsi que l’article L. 133-8 du Code de l’éducation prévoit donc ce dispositif : « L'Etat verse une compensation financière à chaque commune qui a mis en place le service d'accueil prévu au quatrième alinéa de l'article L. 133-4 au titre des dépenses exposées pour la rémunération des personnes chargées de cet accueil ». Cette compensation prend également en compte le nombre d’élèves accueillis lors de la mise en place de ce service. En effet, le Conseil d’Etat rappelle dans l’arrêt Commune de Brest, « que le calcul de la compensation versée aux communes ayant mis en œuvre le service d'accueil suppose que l'autorité académique ait connaissance à la fois du nombre effectif d'enseignants ayant participé au mouvement de grève et du nombre d'élèves accueillis ». L’autorité a déjà en sa possession le nombre d’enseignants grévistes, le maire n’aura plus qu’à notifier le nombre d’élèves accueillis.

Il faut enfin remarquer que le versement à la commune est effectué très rapidement puisque le Code de l’éducation prévoit que la compensation a lieu au maximum trente-cinq jours après la déclaration des différents éléments nécessaires par le maire à l’autorité compétente.

Un mécanisme de compensation financière qui s’applique également, au-delà des communes pour les écoles publiques, aux écoles privées sous contrat d’association. Les organismes gestionnaires reçoivent donc une compensation financière identique, en fonction des différents éléments rapportés.

Si cette obligation pour les communes est appuyée et encouragée par la compensation financière de l’Etat, la mise en œuvre du service minimum d’accueil dans les écoles n’est pas toujours effective. Elle pose parfois encore un certain nombre de problèmes (Cf. F. MARMOUYET, « Grèves en primaire : pourquoi le service minimum d’accueil n’est pas appliqué », La Croix, 5 décembre 2013).

CE, 17/06/2009, Syndicat UNSA et Commune de Brest

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000020869383/

CE, 7/10/2009, Commune du Plessis-Paté

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000021164501