La France, qui n’a jamais vécu de longue période sans attentat, a connu depuis novembre 2015 une vague d’attaques nouvelles et sans précédent qui ont nécessité de recourir à une législation d’exception. L’état d’urgence, prévu et organisé par la loi du 3 avril 1955, autorise notamment l’administration à réaliser des perquisitions administratives sur ordre du préfet. La dynamique qui a prévalu dans la lutte contre le terrorisme a pu s’étendre à des personnes qui ne peuvent être qualifiés de terroristes. La juridiction administrative a donc été saisie d’un grand nombre de requêtes à l’encontre d’actes pris sous cette législation. Par son avis contentieux du 6 juillet 2016, le Conseil d’État revient sur le régime de contrôle et de sanction à leur appliquer.
Dans le cadre de recours dirigés par divers requérants contre des arrêtés ordonnant une perquisition administrative en application de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955, plusieurs Tribunaux administratifs ont saisi le Conseil d’État d’une demande d’avis de l’article L.113-1 du Code de justice administrative. Cette procédure permet aux juridictions du fond de solliciter la position du Conseil sur des points de droit particuliers, de l’interprétation desquels dépend la solution des litiges. Le Conseil n’est pas saisi des faits. Il rend donc une solution in abstracto, sans considération pour les données factuelles. De la même façon, puisqu’il ne tranche pas le litige, renvoyant la connaissance au fond de l’affaire à la juridiction saisissante, son avis n’est pas revêtu de l’autorité de la chose jugée. Pour autant, il n’est pas dépourvu de toute force normative, bien au contraire, puisque les juridictions du fond ont tout intérêt à suivre la solution juridique dégagée, au risque de voir leurs jugements censurés en cassation.
Ces prémisses étant posées, il convient de revenir à l’avis commenté. Le Conseil d’État joint plusieurs demandes afin de traiter ensemble les questions relevant d’une même catégorie d’actes. Ce choix est judicieux et permet surtout au Conseil de délivrer un avis d’une grande richesse, particulièrement dense et efficace. En ce sens, l’avis fait œuvre d’une grande pédagogie. Cela était nécessaire tant les conditions d’application de l’état d’urgence sont dures. Jamais, la France, dans son histoire récente, n’avait connu une si longue période d’état d’urgence. Jamais, non plus, elle n’avait connu une mobilisation des forces armées, de police et militaire aussi importante. Jamais, encore, le recul du juge judiciaire et, corrélativement, la montée en puissance du juge administratif dans la protection des libertés individuelles, n’avaient été si forts. Jamais, enfin, les limites à l’État de droit et aux libertés individuelles n’avaient été poussées aussi loin. La tension sur le maintien de l’état d’urgence est réellement palpable. Il était invité à répondre, en substance, à trois grandes questions. La première concernait la recevabilité du recours en excès de pouvoir (REP) contre les arrêtés ordonnant la réalisation d’une perquisition administrative. La seconde catégorie regroupe les questions relatives à la nature et à l’étendue du contrôle à opérer par le juge administratif. La troisième tendait à délimiter les conditions d’engagement et le régime de responsabilité à appliquer aux conséquences de ces actes.
Le Conseil livre, en quelques sortes, un manuel du contrôle juridictionnel des arrêtés de perquisition administrative. Sur le contrôle à opérer, il prend pleinement conscience de l’importance de son office, qu’il entend façonner de manière effective et raisonnée (I). Sur la responsabilité, il organise un régime d’engagement de responsabilité assoupli (II).
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I - Un contrôle effectif et raisonné des actes
- A - Un contrôle de droit commun de la légalité externe
- B - Un contrôle de la légalité interne mesuré
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II - Une vision intégrale des cas et des formes d’engagement de la responsabilité de l’État
- A - Un abandon de la faute lourde
- B - Une ouverture relativement large de la responsabilité sans faute
- CE, ass., avis, 6/07/2016, Napol