Introduction
La possibilité d’engager la responsabilité de l’administration pour ses fautes a, longtemps, été conditionnée par la commission d’une faute lourde, c’est-à-dire d’une faute présentant un haut degré de gravité. Il en allait ainsi, notamment, pour les services régaliens, tels que les services de police, le service public pénitentiaire ou, encore, les services de l’administration fiscale. Cette exigence a, toutefois, été, progressivement, abandonnée pour la plupart des activités administratives, le juge se contentant, désormais, d’une faute simple. C’est ce que le Conseil d’Etat décide, en l’espèce, en ce qui concerne les services fiscaux.
Dans cette affaire, la société de travaux publics GEK, dont M. Krupa était le cogérant, a fait l’objet d’une procédure de vérification de comptabilité. Dans le cadre de ce contrôle, l’administration fiscale a adressé à M. Krupa un courrier visant à obtenir les noms des bénéficiaires des sommes distribuées et non déclarées par la société. En l’absence de réponse de sa part, M. Krupa a été tenu solidairement responsable, avec la société, du paiement d’une pénalité de 583 831 €. L’intéressé a contesté cette dernière devant le tribunal administratif de Strasbourg qui a, par un jugement du 16 mars 1989, rejeté son recours. La même solution a été rendue en appel par la cour administrative d'appel de Nancy le 10 octobre 1991. M. Krupa s’est, donc, pourvu en cassation devant le Conseil d'Etat qui a, par une décision du 6 novembre 1995, annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy et renvoyé à cette dernière la requête de M. Krupa. Par un arrêt du 30 avril 1998, les juges d’appel de Nancy ont, alors, déchargé M. Krupa du paiement de la pénalité en litige.
Mais, estimant avoir subi un préjudice du fait du comportement fautif de l’administration fiscale, M. Krupa a engagé une seconde procédure devant le tribunal administratif de Strasbourg et la cour administrative d'appel de Nancy afin d’en obtenir réparation, sans succès toutefois. Celui-ci se pourvoit donc en cassation devant le Conseil d’Etat. Par un arrêt de section du 21 mars 2011, la Haute juridiction fait droit à sa requête et reconnaît, d’une part, que l’administration a commis une faute et, d’autre part, que M. Krupa a, de ce fait, subi un trouble dans ses conditions d’existence qu’il convient de réparer.
La formule retenue par le juge administratif suprême pour caractériser cette faute mérite, d’ores et déjà, d’être citée. En effet, celui-ci évoque une « faute … de nature à engager la responsabilité de l'Etat ». Par ces mots, le Conseil d’Etat signifie que la responsabilité de l’administration fiscale peut, désormais, être engagée sur la base d’une seule faute simple. La Haute juridiction applique ainsi à cette activité la démarche qui l’a conduit à abandonner l’exigence d’une faute lourde qui prévalait jusque-là pour nombre d’activités régaliennes. Une fois posé le principe de la faute simple et identifié cette faute, la suite du raisonnement du juge est plus classique : celui-ci s’attache à identifier le préjudice de M. Krupa et à vérifier que celui-ci trouve sa cause directe dans la faute de l’administration.
Il convient, donc, d’étudier, dans une première partie, le passage de la faute lourde à la faute simple pour engager la responsabilité de l’administration fiscale (I) et d’analyser, dans une seconde partie, le préjudice subi par M. Krupa et son lien avec la faute des services fiscaux (II).
I – De la faute lourde à la faute simple pour engager la responsabilité de l'administration fiscale
Longtemps, la responsabilité pour faute de l’administration fiscale a été difficile à engager : il était, ainsi, nécessaire, depuis 1962, qu’une faute lourde soit commise. La jurisprudence Bourgeois (CE, sect., 27/07/1990) est venue tenter de tempérer cette exigence, mais sans succès (A). Ce n’est qu’avec l’arrêt Krupa que la responsabilité des services fiscaux a été soumise à l’exigence d’une seule faute simple (B).
A – La jurisprudence Bourgeois : une limitation avortée de l'exigence d'une faute lourde
L’évolution apportée par l’arrêt Bourgeois était attendue (1), mais sa mise en pratique a révélé des insuffisances (2).
1 – Une jurisprudence bienvenue …
La jurisprudence Bourgeois a donné lieu à un accueil favorable de la part de la doctrine et des justiciables tant elle apparaissait comme mettant un terme à la difficile mise en cause de la responsabilité de l’administration fiscale qui prévalait jusque-là. En effet, jusqu’en 1962, cette mise en cause supposait que soit présente une faute d’une exceptionnelle gravité. Une légère évolution a eu lieu cette année-là puisque le Conseil d’Etat « s’est contenté » d’une faute lourde (CE, sect., 21/12/1962, Dame Husson-Chiffre). Bien que progressiste, cette solution s’est vite révélée non productive tant le juge administratif n’admettait que très rarement l’existence d’une telle faute.
L’évolution apportée par la décision Bourgeois était donc attendue. Dans cette décision, le Conseil d’Etat pose que l’administration fiscale peut voir sa responsabilité engagée sur la base d’une faute simple lorsque les opérations d’établissement et de recouvrement de l’impôt « ne comportent pas de difficultés particulières tenant à l’appréciation de la situation des contribuables ». En revanche, lorsque des difficultés particulières se posent, le juge exige la faute lourde. En d’autres termes, il est nécessaire d’apprécier au cas par cas l’existence de ces difficultés pour déterminer le degré de la faute exigé. Cette démarche s’apparentait, ainsi, à ce qui avait cours pour d’autres activités de la puissance publique, tels que les services de police. Sa mise en pratique a, toutefois, rapidement déçu.
2 - … mais qui déçoit rapidement
Très vite, le juge administratif va venir limiter la portée de la décision Bourgeois. Il le fait dès 1997 avec l’arrêt de section Commune d’Arcueil (CE, 29/12/1997). Par cette décision, le Conseil d’Etat indique que la règle demeure que « les erreurs commises par l’administration fiscale lors de l’exécution d’opérations qui se rattachent aux procédures d’établissement et de recouvrement de l’impôt ne sont, en principe, susceptibles, en raison de la difficulté que présentent généralement la mise en œuvre de ces procédures, d’engager la responsabilité de l’Etat que si elles constituent une faute lourde ; que, toutefois, il en va différemment lorsque l'appréciation de la situation du contribuable ne comporte pas de difficultés particulières ». Autrement dit, là où la jurisprudence Bourgeois impliquait une appréciation au cas par cas des difficultés rencontrées par l’administration fiscale, l’arrêt Commune d’Arcueil fait de la faute lourde la règle et de la faute simple l’exception.
La mise en pratique de cette solution a freiné l’essor impulsé par l’arrêt Bourgeois. C’est ainsi que la faute simple ne suffisait à engager la responsabilité de l’administration que dans les cas où les erreurs commises étaient, en fait, sans aucun lien avec l’appréciation de la situation du contribuable (erreurs purement matérielles dans la saisie et le traitement informatisé des déclarations ou, encore, dans l’exécution automatique des prélèvements mensuels). En revanche, s’agissant de l’activité d’assiette et de recouvrement des impôts, le Conseil d’Etat exigeait la faute lourde, celui-ci présumant que ce type d’activités était, par principe, soumis à des difficultés particulières. Le champ d’application de la faute lourde demeurait donc très large. Pire, le pratique devait démontrer que le juge administratif était, pour le moins, exigeant dans la reconnaissance d’une faute lourde : la faute devait, en effet, être accablante. L’ensemble de ces considérations conduisaient le juge à n’engager que très rarement la responsabilité pour faute de l’administration fiscale.
Ainsi s’explique que le Conseil d’Etat, face à une jurisprudence Bourgeois qui n’avait pas produit les effets escomptés, ait souhaité soumettre la responsabilité des services fiscaux à l’exigence commune d’une faute simple.
B – La jurisprudence Krupa : l'alignement sur le principe de la faute simple
Avec l’arrêt Krupa, le Conseil d’Etat n’exige plus qu’une faute simple pour engager la responsabilité des services fiscaux et s’aligne ainsi sur les solutions ayant cours dans d’autres secteurs de l’activité administrative (1). Plusieurs raisons expliquent ce revirement de jurisprudence (2).
1 – Une solution qui rejoint le droit commun de la responsabilité administrative
Le Conseil d’Etat décide, dès son deuxième considérant, « qu’une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne [par exemple une collectivité territoriale en matière de fiscalité locale : CE, 16/11/2011, Commune de Cherbourg-Octeville] si elle leur a directement causé un préjudice ». Par des mots écrits « une faute … de nature à engager la responsabilité de l’Etat » et un mot absent, « lourde », la Haute juridiction fait passer le régime de responsabilité de l’administration fiscale de l’exigence d’une faute lourde à celle d’une seule faute simple.
En l’espèce, le juge administratif considère que l’administration ne pouvait, au regard de la loi fiscale, considérer que M. Krupa était tenu solidairement au paiement de la pénalité à laquelle la société GEK avait été assujettie. Il juge, alors, que cette erreur constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
En posant ainsi ces principes, le Conseil d’Etat aligne le régime des services fiscaux sur celui des services administratifs pour lesquels le juge administratif a délaissé l’exigence de la faute lourde, qu’il s’agisse des services de police (par exemple, pour les services de lutte contre l’incendie : CE, 29/04/1998, Commune de Hannapes), du service public pénitentiaire (par exemple, pour le suicide d’un détenu : CE, 09/07/2007, M. D.) ou, encore, de l’activité médicale (CE, ass., 10/04/1992, Epoux V). Plusieurs raisons semblent avoir motivé le juge administratif suprême pour faire bénéficier ce secteur de la puissance publique de l’élan libéral de sa jurisprudence.
2 – Les motivations du Conseil d’Etat
Le Conseil d’Etat semble avoir été inspiré par plusieurs idées pour opérer cette évolution. La première est le caractère infondé du motif tenant à la complexité de l’activité fiscale pour justifier l’exigence d’une faute lourde. Comme l’a noté le rapporteur public, cette activité n’est pas plus complexe que l’activité médicale ou celle des services de secours. Or, dans ces deux derniers domaines, l’exigence d’une faute lourde a été abandonnée. Dans le domaine juridique aussi, d’autres activités présentent un haut degré de technicité, ce qui n’empêche pas le juge administratif de se contenter d’une faute simple.
Par ailleurs, les relations entre le fisc et le contribuable ont évolué depuis une vingtaine d’années. La volonté politique a été de faire de cette administration une « administration de service » dans le but d’améliorer la position du contribuable vis-à-vis des services fiscaux. Cela s’est traduit par plusieurs programmes, tels que « Pour vous faciliter l’impôt » ou, encore, la Charte Marianne qui impose de multiples obligations à l’administration dans le but de mieux prendre en compte les droits des administrés. L’arrêt Krupa ne fait donc que traduire, sur le plan contentieux, un mouvement plus général.
Le Conseil d’Etat a pu, aussi, être convaincu par les risques limités que cette nouvelle règle fait peser sur l’administration fiscale. Plus précisément, la Haute juridiction a entouré la règle ainsi posée de garde-fous permettant de ne pas engager la responsabilité de l’administration fiscale dans certaines hypothèses. C’est l’un des objets de la seconde partie du présent commentaire.
II – Du préjudice indemnisable au lien de causalité avec la faute simple de l'administration fiscale
Le Conseil d’Etat dessine, d’abord, les contours des préjudices indemnisables en matière fiscale (A), puis analyse le lien de causalité entre la faute des services fiscaux et les préjudices de M. Krupa (B).
A – Les contours des préjudices indemnisables en matière fiscale
Après avoir posé la suffisance d’une faute simple, le Conseil d’Etat poursuit son considérant de principe en jugeant « qu'un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie ». Plusieurs observations peuvent, alors, être faites.
Selon la première, le préjudice ne peut résulter du seul paiement de l’impôt. La raison en est simple : les recours ouverts au contribuable par le régime du contentieux fiscal et, notamment, l’action en décharge ou en réduction de l’impôt, lui permettent déjà d’obtenir le remboursement de l’impôt payé alors qu’il n’était pas légalement dû.
Ensuite, le préjudice « peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie ». Cette formulation ne doit pas tromper. En effet, cette liste de préjudices n’est pas limitative : tout préjudice causé par l’activité fiscale peut être indemnisé. Mais, le Conseil d’Etat prend soin de citer les deux hypothèses qui se rencontreront le plus. La première est celle où le préjudice résulte des conséquences matérielles des décisions des services fiscaux : par exemple, liquidation d’une entreprise comme en l’espèce, vente de certains biens, perte de recettes fiscales pour les collectivités locales. La seconde concerne les troubles dans les conditions d’existence : ici, M. Krupa invoque « la vente de ses biens, dont son habitation principale, afin d'apurer le passif de son entreprise aggravé par sa dette fiscale … l'atteinte à sa réputation auprès des organismes bancaires et de son principal client auxquels ont été adressés les avis à tiers détenteurs alors qu'il venait de créer son entreprise personnelle ».
Mais, pour que ces préjudices soient indemnisés, ils doivent trouver leur cause directe dans la faute de l’administration.
B - Le lien de causalité entre la faute simple de l'administration fiscale et les préjudices
Pour qu’un préjudice donne lieu à indemnisation, la faute invoquée doit être la cause directe du préjudice. En la matière, le juge administratif ne retient pas la théorie de l’équivalence des conditions, en vertu de laquelle toutes les conditions nécessaires à la réalisation du dommage sont considérées comme en étant les causes. Il se base, au contraire, sur la théorie de la causalité adéquate : concrètement, la réalisation d’un dommage est attribuée à celui des faits dont on peut estimer qu’il avait une vocation particulière à provoquer ce dommage. Partant, il doit exister un lien direct entre la faute de l’administration fiscale et le préjudice du contribuable pour que celui-ci soit indemnisé. Le Conseil d’Etat commence par faire la liste des situations dans lesquelles le préjudice n’est pas, par principe, considéré comme résultant d’une faute de l’administration (1). Il analyse, ensuite, le lien de causalité entre la faute des services fiscaux et les préjudices spécifiquement invoqués par M. Krupa (2).
1 – L’inventaire des situations où le préjudice ne résulte pas de la faute de l’administration fiscale
Dans son considérant de principe, le Conseil d’Etat pose « que le préjudice invoqué ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration si celle-ci établit soit qu'elle aurait pris la même décision d'imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte, soit qu'une autre base légale que celle initialement retenue justifie l'imposition ; qu'enfin l'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité ».
La première partie de ce considérant conduit à exclure la responsabilité de l’administration dans deux hypothèses : celle où la décision litigieuse, quoiqu’illégale, était, au fond, justifiée et aurait pu être légalement prise par l’administration si celle-ci avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu’elle avait omis de prendre en compte ; et celle où une autre base légale que celle initialement retenue justifierait l’imposition.
La seconde partie amène à tenir compte de la faute de la victime pour rompre en tout ou partie le lien de causalité existant entre la faute de l’administration et le préjudice de la victime. En l’espèce, l’Etat considérait que M. Krupa avait manqué à son obligation de tenir informée l’administration de sa situation. Mais, le juge administratif suprême rejette cet argument au motif que l’intéressé n’a pas été mis en mesure par l’administration de respecter cette obligation.
Qu’en est-il, en l’espèce, des préjudices invoqués par M. Krupa ?
2 – Le lien de causalité entre la faute de l’administration fiscale et les préjudices de M. Krupa
M. Krupa invoquait deux préjudices. Le premier résultait de la mise en liquidation judiciaire de son entreprise individuelle du fait de la somme mise à sa charge par les services fiscaux. Mais, le juge administratif suprême relève qu’il avait été sursis aux avis à tiers détenteurs émis par l’administration, que le passif de son entreprise était déjà très important et que les services fiscaux avaient procédé au remboursement de sommes déjà acquittées. Il en conclu alors qu’il n’existe pas de lien de causalité entre la liquidation de son entreprise et la faute de l’Etat.
La Haute juridiction considère, en revanche, que les troubles dans ses conditions d’existence résultent de la faute des services fiscaux et décide de condamner l’Etat à allouer à M. Krupa la somme de 20 000 €.
CE, sect., 21/03/2011, M. Krupa
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 juin et 20 août 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Christian A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 05NC00357 du 5 avril 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0001255 du 18 janvier 2005 du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 20 000 000 francs (3 048 980,34 euros) en réparation des préjudices subis à raison de la pénalité fiscale mise indûment à sa charge ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions de première instance et d'appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société GEK, qui avait pour objet la réalisation de travaux publics et dont M. A était alors le cogérant, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur les années 1979 à 1982 ; que, par lettre du 27 avril 1983 adressée au siège de la société alors placée en liquidation, l'administration a, en vertu de l'article 117 du code général des impôts, demandé à M. A de désigner les bénéficiaires des sommes distribuées non déclarées par la société ; qu'en l'absence de réponse de sa part dans le délai de trente jours qui lui était imparti, l'administration a mis à sa charge le paiement, solidairement avec la société, d'une pénalité de 3 829 685 francs (583 831,71 euros) sur le fondement de l'article 1763 A du code général des impôts alors en vigueur ; que le tribunal administratif de Strasbourg, par un jugement du 16 mars 1989, puis la cour administrative d'appel de Nancy, par un arrêt du 10 octobre 1991, ont rejeté les demandes de M. A en décharge de l'obligation de payer cette pénalité ; que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy par une décision du 6 novembre 1995 et a renvoyé à la cour la requête de M. A ; que, par un arrêt du 30 avril 1998, la cour administrative d'appel de Nancy a déchargé M. A du paiement de la pénalité en litige en rappelant qu'il fallait, pour déterminer quelle personne avait la qualité de dirigeant social ou de fait, se placer à la date d'expiration du délai imparti pour révéler l'identité des bénéficiaires d'une distribution de revenus, et en relevant qu'à cette date M. A avait perdu cette qualité ; que M. A se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 18 janvier 2005 du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 20 000 000 francs (3 048 980,34 euros) en réparation des préjudices que lui aurait causé le comportement fautif de l'administration fiscale dans la mise en oeuvre des dispositions de l'article 1763 A du code général des impôts ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu'une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice ; qu'un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie ; que le préjudice invoqué ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration si celle-ci établit soit qu'elle aurait pris la même décision d'imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte, soit qu'une autre base légale que celle initialement retenue justifie l'imposition ; qu'enfin l'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A, qui n'invoque pas sur ce point un moyen nouveau en cassation, est fondé à soutenir qu'en se fondant, pour rejeter sa demande, sur le fait que l'administration fiscale n'avait pas commis de faute lourde, la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit ; qu'il est, dès lors, fondé à demander pour ce motif l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1763 A du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur : Les sociétés et autres personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés qui versent ou distribuent, directement ou par l'intermédiaire de tiers, des revenus à des personnes dont, contrairement aux dispositions des articles 117 et 240, elles ne révèlent pas l'identité, sont soumises à une pénalité fiscale calculée en appliquant au montant des sommes versées ou distribuées le double du taux maximum de l'impôt sur le revenu. Lorsque l'entreprise a spontanément fait figurer dans sa déclaration de résultat le montant des sommes en cause, le taux de la pénalité est ramené à une fois et demie ce taux maximum. / Les dirigeants sociaux mentionnés aux articles 62 et 80 ter b-1°, 2° et 3°, ainsi que les dirigeants de fait sont solidairement responsables du paiement de cette pénalité, qui est établie et recouvrée comme en matière d'impôt sur le revenu ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, pour estimer qu'elle était en droit de faire jouer la responsabilité solidaire de M. A pour le paiement de la pénalité fiscale à laquelle la société GEK a été assujettie sur le fondement de l'article 1763 A du code général des impôts, faute d'avoir répondu à la demande l'invitant à désigner les bénéficiaires de revenus distribués, l'administration s'est référée, à tort, à la situation existant à la date de clôture de l'exercice au cours duquel avaient eu lieu les distributions de revenus, soit le 31 décembre 1981, alors qu'elle aurait dû se placer à l'expiration du délai de trente jours imparti à M. A, par lettre du 27 avril 1983, pour effectuer la désignation demandée ; que, de ce fait, elle a commis une erreur dans l'appréciation de la qualité de dirigeant social de M. A qui avait cédé ses parts dans la société GEK le 13 août 1982, l'acte notarié ayant été publié à la recette des impôts le 26 août 1982, et qui avait démissionné de ses fonctions de cogérant lors de l'assemblée générale du 28 octobre 1982, sans que l'administration ne démontre ni même n'allègue qu'il aurait conservé la qualité de gérant de fait ; que cette erreur dans l'appréciation de la situation du contribuable au regard de la loi fiscale est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat vis-à-vis de M. A ;
Considérant que l'administration soutient que M. A a lui-même commis une faute en ne l'informant pas en temps utile de sa démission de ses fonctions de cogérant, qui a été portée à la connaissance des tiers seulement le 17 mars 1985, et que l'intéressé n'a indiqué à l'administration qu'il n'était plus le cogérant de la société depuis le 28 octobre 1982 que le 22 octobre 1984, date de sa première réclamation envoyée au trésorier-payeur général, puis le 21 décembre 1984 par une lettre adressée à la direction des services fiscaux de la Moselle en réaction aux actes de poursuite émis à son encontre ; que, toutefois, cette circonstance n'est pas de nature à exonérer l'administration de sa responsabilité, dès lors que M. A, dont il n'est pas établi qu'il ait reçu la demande de l'administration l'invitant à désigner les bénéficiaires des revenus distribués par la société, adressée au siège de celle-ci, a informé l'administration de sa situation dès la réception de la notification des actes de poursuite, et qu'eu égard à son interprétation des dispositions de l'article 1763 A, l'administration si elle avait disposé de cette information, ne l'aurait pas déchargé de l'obligation de payer la pénalité en cause ;
Considérant que M. A sollicite l'indemnisation des préjudices résultant de la liquidation de son entreprise individuelle de terrassements et démolitions, de la perte de ses revenus et de la diminution de ses cotisations de retraite ; que, toutefois, dès le 27 décembre 1984, le directeur des services fiscaux a fait droit à la demande de sursis de paiement de M. A et en a avisé le comptable public qui a alors donné mainlevée immédiate des avis à tiers détenteurs notifiés le 19 décembre 1984 aux organismes bancaires et au principal client de son entreprise ; que le jugement du tribunal de grande instance de Thionville de conversion en liquidation judiciaire du 29 octobre 1992 indiquait déjà que le passif de l'entreprise individuelle de M. A, hors créance fiscale, s'élevait à 567 272,77 francs (86 480,18 euros) ; que le remboursement de la somme acquittée par M. A de 295 883,93 francs (45 107,21 euros), augmentée des intérêts moratoires pour 49 783,02 francs (7 589,37 euros), a été effectué le 18 juin 1998 en exécution de l'arrêt du 30 avril 1998 de la cour administrative d'appel de Nancy qui a déchargé M. A de l'obligation de payer la pénalité en litige ; que le jugement du tribunal de grande instance de Thionville du 23 mars 2000 prononçant la liquidation judiciaire de l'intéressé a notamment constaté, pour en déduire qu'il n'y avait pas lieu d'interrompre la procédure dans l'attente de la décision de la juridiction administrative sur l'action en responsabilité engagée contre l'Etat par M. A, que son passif s'élevait à un montant de 920 000 francs (140 253,10 euros) représentant presque une année de chiffre d'affaires ; que, dans ces conditions, le requérant n'établit pas la réalité du lien de causalité directe entre la faute de l'Etat et la liquidation de son entreprise ;
Considérant, en revanche, qu'il résulte de l'instruction que, dans les circonstances particulières de l'espèce, M. A a subi des troubles dans ses conditions d'existence résultant, notamment, de la vente de ses biens, dont son habitation principale, afin d'apurer le passif de son entreprise aggravé par sa dette fiscale et de l'atteinte à sa réputation auprès des organismes bancaires et de son principal client auxquels ont été adressés les avis à tiers détenteurs alors qu'il venait de créer son entreprise personnelle ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice qu'il a ainsi subi en lui allouant une somme de 20 000 euros ; que M. A a droit aux intérêts au taux légal sur cette somme à compter de la date de réception, par l'administration, de sa demande préalable d'indemnisation en date du 4 octobre 1999 ;
Considérant qu'en application des dispositions de l'article 1154 du code civil, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que M. A a demandé la capitalisation des intérêts par un mémoire du 21 novembre 2008 ; qu'à cette date, les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu'il y a lieu, par suite, de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle pour les intérêts échus postérieurement à cette même date ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices que lui aurait causé le comportement fautif de l'administration dans la mise en oeuvre des dispositions de l'article 1763 A du code général des impôts ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A de la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par lui, tant devant le Conseil d'Etat que devant les juges du fond, et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 5 avril 2007 est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 18 janvier 2005 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. A tendant à l'indemnisation des préjudices que lui aurait causé le comportement fautif de l'administration dans la mise en oeuvre des dispositions de l'article 1763 A du code général des impôts.
Article 3 : L'Etat est condamné à verser à M. A la somme de 20 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la réception, par l'administration, de sa réclamation préalable du 4 octobre 1999. Les intérêts échus le 21 novembre 2008 seront capitalisés à cette date puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
