Depuis l’aube du droit administratif, le contrôle qu’exerce le Conseil d’Etat sur l’action de l’administration n’a cessé de s’étendre. D’une réserve plus que marquée au départ, la Haute juridiction a progressivement accru les exigences légales pesant sur la puissance publique et s’est, dans le même temps, dotée des outils à même de les faire respecter. Pourtant, malgré ces avancées, il reste, encore aujourd’hui, des actes qui échappent à son emprise. Les actes de Gouvernement sont de ceux-là. Ils se manifestent principalement dans deux domaines : les rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels et la conduite des relations internationales de la France. Les arrêts M. Mégret et Mme. Ba concernent la première de ces hypothèses.

Dans la première affaire, M. Mégret demande au Conseil d’Etat d’annuler le décret du 10/02/1998 par lequel le Premier ministre a chargé M. d’Attilio, député des Bouches-du-Rhône, d’une mission temporaire auprès du secrétaire d’Etat à l’industrie. Au soutien de sa requête, M. Mégret affirme que cette nomination n’a d’autre objet que de permettre à l’intéressé de se porter candidat aux élections sénatoriales et d’être remplacé à l’Assemblée nationale par son suppléant sans qu’il y ait lieu de procéder à une élection législative partielle. Le chef du Gouvernement aurait donc utilisé ses pouvoirs dans un but autre que celui en vue duquel ils lui ont été confiés : en d’autres termes, la décision serait entachée de détournement de pouvoir. M. d’Attilio considère, quant à lui, que ce décret est un acte de Gouvernement et que, par conséquent, le juge administratif est incompétent pour en connaître Le 25/09/1998, par un arrêt de section, le Conseil d’Etat rejette chacun de ces deux arguments : après avoir écarté la qualification d’acte de Gouvernement, il juge la requête au fond, mais ne retient pas le grief de détournement de pouvoir au motif que, dansle cadre de cette mission, M. d’Attilio a remis au secrétaire d'Etat à l'industrie un rapport portant sur « l'utilisation par les collectivités locales des nouvelles technologies de l'information ».

Dans la seconde affaire, Mme. Ba conteste la légalité de la décision du 21/02/1998 par laquelle le président de la République a nommé M. Pierre Mazeaud membre du Conseil constitutionnel. Le 9/04/1999, le Conseil d’Etat, en assemblée, regarde cette décision comme un acte de Gouvernement et décline sa compétence pour en connaître.

Bien que débouchant sur des solutions opposées, ces arrêts reflètent parfaitement les deux mouvements qui traversent la catégorie des actes de Gouvernement depuis plusieurs décennies. Le premier, l’arrêt M. Mégret, constitue le parfait exemple de la politique jurisprudentielle du Conseil d’Etat visant à réduire, via la théorie des actes détachables, le territoire d’élection des actes de Gouvernement. Le second, l’arrêt Mme. Ba, traduit, au contraire, la résilience dont cette catégorie juridique parvient à faire preuve encore aujourd’hui. La problématique de la prédominance de l’un ou l’autre de ces mouvements n’est pas sans enjeux : en effet, les actes de Gouvernement bénéficient d’une immunité juridictionnelle totale. Lorsque cette qualification est retenue, aucun contrôle n’est, ainsi, possible, tant au plan de la légalité qu’à celui de la responsabilité.

Il convient donc d’étudier, dans une première partie, la lente érosion qui affecte la catégorie des actes de Gouvernement (I) et de constater, dans une seconde partie, que, jusqu’à aujourd’hui, ces actes demeurent malgré tout (II).

  • I – Des actes de Gouvernement en proie à une lente érosion
    • A – L’abandon du critère du mobile politique
    • B – L’instauration de la théorie des actes détachables : l’exemple de l’arrêt M. Mégret
  • II – Des actes de Gouvernement qui demeurent malgré tout
    • A –  Une catégorie d’actes résiliente : l’exemple de l’arrêt Mme. Ba
    • B – Une catégorie d’actes reflet d’un Etat de droit inachevé
  • CE, sect., 25/09/1998, M. Mégret
  • CE, ass., 9/04/1999, Mme. Ba

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