L'effet direct en droit de l'Union européenne : les apports de l'arrêt Perreux (CE, Sect., 30 octobre 2009, Mme Perreux, n°298348) (dissertation)

Introduction

« Il faut conclure de cet état de choses que la communauté constitue un nouvel ordre juridique de droit international, au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains, et dont les sujets sont non seulement les États membres mais également leurs ressortissants ». Cette citation issue de l’arrêt NV Algemene Transport- en Expeditie Onderneming van Gend & Loos contre Administration fiscale néerlandaise, dit Van Gend en Loos, du 5 février 1963 montre bien les fondements de l’effet direct du droit de l’Union : les ressortissants des États membres sont directement sujets de droit européens, sans nécessiter que l’État dont ils sont citoyens transpose ce droit dans son ordre juridique national. 

L’effet direct est un principe fondamental du droit de l’Union selon lequel les règles européennes peuvent être invoquées directement par les particuliers devant les juridictions nationales, sans nécessité de transposition en droit interne. Ce principe a été affirmé par la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne) dès 1963 dans l’arrêt Van Gend en Loos, qui établit que le droit de l’Union crée des droits et obligations pour les États membres ainsi que pour les particuliers. L’effet direct peut être vertical, lorsque la norme européenne est invoquée à l’encontre de l’État, ou horizontal, lorsque son application concerne des relations entre particuliers. Les directives, bien que contraignantes quant à l’objectif à atteindre, laissent aux États une marge de manœuvre pour déterminer les moyens de mise en œuvre. Contrairement aux règlements, elles nécessitent une transposition en droit national pour produire pleinement leurs effets. Toutefois, sous certaines conditions, la CJUE a admis que les directives non transposées pouvaient avoir un effet direct vertical si leurs dispositions étaient suffisamment précises et inconditionnelles. L’arrêt Perreux, rendu par le Conseil d’État le 30 octobre 2009, marque une évolution importante en matière d’effet direct des directives en France, en reconnaissant aux particuliers la possibilité d’invoquer une directive non transposée contre l’administration.

Avant l’arrêt Perreux, la position du Conseil d’État en matière d’effet direct des directives était historiquement marquée par une grande prudence. Dans son arrêt Cohn-Bendit (1978), il considérait que les directives ne pouvaient pas être invoquées directement par les particuliers contre des décisions administratives, car elles ne créaient pas de droits individuels tant qu’elles n’étaient pas transposées. Cette position contrastait avec la jurisprudence de la CJUE, qui avait reconnu dès 1974, avec l’arrêt Van Duyn, la possibilité pour un particulier d’invoquer une directive non transposée contre l’État. Cependant, la jurisprudence française a connu une évolution plus progressive. Dans l’arrêt Tête, en 1998, le Conseil d’État a admis qu’une directive non transposée pouvait être invoquée pour contester un acte réglementaire contraire aux objectifs qu’elle poursuivait. De même, dans l’arrêt Arcelor (2007), il a reconnu une priorité du droit de l’Union en matière de contrôle de constitutionnalité des actes administratifs dérivés du droit européen. Ces évolutions ont préparé le terrain à l’arrêt Perreux, qui marque un alignement du Conseil d’État sur la jurisprudence de la CJUE en matière d’effet direct des directives.

Au vu de ces éléments, il conviendra de se demander dans le cadre de la présente dissertation dans quelle mesure l’arrêt Perreux a-t-il renforcé l’effectivité de l’effet direct des directives en droit français et permis une meilleure articulation entre le droit de l’Union et le droit national ?

Afin de répondre à cette problématique, dans un premier temps, nous verrons comment l’arrêt Perreux marque une consécration de l’effet direct des directives (I), avant d’analyser plus avant les implications juridiques de cette évolution jurisprudentielle (II).

I - L'arrêt Perreux : une consécration de l'effet direct des directives en droit français

En affirmant pour la première fois l’effet direct des directives en droit français (B), l’arrêt Perreux marque une rupture avec la jurisprudence antérieure du Conseil d’État en la matière et constitue le point d’orgue d’une évolution de la jurisprudence administrative interne en faveur d’une effectivité accrue du droit de l’Union en France (A). 

A - Un arrêt constituant une rupture avec la jurisprudence antérieure du Conseil d'État

En dépit du refus initial du Conseil d’État d’accorder un effet direct aux directives depuis l’arrêt Cohn-Bendit (1), la jurisprudence de la plus haute juridiction administrative a connu une évolution progressive en faveur d’un effet direct accru du droit de l’Union (2). 

1 - Le refus traditionnel du Conseil d’État d’accorder un effet direct aux directives

L’arrêt Cohn-Bendit du 22 décembre 1978 cristallise la réticence du Conseil d’État à reconnaître l’effet direct des directives non transposées dans l’ordre juridique interne. Dans cette décision, le Conseil d’État affirme que les directives ne peuvent être invoquées par les particuliers dans le cadre d’un recours contre un acte administratif individuel, car elles s’adressent uniquement aux États membres et non aux individus. L’argumentation du Conseil d’État repose ici sur une distinction stricte entre le droit de l’Union et le droit interne. Selon cette approche, une directive ne crée pas directement des droits au bénéfice des particuliers tant qu’elle n’a pas été transposée en droit interne par une loi ou un règlement. Ainsi, dans un contentieux impliquant un acte administratif individuel, un requérant ne pouvait pas invoquer une directive pour contester la légalité d’une décision administrative.

Cette position française divergeait alors nettement de celle de la Cour de Justice, qui avait déjà reconnu dès l’arrêt Van Duyn c. Home Office du 4 décembre 1974 qu’une directive peut avoir un effet direct vertical si elle est claire, précise et inconditionnelle. Le Conseil d’État, en maintenant son refus de reconnaître l’effet direct des directives, créait ainsi une dichotomie entre le droit de l’Union et son application en France, compromettant la mise en œuvre effective des objectifs européens.

Cette jurisprudence a d’ailleurs suscité un certain nombre de critiques, notamment en raison de son incohérence avec le principe de primauté du droit de l’Union, consacré à l’époque par l’arrêt Costa c. Enel du 15 juillet 1964 de la CJUE. L’application rigide de l’arrêt Cohn-Bendit privait les justiciables de la possibilité d’exercer des recours effectifs fondés sur le droit européen, ce qui affaiblissait le contrôle juridictionnel des actes administratifs à l’aune des obligations européennes. Face à ces critiques, le Conseil d’État a progressivement fait évoluer sa position dans plusieurs décisions intermédiaires, notamment avec l’arrêt M. Tête, Association de sauvegarde de l'ouest lyonnais du 6 février 1998, qui reconnaît la possibilité d’invoquer une directive non transposée contre un acte réglementaire. Ce mouvement jurisprudentiel aboutira finalement au revirement opéré par l’arrêt Perreux en 2009.

2 - Une évolution progressive de la jurisprudence du Conseil d’État en faveur d’un effet direct du droit de l’Union

Avant l’arrêt Perreux, la jurisprudence du Conseil d’État a évolué progressivement vers une meilleure prise en compte du droit de l’Union européenne. Bien que l’arrêt Cohn-Bendit ait maintenu une position restrictive sur les directives, plusieurs décisions intermédiaires ont marqué un assouplissement de cette doctrine. L’assouplissement de la jurisprudence du Conseil d’État ne se fait toutefois pas sans retenue. En effet, dès 1958, la Constitution de la Ve République prévoit en son article 55 la primauté des traités sur les lois internes. Toutefois, il faut attendre l’arrêt Nicolo du 20 octobre 1989 pour que la primauté du droit de l’Union soit reconnue par le Conseil d’État, alors que la Cour de cassation avait reconnu cette primauté en 1975 avec l’arrêt Jacques Vabre du 24 mai 1975. Si dès l’arrêt Nicolo, la primauté du droit de l’Union ne fait pas de doute, celle-ci peut néanmoins être nuancée. La supériorité du droit primaire de l’Union (les traités) ne fait en effet pas de doute. Toutefois, celle du droit dérivé est plus élusive et tardera davantage à être reconnue par le Conseil. 

Ainsi que précisé plus haut, l’arrêt Tête de 1998 a constitué une première avancée en reconnaissant qu’un requérant pouvait invoquer une directive non transposée pour contester un acte réglementaire contraire à celle-ci, si elle répond à certains critères. Cette décision a permis une meilleure application du droit de l’Union, sans toutefois remettre en cause le refus d’invoquer une directive à l’appui d’un recours contre une décision individuelle. Cet arrêt fait par ailleurs suite à une autre décision majeure du Conseil d’État : l’arrêt Alitalia du 3 février 1989, aux termes duquel « Tout justiciable peut […] demander l’annulation des dispositions règlementaires qui seraient contraires aux objectifs définis par les directives ». L’arrêt Arcelor du 8 février 2007 marque également une étape importante dans la jurisprudence du Conseil d’État sur la transposition des directives. Le Conseil donne dans cet arrêt priorité au droit de l’Union pour contrôler le respect d’un droit fondamental qui serait protégé à la fois par le droit de l’Union et le droit constitutionnel et permet au juge administratif de contrôler directement le respect du droit de l’Union par une directive transposée. Cet arrêt fait suite à la décision du Conseil constitutionnel Loi pour la confiance dans l’économie numérique du 10 juin 2004 dans laquelle le Conseil fixe une obligation de transposition des directives si celles-ci sont conformes à la Constitution. 

L’arrêt Perreux de 2009 vient couronner cette évolution en opérant un revirement explicite de la jurisprudence Cohn-Bendit. Le Conseil d’État reconnaît alors que tout justiciable peut se prévaloir d’une directive non transposée après l’expiration du délai de transposition à l’encontre d’un acte administratif individuel, sous réserve que les dispositions invoquées soient précises et inconditionnelles. Cette décision rapproche ainsi le droit administratif français du droit de l’Union, en appliquant pleinement les principes posés par la CJUE depuis Van Duyn (1974). Ainsi, l’arrêt Perreux s’inscrit dans une dynamique d’ouverture du Conseil d’État au droit de l’Union européenne, en mettant fin à une approche restrictive qui avait longtemps isolé le droit administratif français des évolutions européennes.

B - L'affirmation du principe de l'effet direct des directives en droit administratif

L’arrêt Perreux, en affirmant l’effet direct des directives, a posé des conditions et un cadre juridique précis pour l’invocabilité des directives non transposées devant le juge administratif français (1). Cette décision permet, tant par l’affirmation de l’effet direct que par le cadre juridique y étant posé, un alignement du droit administratif français avec le droit de l’Union (2). 

1 - La mise en place par l’arrêt Perreux d’un cadre précis pour l’invocabilité des directives non transposées

L’arrêt Perreux a posé un cadre précis pour l’invocabilité des directives non transposées en droit administratif français. Le Conseil d’État a reconnu que tout justiciable peut se prévaloir d’une directive non transposée après l’expiration du délai de transposition à l’encontre d’un acte administratif individuel, sous réserve que les dispositions invoquées soient précises et inconditionnelles. Cette exigence de précision et d’inconditionnalité rejoint la jurisprudence de la CJUE, qui impose que seules les dispositions claires et non sujettes à interprétation puissent produire un effet direct. Autrement dit, une directive qui laisse aux États une marge d’appréciation trop large ne pourra être directement invoquée par un particulier. En pratique, cette condition permet d’éviter les conflits d’interprétation entre le juge administratif français et le juge européen. Il revient donc au juge national de vérifier si la directive en cause remplit ces critères avant de permettre son invocation par un requérant. Il est intéressant de noter à ce titre que dans le cas d’espèce étudié, Madame Perreux n’a pas obtenu gain de cause malgré le fait que l’arrêt la concernant a fait jurisprudence en permettant pour la première fois un effet direct de la directive européenne dont elle se prévalait car la directive en question ne répondait pas aux critères fixés par le Conseil d’État. 

En outre, l’arrêt Perreux s’inscrit dans une logique de sécurité juridique. Il garantit aux justiciables un recours effectif contre les décisions administratives contraires au droit européen, renforçant ainsi le contrôle de légalité exercé par le juge administratif sur l’administration française. Cette décision traduit ainsi une volonté du Conseil d’État d’aligner son raisonnement sur celui de la CJUE tout en s’assurant que l’application des directives non transposées reste encadrée par des critères stricts. Cette décision a ainsi un impact significatif en renforçant l’invocabilité du droit de l’Union, facilitant l’accès à la justice pour les justiciables et elle accroît la pression sur l’État français pour transposer les directives dans les délais impartis. Ainsi, en posant ces conditions, l’arrêt Perreux permet un meilleur équilibre entre respect du droit de l’UE et préservation de la sécurité juridique dans l’ordre administratif interne français.

2 - Un arrêt permettant un alignement du droit administratif français sur le droit de l’Union

L’arrêt Perreux marque, ainsi qu’étudié plus haut, l’aboutissement d’une série d’arrêts consacrant la portée des directives européennes. Il constitue une étape forte dans la mise en conformité du droit administratif français avec le droit de l’Union européenne. En reconnaissant l’effet direct vertical des directives non transposées contre l’administration, le Conseil d’État se rallie à la position de la CJUE, qui a établi dès l’arrêt Van Duyn, en 1974, que les directives peuvent, sous certaines conditions, être invoquées par les justiciables contre un État défaillant. L’arrêt Perreux prolonge ainsi la reconnaissance du principe de primauté du droit européen en droit administratif français en donnant aux directives non transposées un effet direct. Cette reconnaissance permet d’assurer une meilleure mise en œuvre des directives européennes et d’éviter les conflits normatifs entre le droit interne et le droit de l’Union. Ce faisant, la France s’aligne sur la jurisprudence constante de la CJUE, qui sanctionne tout État membre manquant à son obligation de transposition.

Ce faisant, le Conseil d’État, en permettant l’inviolabilité des directives non transposées dans les délais, incite l’administration à respecter les obligations européennes et à mener à bien le processus de transposition dans les délais impartis. Cette décision permet globalement une meilleure protection des particuliers, leur ouvrant la possibilité d’invoquer des directives pour contester un acte administratif contraire au droit de l’Union, renforçant ainsi la garantie de leurs droits. En adoptant une telle position, le juge administratif ne se place plus en opposition avec le droit de l’Union, tel qu’il fut le cas avec l’arrêt Cohn Bendit, mais devient un un acteur clé dans l’application du droit de l’UE, en s’assurant que les autorités françaises respectent pleinement leurs engagements européens. Enfin, l’arrêt Perreux facilite également le dialogue des juges entre le Conseil d’État et la CJUE. En s’alignant sur la jurisprudence européenne, le juge administratif français renforce la cohérence et l’unité du droit européen, tout en s’intégrant davantage dans le cadre juridictionnel de l’Union. Ainsi, en consacrant l’effet direct des directives non transposées, l’arrêt Perreux inscrit le Conseil d’État dans une dynamique d’harmonisation avec la CJUE, tout en garantissant une meilleure effectivité du droit européen dans l’ordre juridique interne.

II - Une reconnaissance d'un effet direct des directives européennes aux implications juridiques profondes et aux limites conséquentes

L’arrêt Perreux est une décision majeure du Conseil d’État, ayant des implications juridiques profondes pour les justiciables (B). Toutefois, aux termes de cet arrêt, l’effet direct des directives n’est pas sans limite et répond à un certain nombre de critères (A). 

A - Un effet direct limité par les termes de l'arrêt Perreux

L’effet direct des directives est limité à un double titre au sens de l’arrêt Perreux : d’une part le caractère nécessairement vertical de la directive pour que celle-ci puisse avoir un effet direct (1) et d’autre part les limites posées par la décision et le pouvoir d’appréciation du juge pour caractériser leur réunion effective (2). 

1 - L’absence d’effet direct horizontal des directives 

Si l’arrêt Perreux marque une avancée en reconnaissant l’effet direct vertical des directives non transposées à l’encontre de l’administration, il ne remet pas en cause la jurisprudence constante de la CJUE selon laquelle les directives ne peuvent pas produire d’effet direct horizontal. Autrement dit, une directive ne peut pas être invoquée par un particulier à l’encontre d’un autre particulier ou d’une entité de droit privé. Cette limitation peut toutefois s’expliquer par la nature juridique des directives. Les directives sont en effet destinées aux États membres et non aux individus. Dans l’arrêt Faccini Dori (CJCE, 14 juillet 1994), la Cour de justice a explicitement affirmé qu’une directive non transposée ne peut pas créer d’obligations à la charge d’un particulier. Ainsi, même si une directive est claire, précise et inconditionnelle, elle ne peut être invoquée dans un litige entre personnes privées.

Cette règle soulève des difficultés pratiques, notamment dans les domaines où le droit de l’Union repose largement sur des directives, comme le droit du travail, la protection des consommateurs ou la lutte contre les discriminations. Dans ces matières, les particuliers peuvent se retrouver dans une situation paradoxale : ils bénéficient de droits garantis par une directive, mais ne peuvent pas les faire valoir contre un autre particulier si celle-ci n’a pas été transposée. Le juge national est alors contraint de recourir à d’autres mécanismes, tels que l’interprétation conforme ou l’engagement de la responsabilité de l’État pour manquement à ses obligations européennes, afin de garantir une certaine effectivité des droits issus des directives. Cette absence d’effet direct horizontal constitue une limite structurelle à l’invocabilité des directives, et souligne la nécessité pour les États membres de respecter rigoureusement leurs délais de transposition afin de ne pas compromettre l’effectivité du droit de l’Union au profit des justiciables. 

Ces voies de recours sont en effet plus complexes, moins accessibles et n’offrent pas toujours une réparation immédiate. Aux termes de l’arrêt Francovich du 19 novembre 1991, pour qu’un particulier puisse agir en responsabilité contre l’État trois conditions doivent être réunies. La directive doit avoir pour objectif de conférer des droits aux particuliers, le contenu de ces droits doit être identifiable et il doit y avoir un lien de causalité entre la violation de l'obligation incombant à l'Etat et le dommage subi. Ces conditions sont réaffirmées par l’arrêt Faccini Dori qui considère que les deux premières sont réunies et que la troisième est laissée à l’interprétation du juge national. Ce dernier joue en cela un rôle clef dans l’interprétation de la réunion des conditions selon lesquelles les directives peuvent être invoquées. 

2 - Le rôle clef du juge national dans l’interprétation des directives

Malgré la reconnaissance de l’effet direct vertical des directives par l’arrêt Perreux, leur mise en œuvre dépend en grande partie de l’appréciation du juge national. En effet, pour qu’une directive soit invocable, encore faut-il que le juge considère que les dispositions en cause sont suffisamment claires, précises et inconditionnelles. Cette évaluation peut donner lieu à des divergences d’interprétation entre les juridictions nationales, et entre celles-ci et la CJUE. Cette incertitude juridique peut nuire à l’harmonisation du droit de l’Union et entraîner une insécurité juridique pour les justiciables. Dans certains cas, un juge pourra considérer qu’une disposition de directive ne remplit pas les critères de l’effet direct, alors qu’un autre pourrait en juger autrement. De plus, les juridictions nationales peuvent parfois être réticentes à poser une question préjudicielle à la CJUE, pourtant prévue à l’article 267 TFUE, ce qui limite le dialogue des juges et le développement d’une jurisprudence européenne cohérente.

Par ailleurs, l’interprétation des directives peut se heurter à des spécificités nationales. Certains juges, dans un souci de préservation de la souveraineté juridique, peuvent opter pour une interprétation restrictive ou privilégier des normes internes. Cette tendance peut freiner l’effectivité des protections accordées par le droit de l’Union et compromettre l’objectif d’unité d’interprétation sur l’ensemble du territoire européen. Ainsi, bien que l’arrêt Perreux ait renforcé l’invocabilité des directives devant le juge administratif, il demeure que leur effectivité dépend fortement du rôle actif et coopératif du juge national, tant dans l’interprétation des textes que dans sa volonté de dialoguer avec la CJUE lorsque des doutes subsistent.

B - Un arrêt aux implications importantes pour l'application du droit de l'Union en France

L’arrêt Perreux a de profondes implications en droit administratif français. Il permet d’une part une meilleure effectivité du droit de l’Union en permettant l’applicabilité de toute directive non transposée dans le cadre des relations entre le public et l’administration et ainsi une meilleure protection des droits des citoyens (1). D’autre part, cette décision permet de faire peser sur l’État une obligation bien plus forte de transposer dans les temps les directives (2). 

1 - Un arrêt permettant une plus grande effectivité du droit de l’Union

L’arrêt Perreux a contribué à renforcer l’effectivité du droit de l’Union européenne en France, en facilitant l’invocabilité des directives non transposées devant le juge administratif. En permettant aux justiciables de se prévaloir directement de certaines directives à l’encontre de l’administration, le Conseil d’État a élargi l’accès à la justice européenne et renforcé la portée contraignante des normes issues du droit dérivé de l’Union. Cette décision constitue une avancée importante en matière de protection juridictionnelle des droits conférés par l’Union européenne. Désormais, un particulier peut faire échec à une décision administrative contraire à une directive européenne, même en l’absence de transposition en droit interne, dès lors que les conditions de l’effet direct sont remplies. Cela permet d’éviter que des retards ou des carences de transposition privent les citoyens des droits que l’Union entend leur garantir.

En ce sens, l’arrêt Perreux participe à une meilleure articulation entre l’ordre juridique de l’Union et l’ordre juridique interne. Il offre aux juridictions nationales un fondement pour faire primer les normes européennes sur les actes administratifs nationaux, conformément au principe de primauté du droit de l’Union, tout en assurant une protection accrue des justiciables contre les inactions ou erreurs de l’administration. Cette reconnaissance par le Conseil d’État contribue également à homogénéiser l’application du droit de l’Union sur l’ensemble du territoire français. Elle réduit les risques de disparités entre les juridictions et favorise l’émergence d’une jurisprudence administrative plus respectueuse des exigences européennes. En somme, l’arrêt Perreux représente un levier essentiel pour améliorer la mise en œuvre effective du droit de l’Union en France.

2 - Un arrêt permettant un contrôle accru des obligations de transposition de l’État

L’arrêt Perreux, en permettant aux justiciables d’invoquer une directive non transposée contre une autorité administrative, exerce une pression juridique et politique forte sur l’État pour que celui-ci respecte ses obligations de transposition dans les délais impartis. Cette possibilité de recours direct devant le juge administratif contribue ainsi à renforcer l’efficacité du système normatif européen. En rendant les directives directement applicables à l’encontre de l’administration en cas de carence de transposition, le Conseil d’État instaure un véritable mécanisme incitatif à destination des pouvoirs publics nationaux. Ceux-ci, conscients du risque de voir leurs actes annulés pour méconnaissance du droit de l’Union, sont incités à transposer plus rigoureusement et plus rapidement les directives européennes. Cela favorise une meilleure observance du droit dérivé de l’Union dans les ordres juridiques internes.

Par ailleurs, cette pression contentieuse permet de prévenir les sanctions juridictionnelles prononcées par la CJUE pour non-transposition ou transposition incorrecte. En intervenant de manière anticipée sur le terrain national, le juge administratif devient un acteur-clé du respect des obligations européennes et participe à la prévention du contentieux européen. Enfin, l’arrêt Perreux renforce le dialogue entre les systèmes juridiques français et européen. Il invite les administrations à prendre davantage en compte les objectifs des directives, même avant leur transposition, et renforce ainsi l’intégration du droit européen dans la culture juridique administrative française.