Introduction
Ainsi qu’il sera vu au cours de la présente dissertation, les droits fondamentaux ont une place majeure dans l’ordre juridique de l’Union. Il s’agit d’un des éléments fondamentaux du maintien de l’Union et un corpus de droits que l’Union a dû intégrer pour conserver son autonomie et la primauté de son droit ; un élément tout à fait majeur à la fois de l’intégration européenne et de ses relations avec l’extérieur. Ainsi que le souligne fort justement Karine Caunes dans son article La protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne, Retour vers le futur de l’avis 2/13 de la Cour de justice, de l’adhésion de l’UE à la CEDH et de l’Union européenne elle-même, « Quant à la dimension intra-européenne : l’intégrité des ordres juridiques des Etats membres est-elle soluble dans l’intégration européenne ? Quant à la dimension externe : l’intégrité de l’ordre juridique de l’Union européenne est-elle soluble dans son intégration sur le plan international ? ».
Le droit de l’Union apporte une importante protection des droits fondamentaux à travers une grande diversité de normes. Tout d’abord ces droits sont garanties par le droit primaire de l’Union qui est la source principale de droit de l’Union. Il provient des traités et constitue le cadre juridique de fonctionnement des institutions de l’Union. Depuis le traité de Lisbonne, le droit primaire comprend la Charte des droits fondamentaux (TUE article 6§1) et les principes généraux en matière de droits fondamentaux pouvant être tirés de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) ainsi que des traditions constitutionnelles communes des États membres (Traité sur l’Union européenne - TUE article 6§3). Les principes généraux de droit de l’Union sont des principes non écrits dans les textes qui sont dégagés jurisprudentiellement par la Cour de Justice et prennent alors une force obligatoire. Le droit primaire est à différencier du droit dérivé de l’Union qui découle des traités et est constitué des règlements, directives, décisions, recommandations et avis émis par les institutions de l’Union. Les droits fondamentaux sont également protégés sur le territoire de l’Union par la CESDH qui est extérieure à l’Union. Tous les États membres de l’Union en sont partie mais ils n’en sont pas les membres exclusifs. Cette convention de droit international regroupe les États membres du Conseil de l’Europe, qui est une organisation internationale également extérieure à l’Union, et son application est contrôlée par la Cour européenne des droits de l’homme.
La protection accordée aux droits fondamentaux par le droit de l’Union a grandement évolué depuis les débuts de la CECA et des communautés européennes successives. Le traité CECA puis le traité de Rome de 1957 instaurant la Communauté économique européenne étaient purement économiques et n’avaient pas vocation à traiter de la question. Il a fallu attendre le traité de Lisbonne pour que les droits fondamentaux entrent véritablement dans le droit primaire de l’Union avec l’intégration à ce corpus de la Charte des droits fondamentaux de 2000 et des principes généraux du droit de l’Union. Ces derniers sont reconnus par la Cour de Justice en matière de droits fondamentaux depuis 1969, apportant une protection jurisprudentielle de ces droits bien avant qu’ils soient reconnus comme ayant la même valeur que les traités en 2009.
Au vu de ces éléments il convient de se demander, pour déterminer la place des droits fondamentaux au sein de l’ordre juridique de l’Union, quels sont les fondements normatifs de la protection de ces droits et quelle en est l’articulation.
Pour répondre à cette problématique, il conviendra dans un premier temps de se pencher sur la double protection accordée à la fois par les textes de droit de l’Union et la jurisprudence de la Cour de Justice (I) pour étudier dans un second temps la mise en balance de ces droits entre eux, avec les objectifs de l’Union et avec la CESDH (II).
I - Une protection des droits fondamentaux assurée par les textes de droit de l'Union et la jurisprudence de la Cour de Justice
Si la protection des droits fondamentaux est entrée dans les textes de droit de l’Union avec la charte des droits fondamentaux de 2000 (B), la Cour de justice n’a pas attendu cette date pour protéger les droits fondamentaux en les reconnaissant au cas par cas comme des principes généraux dès 1974 (A).
A - La protection des droits fondamentaux dans la jurisprudence : la reconnaissance de ces droits comme des principes généraux par la Cour de Justice
Les nombreux principes généraux reconnus par la Cour de Justice sont des principes à la force normative bien établie en droit de l’Union (2) dont la Cour tire la substance à la fois du droit international et des coutumes constitutionnelles communes des États membres (1).
1 - Un corpus de principes s’inspirant de l’ordre juridique interne des États membres comme du droit international
La Cour de Justice de l’Union Européenne s’inspire en premier lieu, pour dégager des principes généraux en matière de droits fondamentaux, des traditions constitutionnelles communes des États membres. Concrètement, cette position se matérialise par la volonté de la Cour de protéger les droits fondamentaux garantis par les droits constitutionnels nationaux. La Cour, ainsi qu’elle l’a précisé dans son arrêt Nold du 14 mai 1974, considérerait dès lors comme contraire au droit de l’Union des mesures incompatibles avec les droits fondamentaux protégés par les textes constitutionnels des États membres. Pour ne donner qu’un exemple des très nombreux droits fondamentaux érigés comme principes généraux, la Cour a reconnu sur ce fondement le droit de propriété dans son arrêt Hauer du 13 décembre 1979. La Cour observe au cas par cas si un droit fondamental invoqué par un requérant est partagé ou non par la tradition constitutionnelle des États membres pour l’ériger en principe général du droit de l’Union ou au contraire refuser de le reconnaître comme tel. La Cour n’a pas nécessairement à refuser de reconnaître tout principe qui ne ferait pas l’objet d’une protection unanime par les vingt-sept et a pu être amenée à reconnaître comme un principe général des droits ne faisant partie de la tradition constitutionnelle que d’une parte des États membres, à l’instar par exemple de la confidentialité des correspondances entre un avocat et son client (arrêt AM & S du 8 mai 1982).
La Cour peut également s’inspirer des textes de droit international protégeant les droits fondamentaux pour relever l’existence d’un principe général. La Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH), dont il sera l’objet plus tard dans le présent travail, fait ainsi œuvre de référence en matière de texte de protection des libertés fondamentales pour la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne). La Cour peut dès lors appliquer directement la disposition visée dans la CEDH en indiquant que le principe concerné par la disposition est un principe général. Cette position a par exemple été affirmée dans l’affaire Ordre des barreaux francophones et germanophones du 26 juin 2007 en ce qui concerne le droit à un procès équitable, protégé à l’article 6 de la CESDH. La Cour peut également se fonder sur tout autre texte international. Ces textes sont généralement très largement ratifiés. La Cour a ainsi par exemple pu invoquer la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant qui, avec 196 États parties, est le texte international portant sur des droits fondamentaux faisant l’objet du plus large consensus mondial.
En pratique, il est à noter que ces deux catégories d’inspiration ne sont en aucun cas hermétiques et la Cour va évaluer au cas par cas en tirant un principe général de toute source pertinente. Bien souvent, ces droits fondamentaux sont d’ailleurs protégés à la fois par la Constitution d’États membres et par des textes internationaux. Une fois reconnu comme tel, le principe général revêt une force obligatoire en droit de l’Union au même titre que toute norme de droit européen.
2 - Des principes à la force normative bien établie en droit de l’Union
Si le droit européen, éminemment économique et purement sectoriel, ne protégeait à l’origine aucunement les droits fondamentaux, celui-ci a dû s’adapter pour protéger la primauté du droit de l’Union en raison de réserves de constitutionnalité émises par les cours constitutionnelles allemande et italienne qui se réservaient le droit de ne pas appliquer des dispositions européennes si celles-ci contrevenaient avec des droits fondamentaux protégées par leur Constitution. Le principe de primauté du droit de l’Union sur le droit interne a été affirmé en 1964 par la Cour de Justice dans son célèbre arrêt Costa c/ Enel. Cinq ans plus tard, en 1969, la Cour de Justice a contrôlé pour la première fois dans son arrêt Stauder le respect des droits fondamentaux en les reconnaissant comme des principes généraux du droit de l’Union.
Le principe de primauté implique en outre nécessairement que les droits fondamentaux issus du droit interne soient reconnus comme des principes généraux du droit de l’Union. Les institutions européennes émettent des actes dont la validité est contrôlée à la lumière du droit de l’Union et non de normes internes, que celles-ci soient ordinaires ou constitutionnelles. Dès lors qu’un droit fondamental protégé par le droit interne d’un État membre est invoqué, la Cour doit se demander si celui-ci constitue ou non un principe général en droit de l’Union pour l’appliquer à un acte des institutions européennes. Tout acte dérivé de l’Union se doit ainsi de respecter les droits fondamentaux au même titre que toute norme de droit primaire de l’Union, ceux-ci constituant des principes généraux de droit de l’UE, qui ont depuis 2009 la même valeur que les traités. Un acte violant un droit fondamental pourra alors faire l’objet d’un recours en annulation. Cette protection jurisprudentielle est en outre doublée depuis 2000 par l’adoption de la Charte des droits fondamentaux.
B - La protection des droits fondamentaux dans les textes : la Charte des droits fondamentaux
La Charte des droits fondamentaux, dont le texte reconnaît un nombre important de droits à la nature extrêmement variée, (1) est toutefois un texte bénéficiant d’une mise en œuvre à géométrie variable selon les droits invoqués devant la Cour de Justice (2).
1 - Une Charte protégeant une large étendue de droits
Adoptée lors du Conseil européen de Nice en 2000, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne consacre un grand nombre de droits fondamentaux. La charte a repris et étendu certains droits déjà défendus par le droit européen, à l’instar par exemple de l’égalité entre les hommes et les femmes, prévue en son article 23. Elle a également consacré des droits que les traités ne prévoyaient aucunement, comme la protection des données personnelles, ainsi que nombre de droits que la Cour de Justice reconnaissait déjà comme des principes généraux ou qu’elle n’avait pas encore reconnus (comme le droit à la vie par exemple). Cette charte permet de consacrer ces droits sans avoir à nécessairement passer par une interprétation jurisprudentielle au cas par cas.
La Charte, si elle est un instrument juridique intéressant et protège une très large étendue de droits fondamentaux, présente certains désavantages, concernant notamment son applicabilité. Celle-ci comprend en effet d’une part un certain nombre de droits dont la normativité est difficile à saisir (comme la protection de l’environnement par exemple prévue à l’article 38) et dont la mise en œuvre renvoie dans le texte à la prise d’actes par les institutions de l’Union et les États membres. Un certain nombre de ces droits serait dès lors des principes, et non des droits directement consacrés par la charte, dont l’effet direct pourrait être remis en cause. L’application de ces principes par la Cour est ainsi à géométrie variable selon les cas, bien que celle-ci garde à bien des égards une efficacité indéniable.
2 - Une Charte bénéficiant d’une mise en œuvre à géométrie variable
Si la Charte était à l’origine perçue comme non contraignante et comme un texte servant à l’interprétation et l’identification des droits fondamentaux, celle-ci a, depuis le traité de Lisbonne et tout comme les principes généraux de l’Union, la même valeur que les traités. La Cour de justice y fait depuis de plus en plus référence dans sa jurisprudence et la Charte est aujourd’hui un texte très utilisé. La Charte est également prise en compte dans la procédure législative pour assurer le respect des droits fondamentaux par les actes de l’Union. Malgré ces éléments, la mise en œuvre de la Charte reste à certains égards en demi-teinte. Ces droits fondamentaux sont en effet définis par la Charte dans le cadre de l’Union et ne sont par conséquent applicables qu’aux institutions de l’Union et aux États membres dans le cadre de la mise en œuvre du droit de l’Union. Les États ne sont ainsi par ailleurs pas soumis aux obligations de la Charte afin d’éviter que la Cour de Justice supplée les juridictions nationales comme juge suprême des droits fondamentaux. La Cour de Justice de l’Union Européenne n’est compétente que pour contrôler l’application du droit de l’Union. Un requérant invoquant la charte doit dès lors démontrer que la mesure violant ses droits est bien prise en application du droit de l’Union.
Une autre limite à la mise en œuvre de la charte tient, ainsi que précisé plus haut, à la rédaction même de ce texte. Certains articles sont très larges et renvoient à la prise d’actes par les institutions de l’Union ou les États eux-mêmes. Du fait de cette rédaction de certains articles, la Charte connait une mise en œuvre à géométrie variable. Si certains articles protègent effectivement des droits et peuvent être invoqués dans un litige lorsqu’ils sont violés, d’autres sont des principes dont la mise en œuvre est renvoyée à l’Union et aux États. Ces principes n’auraient dès lors pas d’applicabilité directe si l’article de la Charte est directement invoqué dans un litige en violation de ces droits. Ils auraient vocation, d’une part à être précisés par des actes de droit de l’Union et des actes des États membres et d’autre part à être invoqués dans un litige pour interpréter un acte ou pour un contrôle de légalité. Ainsi dans le cas d’un libellé très large et sans applicabilité directe, un requérant aurait tout intérêt à préférer invoquer un principe général de l’Union dont l’applicabilité est assurément directe. En outre, les droits fondamentaux, peu importe leur origine normative et leur applicabilité sont toujours mis en balance par la Cour à la fois entre eux et avec les principes de droit de l’Union et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
II - Des droits à l'interprétation mise en balance avec les objectifs de l'Union et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
Les droits fondamentaux sont mis en balance d’une part avec les autres droits et libertés des tiers ainsi que l’intérêt général de l’Union (A) et d’autre part avec une convention extérieure au droit de l’Union, la CESDH (B).
A - Des droits fondamentaux mis en balance avec l'intérêt général et la protection des droits et libertés des tiers
Les limitations des droits fondamentaux en raison de l’intérêt général et de la protection des droits et libertés des tiers (1) n’est pas dénuée d’encadrement et se doit d’être proportionnée, prévue par la loi et ne pas constituer une atteinte démesurée au droit limité (2).
1 - L’intérêt général et la protection des droits et libertés comme fondement de la limitation des droits fondamentaux
La Cour de Justice permet que des restrictions soient posées aux droits fondamentaux lorsqu’un objectif d’intérêt général de l’Union nécessite cette limitation. Il est toutefois à noter que cette limitation ne doit pas avoir un caractère démesuré et intolérable ni porter atteinte au contenu essentiel de ces droits. La Cour procède à une mise en balance de l’intérêt général et de la protection du droit devant être limité. Ainsi que précisé, par exemple, dans sa jurisprudence Parlement c/ Conseil de 2006, lorsque droit fondamental et intérêt général sont concurrents, la Cour recherche un juste équilibre entre ces deux intérêts et ne tend pas à viser une limitation absolue du droit concerné. Ce type de mise en balance intervient par exemple dans le droit au respect de la vie privée ou de la vie familiale ou encore avec les droits de la défense qui sont mis en balance avec un certain nombre d’intérêts (immigration illégale, sécurité, lutte contre le terrorisme…). Ces imitations doivent être nécessaires à l’accomplissement de l’objectif d’intérêt général.
Les droits et libertés des tiers permettent également la même mise en balance de droits. Les droits fondamentaux s’équilibrent entre eux. Aucun droit fondamental n’est absolu et le respect des droits et libertés nécessite la limitation d’autres droits fondamentaux afin d’en concilier l’exercice. De la même manière que pour les droits fondamentaux définis par les constitutions internes, il n’existe pas de hiérarchie entre les droits et le juge effectue au cas par cas une mise en balance entre droits concurrents. Le juge de l’Union va ainsi mettre en balance les libertés des uns avec les droits des autres pour tenter de trouver un équilibre entre leur exercice respectif. C’est le cas par exemple de la liberté d’expression, de la liberté de circulation ou encore de la liberté de réunion. Ces limitations sont en outre contrôlées par la Cour et doivent répondre à des critères bien précis.
2 - Une limitation devant être proportionnelle, prévue par la loi et ne pas constituer une atteinte démesurée au droit limité
En premier lieu, la limitation des droits et libertés fondamentaux doit être prévue par la loi. Ainsi que l’a précisé la Cour dans son arrêt Digital Rights Ireland de 2014, cette exigence n’est pas uniquement formelle. La loi, comprise ici comme les actes dérivés de droit de l’Union ou comme des actes de droit interne ayant ce caractère, doit être suffisamment claire et précise pour permettre au justiciable d’adapter sa conduite et prévoir les conséquences qui pourraient être liées par un certain exercice de ses droits. Cette interprétation est faite au cas par cas par la Cour.
Cette limitation prévue par la loi doit également respecter la substance même des droits visés par la limitation. Elle ne doit pas être démesurée et intolérable pour ne pas porter atteinte au contenu essentiel des droits fondamentaux. Cette condition est très liée au respect du principe de proportionnalité auquel est soumise la limitation. Le contrôle de proportionnalité, effectué par le juge, est essentiel pour contrôler la mise en balance des deux droits et déterminer si la limitation apportée à l’un d’entre eux est justifiée. L’objectif est de trouver le bon équilibre entre les deux droits fondamentaux pour qu’une limitation n’apporte pas des inconvénients trop forts au regard de son but. Le contrôle de proportionnalité s’assure d’une part que la limitation permet d’atteindre le but poursuivi et d’autre part qu’elle ne dépasse pas ce qui est strictement nécessaire pour l’atteindre. Des limites précises doivent ainsi être fixées à la limitation du droit et les personnes en faisant l’objet doivent avoir des garanties de respect de leurs droits et de ces limites. Les droits fondamentaux font en outre l’objet d’une interprétation au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
B - Le cas particulier de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en matière de protection des droits fondamentaux
La Convention s’applique de manière indirecte dans l’ordre juridique de l’Union, l’application des principes reconnus par la Convention reposant normativement sur leur consécration en tant que principes généraux et non directement sur les articles idoines au sein du texte de la CESDH (1). Une telle situation pouvant toutefois être source de conflits de normes préjudiciables entre une convention extérieure à l’Union et le droit de l’Union, la Cour de justice et la CEDH ont dû développer une jurisprudence innovante pour éviter ces conflits (2).
1 - L’application indirecte de la CESDH dans l’ordre juridique de l’Union
Il est au préalable à noter que la CESDH est une convention de protection des droits fondamentaux tout à fait extérieure à l’Union européenne. Elle ne fait en aucun cas directement partie du droit de l’Union. Il convient également de relever que si tous les États membres de l’Union sont bien partie à la CESDH et peuvent par conséquent faire l’objet de recours devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), l’Union n’est en elle-même pas partie à la Convention. Bien que des négociations soient en cours pour que l’Union adhère à la Convention et qu’un accord de principe en ce sens ait été adopté, tout recours contre l’Union devant la CEDH serait nécessairement irrecevable pour cette raison. La CEDH a elle-même affirmé cette position dans sa décision de principe Bosphorus du 30 juin 2005. La CESDH s’applique dès lors seulement indirectement dans l’ordre juridique de l’Union et ce à plusieurs titres.
En premier lieu, au terme de l’article 6§3 TUE, la CESDH s’applique exactement de la même manière que les traditions constitutionnelles communes en ce que les droits fondamentaux qui y sont protégés sont reconnus comme des principes généraux du droit. Si formellement, la CESDH ne fait pas partie du droit de l’Union, les principes qu’elle protège en font dès lors quant à eux bien partie. Cette protection ne repose ainsi pas normativement sur la Convention elle-même mais sur les principes généraux qui en sont tirés et qui ont la valeur de droit primaire de l’Union. Un recours devant la Cour de Justice ne peut ainsi reposer directement sur un article de la CESDH mais pourra reposer sur un principe général défendant le même droit fondamental que cet article, ce dernier s’appliquant bien dans l’ordre juridique de l’Union.
En second lieu, si la Convention ne s’applique pas directement aux institutions de l’Union, elle s’applique aux États membres, qui en sont tous partie et sont contraints de la respecter, y compris lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Ainsi, bien que la Convention ne s’applique certes qu’indirectement à l’Union via la reconnaissance sur sa base de principes généraux, elle interagit grandement avec le droit de l’Union. Il convient alors d’éviter les dissonances entre les instruments de droit primaire de l’Union et la CESDH, qui lui est extérieure.
2 - L’écartement jurisprudentiel d’un risque de conflit de norme préjudiciable à la protection des droits fondamentaux
Ainsi que précisé plus haut, il est à noter que la CEDH est incompétente ratione personae pour traiter de tout litige mettant en cause les institutions de l’Union. Ainsi, même si ce recours est porté contre un ou plusieurs États membres, et non contre l’Union elle-même, si l’acte en cause est uniquement imputable à l’Union, celui-ci est considéré comme irrecevable. Il est nécessaire, à tout le moins, qu’un État mette en œuvre le droit de l’Union pour que la CEDH puisse se déclarer compétente et que la Convention puisse être appliquée. L’application de la CESDH, convention extérieure au droit de l’Union, au sein de l’ordre juridique de l’Union pourrait causer des conflits de normes pouvant être préjudiciables à la protection des droits fondamentaux. Toutefois, dans l’arrêt Bosphorus du 30 juin 2005, la CEDH a consacré en la matière la théorie de l’équivalence des protections.
Aux termes de cette théorie, l’Union est sensée accorder en matière de droits fondamentaux une protection équivalente à celle de la Convention. Un État est dès lors présumé respecter la CESDH lorsqu’il exécute le droit de l’Union. La Cour européenne des droits de l’homme va ainsi présumer que les actions prises par les États en exécution du droit de l’Union respectent la Convention. Si l’acte est pris en seule exécution du droit de l’Union, alors l’acte à l’origine de la violation de la Convention émane de l’Union et la présomption d’équivalence doit être appliquée. Cette présomption est toutefois réfragable et peut être renversée en cas d’insuffisance manifeste dans la protection des droits et les États sont en tout état de cause entièrement responsables, sans présomption de protection équivalente, dès lors qu’ils ont un pouvoir d’appréciation dans l’exécution du droit de l’Union. Cette théorie issue de la jurisprudence a pour objectif d’éviter que les États soient exonérés de leurs obligations au regard de la Convention dès lors qu’ils exécutent le droit de l’Union tout en évitant d’entraver l’articulation entre droit de l’Union et droit de la CESDH.
En outre, cette théorie, pour éviter les dissonances entre droit de l’Union et CESDH, est doublée de dispositions de droit primaire de l’Union. Ainsi que précisé plus haut en effet, les droits fondamentaux prévus par la Convention sont intégrés au droit de l’Union en ce qu’ils sont consacrés en tant que principes généraux. De plus, le texte de la Charte prévoit qu’aucune de ses dispositions ne doit être interprétée de manière à limiter ou à porter atteinte aux droits fondamentaux reconnus par la Convention et que son texte doit être interprété de la même manière que celui de la Convention lorsque des droits sont consacrés par les deux textes (respectivement articles 53 et 52§3). Cette convergence dans l’interprétation des textes de droit primaire de l’Union et de la CESDH a pour but de maintenir une cohérence dans la protection des droits fondamentaux et les potentielles limitations qui pourraient y être apportées. La Cour de Justice de l’Union et la Cour européenne des droits de l’homme tendent dans cet objectif à avoir une interprétation convergente des droits fondamentaux défendus par les textes sur lesquels elles fondent respectivement leur jurisprudence. La Cour de justice fait à ce titre d’ailleurs souvent référence à la jurisprudence de la CEDH et tente de converger avec elle tout en respectant le contexte et les objectifs propres à l’Union et pouvant différer du seul contexte de la CEDH.
