L’État peut-il voir sa responsabilité être engagée en droit international ? (dissertation)

Introduction

Comme le précise l’article 1er du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite « Tout fait internationalement illicite de l’Etat engage sa responsabilité internationale ». Cet article permet de souligner que l’autonomie de l’État en droit international, qui découle du principe de souveraineté, n’est pas sans limites, notamment lorsque le comportement d’un État est susceptible de causer un préjudice à un autre sujet de droit international.

La responsabilité internationale désigne l’obligation pour un État de répondre d’un fait internationalement illicite, c’est-à-dire d’un comportement (action ou omission) qui viole une obligation juridique internationale à laquelle il est soumis, et qui lui est imputable. La responsabilité implique donc la réunion de deux conditions fondamentales : une violation d’une norme contraignante du droit international, et l’attribution de cette violation à l’État en tant qu’entité juridique. Une fois engagée, cette responsabilité entraîne l’obligation pour l’État fautif de mettre fin à l’acte illicite, de garantir qu’il ne se reproduira pas et de réparer le dommage causé, que celui-ci soit matériel ou moral. Il convient de distinguer cette responsabilité de la responsabilité pénale internationale, qui s’applique aux individus devant des juridictions telles que la Cour pénale internationale. La responsabilité de l’État est une responsabilité objective, fondée sur la contrariété à une norme du droit international public.

La question de la responsabilité internationale des États a été historiquement d’abord envisagée dans un cadre bilatéral, lié aux préjudices causés aux personnes privées et à la protection diplomatique exercée par un État pour défendre ses ressortissants lésés par un autre État. C’est au XXe siècle que ce régime juridique s’est réellement structuré. Dès 1927, la Cour permanente de justice internationale va affirmer dans l’affaire Usine de Chorzów certains principes en matière de responsabilité internationale (notamment que l’État est responsable d’un fait internationalement illicite commis par un de ses organes et que les violations du droit international donnent droit à réparation). Des travaux de codification seront par la suite menés par la Commission du droit international des Nations Unies à partir de 1956. Après plusieurs décennies de réflexions, cette Commission a adopté en 2001 un Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite. Ce texte, bien que non contraignant en tant que tel, fait largement autorité et est souvent invoqué devant les juridictions internationales. Il compile un certain nombre de principes déjà reconnus par diverses sources du droit international et établit les conditions, conséquences et modalités de mise en œuvre de la responsabilité internationale.

Dès lors il convient de s’interroger sur les conditions, les modalités et les limites de la mise en œuvre de la responsabilité internationale : dans quelle mesure le droit international permet-il effectivement d’engager la responsabilité d’un État, et avec quelles conséquences juridiques concrètes ?

Pour répondre cette question nous verrons d’abord que la responsabilité de l’État constitue un principe structurant du droit international (I), avant d’analyser les difficultés concrètes qui en limitent souvent l’effectivité (II).

I - La responsabilité de l’État : un principe structurant du droit international

La responsabilité internationale constitue l’un des piliers fondamentaux du droit international public, en ce qu’elle consacre le principe selon lequel aucun État ne peut violer impunément une règle juridique internationale. Cette responsabilité, loin d’être uniquement théorique, repose sur un régime juridique cohérent, qui a été progressivement consolidé à travers la jurisprudence, la pratique étatique et les travaux de codification. Elle suppose d’une part l’identification d’un fait internationalement illicite, c’est à dire une violation d’une obligation internationale imputable à un État (A), et d’autre part, elle entraîne des conséquences juridiques précises, notamment l’obligation pour l’État responsable de réparer intégralement le préjudice causé (B).

A - Les fondements juridiques de la responsabilité internationale de l’État

Pour que la responsabilité d’un État puisse être engagée en droit international il faut établir l’existence d’un comportement contraire au droit et en déterminer l’attribution à cet État. C’est l’ensemble de ces conditions qui constitue ce que la Commission du droit international appelle le fait internationalement illicite, lequel représente le cœur du régime de responsabilité. Cela suppose, d’une part, d’identifier une violation d’une obligation internationale imputable à l’État, qu’il s’agisse d’une action ou d’une omission (1) et, d’autre part, de se référer aux sources du droit international – coutume, traités, normes impératives – qui fondent juridiquement cette responsabilité (2).

1 - Le fait internationalement illicite : violation d’une obligation et imputabilité

Le point de départ de l’engagement de la responsabilité internationale d’un État repose sur la réalisation d’un fait internationalement illicite. Cette notion, centrale dans les articles de la Commission du droit international de 2001, combine deux éléments cumulatifs : la violation d’une obligation juridique internationale et l’imputabilité de cette violation à l’État. La reconnaissance d’un fait internationalement illicite constitue la clef de voûte du mécanisme de responsabilité étatique et pose les bases de toute démarche visant à obtenir réparation ou sanction à l’échelle internationale.

La première condition réside dans la violation d’une obligation internationale en vigueur au moment du comportement litigieux. Il peut s’agir d’obligations issues du droit coutumier, du droit conventionnel ou encore de normes impératives (jus cogens). L’obligation doit être précise, opposable à l’État concerné, et son contenu doit être suffisamment clair pour pouvoir constater une transgression. Les obligations internationales sont très diverses, allant de l’interdiction du recours à la force à la protection de l’environnement, en passant par le respect des droits de l’homme. Le droit international n’exige pas nécessairement une faute intentionnelle : la responsabilité est généralement objective, fondée sur le seul constat de la contrariété à la règle.

La seconde condition est l’imputabilité, c’est-à-dire l’attribution du comportement à l’État. Le droit international prévoit une série de critères permettant de déterminer si un acte a été accompli par un organe de l’État – exécutif, législatif ou judiciaire – ou par des entités ou individus agissant sous son autorité, son contrôle ou sa direction. L’article 4 du projet d’articles de la CDI précise que tout comportement d’un organe de l’État engage sa responsabilité, même si cet organe agit en dehors de ses compétences ou contre les instructions reçues. Par ailleurs, des actes commis par des personnes privées peuvent être imputés à l’État lorsqu’il existe un lien fonctionnel ou un contrôle effectif. Ainsi le comportement d’une entité habilité par un État à exercer des prérogatives de puissance publique ou le comportement d’une entité agissant sur les instructions, la direction ou le contrôle d’un État peuvent être imputés à cet État (article 5 et 8 du projet d’articles). 

2 - Les sources de l’engagement de la responsabilité : coutume, traités et normes impératives

L’engagement de la responsabilité internationale d’un État suppose qu’il ait manqué à une obligation qui lui est juridiquement opposable. Ces obligations proviennent des différentes sources du droit international telles qu’identifiées notamment par l’article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice (traités, coutume internationale, principes généraux de droit). Certaines normes présentent en outre un caractère impératif, ce qui renforce encore leur portée juridique et les conséquences de leur violation.

La coutume internationale constitue une source essentielle d’obligations opposables aux États. Elle résulte d’une pratique générale, constante et acceptée comme étant le droit (opinio juris). Des règles coutumières telles que l’interdiction de l’usage de la force ou le respect de l’immunité diplomatique engagent les États, même en l’absence de traité écrit. Lorsqu’un État enfreint une règle coutumière, sa responsabilité peut être engagée.

Les traités constituent une autre source majeure d’obligations. Lorsqu’un État est partie à un accord international, il est lié par ses clauses selon le principe pacta sunt servanda (article 26 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités). Ainsi, toute violation d’un engagement conventionnel – qu’il s’agisse d’un accord bilatéral ou multilatéral – peut engager la responsabilité de l’État partie. Cette situation se rencontre fréquemment dans le contentieux devant les juridictions internationales, en particulier dans le cadre des traités relatifs aux droits de l’homme ou au commerce international.

Enfin, certaines obligations découlent de normes impératives du droit international général, ou normes de jus cogens, qui s’imposent à tous les États, indépendamment de leur consentement exprès. Ces normes interdisent notamment le génocide, la torture, l’esclavage ou les actes d’agression. Leur violation entraîne des conséquences juridiques aggravées : impossibilité de justification par un accord contraire, obligation pour tous les États de ne pas reconnaître la situation illicite, et parfois responsabilité aggravée.

B - Les conséquences juridiques de l’engagement de la responsabilité

Une fois le fait internationalement illicite établi, la responsabilité de l’État entraîne un ensemble d’effets juridiques qui visent à rétablir l’ordre juridique international perturbé. Ces conséquences découlent à la fois de la logique de réparation du dommage causé et du souci de prévention des violations futures. D’une part, l’État responsable doit cesser le comportement illicite, garantir qu’il ne se reproduira pas, et s’engager dans un processus de réparation du préjudice (1) ; d’autre part, cette réparation peut prendre différentes formes, restitution, indemnisation ou satisfaction, en fonction de la nature du dommage subi et des possibilités concrètes de rétablissement (2).

1 - L’obligation de cessation, de garantie de non-répétition et de réparation

Lorsqu’un fait internationalement illicite est constaté, la responsabilité de l’État entraîne de manière automatique certaines obligations fondamentales. L’État fautif est tenu tout d’abord de mettre fin à la situation illicite et de prévenir sa répétition mais aussi de réparer le dommage causé. Ces obligations, énoncées aux articles 30 et 31 du projet d’articles de la Commission du droit international, traduisent une logique de restauration de la légalité internationale.

La première obligation est celle de cessation. L’État responsable doit immédiatement mettre fin à l’acte illicite. Il ne peut en poursuivre l’exécution, même s’il conteste sa responsabilité ou tente d’en minimiser la portée. Cette obligation vise à faire cesser le trouble au droit et à prévenir l’aggravation du préjudice. Elle est d’autant plus importante lorsque le fait illicite est continu, comme dans le cas d’une occupation militaire ou d’un traitement contraire aux droits de l’homme.

Vient ensuite l’obligation de garantie de non-répétition. Bien que non automatique, cette obligation peut être exigée lorsque les circonstances le justifient, notamment en cas de violation grave ou répétée. Elle implique que l’État prenne des mesures concrètes – matérielles, législatives, administratives ou institutionnelles – pour éviter la réitération de l’acte illicite. Cette obligation renforce la dimension préventive du régime de responsabilité.

Enfin, l’obligation de réparation constitue le corollaire indispensable de la responsabilité. Elle vise à effacer les conséquences du fait illicite, dans la mesure du possible, et à rétablir la situation antérieure. Cette obligation est formulée par la Cour permanente de justice internationale dans l’affaire Usine de Chorzów en 1927. La réparation peut couvrir aussi bien les dommages matériels que les préjudices moraux et elle s’impose même en l’absence de mauvaise foi de l’État.

La responsabilité internationale n’est par conséquent pas uniquement déclaratoire : elle entraîne des obligations concrètes à la charge de l’État, orientées vers la restauration du droit et la protection de l’ordre juridique international.

2 - Les formes de réparation : restitution, indemnisation, satisfaction

La réparation constitue le pilier central de la responsabilité internationale de l’État. Une fois le fait internationalement illicite établi, le droit impose à l’État fautif de réparer intégralement les conséquences dommageables de son comportement. Cette réparation peut prendre plusieurs formes, classiquement identifiées par la jurisprudence et consacrées par l’article 34 du projet d’articles de la CDI : restitution, indemnisation et satisfaction. Ces trois formes ne sont pas exclusives l’une de l’autre et peuvent se combiner. 

La forme prioritaire de réparation est la restitution. Elle vise à rétablir la situation qui aurait existé si le fait illicite n’avait pas eu lieu. Cela peut consister, par exemple, à restituer un territoire illégalement occupé, à rétablir un droit suspendu ou à annuler un acte contraire au droit international. La restitution est cependant subordonnée à sa faisabilité matérielle et à son absence de conséquences disproportionnées. Si elle est impossible ou déraisonnable, d’autres formes de réparation sont envisagées.

L’indemnisation intervient lorsque le préjudice ne peut être effacé par restitution. Elle vise à compenser les pertes économiques ou matérielles subies par l’État ou les individus lésés. Elle peut être calculée sur la base de critères précis (valeur marchande, bénéfices perdus, coûts engagés) et couvre aussi bien les dommages directs qu’indirects. L’indemnisation est fréquente dans les cas de responsabilité contractuelle ou environnementale. La Cour internationale de Justice, dans l’affaire du Détroit de Corfou (1949), a reconnu le principe de l’obligation de réparation pécuniaire pour dommage causé à un autre État.

Enfin, la satisfaction est une forme de réparation essentiellement symbolique. Elle s’applique en cas de préjudice moral, lorsque les autres formes de réparation sont inadaptées. Elle peut prendre la forme d’excuses officielles, de reconnaissance de responsabilité, ou encore de décisions judiciaires. La satisfaction vise à rétablir la dignité ou l’honneur de l’État victime.

II - Une responsabilité limitée dans son effectivité et sa mise en œuvre

Si le droit international prévoit un régime cohérent de responsabilité de l’État, l’effectivité de ce régime demeure relative. En effet, les mécanismes d’engagement de la responsabilité sont souvent entravés par des considérations politiques, institutionnelles ou procédurales. L’absence de juridiction obligatoire, la faiblesse des mécanismes contraignants ou encore le poids des rapports de force internationaux en limitent la portée concrète (A). Toutefois, certaines évolutions récentes tendent à renforcer la capacité du droit international à faire respecter la responsabilité étatique, en s’appuyant notamment sur les juridictions internationales et la reconnaissance croissante d’intérêts collectifs dans les obligations internationales (B).

A - Les obstacles institutionnels et politiques à la reconnaissance de la responsabilité

Si la reconnaissance du principe de responsabilité étatique est aujourd’hui largement acquise, sa mise en œuvre concrète reste souvent entravée par des limites structurelles propres à l’ordre juridique international. L’un des principaux obstacles réside dans l’absence d’un système juridictionnel universel et obligatoire, qui empêche de soumettre un État à un contentieux sans son consentement préalable (1). À cela s’ajoute l’influence déterminante des rapports de puissance et des considérations diplomatiques, qui peuvent entraver la recherche d’une responsabilité ou dissuader les États victimes d’engager des procédures (2).

1 - L’absence de juridiction internationale obligatoire et les mécanismes consensuels

Contrairement aux systèmes juridiques internes, le droit international ne dispose pas d’une autorité judiciaire suprême et universelle habilitée à trancher, de manière obligatoire, tous les litiges entre États. La Cour internationale de Justice, organe judiciaire principal de l’ONU, ne peut être saisie que si les États parties y ont consenti, soit de manière générale par une déclaration unilatérale, soit de manière ad hoc, soit par une clause compromissoire dans un traité. Ce principe du consentement limite fortement l’accès au juge international : un État ne peut être contraint de comparaître s’il ne l’a pas expressément accepté.

Cette absence de juridiction obligatoire rend difficile l’établissement formel de la responsabilité étatique, surtout dans les cas où l’État mis en cause refuse de se soumettre à une procédure contentieuse. De nombreux litiges n’aboutissent ainsi à aucune décision contraignante, se résolvant éventuellement par des mécanismes diplomatiques (négociation, médiation ou arbitrage) qui reposent eux aussi sur le consentement des parties. Cela affaiblit la prévisibilité et la rigueur du régime de responsabilité.

Certaines juridictions internationales spécialisées, comme le Tribunal international du droit de la mer ou les juridictions spécialisées dans les droits de l’homme (CEDH par exemple), peuvent connaître de litiges mettant en cause la responsabilité d’un État. Mais là encore, leur compétence reste conditionnée à l’acceptation préalable des États, et leurs décisions peuvent souffrir de limites dans leur portée exécutoire.

L’absence d’un juge universel et obligatoire constitue ainsi un frein majeur à l’effectivité du régime de responsabilité internationale, renforçant l’asymétrie entre la reconnaissance juridique du principe de responsabilité et sa mise en œuvre réelle.

2 - Le poids des rapports de force et des considérations diplomatiques

Au-delà des obstacles juridiques, l’effectivité de la responsabilité internationale de l’État est largement conditionnée par les dynamiques de pouvoir qui structurent les relations internationales. Le droit international repose en grande partie sur la coopération volontaire entre États souverains. Dans ce contexte, les rapports de force, les intérêts géopolitiques et les équilibres diplomatiques jouent un rôle déterminant dans la reconnaissance, l’engagement ou la mise en œuvre de la responsabilité étatique.

Dans les faits, il est fréquent que des États puissants échappent à toute forme de sanction ou de contentieux, même lorsqu’ils sont à l’origine de violations manifestes du droit international. La crainte de détériorer des relations bilatérales, de compromettre des accords stratégiques ou de provoquer des représailles politiques conduit de nombreux États à éviter d’engager officiellement la responsabilité de puissances dominantes. Par exemple, les violations alléguées du droit international humanitaire ou de la Charte des Nations Unies par des membres permanents du Conseil de sécurité suscitent rarement des procédures contentieuses, en raison du poids politique et juridique de ces acteurs.

De plus, l’usage du droit international lui-même peut être instrumentalisé à des fins politiques. L’invocation ou l’évitement de la responsabilité devient alors un outil de pression diplomatique plutôt qu’un véritable mécanisme juridique. Cette politisation du contentieux international fragilise la cohérence et la légitimité du régime de responsabilité.

Les considérations diplomatiques interviennent également dans le choix des modes de règlement des différends. Les États privilégient souvent les solutions négociées ou les accords transactionnels, qui permettent de préserver la relation bilatérale au détriment parfois d’une reconnaissance explicite de la responsabilité. Si ces mécanismes ont leur utilité pragmatique, ils contribuent à maintenir un certain flou sur la reconnaissance de la faute et sur la portée normative des règles violées.

En définitive, le régime de responsabilité internationale des États reste fortement tributaire du contexte politique international. Cette dépendance aux rapports de force entrave son efficacité, et souligne les tensions persistantes entre logique juridique et logique diplomatique dans l’ordre international contemporain.

B - Les évolutions contemporaines vers une meilleure effectivité de la responsabilité internationale

Malgré les obstacles politiques et institutionnels qui entravent l’engagement effectif de la responsabilité des États, le droit international contemporain connaît des évolutions notables qui tendent à renforcer l’encadrement juridique des comportements étatiques. Ces avancées se manifestent notamment par le rôle accru des juridictions internationales et régionales, qui, en dépit du principe du consentement, parviennent à construire une jurisprudence significative et parfois contraignante (1). En parallèle, le développement de la notion d’obligations erga omnes et la reconnaissance croissante de l’intérêt collectif dans le contentieux international permettent de dépasser une conception strictement bilatérale de la responsabilité (2).

1 - Le rôle croissant des juridictions internationales et régionales

Malgré les limites inhérentes à l’absence de juridiction obligatoire universelle, le développement progressif d’un contentieux international actif et spécialisé contribue à renforcer l’effectivité de la responsabilité des États. De nombreuses juridictions internationales et régionales, bien qu’issues d’un consentement préalable, exercent aujourd’hui un rôle structurant dans la reconnaissance et la mise en œuvre du droit international, en particulier dans les domaines des droits de l’homme, du droit économique ou de l’environnement.

Les juridictions régionales, notamment la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour interaméricaine des droits de l’homme ou la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, jouent un rôle pionnier. La CEDH, par exemple, a développé une jurisprudence abondante sur la responsabilité des États membres du Conseil de l’Europe en cas de violations des droits garantis par la Convention européenne. Ses arrêts, contraignants, ont permis de renforcer l’obligation pour les États de respecter les droits fondamentaux, par exemple en matière de détention, de procès équitable ou de protection de la vie privée. L’efficacité de cette jurisprudence tient en partie à un système de suivi de l’exécution des arrêts par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe.

Sur le plan global, la Cour internationale de Justice (CIJ) continue de produire une jurisprudence de référence sur les règles générales de la responsabilité internationale. Si son accès demeure limité aux États consentants, ses arrêts, comme par exemple dans les affaires Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide  (Bosnie c. Serbie) ou Activités armées sur le territoire du Congo (RDC c. Ouganda), ont contribué à affirmer des obligations fondamentales de comportement étatique.

Par ailleurs, d’autres mécanismes contribuent indirectement à l’effectivité de la responsabilité. Les juridictions arbitrales, les organes quasi-juridictionnels (comme les comités des Nations Unies) ou encore certaines juridictions économiques internationales (comme l’Organe de règlement des différends de l’OMC) participent également à encadrer la conduite des États dans des domaines spécifiques.

Ainsi, bien qu’aucune juridiction unique n’ait compétence universelle, la montée en puissance de ces instances spécialisées favorise, par leur autorité jurisprudentielle, une responsabilisation croissante des États dans leurs relations extérieures et dans leur comportement à l’égard des individus.

2 - La prise en compte de l’intérêt collectif et des obligations erga omnes

L’une des évolutions majeures du droit international contemporain réside dans l’émergence progressive, bien qu’encore partielle et incertaine, d’une logique d’intérêt collectif, qui tend à dépasser la conception strictement bilatérale des rapports juridiques entre États. Cette évolution renforce la portée du régime de responsabilité en permettant, dans certains cas, à des États tiers ou à la communauté internationale dans son ensemble de réagir à des violations graves du droit international, indépendamment d’un préjudice direct.

Ce développement repose notamment sur la notion d’obligations erga omnes, c’est-à-dire des obligations dont la violation porte atteinte à l’ensemble de la communauté internationale. La Cour internationale de Justice a consacré cette notion dans l’affaire Barcelona Traction (1970), en évoquant des obligations fondamentales comme l’interdiction de l’agression, du génocide, de l’esclavage ou de la torture. La reconnaissance de ces obligations ouvre la voie à une forme de responsabilité élargie, dans laquelle tout État peut invoquer une violation, même s’il n’en est pas directement victime.

Ce mécanisme a été repris dans les articles 48 et 54 du projet de la CDI sur la responsabilité de l’État. Il permet à des États tiers de réclamer la cessation de la violation, des garanties de non-répétition, et, dans certains cas, une réparation au nom de la collectivité. Cette approche est particulièrement pertinente face à des atteintes graves aux droits fondamentaux ou à la souveraineté territoriale, comme dans le cas de l’annexion d’un territoire ou de violations systématiques des droits de l’homme. Par ailleurs, la montée en puissance de la société civile, des ONG et de certaines juridictions ouvertes aux individus, contribue également à renforcer la prise en compte de l’intérêt général dans le contentieux international. Même si ces acteurs ne disposent pas toujours de moyens juridiquement contraignants, ils jouent un rôle de veille, de dénonciation et de pression politique qui peut contribuer à faire évoluer les comportements étatiques.

La responsabilité de l’État constitue ainsi un principe fondamental du droit international, traduisant l’idée que nul ne peut enfreindre impunément ses obligations internationales. Ce régime présente une cohérence théorique indéniable et repose sur des bases juridiques claires : tout fait internationalement illicite engage, en principe, la responsabilité de l’État fautif, lequel est alors tenu de cesser l’acte, de garantir sa non-répétition et de réparer le préjudice. Sa mise en œuvre demeure confrontée à des limites structurelles que les évolutions évoquées ici ne viennent qu’imparfaitement combler. La responsabilité internationale apparaît ainsi moins comme un outil automatique de sanction que comme une exigence de justice, en construction, au cœur des mutations du droit international contemporain.