Introduction

Depuis les années soixante-dix, les finances publiques françaises sont caractérisées par des déficits chroniques. Cette situation fait de l’enjeu d’un retour vers l’équilibre des finances nationales une question récurrente dans les débats politiques.

L’équilibre, ou son pendant le déficit, peut être appréhendé au niveau de l’ensemble des administrations publiques, c’est-à-dire de l’Etat, des collectivités locales et des organismes de Sécurité sociale : on parle, alors, de déficit public. Celui-ci s’est, ainsi, élevé, en 2021, du fait de la poursuite des effets de la crise sanitaire, à 160,9 milliards d’euros (Md €), soit 6,5 % du PIB (après 8,9 % du PIB en 2020). Il peut, également, être perçu à l’aune du seul Etat : on parle, alors, d’équilibre budgétaire ou de déficit budgétaire. C’est, là, le seul point de vue qui sera retenu dans ce propos.

Du fait de l’accumulation des déficits budgétaires, mais aussi des contraintes européennes liées à la mise en place de l’euro, l’équilibre budgétaire apparaît comme un impératif des finances de l’Etat d’aujourd’hui. La question qui se pose, alors, est celle de savoir si celui-ci peut être regardé comme un principe du droit budgétaire au même titre que, par exemple, les principes d’annualité et d’unité.

Pour certains, la réponse doit être affirmative dans la mesure où différents textes, tant français qu’européens, sont venus imposer à l’Etat des obligations en termes de trajectoire de retour vers l’équilibre budgétaire.

Pour d’autres, au contraire, la portée normative du principe d’équilibre budgétaire demeure limitée, de sorte que cet impératif n’apparaît comme rien d’autre qu’un objectif de saine gestion financière (pour l’heure, en tout cas).

Il convient, donc, d’étudier, dans une première partie, la promotion du principe d’équilibre budgétaire (I) et d’analyser, dans une seconde partie, la portée normative limitée de ce principe (II).

I - La promotion du principe d'équilibre budgétaire

Le principe d’équilibre budgétaire a fait l’objet, ces dernières années, d’une promotion significative. Ce mouvement, qui s’explique par la nouvelle donne des finances publiques contemporaines (A), se constate tant au niveau français qu’au niveau européen (B).   

A - Les facteurs à l'origine de la promotion du principe

La promotion du principe d’équilibre budgétaire tient, principalement, à deux facteurs : la lutte contre les déficits que connaissent, sans discontinuer, les finances de l’Etat depuis les années soixante-dix (1) et les contraintes européennes liées à la mise en place de la monnaie unique (2).

1 – La lutte contre les déficits budgétaires

Le déficit budgétaire correspond à la situation dans laquelle les recettes de l’État sont inférieures à ses dépenses au cours d’une année ; il s’agit, ainsi, d’un solde négatif. Il se différencie du déficit public, car celui-ci englobe le solde des recettes et des dépenses des autres administrations publiques (collectivités territoriales et organismes de Sécurité sociale).

En France, le budget de l’Etat a été, pour la dernière fois, en équilibre au début des années soixante-dix. Ensuite, le déficit budgétaire s’est fortement accentué pendant les années de récessions (notamment, 1993, 2009 et 2020) et n’a diminué que difficilement lorsque la conjoncture était plus favorable (par exemple, 1988 et début des années deux milles). En 2020 et 2021, la crise sanitaire a réduit les recettes de l’Etat et provoqué une augmentation de ses dépenses (soutien à l’économie, politique de chômage partiel). Le déficit du budget de l’Etat a, ainsi, représenté 143,5 Md €, soit 5,8 % du PIB, en 2021.

L’accumulation de ces déficits au cours des années constitue la dette de l’Etat : elle s’élevait, à fin 2021, à 2 813,1 Md €, soit 112,5 % du PIB. Son poids pose la question de sa soutenabilité, c’est-à-dire de la capacité de l’Etat à honorer ses engagements financiers. D’où la volonté d’assurer un retour vers l’équilibre du budget de l’Etat afin d’apurer, progressivement, cette dette.

2 – Les contraintes européennes liées à la mise en place de la monnaie unique

Le traité de Maastricht mettait en place la monnaie unique. A cette fin, il posait des critères d’entrée dans l’Union économique et monétaire (UEM) : le déficit public, qui comprend le déficit budgétaire, ne pouvait, ainsi, pas dépasser 3 % du PIB et la dette publique, qui comprend la dette de l’Etat, 60 % du PIB.

Or, aucune règle n’avait été fixée pour contrôler les finances publiques des États une fois qu’ils en étaient membres. Aussi, le risque était qu’une fois entrés dans l’UEM, certains pays profitent de leur appartenance à la zone euro pour mener des politiques laxistes, provoquant, alors, des conséquences néfastes pour toute la zone. C’est ce que l’on a appelé le comportement de « free rider » (passager clandestin).

Il convenait, donc, d’adopter des règles visant à éliminer par avance les incompatibilités qui pourraient exister entre les politiques économiques et budgétaires nationales et la politique de stabilité monétaire dont la Banque centrale européenne a la charge. Aussi, il a été décidé que les règles conditionnant l’entrée au sein de l’UEM s’appliqueraient de manière permanente aux pays ayant adopté l’euro. A cette fin, différents textes ont été adoptés : l’on peut, notamment, citer le Pacte de stabilité et de croissance en 1997 et le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire en 2012. L’ensemble de ces dispositifs d’encadrement des finances nationales imposent aux Etats d’avoir des budgets proches de l’équilibre et, à terme, excédentaires. Des dispositifs que des textes internes ont complété afin de promouvoir le principe d’équilibre budgétaire.

B - Les textes promouvant le principe

Le principe d’équilibre budgétaire a été promu tant au niveau français (1) qu’au niveau européen (2).

1 - Les textes français

En France, deux grands textes mettent en avant le principe d’équilibre budgétaire.

Le premier est la loi organique prévue par l’article 47 de la Constitution du 4 octobre 1958 pour déterminer les conditions de vote des lois de finances. Cette loi a, dans un premier temps, été l’ordonnance du 2 janvier 1959. Son article 1° disposait ainsi que « les lois de finances déterminent la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'Etat, compte tenu d'un équilibre économique et financier qu'elles définissent. » Cette ordonnance a été remplacée par la loi organique relative aux lois de finances, dite LOLF, du 1° août 2001 qui a, sensiblement, modifié la formule relative à l’équilibre. Son article 1° prévoit, dorénavant, que « les lois de finances déterminent, pour un exercice, la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'Etat, ainsi que l'équilibre budgétaire et financier qui en résulte. Elles tiennent compte d'un équilibre économique défini, ainsi que des objectifs et des résultats des programmes qu'elles déterminent. »

Le second est l’article 34 de la Constitution au terme duquel « les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques. » L’objectif d’équilibre qui est, ici, visé est un objectif de moyen terme plus pertinent que la vision annuelle des lois des finances. Il recouvre, par ailleurs, les trois branches des finances publiques (Etat, collectivités locales et organismes de Sécurité sociale). Au terme de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques qui est venue les organiser, ces lois de programmation doivent fixer l’objectif à moyen terme d’équilibre des administrations publiques et définir les trajectoires des soldes structurels et effectifs annuels successifs des comptes des administrations publiques pour l’atteindre. Depuis la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, elles doivent, également, déterminer, pour chacun des exercices de la programmation, un objectif d’évolution en volume et une prévision en milliards d’euros des dépenses des administrations publiques. Cette disposition est de nature à conforter l’objectif d’équilibre contenu dans la loi de programmation dans la mesure où elle a pour objet son déterminant essentiel : la dépense publique.

2 - Les textes européens

Différents textes ont été adoptés au niveau européen pour limiter les déficits publics et favoriser le retour vers l’équilibre des budgets publics : Pacte de stabilité et de croissance en 1997, « six pack » en 2011, Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l’Union économique et monétaire en 2012 et « two pack » en 2013. Ces textes concernent les trois branches des finances publiques nationales.

Le plus important est le TSCG. Ce texte prévoit que la situation budgétaire des administrations publiques doit être en équilibre ou en excédent. Il instaure, surtout, la célèbre « règle d’or » budgétaire. Celle-ci signifie que le déficit structurel d’un pays ne doit pas dépasser 0,5 % de son PIB. Par déficit structurel, il faut entendre le déficit qui ne tient pas compte des éléments conjoncturels. Il concerne, ainsi, les dépenses courantes et ne prend pas en compte les dépenses exceptionnelles. En d’autres termes, les Etats doivent s’engager à financer sainement leurs dépenses courantes, mais ils gardent la possibilité de soutenir leurs économies par un déficit exceptionnel.

En France, la transcription de cette obligation a été effectuée par la loi organique du 17 décembre 2012. Cette loi a confié aux lois de programmation des finances publiques le soin de mettre en œuvre la « règle d'or » fixée par TSCG. Les lois de programmation doivent, ainsi, désormais fixer un objectif de déficit structurel qui ne peut dépasser 0,5 % du PIB, ainsi qu’une trajectoire pour y parvenir.

L’ensemble de ces textes ont renforcé le poids du principe d’équilibre budgétaire s’appliquant aux finances de l’Etat (et plus généralement aux finances publiques nationales). Toutefois, ces avancées connaissent des limites qui posent la question de sa portée juridique.

II – La portée normative limitée du principe d'équilibre budgétaire

La portée normative du principe d’équilibre budgétaire apparaît limitée. Elle l’est du fait des limites qui caractérisent les textes qui le promeuvent (A), de sorte que se pose la question de savoir si l’équilibre budgétaire n’est pas, en somme, qu’un simple objectif (B).

A - Les limites des textes consacrant le principe

L’autorité du principe d’équilibre budgétaire apparaît toute relative eu égard aux limites que connaissent les textes qui viennent le promouvoir, soit que la conception de l’équilibre qu’ils consacrent est éloignée de ce qu’il convient d’entendre par principe d’équilibre budgétaire (1), soit que ces textes sont dénués de force contraignante (2).

1 – La conception de l’équilibre dans les textes : un conception éloignée du principe d’équilibre budgétaire

Le principe d’équilibre budgétaire requiert, pour être pleinement respecté, une équivalence entre les recettes et les dépenses. Or, la conception de « l’équilibre » que consacrent les différents textes composant la législation financière française apparaît différente.

Ainsi, l’ordonnance de 1959 faisait référence à un « équilibre économique et financier ». Cette approche se rattachait aux théories keynésiennes aux termes desquelles il convient de privilégier l’équilibre global d’un système plutôt que l’équilibre de chacune de ses composantes : en d’autres termes, le déséquilibre budgétaire se justifie pleinement s’il contribue à l’équilibre global de l’économie nationale. La LOLF retient, elle, une formule qui se détache des courants favorables à l’interventionnisme économique : elle mentionne, ainsi, « l’équilibre budgétaire et financier » qui résulte des ressources et des charges de l’Etat, sans, toutefois, poser comme impératif l’égalité entre les deux masses. La conception keynésienne fait, toutefois, l’objet d’un rappel puisque la LOLF rajoute que les lois de finances « tiennent compte d’un équilibre économique défini ».

Quant à l’article 34 de la Constitution de 1958, il pose que les lois de programmation des finances publiques « s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques ». Il est, ainsi, ici, question de l’équilibre des comptes et non de celui des budgets à proprement parler.

2 – Les lois de programmation des finances publiques : des textes non contraignants

En vertu de l’article 34 de la Constitution, les lois de programmation des finances publiques doivent viser « l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques ». Outre que l’équilibre est un simple objectif, ces lois sont dépourvues de toute force obligatoire sur le plan financier : en effet, elles ne sont pas des lois de finances, mais des lois ordinaires de sorte que le Parlement ne se trouve pas lié par elles lorsqu’il se prononce sur la loi de finances de l’année qui demeure la seule loi dotée d’une autorité en matière financière.

C’est donc logiquement que le Conseil constitutionnel retient, dans sa jurisprudence, une conception souple de la notion d’équilibre. Celui-ci est, ainsi, apprécié au regard des intérêts économiques et non pas seulement en fonction d’une stricte égalité inscrite dans le budget entre les ressources et les charges. Le Gouvernement et le Parlement conservent, donc, leur liberté d’appréciation et d’adaptation dans l’élaboration et le vote de la loi de finances annuelle.

Le seul dispositif qui pourrait présenter un caractère contraignant a été instauré par la loi organique du 28 décembre 2021 : il s’agit d’un compteur des écarts entre les prévisions en milliards d'euros courants des dépenses des administrations publiques qui figurent dans la loi de programmation et les dépenses réalisées ou prévues au sein de la dernière loi de finances afférente à l'exercice concerné. En cas d’écart, il revient au Gouvernement de présenter, dans le Rapport économique, social et financier prévu par l’article 50 de la LOLF, les raisons et les hypothèses expliquant ces écarts cumulés, ainsi que, le cas échéant, les mesures prévues pour les réduire. Si ce mécanisme est de nature à renforcer le poids des orientations votées en loi de programmation lors des discussions budgétaires annuelles, il ne concerne, toutefois, que le volet dépenses et aucun dispositif n’est prévu pour sanctionner le Gouvernement s’il s’abstient de corriger les écarts constatés.

B - L'équilibre budgétaire : un simple objectif ?

La nature véritable de l’impératif d’équilibre budgétaire n’a jamais fait, véritablement, consensus chez les juristes. S’il constitue, pour certains, un principe juridique, il n’est, pour d’autres, qu’un simple objectif. Cette seconde position a, pour elle, de solides arguments.

Elle a, d’abord, subi, « avec succès », l’épreuve des faits dans la mesure où ce principe n’a jamais été respecté depuis le début des années soixante-dix. Tout au contraire, l’équilibre budgétaire n’a eu de cesse que de faire l’objet de vœux, éternellement pieux, de la part de la classe politique. Comment, alors, regarder cet impératif comme un principe du droit budgétaire français ?

Elle se justifie, ensuite, par le fait que, plus que tout autre principe budgétaire, l’équilibre budgétaire dépend, étroitement, de facteurs exogènes, notamment économiques (voire sanitaires comme en 2020), sur lesquels les pouvoirs publics n’ont pas l’entier contrôle. Ainsi, s’explique la distinction faite par le TSCG entre déficit conjoncturel et déficit structurel : celle-ci montre bien que la réalisation de l’équilibre budgétaire ne dépend pas que d’une volonté politique et d’une stratégie juridique, mais est, en partie, la résultante de la conjoncture économique.

Enfin, la portée normative limitée de cet impératif peut, également, s’avérer être volontaire. Le statu quo peut, en effet, être une façon pour le pouvoir politique de conserver une marge de manœuvre dans la mise en œuvre de politiques publiques, notamment des politiques de relance keynésiennes. La question de l’équilibre budgétaire apparaît, ainsi, comme un enjeu politique sensible. Ainsi, s’explique que le TSCG prévoit des possibilités de dérogation à la « règle d’or » qu’il consacre et que la loi organique du 28 décembre 2021 n’ait guère apporté d’avancées majeures en ce domaine.

Ces considérations font de l’équilibre budgétaire plus un objectif qu’un principe juridique à proprement parler. Elles le situent à la frontière du droit et de l’économie, de sorte que l’équilibre budgétaire emprunte tantôt à l’un, tantôt à l’autre et reflète, ainsi, les impératifs, parfois contradictoires, qui pèsent sur l’Etat.