Introduction
La Constitution du 4 octobre 1958 constitue la norme suprême de l’ordre juridique français. Elle définit les droits et libertés des citoyens, ainsi que l'organisation et les compétences respectives des pouvoirs publics. C’est à ce titre qu’elle encadre le régime juridique des lois de finances dont l’objet est de déterminer le budget de l’Etat.
Cet encadrement est ancien et a été complété au fil des régimes politiques qui ont ponctué l’histoire de France. C’est, ainsi, que, sous la V° République, les règles applicables découlent de l’ensemble du bloc de constitutionnalité, c’est-à-dire tant du texte même de la Constitution que de son Préambule et des textes anciens auxquels celui-ci renvoie. Par ailleurs, et à l’instar de ce qui se fait pour d’autres questions, la Constitution, faute de ne pouvoir tout détailler, renvoie à une loi organique le soin de préciser le régime des lois de finances.
L’ensemble de ces normes poursuivent deux finalités. Encadrer les pouvoirs financiers de l’Etat : cette mission est, essentiellement, assurée par les grands principes financiers et fiscaux posés par la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Et, cantonner la place du Parlement en matière financière : c’est, là, la tâche des différentes règles de procédure prévues par la Constitution de 1958 dans le cadre du dogme du parlementarisme rationnalisé.
Il convient donc d’étudier, dans une première partie, la Constitution de 1958 en tant qu’elle est la source des règles encadrant les lois de finances (I) et d’analyser, dans une seconde partie, les finalités de ce corpus financier (II).
I - La Constitution de 1958, source des normes encadrant les lois de finances
La Constitution de 1958 constitue la source du corpus normatif régissant les lois de finances. En effet, ce dernier est issu tant du bloc de constitutionnalité (A) que de la loi organique prévue par le texte constitutionnel lui-même (B).
A - Des normes issues de l'ensemble du bloc de constitutionnalité
La Constitution de 1958 ne se limite pas à son seul texte (2). Elle comprend, également, son préambule et les textes auquel il fait référence (1). Les normes constitutionnelles régissant les lois de finances découlent tant de l’un que de l’autre.
1 - Le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958
Selon le Préambule de la Constitution de 1958, « le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004. » Le Conseil constitutionnel a reconnu à cette disposition une valeur constitutionnelle et a, par suite, fait des textes auxquels elle renvoie des normes à l’aune desquelles apprécier les lois, dont les lois de finances (CC, 16/07/1971, Liberté d’association).
Le texte qui intéresse le plus la matière financière est la Déclaration de 1789. Celle-ci pose certains grands principes généraux, mais qui trouvent une traduction en matière financière : ainsi, en va-t-il des principes d’égalité devant la loi et de non-rétroactivité de la loi. Parmi les principes proprement financiers, la Déclaration consacre les principes classiques d’égalité devant les charges publiques, de nécessité de l’impôt et de consentement à l’impôt.
A un degré moindre, le Préambule de la Constitution de 1946 peut, également, intéresser la matière financière, en tout cas l’aspect dépenses des finances de l’Etat. En effet, certains « droits créances » qu’il consacre induisent un devoir pour l’État d’apporter une aide, le cas échéant financière, à la population. Par exemple, son dixième alinéa affirme que « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».
2 - Le texte même de la Constitution du 4 octobre 1958
Ce texte régit, principalement, les questions de compétence et de procédure. Ainsi, son article 34 prévoit que les ressources et les charges de l’Etat sont déterminées par les lois de finances. Autrement dit, la détermination du budget de l’Etat relève de la compétence du seul législateur. Il en va de même des questions fiscales pour lesquelles les assemblées disposent d’un monopole : en effet, le même article prévoit que « la loi fixe les règles concernant … l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ». L’article 47 s’attache, lui, à régler les règles de calendrier et de procédure applicables au processus législatif financier.
Le texte organise, par ailleurs, le contrôle de l’application des lois de finances. Ainsi, son article 47 – 2 prévoit que cette tâche est exercée tant par le Parlement que par le Gouvernement et que la Cour des comptes a pour mission de les y assister.
Enfin, l’article 34 du texte instaure une approche consolidée des finances de l’Etat en les replaçant au sein de l’ensemble des finances publiques (avec les finances locales et les finances sociales). Il prévoit, à cette fin, que des lois de programmation définissent les orientations pluriannuelles des finances publiques, avec pour objectif l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques.
Outre ces normes dont elle est imprégnée, la Constitution de 1958 régit, également, les lois de finances de manière indirecte, en renvoyant à une loi organique le soin de préciser leur régime juridique.
B – La « Constitution financière » : une loi organique prévue par la Constitution de 1958
Le principe du renvoi à une loi organique est posé par le texte constitutionnel lui-même (1). Depuis 1958, plusieurs lois organiques sont intervenues (2).
1 – Le principe du renvoi à une loi organique
L’article 34 de la Constitution de 1958 prévoit que « les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. » Cette disposition est complétée par l’article 47 al. 1° du même texte au terme duquel « le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique. » Par ces deux dispositions, les constituants 1958 sont venus confier au législateur organique la tâche de préciser le régime juridique encadrant les lois de finances. Ainsi, s’explique que les textes intervenus sur cette base aient été qualifiés par la doctrine de « Constitution financière » de la France.
La technique des lois organiques est couramment utilisée dans la Constitution lorsqu’une question ne peut être régie entièrement par le texte constitutionnel et qu’il est nécessaire, toutefois, de préciser plus en détail l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics. Ainsi s’explique, alors, que ces lois aient une autorité supérieure à celle des lois ordinaires, mais inférieure à celle de la Constitution. C’est pour la même raison que leurs conditions d’adoption sont plus strictes que pour les lois ordinaires et qu’elles sont systématiquement déferrées au Conseil constitutionnel.
Depuis 1958, plusieurs lois organiques sont intervenues pour encadrer les lois de finances.
2 – Les lois organiques intervenues depuis 1958
La première loi organique à être venue régir les lois de finances a été l’ordonnance du 2 janvier 1959. Ce texte prévoyait un budget de moyens au sein duquel les dépenses étaient votées par ministère et par titre. Il était d’inspiration, essentiellement, légaliste, fondé sur l’exigence de respect des différents principes budgétaires.
Cette ordonnance s’est, toutefois, révélée inadaptée face à la succession de déficits budgétaires et à la mise en place des contraintes européennes du fait de la création de la monnaie unique. Dans un contexte de rareté de l’argent public, elle ne permettait pas, en effet, de s’assurer de l’efficacité de la dépense publique. Aussi, a été adoptée, dans un grand consensus politique, une nouvelle « Constitution financière » : la loi organique relative aux lois de finances, dite LOLF, du 1° août 2001. Cette loi suit deux grandes directions. Elle consacre, d’abord, l’exigence de performance tant au niveau du vote de la loi de finances qui se fait par grandes politiques publiques qu’au niveau de la mesure des résultats atteints par ces politiques. Elle accroît, ensuite, sensiblement le pouvoir d’amendement des parlementaires : ceux-ci peuvent, en effet, redéployer les crédits entre les programmes au sein d’une même mission, là où, par le passé, ils ne disposaient d’aucune marge de manœuvre en matière de dépense.
La LOLF a, ensuite, été complétée par deux autres lois organiques. Celles-ci s’intéressent, plus généralement, aux trois branches des finances publiques, mais comportent des dispositions afférentes aux finances de l’Etat et, donc, aux lois de finances.
La première est la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Celle-ci est venue assurer la traduction en droit interne du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire. Ces textes appréhendent les trois branches des finances publiques et fixent un objectif de déficit structurel qui ne peut dépasser 0,5 % du PIB. Cette loi organique régit, à ce titre, les lois de programmation des finances publiques créées par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 dont la raison d’être est d’assurer le respect de cette règle par les lois de finances.
La seconde est la loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques du 28 décembre 2021. Cette loi complète la LOLF et abroge la loi organique du 17 décembre 2012, mais en insérant l’ensemble du contenu de ce texte au sein de la LOLF. Parmi les dispositions qui intéressent les finances de l’Etat, l’on peut, notamment, évoquer les points suivants. La loi organique de 2021 crée, d’abord, une nouvelle catégorie de lois de finances, la loi de finances de fin de gestion, qui pérennise la pratique des collectifs budgétaires de fin d’année. Le débat relatif au programme de stabilité (fin avril) et le débat d’orientation des finances publiques (début juillet) sont, par ailleurs, fusionnés en une séquence spécifique dédiée à l’orientation pluriannuelle des finances publiques qui se déroulera au printemps. Le temps consacré à l’analyse de l’exécution du budget est élargi et la fonction d’évaluation du Parlement est réaffirmée : d’une part, la date limite de dépôt du projet de loi de règlement est avancée du 1° juin au 1° mai afin de donner plus de temps aux parlementaires pour se consacrer à leurs travaux d’évaluation et de contrôle ; d’autre part, les lois de règlement sont renommées lois relatives aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année afin de mettre en avant l’importance des travaux liés à l’évaluation des politiques publiques à l’occasion de leur examen. Enfin, la loi organique complète les informations devant figurer au sein de l’article liminaire des lois de finances afin que soit mieux appréciée la conformité des choix faits chaque année aux objectifs fixés dans la loi de programmation des finances publiques.
La Constitution encadre, ainsi, dans toute la diversité qui la caractérise, de manière directe ou indirecte, le régime juridique des lois de finances. Il en découle un ensemble de règles riches aux finalités variées.
II – La Constitution de 1958, un corpus financier caractérisé par une double finalité
La Constitution de 1958 comporte un ensemble très riche de règles applicables aux lois de finances. Certaines sont issues de la Déclaration de 1789 (A), d’autres du texte constitutionnel lui-même (B). Les premières visent à encadrer les marges de manœuvre de l’Etat sur le plan financier, les secondes à cantonner le rôle du Parlement en la matière.
A – Les principes issus de la Déclaration de 1789 : encadrer les pouvoirs financiers de l'Etat
La Déclaration de 1789 pose deux grands types de règles : certaines sont générales, mais ont une traduction en matière financière (1), d’autres sont spécifiques à celle-ci (2). Leur finalité est d’encadrer la marge de manœuvre dont dispose l’Etat sur le plan financier.
1 – Les règles générales ayant une traduction en matière financière
Deux grands articles généraux de la Déclaration de 1789 trouvent une illustration en matière financière.
Le premier est le principe d’égalité devant la loi posé par l’article 6 dispose au terme duquel « la loi (…) doit être la même pour tous ». En matière financière, ce principe implique l’égalité devant l’impôt et, donc, la prohibition de tout privilège en faveur d’une catégorie de contribuables. Toute différence de traitement n’est, toutefois, pas interdite. Simplement, elle doit être justifiée par une différence de situation ou un motif d’intérêt général suffisant.
Le second est le principe de non-rétroactivité de la loi pénale posé par l’article 8 de la Déclaration de 1789. Il trouve à s’appliquer en matière d’impôt lorsque des sanctions sont prises pour non-respect des obligations fiscales. Le Conseil constitutionnel s’assure, toutefois, de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue. En dehors des question répressives, le législateur n’est pas tenu à la non-rétroactivité, mais il ne peut adopter des dispositions fiscales rétroactives qu’en considération d’un motif d’intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles, telles que, par exemple, le respect d’une décision de justice passée en force de chose jugée.
2 – Les règles propres à la matière financière
Deux grandes dispositions de la Déclaration de 1789 ont trait spécifiquement aux finances de l’Etat.
En premier lieu, l’article 13 de la Déclaration proclame que « pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Deux grands principes résultent de cette disposition.
Le premier est le principe de nécessité de l’impôt. Celui-ci fait de la ressource fiscale le mode de financement naturel des dépenses d’administration et d’entretien de la force publique, lesquelles sont, par conséquent, à la charge de l’État et non de corps privés. Ce principe induit, également, que les citoyens soient dotés, en plus des droits que l’appartenance à la Nation implique, de devoirs, dont, ici, celui de contribuer au financement de l’administration.
Le second est le principe d’égalité devant les charges publiques dans la mesure où les citoyens doivent payer l’impôt en fonction de « leurs facultés » ou de « leurs facultés contributives » comme l’indique, de nos jours, la jurisprudence du Conseil constitutionnel. À cet égard, ce dernier assure un véritable contrôle de proportionnalité de la loi. Il vérifie que l’impôt est équitablement réparti entre les citoyens, que la charge fiscale est proportionnée aux facultés contributives des redevables et, en particulier, ne revêt pas un caractère confiscatoire et, enfin, que le dispositif fiscal répond aux objectifs que s’est fixés le législateur.
En second lieu, l’article 14 de la Déclaration prévoit que « les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes, ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ». Cet article vient, également, consacrer deux principes.
Le premier est le principe de consentement à l’impôt qui suppose que la levée du prélèvement soit explicitement acceptée par ceux sur qui en retombe la charge ou par leurs représentants. Pour que ce principe soit pleinement respecté, il convient, alors, que le consentement soit donné régulièrement, de sorte que l’article 14 induit, également, le principe d’annualité budgétaire.
Le second est le principe de légalité de l’impôt au terme duquel seul le législateur peut créer un impôt et en autoriser la levée. Il est repris par l’article 34 de la Constitution. Ce principe commande que le législateur épuise sa compétence. En d’autres termes, il ne peut, par exemple, renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de déterminer le taux d’un impôt sans encadrer suffisamment ce renvoi. À défaut, il s’agit d’une d’incompétence négative censurée par le juge constitutionnel.
Si la Déclaration de 1789 s’attache, principalement, à poser des règles de fond, le texte même de la Constitution de 1958 pose, lui, plus spécifiquement, des règles de procédure.
B – Des règles de procédure propres à la V° République : encadrer le rôle du Parlement
La Constitution de la V° République prévoit des règles procédurales particulières pour lois de finances (2). Mais, ces dernières sont, également, assujetties à un corpus de normes générales ayant une traduction en matière financière (1).
1 – Les règles générales ayant une traduction en matière financière
Parmi les normes constitutionnelles générales ayant un impact en matière de finances étatiques, certaines concernent la procédure de discussion parlementaire, d’autres le contrôle de constitutionnalité des lois de finances.
S’agissant des premières, le Gouvernement dispose, en vertu de la Constitution, de différentes prérogatives procédurales lui permettant d’influencer sur le cours de la discussion parlementaire d’un texte. Des prérogatives que l’Exécutif n’hésite pas à utiliser en matière financière pour faciliter l’adoption du projet de loi de finances.
Sur le plan de l’organisation, si l’article 48 de la Constitution institue un partage de l’ordre du jour entre Gouvernement et assemblées, il résulte de ce même article que le vote du projet de loi de finances est prioritaire : en d’autres termes, ce texte peut même être inscrit à l’ordre du jour des semaines réservées aux assemblées.
Au cours de la discussion, le Gouvernement peut s’opposer à l'examen d'un amendement qui n'aurait pas été soumis à la commission saisie sur le fond (art. 44 al. 2 de la Constitution). Il peut, également, demander à l’une ou l’autre des assemblées de se prononcer par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion, en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par lui : c’est le « vote bloqué » (art. 44 al. 3 de la Constitution). Il peut aussi opposer l’irrecevabilité dans l’hypothèse où un amendement interviendrait dans une matière qui ne relève pas du domaine de la loi (art. 41 de la Constitution).
Enfin, le Premier ministre peut, après délibération en Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote du projet de loi de finances (art. 49 al. 3 de la Constitution). Aucune limitation n’est prévue pour ce type de texte. Si aucune motion de censure n’est déposée dans le délai de 24 heures ou si la motion n’est pas adoptée, le projet de loi de finances est considéré comme adopté.
S’agissant des secondes, bien qu’ayant un objet particulier, les lois de finances demeurent des lois ordinaires. A ce titre, elles peuvent faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel. Jusqu’à il y a peu, ce contrôle ne pouvait s’exercer qu’a priori sur saisine des plus hautes autorités de l’Etat (art. 61 de la Constitution). Mais, la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a instauré un contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori dans le cadre de ce que l’on nomme la Question prioritaire de constitutionnalité - QPC (art. 61 - 1 de la Constitution). Dorénavant, les justiciables peuvent, à l’occasion des procès intentés devant les juridictions administratives et judiciaires, saisir le juge constitutionnel de la conformité aux droits et libertés constitutionnellement garantis de dispositions législatives promulguées. Ces deux procédures sont, pleinement, applicables aux lois de finances.
Le contrôle du juge constitutionnel sur les lois de finances varie en fonction de la catégorie de loi de finances concernée. Ce contrôle est plus étendu sur les lois de finances initiales et rectificatives que sur les lois de règlement. Cela s’explique par le fait que ce sont les deux premières qui « décident » des finances de l’Etat, de ses ressources, de ses dépenses, ou, encore, de sa dette. Il est donc logique que la Haute juridiction se montre particulièrement exigeante quant au respect des règles budgétaires, tant substantielles que procédurales, à leur égard. En revanche, en ce qui concerne les lois de règlement, le Conseil fait preuve de moins d’intransigeance. Il apprécie, par exemple, plus souplement la plupart des règles de délais, dans la mesure où il n’est, ici, nullement question d’adopter en temps utile les mesures financières indispensables à la vie de la Nation.
2 – Les règles propres à la matière financière
A l’exception de l’article 34 de la Constitution qui vient donner au législateur une compétence exclusive pour voter le budget et régir la matière fiscale, les autres dispositions du texte constitutionnel spécifiques aux lois de finances tendent à circonscrire le rôle du Parlement dans la procédure budgétaire. Ce constat peut être fait à deux points de vue.
Le premier concerne les délais qui s’appliquent au Parlement pour voter les projets de loi de finances. Prévus par l’article 47 de la Constitution, ils ont pour objet d’éviter les errements des III° et IV° Républiques et d’assurer la continuité de l’Etat en favorisant le vote du projet avant la fin de l’année.
Ainsi, l’article 47 al. 3 de la Constitution prévoit que le Parlement dispose d’un délai global de 70 jours à compter du dépôt du projet de loi de finances sur le bureau de l’Assemblée nationale pour le voter. Dans le même sens, le délai dont chaque assemblée dispose pour l’examen du projet en première lecture est, lui aussi, encadré : l’Assemblée nationale dispose de 40 jours et le Sénat de 20 jours.
Lorsque ces délais ne sont pas respectés, le texte constitutionnel offre au Gouvernement la possibilité de recourir à des procédures spéciales. Ainsi, si le Parlement ne s'est pas prononcé dans le délai total de 70 jours, les dispositions du projet de loi de finances peuvent être mises en vigueur par ordonnance (art. 47 al. 3 de la Constitution). Par ailleurs, lorsque l’Assemblée nationale n’a pas respecté le délai de 40 jours qui lui est imparti, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. En cas de désaccord entre les deux chambres, le Gouvernement peut recourir à la procédure d’urgence prévue à l’article 45 de la Constitution (art. 47 al. 2 de la Constitution). Cette procédure est de droit après une seule lecture par les deux chambres pour le vote d’un projet de loi de finances. Concrètement, le Gouvernement provoque la réunion d’une commission mixte paritaire chargée de trouver un accord entre les deux assemblées. Si cette commission ne parvient pas à trouver un accord sur un texte commun ou si l’une des deux chambres rejette le texte que la commission a élaboré, le Gouvernement peut, après une nouvelle lecture par chacune d’entre elles, demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement conformément au droit commun de la procédure législative.
En outre, selon l’article 47 al. 4 du texte constitutionnel, « si la loi de finances fixant les ressources et les charges d'un exercice n'a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de cet exercice [au plus tard le 1° mardi d’octobre selon l’article 39 de la LOLF], le Gouvernement demande d'urgence au Parlement l'autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés. »
Le second concerne les pouvoirs d’initiative du Parlement. D’une part, alors que sous les III° et IV° Républiques, la discussion en séance publique s’engageait sur le texte adopté par la commission des finances et non sur celui déposé par le Gouvernement, l’article 42 de la Constitution de 1958 prévoit, désormais, que la discussion en séance des projets de loi de finances porte en première lecture sur le texte présenté par le Gouvernement.
D’autre part, l’article 40 du même texte restreint le pouvoir d’amendement des parlementaires. Celui-ci prévoit que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique. » En matière de ressources, cette disposition ne prohibe que la diminution de leur niveau d'ensemble, mais les parlementaires peuvent proposer la diminution d'une ressource à condition de majorer, en contrepartie, une autre ressource d’un montant équivalent. En revanche, en ce qui concerne les dépenses, l’interprétation retenue par le Conseil constitutionnel a été stricte : un parlementaire ne peut, ainsi, faire une proposition de dépense nouvelle, même si cette dernière s’accompagne de la création de recettes nouvelles ou de la diminution d’une autre dépense. La compensation n’est, ainsi, pas admise. Toutefois, afin de renforcer les prérogatives des parlementaires, la LOLF a, en son article 47, autorisé les parlementaires à redéployer les crédits entre les programmes au sein d’une même mission. Mais, demeurent toujours prohibés les transferts de crédits entre missions ou la création de nouvelles missions, de sorte que le progrès opéré apparaît limité et le droit d’amendement des parlementaires toujours encadré.
L’on retrouve, là, le dogme qui a présidé à l’adoption de la Constitution de la V° République : rehaussement des prérogatives du pouvoir exécutif et encadrement strict du rôle du Parlement. La matière financière n’échappe pas à la règle. Les règles constitutionnelles s’appliquant aux lois de finances illustrent, alors, par leur diversité, la richesse et les paradoxes du corpus constitutionnel français : de grands principes classiques et anciens qui cohabitent avec des règles inspirées du régime politique français actuel.
