Introduction
Sur la scène mondiale actuelle, où ONG, multinationales, organisations internationales, groupes armés, mouvements citoyens et plateformes numériques s’imposent dans les grands enjeux globaux, une question revient avec insistance : les États ont-ils perdu leur centralité dans les relations internationales ? Autrefois incontestés, ils semblent aujourd’hui concurrencés, parfois même marginalisés, dans certains espaces de gouvernance et de conflit.
Les relations internationales désignent l’ensemble des interactions entre les différents acteurs qui participent à la scène mondiale. Ces interactions peuvent être de nature diplomatique, militaire, économique, environnementale ou culturelle. Par acteurs des relations internationales, on entend tout sujet, étatique ou non, capable d’influencer le système international, d’initier des relations ou de participer à la production de normes, à la gestion des conflits ou à la régulation des échanges. L’État, au sens westphalien, est une entité juridique et politique souveraine, dotée d’un gouvernement, d’un territoire défini et d’une population permanente. L’État a longtemps été considéré comme le seul acteur légitime et structurant des relations internationales car il est celui qui décide de la guerre et de la paix, qui représente ses citoyens dans les forums internationaux, et qui garantit l’ordre et la sécurité sur son territoire. La présent sujet nous invite à questionner cette centralité étatique et à tenter d’évaluer si, dans le contexte actuel de mondialisation, d’interdépendance et d’émergence d’acteurs transnationaux, l’État reste au centre du jeu mondial ou tend à être relégué à un rôle plus secondaire ou symbolique.
Le rôle central de l’État dans les relations internationales s’est affirmé à partir du traité de Westphalie (1648), qui a consacré le principe de souveraineté étatique comme fondement de l’ordre international. Ce système westphalien a dominé pendant des siècles, avec une scène mondiale structurée par les relations bilatérales ou multilatérales entre États-nations. Au XIXe siècle, les États sont les moteurs des empires, les instigateurs des alliances et les protagonistes des guerres. Au XXe siècle, malgré l’apparition d’organisations internationales (SDN, puis ONU) et de la diplomatie multilatérale, l’État reste l’acteur souverain par excellence. La décolonisation renforce encore ce modèle, en consacrant la reconnaissance universelle des États comme sujets de droit international. Jusqu’à la fin de la Guerre froide, les relations internationales sont largement analysées en termes de rivalités interétatiques, notamment dans le cadre de la bipolarité Est-Ouest. Cependant, à partir des années 1990, le processus de mondialisation accélère la montée en puissance d’acteurs non étatiques : entreprises transnationales, ONG, groupes armés, institutions supranationales, réseaux terroristes, opinion publique mondiale. Parallèlement, l’État semble parfois affaibli dans ses fonctions traditionnelles : perte de contrôle sur ses frontières, limitation de sa souveraineté économique, dépendance aux marchés globaux. Cette évolution nourrit l’idée d’un décentrement du pouvoir, et d’une possible dilution du rôle de l’État dans la gouvernance internationale, ce qui questionne sur l’existence d’un basculement structurel au profit d’acteurs non étatiques.
Dès lors, dans un monde globalisé, les États conservent-ils une primauté réelle ou seulement formelle dans la conduite des relations internationales ?
Pour tenter de répondre à cette question, nous verrons d’abord que les États demeurent des acteurs structurants des relations internationales contemporaines (I), avant d’analyser les dynamiques de fragmentation et de redistribution du pouvoir entre une pluralité d’acteurs (II).
I - La permanence des États comme acteurs centraux des relations internationales contemporaines
Malgré les mutations profondes du système international et la montée en puissance d’acteurs non étatiques, les États conservent un rôle structurant dans l’organisation des relations internationales. Ils demeurent les seuls à posséder la souveraineté juridique, à décider de la guerre ou de la paix, à représenter une population sur la scène internationale et à assumer la responsabilité des engagements pris au nom de leur territoire. Leur capacité à mobiliser la puissance militaire, diplomatique et économique continue de faire d’eux les acteurs principaux de l’ordre international. Il convient ainsi d’analyser d’une part le rôle institutionnel et juridique des États dans la structuration du système international (A), avant d’examiner la manière dont ils conservent des leviers stratégiques décisifs dans la hiérarchie mondiale de la puissance (B).
A - Le rôle structurant des États dans l’organisation du système international
Les relations internationales sont historiquement construites autour des États souverains, considérés comme les unités fondamentales du système international. Ce sont eux qui possèdent une légitimité juridique reconnue, qui concluent des traités, siègent dans les organisations internationales et exercent le monopole de la représentation politique sur la scène mondiale. Ainsi c’est la souveraineté et la reconnaissance juridique qui font de l’État un acteur central du droit et de la diplomatie internationales (1). De plus les États disposent encore aujourd’hui d’un monopole décisionnel dans les grandes orientations politiques, militaires et diplomatiques à l’échelle mondiale (2).
1 - La souveraineté et la reconnaissance internationale comme fondements du statut particulier des États
Le statut d’acteur international repose, en premier lieu, sur la souveraineté, c’est-à-dire la capacité d’un État à exercer un pouvoir exclusif sur son territoire et à se gouverner sans ingérence extérieure. Ce principe, formalisé par le traité de Westphalie (1648), constitue encore aujourd’hui le socle du droit international public. Aucun autre acteur ne dispose, en théorie, de cette même combinaison de contrôle territorial, légitimité politique et capacité juridique.
Être un État implique également d’être reconnu par la communauté internationale. Cette reconnaissance permet l’accès aux droits et obligations internationaux : conclure des traités, siéger à l’ONU, entretenir des relations diplomatiques. Un certain nombre d’entités contestées (comme la Palestine ou Taïwan) cherchent à obtenir cette reconnaissance étatique, preuve de l’importance persistante de ce statut.
Les organisations internationales elles-mêmes sont constituées par les États : l’ONU, le FMI, l’OMC, ou encore la Cour internationale de Justice n’existent que par la volonté des États et n’ont d’autorité que celle que les États leur délèguent. Le système international reste ainsi fondé, dans sa logique profonde, sur une architecture interétatique.
En somme, malgré l’émergence de nombreux acteurs non étatiques, l’État reste le référent juridique et institutionnel des relations internationales. Il continue d’en fixer les règles du jeu, d’en contrôler les mécanismes formels et d’en assumer la légitimité symbolique.
2 - Le monopole étatique de la décision politique, militaire et diplomatique à l’échelle internationale
Au-delà de leur reconnaissance juridique, les États conservent un monopole décisionnel dans les principales sphères de la vie internationale : ils sont les seuls à pouvoir déclarer la guerre, signer des traités, représenter officiellement une population et décider des orientations diplomatiques ou stratégiques. Cette capacité d’action politique, exclusive et souveraine, reste un attribut fondamental de leur statut d’acteur principal.
Dans le domaine militaire, les États détiennent toujours le monopole de la violence légitime, selon la formule de Max Weber. Ce sont eux qui possèdent les armées, les arsenaux, les systèmes de dissuasion, et qui participent aux alliances stratégiques comme l’OTAN. Les interventions militaires, même lorsqu’elles impliquent des acteurs non étatiques, sont toujours autorisées, coordonnées ou légitimées (ou contestées) au niveau étatique. De plus, seuls les États détiennent l’arme nucléaire, un outil majeur de hiérarchisation de la puissance.
Sur le plan diplomatique, ce sont les États qui disposent de corps diplomatiques, d’ambassades, de représentants permanents auprès des organisations internationales. Les négociations internationales, qu’il s’agisse de paix, de commerce, d’environnement ou de sécurité, restent formellement conduites par les États, même lorsqu’elles impliquent des acteurs multiples.
Enfin, les orientations politiques internationales sont décidées par les gouvernements étatiques. Ce sont eux qui fixent les priorités nationales en matière de politique étrangère, qui adoptent des sanctions, qui participent aux sommets mondiaux, qui définissent les engagements climatiques ou de défense. Les forums multilatéraux (G7, G20, COP, ONU…) restent dominés par les logiques interétatiques.
Certes, les États peuvent coopérer avec des acteurs privés ou déléguer certaines fonctions, mais cette délégation est réversible : c’est toujours l’État qui décide d’ouvrir ou de fermer l’espace de coopération, et qui conserve en dernier ressort la responsabilité politique. Ainsi, malgré l’émergence d’acteurs alternatifs, les États restent les maîtres du jeu décisionnel international, disposant d’une légitimité et d’une autorité que peu d’autres entités peuvent égaler.
B - La permanence de la puissance étatique dans les enjeux stratégiques mondiaux
Au-delà de leur rôle institutionnel et juridique, les États conservent une puissance matérielle et stratégique qui les place toujours au cœur des rapports de force internationaux. Ce sont eux qui disposent des leviers de coercition militaire, qui contrôlent les principales ressources économiques et qui encadrent juridiquement les flux globaux. Leur capacité à agir de manière souveraine dans des domaines clés — sécurité, économie, énergie, environnement — leur confère une influence structurante sur l’ordre international. Les États s’illustrent ainsi en premier lieu dans la gestion des enjeux militaires et stratégiques (1), mais ont également un poids important dans la régulation des dynamiques économiques mondiales, y compris dans le contexte actuel de mondialisation (2).
1 - Les États comme détenteurs de la puissance militaire, nucléaire et stratégique
Dans le domaine militaire et stratégique, les États restent sans équivalent. Ils sont les seuls à disposer d’armées régulières, à contrôler des territoires, à élaborer des doctrines de défense et à entretenir des alliances militaires. Cette puissance coercitive demeure un pilier central de leur autorité sur la scène internationale, en particulier dans un contexte marqué par la résurgence des conflits armés, des rivalités géopolitiques et des menaces asymétriques.
La puissance nucléaire incarne de manière emblématique cette centralité. Le Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP) reconnaît officiellement cinq puissances nucléaires — États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni —, toutes membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Ces États disposent d’un monopole stratégique qui structure les équilibres de sécurité à l’échelle mondiale. Aucun acteur non étatique ne peut rivaliser avec ce pouvoir de dissuasion.
Les interventions militaires majeures, qu’elles soient unilatérales (États-Unis en Irak), multilatérales (OTAN au Kosovo, en Afghanistan ou Libye) ou sous mandat onusien (Mali, RDC), restent initiées, encadrées et menées par des États. Même lorsqu’ils coopèrent avec des forces privées ou des milices locales, ce sont les États qui décident de la légitimité et de la portée de l’intervention et des règles d’engagement.
Par ailleurs, les États jouent un rôle essentiel dans la gestion des menaces stratégiques contemporaines, telles que le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, la cybersécurité ou la militarisation de l’espace. Ce sont eux qui investissent dans les technologies de surveillance, les systèmes de défense, les capacités de renseignement et les programmes spatiaux. Dans les enceintes spécialisées (AIEA, OTAN, Conférences sur le désarmement…), seuls les États ont voix au chapitre. Malgré l’émergence de nouvelles conflictualités et d’acteurs hybrides, les États demeurent les principaux détenteurs de la force légale, de la dissuasion stratégique et de la capacité à imposer un ordre sécuritaire, confirmant leur centralité dans les rapports de puissance contemporains.
2 - La capacité des États à peser sur l’économie mondiale et à encadrer la mondialisation
L’idée largement répandue selon laquelle la mondialisation aurait vidé les États de leur pouvoir économique mérite en réalité d’être nuancée. En effet ces derniers conservent une capacité d’action considérable dans la régulation, l’orientation et la sécurisation des dynamiques économiques mondiales. Si les entreprises transnationales disposent de marges d’action étendues, ce sont toujours les États qui fixent les règles du jeu à travers des politiques publiques, des régimes juridiques et des accords internationaux.
En premier lieu, les États produisent le droit économique international : ce sont eux qui négocient les traités commerciaux (comme les accords de libre-échange bilatéraux ou régionaux), qui définissent les normes sanitaires, environnementales, douanières, et qui participent aux grandes enceintes économiques mondiales (OMC, G20, FMI). À travers ces instruments, les États influencent les flux de capitaux, de biens et de services, et structurent les modalités d’intégration à l’économie mondiale. L’impact considérable sur l’économie mondiale de la hausse des droits de douane décidée au début de l’année 2025 par le Président américain Donald Trump illustre par exemple le pouvoir d’influence persistant des États sur les sujets économiques et commerciaux.
Les politiques industrielles, budgétaires et monétaires restent des outils clés de la puissance étatique. La capacité d’un État à soutenir ses entreprises stratégiques, à diriger l’innovation, à contrôler sa monnaie ou à intervenir en période de crise, comme lors de la crise financière de 2008 ou de la pandémie de Covid-19, témoigne de l’importance de l’État régulateur en matière économique.
En matière de sécurité économique, les États disposent de moyens de coercition économique comme les embargos, les sanctions, le contrôle des investissements étrangers ou les restrictions d’exportation. Ces outils sont devenus des armes géopolitiques majeures, utilisées pour défendre des intérêts stratégiques, comme le montrent les sanctions contre l’Iran, la Russie ou la guerre commerciale sino-américaine.
Enfin, les États disposent encore du pouvoir fiscal, qui leur permet de financer leurs priorités économiques et sociales. Même s’ils doivent composer avec des acteurs transnationaux et des contraintes globales, ils restent les arbitres fondamentaux des régimes économiques nationaux et internationaux.
En somme, loin d’être impuissants, les États apparaissent comme des acteurs économiques structurants, capables d’encadrer les logiques de marché, d’affirmer leur souveraineté économique et de jouer un rôle clé dans la gouvernance économique mondiale.
II - Une remise en cause du stato-centrisme dans les relations internationales du fait de la montée en puissance d’acteurs non étatiques
Si les États, nous l’avons vu, conservent des prérogatives essentielles dans l’organisation du système international, leur monopole de l’action internationale est aujourd’hui profondément remis en question. La mondialisation, l’interdépendance et la complexification des enjeux transnationaux ont favorisé l’émergence et l’autonomisation d’acteurs non étatiques capables d’influencer durablement la dynamique des relations internationales. Ces acteurs — organisations internationales, ONG, entreprises transnationales, groupes armés, collectivités locales ou réseaux numériques — contribuent à fragmenter l’autorité, à redistribuer le pouvoir, et à imposer de nouvelles normes de gouvernance. Il convient donc d’examiner, dans un premier temps, la diversité de ces nouveaux acteurs et leur rôle croissant dans les affaires mondiales (A), avant d’analyser comment cette transformation débouche sur une gouvernance globale en réseau, à plusieurs niveaux, dans laquelle les États ne sont plus les seuls centres de décision (B).
A - La fragmentation de l’autorité et l’émergence d’acteurs transnationaux puissants
Les transformations contemporaines du système international ont entraîné une décentralisation progressive du pouvoir, au profit d’acteurs non étatiques qui interviennent désormais dans des domaines clés autrefois réservés aux seuls États. Ces acteurs, qu’ils soient institutionnels, économiques ou civils, développent une influence propre, contournent parfois les États, et participent activement à la production de normes, à la gestion des crises, ou à la régulation économique et environnementale. Nous analyserons ici le rôle croissant de certains acteurs institutionnalisés et transnationaux, comme les organisations internationales, les ONG et les multinationales (1), avant de s’intéresser à d’autres formes d’acteurs plus contestataires, comme les groupes armés, les mouvements sociaux ou les acteurs numériques (2).
1 - Le rôle croissant des organisations internationales, ONG et firmes transnationales
Les organisations internationales jouent un rôle de plus en plus décisif dans la régulation des relations internationales. Si elles sont créées par les États, nombre d’entre elles ont acquis une autonomie relative dans leur fonctionnement et leurs initiatives. Le Conseil de sécurité, l’OMC, l’OMS ou encore la Cour pénale internationale participent à la production de normes, à la résolution de conflits, à la gouvernance sanitaire ou à la justice internationale, avec un impact direct sur les politiques nationales.
De leur côté, les organisations non gouvernementales (ONG) comme Médecins Sans Frontières, Amnesty International ou Human Rights Watch, jouent un rôle crucial dans la mobilisation de l’opinion publique, la veille juridique, l’assistance humanitaire ou la défense des droits humains. Leur capacité d’alerte, leur présence sur le terrain, leur expertise technique et leur pouvoir médiatique leur confèrent une influence parfois supérieure à celle de certains États, notamment dans les pays en crise.
Enfin, les entreprises transnationales exercent un pouvoir économique, technologique et politique considérable. Elles investissent, emploient, influencent les décisions publiques et façonnent des chaînes de valeur mondiales. Des géants comme Google, Amazon, Total ou Huawei ont un poids diplomatique réel, participent à la régulation des données, des énergies ou de la communication mondiale, et échappent souvent partiellement à la régulation stricte des États.
Ainsi, une nouvelle diplomatie d’acteurs non étatiques s’est développée, capable de concurrencer, compléter ou contourner l’action des États, et de redessiner les équilibres de pouvoir dans le système international contemporain.
2 - Les défis posés par les groupes armés, les mouvements sociaux et les réseaux numériques
Aux côtés des organisations internationales, ONG et firmes transnationales, d’autres acteurs non étatiques jouent un rôle croissant, voire déstabilisateur, dans les relations internationales. Leur émergence remet en cause la capacité des États à exercer un contrôle exclusif sur la sécurité, la souveraineté et l’information.
Les groupes armés non étatiques, tels qu’Al-Qaïda, Daech ou les milices paramilitaires, ont démontré leur capacité à déstabiliser des régions entières, à s’emparer de territoires, à mettre en échec des armées régulières et à imposer leur propre ordre politique et idéologique. Ils échappent aux logiques étatiques classiques et remettent en cause le monopole de la violence légitime, pourtant au cœur de la définition de l’État. Leur impact géopolitique est tel qu’ils font l’objet de stratégies de contre-terrorisme globales et de coalitions internationales d’États.
Les mouvements sociaux transnationaux, comme Fridays for Future, Black Lives Matter ou les campagnes altermondialistes, témoignent quant à eux d’une mobilisation directe des sociétés civiles sur les grandes questions internationales : climat, inégalités, racisme, justice globale. Leur capacité à mettre la pression sur les gouvernements, à influencer l’agenda international ou à imposer de nouveaux récits les transforme en vecteurs d’influence politique, au-delà de tout mandat électif ou souverain.
Enfin, les réseaux numériques constituent une nouvelle dimension du pouvoir non étatique. Des plateformes comme Meta (Facebook et Instagram), TikTok ou X exercent un contrôle sans précédent sur la circulation de l’information, l’accès à la parole publique et les représentations collectives. Par leur pouvoir algorithmique et leur influence sur l’opinion, ces acteurs privés sont désormais capables d’affecter les campagnes électorales, les conflits armés, les relations diplomatiques et les mobilisations sociales.
Ces acteurs aux formes variées, souvent informels ou transnationaux, constituent de véritables contre-pouvoirs face aux États, ou, à l’inverse, des facteurs d’instabilité difficilement contrôlables. Ils imposent une reconfiguration des équilibres, et obligent les États à repenser leur mode d’action dans un environnement plus ouvert, plus fragmenté, mais aussi plus vulnérable.
B - Une recomposition du système international autour d’une gouvernance multi-niveaux
Loin de signifier la disparition des États, la montée en puissance des acteurs non étatiques contribue à une recomposition du système international, qui ne repose plus exclusivement sur les logiques interétatiques. On assiste désormais à l’émergence d’une gouvernance mondiale à plusieurs niveaux, où États, organisations internationales, entreprises, ONG, collectivités locales et acteurs numériques interagissent, coopèrent, négocient ou se confrontent. Cette gouvernance dite « multi-niveaux » repose sur des formes de coordination et de régulation hybrides, dans lesquelles la souveraineté est partagée, négociée ou déléguée. Nous examinerons ici les caractéristiques de cette gouvernance complexe et décentralisée (1), avant de réfléchir à ses effets sur la manière dont les normes internationales sont produites et appliquées (2).
1 - La complexité croissante de la gouvernance mondiale : partenariats, coalitions, régulations hybrides
Le système international contemporain ne repose plus uniquement sur les décisions prises par les États dans le cadre des organisations intergouvernementales classiques. Il se caractérise par une gouvernance fragmentée, multi-niveaux et polycentrique, dans laquelle une grande diversité d’acteurs coopèrent, négocient ou co-produisent des politiques publiques au-delà des structures étatiques traditionnelles.
Cette gouvernance prend la forme de partenariats hybrides, associant États, organisations internationales, ONG, entreprises, fondations privées et communautés locales. Dans le domaine du développement, par exemple, des coalitions telles que le GAVI (Alliance du vaccin) ou le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme réunissent acteurs publics et privés dans une logique de cofinancement, de co-gestion et de responsabilité partagée. Ces dispositifs illustrent une logique post-westphalienne, où les États perdent le monopole de la décision.
En matière de climat, la gouvernance mondiale repose de plus en plus sur une mosaïque d’engagements volontaires et de mécanismes incitatifs, où des villes, des régions, des entreprises ou des ONG peuvent s’engager directement, sans passer par les États. L’accord de Paris (2015), bien qu’intergouvernemental, s’appuie largement sur ces engagements pluriels pour répondre à l’urgence climatique.
La complexité de cette gouvernance se manifeste également dans le rôle normatif des institutions techniques (comme l’OMC, l’OMS ou l’Organisation de l’aviation civile internationale), qui élaborent des standards globaux contraignants dans des domaines de plus en plus spécialisés. Ces régulations, souvent peu visibles pour le grand public, conditionnent pourtant l’accès aux marchés, la circulation des biens ou la sécurité sanitaire mondiale.
Ce nouveau modèle de gouvernance mondiale ne supprime pas les États, mais il les force à négocier avec d’autres centres de pouvoir, à déléguer certaines compétences, à coopérer dans des réseaux souples, souvent informels. Il traduit une transformation de la souveraineté, devenue fonctionnelle, partagée et enchevêtrée, plutôt qu’exclusive et hiérarchique.
2 - Vers une interdépendance fonctionnelle : coopération, contestation et co-production des normes
Le système international contemporain ne repose plus sur une hiérarchie claire des acteurs, mais sur une interdépendance fonctionnelle, dans laquelle les États partagent l’espace décisionnel avec une multitude d’entités non étatiques. Cette interdépendance traduit moins une perte de souveraineté qu’une transformation des modes d’action, où coopération, contestation et co-production des normes deviennent les nouveaux ressorts de la puissance.
Les normes internationales ne sont plus exclusivement le produit de la négociation interétatique. Elles émergent désormais aussi dans des espaces transnationaux, par l’interaction de multiples acteurs : ONG, institutions techniques, groupes d’experts, entreprises ou collectivités locales. Par exemple, dans le domaine du numérique, les règles encadrant les données personnelles, l’intelligence artificielle ou la cybersécurité sont largement influencées par des standards élaborés par des consortiums privés (comme l’IEEE ou l’ICANN), des plateformes technologiques ou des organisations régionales (comme l’Union européenne avec le RGPD).
Cette évolution conduit à une co-production des normes, où les États ne sont plus les seuls auteurs, mais des coparticipants à des dynamiques collectives. Dans certains cas, des États puissants peuvent voir leur marge de manœuvre limitée par des régulations qu’ils n’ont pas initiées. Inversement, des ONG ou des petites puissances peuvent peser sur l’élaboration d’accords internationaux, en mobilisant l’opinion publique, en produisant de l’expertise ou en s’alliant à d’autres acteurs. Par ailleurs, cette gouvernance en réseau favorise la contestation, la remise en cause des normes dominantes par des voix alternatives. Le système international devient ainsi un espace de négociation permanent, traversé de conflits d’intérêts mais aussi d’innovations institutionnelles.
En somme, les relations internationales actuelles sont structurées par une logique d’interdépendance fluide, dans laquelle les États restent présents, mais ne sont plus hégémoniques. Leur pouvoir dépend désormais de leur capacité à interagir, à s’adapter et à coopérer avec une pluralité d’acteurs, dans un monde de plus en plus décentré et pluraliste. Les États demeurent aujourd’hui des acteurs incontournables des relations internationales. Dotés de la souveraineté, du monopole de la décision politique, militaire et diplomatique, ils structurent les grandes institutions mondiales, fixent les règles juridiques internationales et disposent de leviers stratégiques majeurs, notamment en matière de défense et de politique économique. Cependant, cette prééminence est désormais relativisée par l’émergence d’acteurs non étatiques, qui participent activement à la production des normes, à la gouvernance mondiale et à l’exercice concret du pouvoir international. En définitive, il ne s’agit pas tant d’un remplacement des États par d’autres acteurs que d’une recomposition du système international autour d’une gouvernance polycentrique, fonctionnelle et multi-niveaux. Les États ne sont plus les seuls acteurs, mais ils restent les seuls à combiner autorité légitime, responsabilité juridique et capacité stratégique globale. Leur rôle a évolué, avec une souveraineté moins absolue qui pousse à plus de coordination, dans un monde où l’interdépendance devient la règle.
