Introduction
« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l’admettre. […] La terre et l’humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables. » prévenait déjà Jacques Chirac en 2002 dans une allocution restée célèbre lors du IVe Sommet de la Terre à Johannesburg. Déjà, il y a près de 25 ans, l’urgence climatique poussait les États à se réunir pour lutter contre ses effets dévastateurs. Par cette citation marquante, Jacques Chirac souhaite montrer la responsabilité collective des États tant dans les changements climatiques que dans les réponses à y apporter et le rejet d’un traitement unilatéral et individuel de ce problème planétaire. Par cette phrase, il interroge la capacité des États à dépasser leurs intérêts nationaux pour construire une coopération internationale efficace et équitable.
Le changement climatique désigne l’altération durable des conditions climatiques à l’échelle planétaire, emportant des effets tels qu’une multiplication des événements climatiques extrêmes ou encore des changements à évolution plus lente tels qu’une hausse de la température terrestre, une montée du niveau des océans ou encore une baisse drastique de la biodiversité. Ces changements climatiques sont presque exclusivement causés par les activités humaines (émissions de gaz à effet de serre, déforestation, industrialisation). La coopération internationale renvoie quant à elle à l’ensemble des mécanismes, accords et institutions permettant aux États et autres acteurs de coordonner leurs actions pour atteindre des objectifs communs. Ces mécanismes se multiplient à mesure que l’attente citoyenne augmente pour une action climatique accrue au niveau global de la part des États. Il est à ce titre possible de citer notamment la Conférence des parties sur le climat, communément appelée COP climat, qui réunit chaque année des représentants de tous les États parties à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), soit presque tous les États de la planète. Tous les deux ans, les États parties à la CCNUCC se réunissent également dans le cadre de la COP biodiversité. Les changements climatiques représentent un défi majeur du fait de leurs effets dévastateurs sur certains territoires et de la mise à l’épreuve qu’ils représentent pour la coopération interétatique du fait de la contradiction potentielle entre la protection de l’environnement et certains autres intérêts.
La question climatique s’est imposée progressivement dans les relations internationales. Dès les années 1970, la Conférence de Stockholm de 1972 marque sûrement la première prise de conscience environnementale à l’échelle mondiale. Un tournant s’opère en 1988 avec la création du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui est un organe scientifique ayant pour mission d’examiner et d’évaluer les données scientifiques et socio-économiques sur l’évolution du climat. Le GIEC alerte sur le lien entre activités humaines et réchauffement climatique. En 1992, la CCNUCC, adoptée au Sommet de la Terre à Rio, établit les bases de la coopération climatique, avec le principe de responsabilités différenciées. Le Protocole de Kyoto de 1997 introduit les premiers objectifs contraignants de réduction d’émissions, mais son efficacité est freinée par le retrait de certains États et l’absence d’engagements des pays en développement. L’Accord de Paris, conclu en 2015 lors de la COP21, marque une nouvelle étape : tous les États doivent désormais soumettre des engagements nationaux (NDCs), dans un cadre souple, non contraignant mais universel. Toutefois, ces mécanismes restent insuffisants face à l’urgence climatique, et les divergences entre États freinent une coopération réellement efficace.
Au vu de ces éléments, il convient de répondre, dans le cadre de la présente dissertation, à la problématique suivante : dans quelle mesure le changement climatique constitue-t-il une épreuve décisive pour la coopération internationale, entre nécessités de coordination globale et obstacles structurels à l’action collective ?
Pour répondre à cette problématique, il conviendra d’étudier dans un premier temps les nouvelles dynamiques de coopération internationale développée depuis les années 1990 en réponse aux enjeux environnementaux (I) pour ensuite analyser les difficultés croissantes auxquelles font face ces modèles de coopération alors que l’urgence climatique se fait de plus en plus pressante (II).
I - L’émergence de nouvelles dynamiques de coopération internationale en réponse aux enjeux environnementaux
De nouvelles dynamiques de coopération internationale et de régulation des activités humaines impactant le climat ont vu le jour depuis les années 1990. On observe de nouvelles dynamiques juridiques avec un enrichissement progressif du droit international de l’environnement (A) mais également l’inclusion de nouveaux acteurs dans la coopération climatique, qui n’est dès lors plus réservée aux seuls États (B).
A - Un enrichissement progressif du droit international de l’environnement
Le droit international de l’environnement s’est considérablement étoffé au fil du temps avec une multiplication des conventions et par conséquent une densification des obligations pesant sur les États (1). Toutefois, ce droit est très largement fondé sur le volontarisme étatique, à l’instar notamment des règles prévues par l’accord de Paris (2).
1 - La construction progressive d’un cadre juridique novateur en droit international
La lutte contre le changement climatique a donné lieu à la mise en place progressive d’un cadre juridique international inédit. Le cadre juridique entourant les changements climatiques comprend des règles issues du droit international de l’environnement, du droit du développement et des droits fondamentaux. Cette construction s’est faite par étapes, en réponse à l’alerte scientifique croissante sur les conséquences du réchauffement climatique, et dans un contexte politique mondial marqué par de profondes asymétries entre États. Le point de départ est souvent considéré comme étant constitué par la CCNUCC, adoptée en 1992 lors du Sommet de la Terre à Rio. Ce traité fondateur engage les parties à « stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère » à un niveau qui empêche toute perturbation dangereuse du climat. Surtout, il introduit le principe des « responsabilités communes mais différenciées », selon lequel tous les États doivent agir, mais selon leurs capacités et leur responsabilité historique dans la crise climatique. Ce principe demeure au cœur de l’architecture climatique mondiale.
La dynamique mise en place depuis l’adoption de la CCNUCC a été renforcée avec le Protocole de Kyoto, premier instrument international juridiquement contraignant en matière de réduction des émissions. Le protocole de Kyoto imposait à 37 pays industrialisés des objectifs chiffrés de baisse de leurs émissions sur une période donnée. Ce texte innovait également par la mise en place de mécanismes de flexibilité, comme le marché du carbone ou les mécanismes de développement propre. Toutefois, son efficacité a été limitée : les États-Unis ont refusé de le ratifier, le Canada s’en est retiré, et les pays émergents n’étaient pas soumis à des obligations contraignantes.
C’est dans ce contexte que l’Accord de Paris, adopté en 2015 à l’issue de la COP21, marque une évolution importante du droit international du climat. À la différence de Kyoto, il repose sur une logique non contraignante, mais universelle. Chaque État est invité à définir ses contributions déterminées au niveau national (Nationally Determined Contributions, ou NDCs), à les réviser régulièrement à la hausse, et à respecter des règles de transparence et de suivi. L’objectif commun est de contenir le réchauffement mondial à moins de 2°C, avec une ambition affichée de tendre vers 1,5°C. Ce cadre juridique souple vise à rendre la coopération plus inclusive et adaptable, tout en respectant la souveraineté des États. Il reflète une tentative de concilier efficacité environnementale, équité entre États, et réalisme politique. Pour autant, l’absence de sanctions juridiques et de mécanismes de coercition limite la portée contraignante de ces engagements. Le droit international du climat reste ainsi un droit essentiellement incitatif, fondé sur la bonne foi, la transparence et la pression diplomatique plus que sur des obligations impératives.
2 - L’accord de Paris : un accord fondamental bien que très largement tributaire de la volonté des États
L’adoption de l’Accord de Paris en décembre 2015, lors de la 21e Conférence des Parties, marque une étape décisive dans la gouvernance climatique mondiale. Cet accord, salué comme un tournant historique, vise à créer un cadre universel et inclusif permettant à l’ensemble des États – développés comme en développement – de participer à l’effort global de lutte contre le réchauffement climatique. Il témoigne de l’évolution d’un droit climatique longtemps fragmenté vers une architecture juridique plus souple, mais aussi plus cohérente. Contrairement au Protocole de Kyoto, qui imposait des objectifs chiffrés uniquement aux pays industrialisés, l’Accord de Paris repose sur une logique volontaire et participative. Chaque État est invité à soumettre une contribution déterminée au niveau national (Nationally Determined Contribution, ou NDC), qui fixe ses engagements propres en matière de réduction des émissions, d’adaptation et de soutien aux pays vulnérables. Ces contributions doivent être actualisées tous les cinq ans, selon un principe de « progression » et de « non-régression », traduisant une ambition croissante dans le temps.
L’accord de Paris fixe un objectif commun de maintenir l’élévation de la température moyenne mondiale « bien en dessous de 2°C » par rapport aux niveaux préindustriels, et vise à poursuivre les efforts pour limiter cette hausse à 1,5°C. Il intègre également des objectifs relatifs à l’adaptation aux impacts climatiques, à la résilience, à la finance climatique (notamment le financement du fonds vert pour le climat) et au transfert de technologies vers les pays les moins avancés. La dimension solidaire de l’accord est ainsi affirmée, même si elle repose davantage sur des engagements politiques que sur des obligations juridiques fermes. Un élément clé de l’Accord de Paris est également la mise en place d’un cadre de transparence renforcé, destiné à suivre et à évaluer les progrès réalisés par chaque État. Ce mécanisme vise à instaurer une dynamique vertueuse d’émulation et de responsabilisation, sans recourir à des sanctions contraignantes. Cette approche flexible a été conçue pour garantir l’adhésion la plus large possible tout en tenant compte des différences de capacités entre États.
Toutefois, cette souplesse constitue aussi une faiblesse. En l’absence de mécanismes juridiquement contraignants, l’efficacité de l’Accord repose essentiellement sur la volonté politique des États, la pression de l’opinion publique et la mobilisation de la société civile. Les engagements actuels, même s’ils sont en augmentation, restent très insuffisants pour atteindre les objectifs fixés par l’accord, comme l’ont rappelé à plusieurs reprises les rapports du GIEC. De plus, les retraits ou revirements d’États – comme celui des États-Unis sous la présidence de Donald Trump – montrent la fragilité d’un système fondé sur le volontariat. En somme, l’Accord de Paris représente une avancée majeure en matière de coopération climatique, en ce qu’il engage l’ensemble des États dans une dynamique commune. Il incarne une nouvelle forme de multilatéralisme environnemental, fondée sur la flexibilité, la transparence et la réciprocité, mais il reste tributaire de la volonté des États à mettre en œuvre leurs engagements dans un cadre encore largement dépourvu de contraintes juridiques fortes.
B - Une gouvernance climatique fondée sur la nécessaire relation avec des acteurs non étatiques
Les acteurs non étatiques, et notamment les organisations internationales et régionales (1) sont de plus en plus impliquées dans la coopération en matière environnementale, avec toutefois des résultats contrastés, notamment en ce qui concerne le rôle des entreprises multinationales dans les changements climatiques (2).
1 - La mobilisation croissante des organisations internationales et régionales dans la lutte contre les changements climatiques
Si la politique climatique a longtemps été dominée par les États, elle s’est progressivement ouverte à d’autres institutions internationales, qui jouent aujourd’hui un rôle déterminant dans la mise en œuvre et la structuration de l’action climatique. Ces acteurs renforcent les dynamiques de coopération, tant en participant à la structuration même de la gouvernance climatique internationale qu’en intégrant la lutte contre le changement climatique à d’autres champs de compétence, tels que le développement, la finance ou le commerce. Les Nations unies sont ainsi un acteur majeur de la gouvernance climatique internationale puisque c’est dans ce cadre que se tiennent chaque année les COP et que sont conclus les grands traités tels que la CCNUCC ou l’accord de Paris. Les organes spécialisés des Nations unies prennent également un rôle croissant dans ces grandes conférences annuelles.
Les institutions financières internationales, telles que la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international (FMI), ont par ailleurs intégré le risque climatique dans leurs stratégies de financement. Elles conditionnent de plus en plus l’octroi de prêts ou d’aides au respect de critères environnementaux, encourageant la transition énergétique dans les pays en développement. De même, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’intéresse aux conséquences climatiques des politiques commerciales, et discute désormais de mécanismes comme les taxes carbone aux frontières.
Au niveau régional, l’Union européenne constitue un acteur de premier plan dans la gouvernance climatique. L’Union a mis en place l’un des marchés du carbone les plus aboutis au monde (le système européen d’échange de quotas d’émissions, ou EU ETS) et adopte régulièrement des textes contraignants en matière de réduction des émissions, d’efficacité énergétique ou de développement durable. Le Pacte vert européen (Green Deal), lancé en 2019, visant à faire de l’Union le premier continent neutre en carbone d’ici 2050, montre l’appréhension croissante des enjeux climatiques par l’Union européenne et l’intégration des obligations prévues par l’accord de Paris. L’Union est d’ailleurs partie à la COP et participe directement aux négociations, permettant un poids et une capacité d’action accrue des États européens dans ces négociations. Ainsi, la gouvernance climatique s’internationalise non seulement par le biais des conférences des parties, mais aussi par l’action de multiples organisations internationales et régionales qui, chacune dans leur champ de compétence, contribuent à structurer un cadre normatif de plus en plus dense et interconnecté.
2 - Une implication contrastée des acteurs non étatiques dans la gestion de la crise climatique
La gouvernance climatique contemporaine ne peut aujourd’hui plus comprendre exclusivement les États et est marquée par une implication croissante des acteurs non étatiques. Toutefois, leur rôle est contrasté, à la fois source d’espoir pour la société civile et facteur d’influence contesté, notamment en ce qui concerne les grandes entreprises. Les entreprises multinationales, en particulier dans les secteurs de l’énergie, des transports ou de l’agroalimentaire, figurent en effet parmi les principaux émetteurs de gaz à effet de serre. Leur participation à la lutte contre le changement climatique est par conséquent indispensable. Certaines s’engagent dans des stratégies de transition bas-carbone, adoptent des objectifs alignés avec l’Accord de Paris, ou investissent dans des technologies vertes. Des initiatives volontaires comme le Pacte mondial des Nations Unies ou la Science Based Targets Initiative ont permis à plusieurs entreprises de s’intégrer dans une dynamique de responsabilité climatique.
Cependant, cette implication soulève aussi des interrogations. Le rôle croissant des lobbies industriels dans les conférences internationales sur le climat, notamment lors des COP, suscite de nombreuses critiques. La présence massive de représentants des énergies fossiles aux COP 28 et 29, ou encore l’influence exercée par certains groupes pour limiter les engagements contraignants, illustrent un risque de captation du processus décisionnel au profit d’intérêts économiques. Il est à ce titre intéressant de noter que les deux COP 28 et 29, ayant eu lieu respectivement aux Émirats arabes unis et en Azerbaïdjan, étaient toutes les deux présidées par un cadre dirigeant d’une entreprise pétrolière nationale. Ce phénomène, parfois qualifié de greenwashing diplomatique, fragilise la légitimité et l’ambition des négociations climatiques.
À l’opposé, les organisations non gouvernementales (ONG) et les mouvements citoyens apparaissent comme des contre-pouvoirs mobilisés pour faire pression sur les gouvernements. Les ONG telles que Greenpeace, le Réseau Action Climat ou WWF jouent un rôle de veille, d’expertise et d’alerte dans les enceintes internationales. Elles dénoncent les écarts entre les discours et les actions des États et mobilisent des moyens croissants pour orienter le débat public. La société civile se mobilise également par le biais de mouvements citoyens de grande ampleur, comme les marches pour le climat, Extinction Rebellion, ou Fridays for Future. Cette mobilisation se traduit également sur le terrain juridique : des recours judiciaires se multiplient pour contraindre les États à respecter leurs engagements climatiques. L’affaire Urgenda c. Pays-Bas, en 2019, constitue une jurisprudence phare. Dans cette affaire, la Cour suprême néerlandaise a condamné l’État à réduire ses émissions de gaz à effet de serre pour protéger les droits fondamentaux des citoyens. En France, l’Affaire du siècle, portée par plusieurs ONG, a conduit le juge administratif à reconnaître la carence fautive de l’État dans la lutte contre le changement climatique.
Ainsi, si les acteurs non étatiques jouent un rôle essentiel dans la gouvernance climatique, leur influence est ambivalente. Elle oscille entre engagement citoyen moteur d’une transition écologique, et interventions économiques susceptibles d’affaiblir les exigences environnementales. Cette ambivalence souligne la nécessité de réguler leur participation pour préserver l’intégrité et l’efficacité du processus climatique international.
II - Une coopération internationale souvent fragile du fait de tensions structurelles et politiques
La coopération environnementale est bien souvent fragilisée par les intérêts nationaux de chaque État. Les divergences d’intérêts de chaque État et le rejet par certain de leur responsabilité historique dans les changements climatiques actuels rendent les négociations complexes (A). Celles-ci sont d’autant plus fragilisées par la hausse des nationalismes et la multiplication des replis étatiques sur leurs affaires internes (B).
A - Un défi environnemental marqué par une inégalité de responsabilité historique et d’intérêt économique et environnemental
La coopération internationale en vue de lutter contre les changements climatiques est rendue difficile par la divergence des intérêts de certains États, de leurs capacités et de la part de leur responsabilité dans les changements climatiques. Les États industrialisés ont en effet plus de responsabilité historique dans la pollution mondiale et globalement plus de capacités financières pour lutter contre les changements climatiques. Ces éléments entrent par conséquent en ligne de compte dans les négociations (1). Toutefois, certains États auront un intérêt particulièrement fort à ce que la lutte contre les changements climatiques soit la plus efficace possible car ils sont particulièrement victimes des changements climatiques et n’ont pas nécessairement les moyens d’investir dans une adaptation suffisante. Cette position peut dès lors se heurter avec celle d’autres États qui privilégieront leur développement économique (2).
1 - Une répartition inégale des responsabilités historiques et des capacités d’action face aux changements climatiques
L’un des principaux freins à une coopération climatique effective réside dans l’inégale répartition des responsabilités dans la genèse et la gestion des changements climatiques. Les pays dits du Nord, historiquement industrialisés, ont largement contribué aux émissions de gaz à effet de serre depuis le XIXe siècle. À titre d’exemple, les États-Unis et l’Union européenne représentent ensemble environ un tiers des émissions cumulées depuis 1850. À l’inverse, les pays du Sud, notamment les pays les moins avancés ou les petits États insulaires, subissent de manière disproportionnée les conséquences du réchauffement climatique, alors qu’ils ont historiquement peu contribué au phénomène. Pour autant, certains pays aujourd’hui toujours considérés comme en voie de développement comptent parmi les plus gros pollueurs mondiaux à l’instar de la Chine ou de l’Inde.
Cette asymétrie en termes de responsabilité historique a conduit à l’inscription dans la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (1992) du principe des « responsabilités communes mais différenciées », qui constitue une tentative de conciliation entre équité et universalité de l’action. Toutefois, dans la pratique, la mise en œuvre de ce principe demeure complexe. Les pays développés sont souvent accusés d’insuffisance dans le financement climatique. Les 100 milliards de dollars annuels promis aux pays en développement à Copenhague en 2009 n’ont ainsi jamais été pleinement atteints, alors que les pays émergents sont de plus en plus mis sous pression pour adopter des trajectoires bas-carbone.
La question de l’adaptation illustre également très bien ces déséquilibres. Les capacités techniques, institutionnelles et financières pour faire face aux effets du changement climatique sont très inégales d’un pays à l’autre. Si certains États peuvent investir massivement dans la résilience avec par exemple des digues, des infrastructures vertes, ou des mesures préventives, d’autres manquent des moyens les plus élémentaires. Cette fracture Nord-Sud rend difficile l’élaboration de politiques globales véritablement solidaires. Il est à ce titre intéressant de comparer la politique menée par deux États particulièrement menacés par la montée du niveau des océans : le Bahreïn et Tuvalu. D’un côté, le Bahreïn est un pays pétrolier, dont le PIB est d’environ 45 milliards de dollars et dispose d’importantes aides financières émanant de l’Arabie Saoudite. Il s’agit d’un très petit État insulaire, voisin de l’Arabie Saoudite et du Qatar qui pourrait perdre la moitié de sa surface du fait de la montée des eaux. En réponse à cela le pays mène une politique d’expansion sur la mer dans le but de doubler sa superficie. De l’autre côté, Tuvalu est un très petit État insulaire du Pacifique menacé de voir l’intégralité de son territoire submergé par les flots. Or le pays ne dispose que de très faible ressources (un PIB d’environ 45 millions de dollars) et serait ainsi incapable de mener une politique similaire à celle du Bahreïn. Pourtant Tuvalu est un émetteur absolument marginal de gaz à effet de serre et ne contribue ainsi que très peu à un changement climatique dont il sera la première victime. Le pays fait ainsi face à un impératif écologique majeur là où d’autres États auraient un intérêt plus marginal à faire des efforts en matière environnementale au prix de potentielles concessions en matière économique.
2 - L’opposition entre développement économique et impératif écologique comme frein à la coopération en matière environnementale
Aux divergences de responsabilités citées précédemment s’ajoutent des intérêts économiques et géopolitiques profondément antagonistes. Pour de nombreux pays en développement ou émergents, la priorité reste l’éradication de la pauvreté, l’industrialisation et l’accès à l’énergie. Le développement économique est perçu comme un droit légitime, souvent incompatible à court terme avec les contraintes imposées par les politiques climatiques internationales. Dès lors, des puissances comme l’Inde, la Chine, ou le Brésil rejettent souvent les contraintes externes susceptibles de freiner leur croissance, arguant que les pays du Nord ont construit leur prospérité sur une exploitation sans limite des ressources fossiles.
La diplomatie climatique devient alors un champ de négociation intense, où les États défendent avant tout leurs intérêts nationaux. Cela se traduit par des stratégies différenciées et parfois conflictuelles. Certains États insistent sur la priorité de l’adaptation, d’autres sur la réduction des émissions, d’autres encore sur le financement et le transfert de technologies. Le droit international climatique s’avère alors difficile à articuler, car il doit concilier des objectifs communs avec des trajectoires économiques, sociales et politiques profondément différentes.
Ce clivage entre impératif écologique et nécessité de développement met en lumière l’un des dilemmes centraux de la gouvernance climatique : comment construire un effort collectif équitable dans un monde profondément inégalitaire ? La coopération internationale s’en trouve fragilisée, car chaque acteur cherche à maximiser ses gains et à minimiser ses efforts dans un contexte de responsabilité diffuse et de souveraineté persistante. L’absence de mécanisme juridiquement contraignant universel et la logique volontariste de l’Accord de Paris en sont une conséquence directe.
B - Les replis souverainistes et les limites du multilatéralisme environnemental
La gestion internationale de la crise climatique fait face à de nombreuses difficultés, entre une hausse des nationalismes souverainistes dans de nombreux pays (2) et une absence de normes contraignantes obligeant les États à respecter leurs engagements environnementaux peu important la couleur politique de leurs dirigeants (1).
1 - Une gouvernance internationale dépourvue de mécanismes contraignants
Le régime international de lutte contre les changements climatiques repose essentiellement sur un multilatéralisme de nature coopérative et non coercitive. L’Accord de Paris, bien qu’universel et ambitieux dans ses objectifs, illustre cette tendance à la souplesse normative. Il n’impose pas de quotas contraignants aux États, mais les engage à soumettre, réviser et publier leurs contributions nationales déterminées (NDCs), dans une logique d’émulation et de transparence. Cette approche pragmatique vise à encourager l’adhésion large des États, tout en respectant leur souveraineté.
Toutefois, cette architecture volontaire soulève des interrogations sur l’effectivité du droit international climatique. En l’absence de mécanismes de sanction, un État peut ne pas respecter ses engagements sans en subir de conséquences juridiques directes. Il n’existe ni juridiction internationale compétente en matière climatique, ni obligation formelle de mise en conformité. Le cadre incitatif de la soft law prévaut, ce qui affaiblit l’autorité des normes adoptées.
Par ailleurs, l’absence d’harmonisation contraignante favorise un effet de passager clandestin, chaque État pouvant être tenté de minimiser ses efforts en comptant sur ceux des autres. La logique volontariste, bien qu’utile pour dépasser certaines résistances politiques, tend à produire une coopération inégale et parfois inefficace, comme l’ont montré les écarts persistants entre les trajectoires nationales et les objectifs collectifs.
2 - Le retour du nationalisme climatique : un obstacle croissant à la solidarité internationale
La faiblesse du multilatéralisme climatique est accentuée par une tendance contemporaine croissante : le retour des logiques souverainistes et nationalistes dans de nombreux pays. Ces dynamiques politiques, fondées sur la défense des intérêts nationaux, la méfiance envers les institutions internationales et parfois le climatoscepticisme, constituent un frein majeur à l’approfondissement de la coopération environnementale. L’exemple le plus emblématique est celui des États-Unis sous la présidence de Donald Trump, qui ont annoncé leur retrait de l’Accord de Paris en 2017, avant d’y être réintégrés sous la présidence de Joe Biden en 2021 puis de s’en retirer à nouveau dès le retour de Donald Trump dans le bureau ovale. Ce retrait fragilise l’équilibre diplomatique mondial, en montrant qu’un État majeur peut se désengager unilatéralement d’un accord fondé sur la coopération collective. Les États-Unis risquent d’ailleurs de ne pas participer à la COP30 ou de n’y assister qu’en tant qu’État observateur et remettent très largement en cause leurs engagements en matière climatique, par exemple avec le slogan Drill baby drill de Donad Trump pour vanter la multiplication des forages de gaz de schiste. D’autres pays, comme le Brésil sous la présidence de Jair Bolsonaro, ont également remis en cause leurs engagements climatiques, notamment en matière de déforestation, au nom du développement économique et de la souveraineté nationale.
En Europe, la montée des partis d’extrême droite et populistes remet en question certaines politiques climatiques ambitieuses, jugées trop coûteuses ou contraires aux intérêts nationaux. Cette remise en cause s’accompagne souvent d’un rejet des normes imposées par l’Union européenne ou les instances internationales, perçues comme des atteintes à la souveraineté du pays. Ces évolutions politiques traduisent une tension croissante entre urgence climatique globale et affirmation des souverainetés nationales. Elles illustrent le paradoxe d’une crise planétaire qui appelle une réponse collective, mais à laquelle les États répondent selon des logiques internes, électorales et économiques.
Néanmoins, ce repli politique n’empêche pas l’émergence de contre-pouvoirs juridiques et citoyens. Les juridictions nationales sont de plus en plus saisies par des ONG ou des citoyens pour contraindre les États à respecter leurs engagements climatiques. L’affaire Urgenda c. Pays-Bas ou l’Affaire du siècle en France, citées précédemment, illustrent cette judiciarisation croissante de la responsabilité climatique des États, qui compense partiellement les défaillances du multilatéralisme. Mais ces recours restent insuffisants pour répondre à l’ampleur de la crise écologique mondiale. Ainsi, la coopération internationale sur le climat demeure prise en étau entre des structures institutionnelles souples, peu contraignantes, et un contexte politique de plus en plus marqué par les replis souverainistes, qui entravent la construction d’une solidarité climatique poussée.
