Le PGD interdisant de licencier une salariée enceinte (CE, ass., 8/06/1973, Dame Peynet)

Introduction

Rares sont les créations jurisprudentielles auxquelles un juge doit plus qu'il ne pouvait le présager initialement. Les principes généraux du droit sont de cette veine. S'ils ne sauraient résumer à eux seuls l'épopée entreprise par le juge administratif à la fin du XIX° siècle, ils sont sans aucun doute sa plus belle réalisation, celle par laquelle son rôle de garant des droits et libertés s'est le mieux affirmé. Le litige opposant Mme. Peynet au préfet du Territoire de Belfort est l’occasion pour le Conseil d'Etat d'en donner une nouvelle illustration.

Dans cette affaire, Mme. Peynet a été recrutée le 17/09/1965 par le Territoire de Belfort en qualité d'infirmière auxiliaire au sein de l'Institut médico-pédagogique « Les Eparses » à Chaux. Elle bénéficiait, à ce titre, de la qualité d'agent de droit public. Presque deux ans plus tard, elle est tombé enceinte et en a informé sa direction. Loin de partager sa joie, le préfet du Territoire de Belfort a, par un arrêté du 4/08/1967, mis fin à ses fonctions à compter du 5/08/1967. Mme. Peynet lui a demandé de rapporter sa décision. Mais, sa demande fut rejetée le 11/08/1967. L'intéressée a, alors, saisi le Tribunal administratif de Besançon afin d'obtenir l'annulation de la décision prononçant son licenciement. Elle fut, cependant, déboutée par un jugement du 17/10/1969 que Mme. Peynet conteste devant le Conseil d’État. Le 8/06/1973, la Haute juridiction annule, par un arrêt d'assemblée, la décision du préfet au terme d'un jugement qui voit éclore un nouveau principe général du droit, celui interdisant de licencier une femme enceinte employée dans les services publics.

Avec cet arrêt, le Conseil d’État enrichit la longue liste des principes généraux du droit (PGD) qu'il a consacré depuis la Libération. Ces principes occupent au sein des normes créées par les juges du Palais-Royal une place à part. Quintessence de la création jurisprudentielle du juge administratif, il se définissent comme des principes non écrits applicables même en l'absence de texte. Ils visent à apporter des garanties aux justiciables lorsque le droit écrit fait défaut. Ainsi, en l'espèce, la décision du préfet était, certes, des plus choquantes, mais elle n'en demeurait pas moins, jusqu'à la présente décision, parfaitement légale. Aucune disposition textuelle ne permettait, en effet, de protéger Mme. Peynet. Le Conseil d’État fait donc acte de volonté et consacre le principe général du droit interdisant le licenciement des agents de droit public en état de grossesse. Si, dans cette tâche, il s'inscrit dans les réalités de son époque, il conserve, cependant, une totale liberté d'appréciation : le juge administratif demeure, en effet, le seul créateur des PGD. Cette considération emporte une conséquence majeure quant à la valeur juridique de ces principes : émanant d'une autorité juridictionnelle, soumise au respect de la loi, mais apte à censurer les actes de l'administration, les PGD disposent d'une valeur infra-législative, mais supra-décrétale. C'est cette autorité qui permet, en l'espèce, au Conseil d’État d'annuler le licenciement prononcé par le préfet du Territoire de Belfort.

Il convient donc d'étudier, dans une première partie, l'origine du PGD interdisant de licencier une salariée enceinte (I) et d'analyser, dans une seconde partie, la force juridique de ce principe (II).

I – L'origine du PGD interdisant de licencier une salariée enceinte

Comme n'importe quel PGD, le principe interdisant le licenciement d'une femme enceinte doit sa création à la seule volonté du juge administratif (B). Lorsqu'il engendre un tel principe, ce dernier est porté par une double motivation (A).

A – Un juge porté par une double motivation

Lorsqu'il consacre un nouveau principe général du droit, le Conseil d’État est mu par une double motivation : l'une tient à la nécessité de combler un vide juridique (1), l'autre vise à apporter des droits aux administrés (2).

1 – Une motivation juridique : le vide juridique

L’arrêt Peynet apparaît caractéristique des hypothèses dans lesquelles le Conseil d’État décide de consacrer un nouveau PGD. Dans cette affaire, la situation de Mme. Peynet n'est régie par aucun texte. En effet, le Code du travail prévoit bien l'interdiction de licencier une salariée enceinte (art. 29 du Livre 1°, aujourd'hui art. L 122-25-2), mais ce texte ne s'applique qu'aux personnels sous statut de droit privé. Or, la requérante étant agent de droit public, elle ne peut  prétendre au bénéfice de cette disposition. Quant aux textes encadrant la situation du personnel auxiliaire du Territoire de Belfort auquel l'intéressée appartient, ils ne régissent que la question des rémunérations et des congés et ne prévoient aucune garantie du maintien des salariées enceintes dans leur emploi.

Ainsi, soit le texte n'est pas applicable à Mme. Peynet, soit il est muet sur la particularité de son état. C'est ce contexte normatif si particulier - le vide juridique – qui est le premier des facteurs conduisant le juge à faire œuvre prétorienne. En effet, lorsque le droit écrit ne contient pas de dispositions applicables à un cas d'espèce, le juge est, en quelques sortes, contraint de donner un fondement juridique à sa décision et doit, pour ce faire, élaborer de la jurisprudence. Les PGD apparaissent, alors, comme l'instrument privilégié utilisé par le juge administratif dans cette tache.

C'est dans cet environnement bien précis qu'ont été consacrés les premiers PGD. A la fin de la Seconde guerre mondiale, lors de l’épuration, de nombreux abus sont constatés dans la mise en œuvre de l'action disciplinaire de l'Administration. Le juge administratif est vite confronté à l’absence de textes lui permettant de les censurer. Pour ce faire, il décide, alors, de se doter lui-même des instruments lui permettant de soumettre l’Administration au droit. C’est l’acte de naissance des PGD. Le premier à être reconnu est le principe général des droits de la défense : il fait d'abord, l'objet d’une consécration implicite (CE, sect., 5/05/1944, Dame veuve Trompier-Gravier) avant d’être énoncé explicitement (CE, ass., 26/10/1945, Aramu).

Cependant, le juge ne consacre pas un nouveau PGD chaque fois qu'il constate une carence du droit écrit. Pour qu'il en aille, ainsi, il faut en plus qu'il juge légitime d'apporter une protection aux administrés.

2 – Une motivation idéologique : la protection des administrés

Lorsqu’il crée des PGD, le juge a pour dessein de poser des limites à l’action administrative et, ainsi, apporter des garanties aux administrés. Telle est la fonction première de ces principes : reconnaître aux justiciables certains droits dans leurs rapports avec l'autorité administrative, afin d'endiguer les manifestations d'arbitraire dont celle-ci peut être l'auteur. La consécration de PGD traduit donc la conception que le juge administratif se fait des rapports entre administration et administrés.

Pour autant, le juge administratif ne posera à l'action administrative que les limites qu'il estime nécessaires ou, pour employer un autre terme, qu'il juge légitimes. C'est, ainsi, qu'il a refusé de consacrer le PGD reconnaissant aux étudiants le droit à une troisième correction de leurs copies d'examen en cas de contrariété entre les deux premières (CE, 20/03/1987, Gambus). La solution n'appelle pas de commentaire. Dans cette quête, le Conseil d’État se fait, ainsi, l'interprète de la conscience collective et traduit juridiquement les valeurs présentes et reconnues à un moment donné dans la société. Ainsi, s'explique la progressivité avec laquelle le juge administratif découvre les PGD ; il suit, pas à pas, les transformations qui traversent la société française.

L’arrêt Peynet est, de ce point de vue aussi, très typique. Il est, en effet, peu risqué d'affirmer qu'un tel principe n'aurait pas pu être consacré au début du XX° siècle. En revanche, les années 1970 (l’arrêt est rendu en 1973) sont marquées par le mouvement d'émancipation des femmes. Par sa décision, le Conseil d’État accompagne, alors, ce mouvement. Il sera prolongé par la reconnaissance de plusieurs PGD en matière de droit du travail, dont celui reconnaissant à tout agent non titulaire de l'administration le droit à une rémunération au moins égale au SMIC (CE, sect., 23/04/1982, Ville de Toulouse).

Dans un autre domaine, le juge administratif développera un ensemble fourni de PGD destinés à garantir les droits des étrangers, dans un contexte où la question de l'immigration devient majeure et peut donner lieu à des entorses aux droits fondamentaux de la part de l'administration (voir notamment : principe du droit des étrangers résidant régulièrement en France de mener une vie familiale normale : CE, ass., 8/12/1978, GISTI ; principe imposant le rejet des demandes d'extradition présentées par les Etats dont la législation ne respecte pas pleinement les droits fondamentaux de l'homme : CE, ass., 26/09/1984, Lujambio Galdeano).

Dans un autre domaine encore, l’arrêt Milhau consacre le principe du respect de la personne humaine même après la mort (CE, ass., 2/07/1993). Ce principe vise à interdire aux médecins les expérimentations non autorisées sur les dépouilles de leurs patients. Il traduit, ainsi, les craintes que les progrès de la recherche médicale peuvent susciter de nos jours.

L’arrêt Peynet, comme tous ceux consacrant de nouveaux PGD, s'inscrit donc au cœur des évolutions de la société française. Le Conseil d’État reste, cependant, le seul maître de leur reconnaissance.

B – Un juge souverain dans la consécration du principe

S'il se fonde sur les réalités sociales lorsqu'il consacre des PGD, le Conseil d’État reste libre de les faire venir au monde juridique. C'est, en effet, à sa seule volonté qu'ils doivent leur existence en tant que règle de droit (2) et à aucun moment au texte auquel il est fait, parfois, référence (1).

1 – Un principe qui ne doit rien au Code du travail

En l'espèce, le Conseil d’État constate : « mais considérant que le principe général, dont s'inspire l'article 29 du Livre 1° du Code du travail, selon lequel aucun employeur ne peut, sauf dans certains cas, licencier une salariée en état de grossesse ... ». Cette référence au Code du travail ne doit pas tromper. S'il y a bien une proximité conceptuelle entre le principe et le texte, le premier ne doit pas son existence au second.

Tout au contraire, la référence au Code du travail n'est là que pour appuyer la solution du Conseil d’État. Il s'agit pour lui d'exprimer la prééminence du principe par rapport à la loi, de démontrer que l'importance du principe est telle que même le Code du travail, texte majeur s'il en est, s'en inspire. Autrement dit, ce code n'est lui-même que l'application d'une aspiration, ancrée dans la conscience collective, qui préexiste à sa concrétisation par la loi.

Les textes, qu'il s'agisse de la Constitution (CE, sect., 26/06/1959, Syndicat général des ingénieurs-conseils), des traités internationaux (CE, ass., 01/04/1988, Bereciartua-Echarri) ou des lois, comme en l'espèce, auxquels le Conseil d'Etat se réfère parfois ne doivent, alors, être appréhendés que comme des points de repère, des boussoles dont le rôle se limite à aiguiller le juge dans la découverte des PGD. Rien de plus. En effet, c'est de la seule volonté de ce dernier qu'ils tirent leur existence juridique.

2 – Un principe qui ne doit son existence qu'à la seule volonté du juge

Les PGD, tels que le principe interdisant de licencier une salariée enceinte, ne tirent leur érection au rang de norme de droit que de la seule volonté du juge administratif. Ce dernier en est le seul créateur. C'est lui seul qui décide de transformer une aspiration ancrée dans la conscience collective en principe général du droit et de lui ouvrir, ainsi, les portes du monde du droit positif. Sans cet acte de volonté, le principe reste un simple idéal dénué de portée normative.

Dans cette tache, le juge administratif peut, certes, inscrire sa jurisprudence au cœur des valeurs dominantes d'une époque, voire même être contraint, comme toute autorité, par des déterminants politiques ou sociaux, mais il conserve une totale liberté d'appréciation pour reconnaître ou pas un tel principe. Il suffit pour s'en convaincre de penser à la longue liste de PGD que le Conseil d’État a refusé de consacrer.

Ces considérations emportent une conséquence majeure. Puisque les PGD ne doivent pas leur existence aux textes, mais émanent de la seule volonté du juge administratif, leur autorité est donc celle attachée aux normes jurisprudentielles. C'est, là, la question de la force juridique des principes  généraux du droit.

II – La force juridique du PGD interdisant de licencier une salariée enceinte

Moins « global » que ses illustres prédécesseurs (A), le principe interdisant de licencier une femme en état de grossesse n'en conserve pas moins la même autorité juridique : infra-législative et supra-décrétale (B).

A – Un principe moins « global » que ses aînés ...

A l'inverse des premiers PGD découverts par le Conseil d’État dont la qualité première était de couvrir de larges pans de l'action administrative (1), le principe consacré par l'arrêt Peynet apparaît beaucoup plus spécifique (2).

1 – Des aînés dotés d'un haut degré de généralité

Au départ, les PGD que s'attache à consacrer le Conseil d’État sont caractérisés par leur fort degré de généralité. Ils ne visent pas à régir une situation ou une catégorie de justiciables déterminées, mais à poser le cadre général garantissant le respect de la tradition  libérale de la France. Certains principes touchent, ainsi, au cœur de ce qui fait la substance des valeurs républicaines, tels que le principe de la liberté d’aller et de venir (CE, sect., 14/02/1958, Abisset), le principe d’égalité des usagers du service public (CE, sect., 9/03/1951, Société des concerts du conservatoire) ou encore le principe d'égal accès aux emplois publics (CE, ass., 28/05/1954, Barel). D'autres s'attachent à apporter des garanties formelles aux justiciables : il en va ainsi du principe général des droits de la défense consacré par les arrêts Dame Veuve Trompier-Gravier - Aramu, du principe selon lequel tout acte administratif unilatéral peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir (CE, ass., 17/02/1950, Dame Lamotte) ou bien du principe de non-rétroactivité des actes administratifs (CE, ass., 25/06/1948, Sté. du journal « L'Aurore »).

Cette orientation des premiers PGD s'explique par la situation particulière à laquelle est confronté le juge administratif à la Libération. Face à la pénurie de règles écrites et aux aspirations des citoyens à plus de protection, il se doit, d'abord, de poser des règles générales de manière à encadrer la plus grande partie possible de l’activité administrative. Le haut degré de généralité des premiers PGD lui permet, alors, d'atteindre rapidement cet objectif. Ce n'est qu'une fois ce socle posé qu'il peut, ensuite, s'attacher à apporter des garanties plus spécifiques.

2 – Un principe caractéristique des PGD de 2° génération

Le principe en cause dans l’arrêt Peynet est typique de la seconde vague de PGD consacrés par le Conseil d’État. Très spécialisé, il a un champ d’application nettement plus restreint que les précédents : en l’occurrence, ici, les femmes à certaines époques de leur vie. Une fois les problématiques juridiques les plus répandues encadrées, le juge administratif peut, en effet, affiner son contrôle et découvrir des PGD plus spécifiques, propres à certaines situations ou catégories de justiciables.

Il peut, ainsi, être question de protéger une catégorie particulière d’individus, qu'il s'agisse d'administrés, l'on pense à la riche jurisprudence sur les droits des étrangers, ou des agents de l'administration qui ont pu bénéficier, dans de multiples hypothèses telles que celle en cause dans l’arrêt Peynet, de la protection apportée par les PGD lorsque les garanties essentielles n'étaient pas prévues par les textes.

Il peut aussi s'agir de réglementer certaines situations spécifiques. L’arrêt Milhau consacrant le principe relatif au respect de la personne humaine même après la mort touche, ainsi, à une question fondamentale et universelle, mais qui ne concerne qu'une partie bien déterminée de la « vie administrative ». Dans le même sens, et plus concrètement, le Conseil d’État a consacré le principe selon lequel l'obligation qui pèse sur l'exploitant d'une installation classée de remettre en état le site est prescrite 30 ans après la cessation d'activité (CE, ass., 8/07/2005, Soc. Alusuisse).

Ces exemples attestent que les PGD sont de moins en moins généraux et toujours plus spécialisés. Cette réduction de leur champ d'application n'emporte, cependant, aucune conséquence quant à leur valeur juridique : « globaux » ou spécifiques, les PGD ont, en effet, toujours la même autorité.

B - … mais qui conserve la même autorité juridique

Comme n'importe quel principe général du droit, le PGD interdisant de licencier une salariée enceinte est doté d'une valeur infra-législative et supra-décrétale (2). L'autorité attachée à ces principes reste, en effet, celle qu'elle a toujours été malgré les bouleversements induits par la Constitution du 4/10/1958 (1).

1 - Une problématique en question du fait de la Constitution de 1958

La Constitution de la V° République a pu laisser penser que la question de l'autorité des PGD devait être reconsidérée. Deux thèses sont allées en ce sens.

La première est liée à la consécration du pouvoir réglementaire autonome par l'article 37 de la Charte fondamentale. Elle prend pour postulat qu’en créant au profit du règlement un domaine propre, au sein duquel la loi ne peut, en principe, intervenir, la Constitution a, d’une certaine façon, hissé ces règlements au niveau des lois. Or, le Conseil d’État a jugé que ces règlements restaient soumis aux principes généraux du droit (voir arrêt Syndicat général des ingénieurs-conseils). Les PGD s'imposant à des règlements, considérés comme les égaux de la loi, certains membres de la doctrine en ont déduit qu'ils avaient, de ce fait, valeur constitutionnelle.

Cette thèse semble, cependant, devoir être écartée. Elle accorde, en effet, à l'article 37 de la Constitution une portée qu'il n'a pas eu. D'une part, s'ils sont dotés d'une majesté nouvelle, les règlements autonomes demeurent des actes administratifs justiciables du Conseil d’État. D'autre part, et surtout, ce dernier juge que, bien qu'autonomes, les règlements de l'article 37 restent astreints au respect des lois. Dès lors, leur autorité ne diffère pas de celle de n'importe quel autre acte réglementaire et la thèse défendue perd sa justification première.

La seconde thèse est celle de la constitutionnalisation des PGD. En raison de la proximité  entre certains principes à valeur constitutionnelle dégagés par le Conseil constitutionnel et des PGD, certains membres de la doctrine ont considéré que les PGD en cause avaient été, en quelques sortes, constitutionnalisés.

Ces deux catégories de principes doivent, cependant, être bien distingués. En effet, s'il peut exister une identité en ce qui concerne leur substance, en la forme ces principes restent deux normes juridiques différentes. Les PGD sont des normes non écrites consacrées par le Conseil d’État, quand les principes à valeur constitutionnelle sont des normes écrites dégagées par le Conseil constitutionnel à partir, notamment, du préambule de la Charte fondamentale. Ainsi, le principe d'égalité est, pour le juge administratif, un principe général du droit, quand il est, pour le juge constitutionnel, un principe qui se déduit de l'article 6 de la Déclaration de 1789. Tout au plus peut-on admettre que certains PGD soient, d'une certaine façon, devenus caducs du fait du choix, parfois, opéré par le Conseil d’État de statuer de préférence sur la base d’un principe à valeur constitutionnelle et de renoncer, ainsi, à utiliser l'un de ses PGD. Il ne faut, cependant, voir là qu'un gage de simplification du droit.

Ces deux thèses ne semblent, donc, pas devoir être retenues. La valeur des PGD reste, alors, celle qu'elle a toujours été.

2 – Un principe infra-législatif, mais supra-décrétal

La thèse de la valeur infra-législative et supra-décrétale des PGD a été développée par le professeur Chapus. Celui-ci fonde son approche sur une méthodologie très simple : il considère que pour déterminer la valeur d’une règle de droit, il faut déterminer la place qu’occupe, dans l’ordonnancement juridique, l’organe qui l’a créée. En l'occurrence, le Conseil d’Etat se situe à un rang inférieur par rapport au législateur, puisqu'il ne peut placer ses propres principes au-dessus des lois. En revanche, il peut censurer les actes de l’administration, y compris les actes les plus solennels que sont les décrets.

Dans la hiérarchie des sources formelles du droit, le juge administratif se situe donc entre le législateur et le pouvoir réglementaire. Comme le note le professeur Chapus, « serviteur de la loi, il est censeur des décrets ». Par conséquent, les normes qu’il édicte ont une valeur infra-législative et supra-décrétale.

En l’espèce, le préfet du Territoire de Belfort a licencié Mme. Peynet alors qu’elle était enceinte. Cette décision est un acte administratif individuel auquel s'impose, en vertu des développements qui précèdent, le respect des PGD. Etant contraire au principe selon lequel un employeur ne peut licencier une salariée enceinte, elle est annulée par le Conseil d’État le 8/06/1973. Mme. Peynet obtient aussi partiellement satisfaction s'agissant de sa demande indemnitaire.

CE, ass., 8/06/1973, Dame Peynet

REQUETE DE LA DAME PEYNET TENDANT A LA REFORMATION DU JUGEMENT DU 17 OCTOBRE 1969 PAR LEQUEL LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE BESANCON A REJETE SA DEMANDE DIRIGEE CONTRE LA DECISION DU 11 AOUT 1967 PAR LAQUELLE LE PREFET DU TERRITOIRE DE BELFORT A REFUSE DE RAPPORTER SON ARRETE DU 4 AOUT 1967 METTANT FIN A COMPTER DU 5 AOUT 1967 AUX FONCTIONS DE LA REQUERANTE COMME INFIRMIERE AUXILIAIRE A L'INSTITUT MEDICO-PEDAGOGIQUE DEPARTEMENTAL "LES EPARSES" A CHAUX ET A CONDAMNE LE TERRITOIRE DE BELFORT A LUI PAYER EN REPARATION DU PREJUDICE QUE LUI A CAUSE CET ARRETE UNE INDEMNITE DE 300 FRANCS QU'ELLE ESTIME INSUFFISANTE ;

CONSIDERANT QUE LA DAME PEYNET A ETE RECRUTEE LE 17 SEPTEMBRE 1965 PAR LE TERRITOIRE DE BELFORT EN QUALITE D'INFIRMIERE AUXILIAIRE POUR EXERCER SES FONCTIONS A L'INSTITUT MEDICO-PEDAGOGIQUE "LES EPARSES" A CHAUX ; QUE LESDITES FONCTIONS LA FAISAIENT PARTICIPER A L'EXECUTION DU SERVICE PUBLIC ; QU'AINSI, ELLE AVAIT LA QUALITE D'AGENT DE DROIT PUBLIC ; QU'ALORS QU'ELLE ETAIT ENCEINTE ET AVAIT ADRESSE A L'ADMINISTRATION UN CERTIFICAT ATTESTANT SON ETAT DE GROSSESSE, ELLE A ETE LICENCIEE PAR UNE DECISION DU PREFET DU TERRITOIRE DE BELFORT EN DATE DU 4 AOUT 1967 ;

CONS. QU'A LA DATE DE SON LICENCIEMENT, LES SEULES DISPOSITIONS RELATIVES A LA SITUATION DU PERSONNEL AUXILIAIRE DU TERRITOIRE DE BELFORT AVAIENT TRAIT A LA REMUNERATION ET AUX CONGES ET NE COMPORTAIENT, NOTAMMENT, AUCUNE GARANTIE DU MAINTIEN DES FEMMES ENCEINTES DANS LEURS EMPLOIS ;

MAIS CONS. QUE LE PRINCIPE GENERAL, DONT S'INSPIRE L'ARTICLE 29 DU LIVRE 1ER DU CODE DU TRAVAIL, SELON LEQUEL AUCUN EMPLOYEUR NE PEUT, SAUF DANS CERTAINS CAS, LICENCIER UNE SALARIEE EN ETAT DE GROSSESSE, S'APPLIQUE AUX FEMMES EMPLOYEES DANS LES SERVICES PUBLICS LORSQUE, COMME EN L'ESPECE, AUCUNE NECESSITE PROPRE A CES SERVICES NE S'Y OPPOSE ; QUE, PAR SUITE, LA DECISION DU PREFET DU TERRITOIRE DE BELFORT, QUI A ETE PRISE EN MECONNAISSANCE DE CE PRINCIPE, EST ENTACHEE D'EXCES DE POUVOIR ; QUE, DES LORS, LA DAME PEYNET EST FONDEE A SOUTENIR QUE C'EST A TORT QUE, PAR LE JUGEMENT ATTAQUE, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE BESANCON A REJETE LES CONCLUSIONS DE SA DEMANDE DIRIGEES CONTRE CETTE DECISION ;

SUR L'INDEMNITE

CONS. QUE LA DAME PEYNET DEMANDE QUE LE TERRITOIRE DE BELFORT SOIT CONDAMNE A LUI PAYER, D'UNE PART, LES EMOLUMENTS DONT ELLE A ETE PRIVEE PENDANT LA PERIODE ALLANT DE LA DATE D'EFFET DE SON LICENCIEMENT A LA FIN DE LA DOUZIEME SEMAINE QUI A SUIVI L'ACCOUCHEMENT, D'AUTRE PART, UNE INDEMNITE DE 5 000 F EN REPARATION DES AUTRES PREJUDICES QUE LUI A CAUSES LA DECISION ILLEGALE DU PREFET ; QUE, COMPTE TENU DE L'ENSEMBLE DES CIRCONSTANCES DE L'AFFAIRE, NOTAMMENT DE CE QUE LA REQUERANTE A TROUVE UN AUTRE EMPLOI QUELQUES SEMAINES APRES SON LICENCIEMENT, IL Y A LIEU DE FIXER AU TOTAL A 2 000 F, ET NON A 300 F COMME L'ONT FAIT LES PREMIERS JUGES, L'INDEMNITE QUI LUI EST DUE PAR LE TERRITOIRE DE BELFORT ;

DECIDE :
ANNULATION DE LA DECISION ATTAQUEE ; INDEMNITE PORTEE A 2 000 F ; REFORMATION DU JUGEMENT DANS CE SENS.