L'impact de la majorité relative sur le fonctionnement des institutions de la Ve République depuis 2022 (dissertation)

Introduction

En 1988, la France s’est dotée pour la première fois d’une Assemblée composée d’une majorité relative. Le Président de la République, François Mitterrand, avait alors dit : « Même relative, la majorité parlementaire existe ». Une telle citation montre la volonté des présidents de disposer d’une majorité absolue leur permettant de mener sans entrave leur action. En cas de majorité relative, ceux-ci tentent alors par des alliances de trouver une majorité leur permettant de gouverner. 

La majorité relative désigne une situation où aucun groupe politique ne dispose de la majorité absolue. Pour disposer d’une majorité, un groupe politique doit compter 289 sièges sur 577 à l'Assemblée nationale. Une telle situation oblige le gouvernement à chercher des alliances pour faire adopter ses projets de loi. Elle s’oppose au fait majoritaire, qui désigne une situation politique dans laquelle le Président de la République dispose d’une majorité absolue stable à l’Assemblée nationale, lui permettant de gouverner sans blocage législatif. Ce concept est central dans le fonctionnement de la Ve République, où il assure une stabilité institutionnelle et un renforcement du pouvoir exécutif. Le fonctionnement des institutions fait ici notamment référence à l’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif, composé du Président de la République et du Gouvernement, et le Parlement, ainsi qu’aux outils juridiques et politiques utilisés pour gouverner dans ce contexte particulier.

Depuis l’instauration de la Cinquième République en 1958, les institutions ont été pensées pour éviter l’instabilité gouvernementale. En règle générale, le Président dispose d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, et ce tout particulièrement depuis l’instauration du quinquennat et de l’inversion du calendrier législatif suite à la révision constitutionnelle de 2002. La majorité absolue lui permet alors d’appliquer son programme sans blocage. Avant 2022, un Président n’a obtenu de majorité relative suite à son élection qu’une seule fois, sous la présidence de François Mitterrand en 1988. En 2022, l’élection législative n’a également pas permis à Emmanuel Macron d’obtenir cette majorité, ce qui a bouleversé l’équilibre institutionnel. Face à un Parlement divisé, le gouvernement a dû recourir à des outils constitutionnels exceptionnels et composer avec une opposition fragmentée, rendant l’adoption des lois plus difficile. Du fait de cette situation complexe, le Président de la République Emmanuel Macron a dissout l’Assemblée nationale en 2024 pour clarifier la composition de l’Assemblée. La dissolution a toutefois conduit à une Assemblée encore davantage fragmentée, sans majorité claire. 

Au vu de ces éléments, il convient de se demander dans quelle mesure l’absence de majorité absolue entre 2022 et 2024 a-t-elle modifié le fonctionnement des institutions de la Cinquième République et remis en question le modèle de présidentialisme majoritaire ?

Dans un premier temps, il conviendra d’étudier comment la majorité relative a conduit à une gouvernance parlementaire plus complexe, obligeant l’exécutif à recourir à des outils constitutionnels pour maintenir sa capacité d’action (I). Ensuite, il conviendra d’analyser les effets de cette situation sur la nature du régime politique et sur l’équilibre des pouvoirs, qui a évolué vers une forme de parlementarisme contraint (II).

I - Une gouvernance de l'exécutif entravée par l'absence de majorité absolue

La majorité relative issue des élections législatives de juin 2022 a profondément modifié le fonctionnement des institutions de la Ve République. Conçue pour permettre un exécutif fort appuyé sur une majorité stable, la Constitution de 1958 n’a pas été pensée pour un gouvernement contraint par une majorité relative. Face à ce blocage institutionnel, causé par une fragmentation politique forte (A), le gouvernement a dû multiplier les stratégies pour maintenir sa capacité à gouverner, notamment en s’appuyant sur les mécanismes de rationalisation du parlementarisme et en tentant, parfois en vain, de nouer des alliances ponctuelles (B).

A - Une fragmentation politique d'une ampleur inédite sous la Ve République depuis 2022

L’un des effets les plus visibles de la majorité relative est l’éclatement des forces politiques au sein de l’Assemblée nationale, ce qui complique les négociations et empêche la formation d’une coalition stable (1), conduisant à une instabilité gouvernementale accrue et des tensions politiques fortes (2). 

1 - Une Assemblée divisée en blocs antagonistes rendant impossible une gouvernance autonome

L’élection législative de 2022 a donné naissance à une Assemblée nationale composée de plusieurs groupes sans majorité absolue. En 2022, l’Assemblée est composée de quatre groupes principaux. Le groupe Ensemble dispose de la majoritaire relative avec 250 sièges. Le groupe majoritaire doit ainsi trouver au minimum 39 députés pour disposer d’une majorité absolue sur un texte. La deuxième force est la NUPES, une coalition de gauche assez hétérogène, disposant de 150 sièges. En troisième position, le groupe Rassemblement National (RN) dispose de 88 sièges, le plus haut score de l’extrême droite sous la Ve République avant les élections législatives de 2024. Le groupe Les Républicains (LR) dispose quant à lui de 62 sièges et forme un groupe pouvant jouer le rôle de pivot pour la majorité qui peut négocier avec lui pour voter un texte. 

En 2024, le Président Emmanuel Macron dissout l’Assemblée nationale, modifiant la composition de ces quatre groupes. La liste Ensemble passe ainsi de 250 à 164 sièges et devient la deuxième force de l’Assemblée nationale. Le Nouveau Front populaire (anciennement NUPES) arrive en effet en première position avec 192 sièges. Le RN se trouve en troisième position avec 143 sièges obtenus et le groupe LR dispose désormais de 60 sièges. 

Les conséquences sur le fonctionnement de l’Assemblée sont très fortes. Aucun groupe ne peut gouverner seul, obligeant à des négociations constantes. En 1988, lors de la première majorité relative connue sous la Ve République, la liste « La France Unie » dispose de 277 sièges. Elle ne doit trouver que 12 voix pour avoir un accord sur un texte ou pour trouver une alliance dans le but de former une majorité absolue stable. Cet exercice est bien plus complexe en 2022 avec 39 sièges manquants et plus encore en 2024 lorsque la liste du Président de la République est à 125 sièges de la majorité absolue, nécessitant la formation d’alliances larges et difficiles. 

La composition de l’Assemblée est ainsi tout à fait inédite sous la Ve République avec d’un côté un Président disposant d’une majorité relative particulièrement faible et de l’autre une opposition trop fragmentée pour former une coalition, mais suffisamment nombreuse pour empêcher le Gouvernement d’avoir les mains libres. Fait par ailleurs inédit sous la Ve République, les deux gouvernements successivement au pouvoir depuis 2024 sont composés de représentants issus de groupes différents de la liste arrivée en tête aux élections législatives de 2024. Cela est dû à plusieurs facteurs. Le Président de la République a en effet choisi de former des alliances en dehors de la liste Nouveau Front populaire, allant chercher des députés issus de la droite et du centre. De plus, la fragmentation du NFP a contribué à limiter son influence, ses députés étant souvent opposés sur bien des points. Ceux-ci siègent d’ailleurs au sein de trois groupes distincts. Au moment de l’écriture de la présente dissertation, l’alliance NFP est interrompue suite au choix du Parti Socialiste (PS) de ne pas voter la censure du Gouvernement Bayrou. 

2 - Une instabilité gouvernementale accrue du fait de l’existence d’une majorité relative à l’Assemblée nationale 

L’instabilité gouvernementale est autant due au caractère relatif de la majorité qu’à la culture politique française, laissant peu de place au compromis et aux alliances. Contrairement à des régimes parlementaires comme l’Allemagne ou l’Espagne, où des gouvernements de coalition sont courants, la culture politique française ne favorise pas les alliances entre partis. Sous la Ve République, le fait majoritaire a favorisé une construction de la vie politique autour d’une majorité forte appliquant le programme pour lequel elle a été élue et une opposition souvent très défavorable au dit programme. Ce caractère antagoniste des formations politiques, favorisant les oppositions, conduit à une situation complexe en cas d’éclatement de l’Assemblée. Le gouvernement a ainsi tenté de se rapprocher des Républicains, mais ces derniers ont refusé toute participation formelle à la majorité, préférant négocier au cas par cas.

Dès 2022, faute de majorité, l’opposition a utilisé à de nombreuses reprises l’arme des motions de censure pour tenter de renverser le gouvernement. Bien que toutes aient échoué, entre 2022 et la dissolution de 2024, certaines ont obtenu un score élevé, traduisant une fragilité gouvernementale sans précédent. La motion de censure déposée contre Élisabeth Borne après le 49.3 sur la réforme des retraites n’a échoué qu’à 9 voix près. Après la dissolution de l’Assemblée nationale en 2024, une motion de censure a été votée avec succès contre le Gouvernement Barnier suite à l’engagement par celui-ci de sa responsabilité en vertu de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. 

Une telle instabilité a pour conséquence de freiner l’adoption des textes et de générer une instabilité grandissante. Toutefois, le Parlement retrouve également un rôle plus actif, car le Gouvernement doit négocier à chaque texte, faute de quoi celui-ci est contraint de faire usage d’outils de rationalisation du parlementarisme prévus par la Constitution. 

B - Le recours aux outils constitutionnels de rationalisation du parlementarisme comme moyen de contourner l'opposition en cas de majorité relative

Depuis 2022, la majorité relative a contraint l’exécutif à exploiter au maximum les mécanismes constitutionnels permettant de contourner l’Assemblée nationale et d’assurer l’adoption des lois malgré l’absence de majorité absolue. Le gouvernement ainsi pu faire largement usage de l’article 49.3 de la Constitution (1) ou encore préférer légiférer par ordonnance ou règlement plutôt que de passer par le vote au Parlement (2). 

1 - L’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution pour adopter une loi sans vote au Parlement 

L’article 49.3 de la Constitution est l’un des outils les plus puissants du gouvernement en période de majorité relative. Il permet au Premier ministre d’engager la responsabilité du gouvernement sur un texte de loi. Le texte est alors adopté sans vote, sauf si une motion de censure est votée par la majorité des députés. En raison des controverses liées à son utilisation, la mise en œuvre de l’article 49.3 a été limitée lors de la révision constitutionnelle de 2008. Depuis 2008, l’article ne peut être utilisé qu’une seule fois par session parlementaire sur les textes de lois ordinaires. Toutefois, aucune limite n’est fixée sur les lois de finance et les lois de financement de la sécurité sociale. 

Malgré ces limites, l’usage du 49.3 a atteint un niveau record depuis 2022 en raison de la présence d’une majorité relative à l’Assemblée nationale. Élisabeth Borne a utilisé le 49.3 à 28 reprises en moins de deux ans, ce qui égale le précédent record, détenu par le Gouvernement Rocard de 1988 à 1991, exerçant également avec une majorité relative. L’article est ainsi particulièrement fondamental en l’absence de majorité absolue. Le gouvernement Borne a notamment fait usage du 49.3 sur les lois de finance 2023 et 2024, sur la loi sur la réforme des retraites et sur la loi sur l’immigration. L’article 49.3 présente ainsi l’avantage d’éviter l’obstruction parlementaire et d’assurer la continuité du gouvernement malgré l’absence de majorité. 

Toutefois, l’utilisation de cet article est souvent très médiatisée et son usage répété alimente des tensions politiques, l’opposition dénonçant un passage en force antidémocratique. Son utilisation particulièrement forte témoigne de l’incapacité du gouvernement à faire voter ses textes de manière classique et par conséquent à trouver du soutien en dehors de son camps sur les textes soumis au vote à l’Assemblée. De plus, le corollaire du 49.3 est la possibilité pour l’opposition de déposer une motion de censure contre le Gouvernement. Ce dépôt atteint ainsi des records depuis 2022. Plus de 30 motions de censure ont été déposées contre le gouvernement d’Elisabeth Borne, un niveau qu’aucun gouvernement n’a atteint depuis le début de la Ve République. Suite à l’usage par le Gouvernement Barnier de l’article 49.3 de la Constitution pour la Loi de finance 2025, le Gouvernement est censuré et celui-ci doit déposer sa démission. Il s’agit de la première fois depuis 1962 qu’une motion de censure est votée contre un gouvernement. Tous ces éléments sont des révélateurs forts de la fragilité de la majorité relative à l’Assemblée depuis 2022 et des réserves de la classe politique vis à vis de l’utilisation de cet article. Outre l’article 49.3 de la Constitution, le Gouvernement peut également légiférer par voie d’ordonnance ou encore adopter des règlement dans le cadre de son domaine de compétence. 

2 - L’utilisation des ordonnances et du domaine du règlement comme moyen d’éviter de soumettre des textes au vote au Parlement 

Deux moyens permettent au Gouvernement d’adopter des textes sans passer par le Parlement : les ordonnances et les règlements. Il convient de noter à ce sujet que le domaine de la loi et le domaine du règlement sont délimités par les articles 34 et 37 de la Constitution. Le domaine de la loi est limitativement défini par l’article 34 de la Constitution. Celui-ci concerne un large nombre de domaines mais ne peut sortir des aspects listés par cet article. Le domaine du règlement, fixé par l’article 37 de la Constitution, concerne tout ce qui ne relève pas du domaine de la loi. Celui-ci est ainsi bien plus large puisqu’il ne connait pas de limite réelle, tant qu’il n’empiète pas sur le domaine de la loi. Le Gouvernement peut ainsi tenter d’adopter au maximum des règlements dans son domaine de compétence pour légiférer sans avoir à soumettre de textes au vote au Parlement. 

En outre, en vertu de l’article 38 de la Constitution, « le Gouvernement peut […] demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances […] des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Depuis 2022, face aux risques de blocage parlementaire, le gouvernement a favorisé l’utilisation des ordonnances, notamment dans les domaines économiques et sociaux. Par exemple, plusieurs mesures de simplification administrative ou de réforme du marché du travail ont été prises par ordonnance, contournant ainsi l’Assemblée nationale. Les ordonnances permettent ainsi de maintenir un rythme législatif efficace en période d’instabilité parlementaire, mais elles réduisent le rôle du Parlement, ce qui nuit au principe du débat démocratique.

Cette crise institutionnelle, outre les limites apportées à la liberté d’action du Gouvernement, a aussi eu un impact profond sur la nature du régime politique français, qui semble s’éloigner du présidentialisme majoritaire pour évoluer vers une forme de parlementarisme contraint, où le Président doit composer avec une opposition plus forte, sans que les institutions ni la culture politique française soit construites de manière à le permettre.

II - La majorité relative, une situation de rééquilibrage institutionnel vers un parlementarisme contraint inédit sous la Ve République

La Ve République repose traditionnellement sur le fait majoritaire, c’est-à-dire une majorité absolue à l’Assemblée nationale permettant au Président d’appliquer son programme sans blocage. L’absence de majorité absolue entre 2022 et 2024 a profondément transformé cette dynamique, entraînant une répartition du pouvoir plus équilibrée entre l’exécutif et le législatif, avec notamment un Président exerçant un rôle plus en retrait (A). Le Parlement, longtemps perçu comme subordonné au Président et à son gouvernement, a également retrouvé un rôle plus actif dans le processus législatif (B).

A - Un Président contraint au retour à un rôle d'arbitre en période de majorité relative

L'absence de majorité absolue a considérablement restreint la marge de manœuvre du Président de la République, dont l'autorité repose habituellement sur une majorité stable (1). La dissolution de l’Assemblée nationale fut d’ailleurs pour Emmanuel Macron une ultime, et vaine, tentative de sortir de cette situation peu encadrée sous la Ve République (2). 

1 - Le nécessaire affaiblissement du Président face au Parlement en l’absence de majorité stable

En temps normal, le Président impulse les grandes orientations politiques et laisse au Premier ministre le soin d’exécuter son programme. Le Président de la République est toutefois véritablement celui qui dicte son action au Premier ministre et au Gouvernement. Avec une majorité relative, Emmanuel Macron a dû adopter dès 2022 une posture plus prudente, laissant davantage d’autonomie aux Premiers ministres Élisabeth Borne (2022-2024) puis Gabriel Attal (2024). Contrairement à l’exercice observé de son pouvoir lors de son premier mandat, Emmanuel Macron n’a plus pu imposer son agenda aussi facilement, étant obligé d’intervenir directement dans les négociations parlementaires pour éviter des blocages. 

Initialement, la Ve République est construite pour être un régime parlementaire. Le rôle prévu pour le Président y est plutôt en retrait et est perçu comme celui d’un arbitre au-dessus des institutions. L’action serait alors confiée au Gouvernement qui l’exercerait en relation avec le Parlement. Le Président serait un arbitre des institutions et exercerait principalement un rôle dans son « domaine réservé », notamment en matière de politique étrangère et de défense. En période de cohabitation, s’observe un retour à un régime parlementaire plus proche de la lettre de la Constitution. Le Gouvernement est en effet d’un bord politique opposé à celui du Président, qui ne peut dès lors lui dicter son action de la même manière qu’il le ferait en période majoritaire. 

En période de majorité relative toutefois, le rôle du Président est moins clair. Le Gouvernement est issu de son bord politique, ainsi que du bord politique de groupes alliés. Toutefois, celui-ci ne peut compter sur une majorité stable, affaiblissant nécessairement la position de l’exécutif. Le Président est dès lors plus en retrait et contraint à la négociation. Un bon exemple de cela est celui de la réforme des retraites. Initialement, Emmanuel Macron souhaitait faire adopter la réforme des retraites par un vote clair à l’Assemblée. Face aux incertitudes et au risque de rejet, le gouvernement a été contraint d’utiliser l’article 49.3, ce qui a renforcé l’image d’un pouvoir en difficulté, et le Président a dû défendre personnellement la réforme dans les médias, un rôle inhabituel qui traduit son affaiblissement institutionnel. La dissolution de l’Assemblée nationale est une ultime tentative par le Président de clarifier cette situation trouble. 

2 - La dissolution de l’Assemblée nationale comme ultime recours pour clarifier une situation institutionnellement trouble en 2024

La dissolution de l’Assemblée nationale est une prérogative présidentielle permettant de convoquer de nouvelles élections législatives. Elle est prévue à l’article 12 de la Constitution. Le Président exerce ce pouvoir de manière exclusive et discrétionnaire. Ce pouvoir est rarement utilisé sous la Ve République. La dissolution n’a été déclenchée que cinq fois, en 1962, 1968, 1981, 1988 et 1997. Il s’agit d’une des armes les plus puissantes du Président pour rationaliser le Parlement et une prérogative construite de manière à permettre de résoudre une crise institutionnelle en convoquant de nouvelles élections. 

En 2024, face à une paralysie institutionnelle et à la montée des tensions entre le Gouvernement et le Parlement à l’approche du vote de la Loi de finance, le Président a choisi de provoquer de nouvelles élections. L’objectif était de clarifier le composition du Parlement. Le Président espérait provoquer l’élection d’une majorité stable à son profit et comptait mettre les oppositions face à leurs responsabilités, notamment Les Républicains et le Rassemblement national, en leur demandant de clarifier leur position politique. À défaut de majorité, le président aurait pu se retrouver en situation de cohabitation, ce qui n’est souvent pas une situation entièrement défavorable au Président. Si celui-ci voit ses prérogatives être réduites en période de cohabitation, il est en effet à noter que chaque fois qu’un président de la République s’est représenté suite à une période de cohabitation, celui-ci a été élu. 

Toutefois, en l’espèce la dissolution a conduit à une situation plus troublée encore. La majorité du président est plus relative encore, le nombre de sièges manquants bien plus important et le Parlement plus éclaté. Les élections législatives ont même fait arriver la liste du président en deuxième position après celle du NFP. Aucun groupe ou coalition ne dispose de la majorité et ne peut gouverner seul. Le Président a alors dû composer des alliances sans véritable majorité en comptant sur le bon vouloir des oppositions pour ne pas renverser son Gouvernement. Cela a eu pour effet de replacer l’Assemblée au cœur de l’échiquier politique. 

B - Une revalorisation du rôle du Parlement et un retour aux logiques de coalition en période de majorité relative

La majorité relative a obligé le gouvernement à prendre en compte le Parlement d’une manière inédite sous la Ve République, notamment en recherchant des compromis pour faire adopter ses lois (1), laissant penser à une évolution vers une forme de régime parlementaire (2).

1 - L’influence croissante du Parlement en période de majorité relative

En l’absence de majorité stable, le Président perd une part de son influence sur le Parlement. Son groupe peut perdre en discipline parlementaire, chaque voix comptant davantage au sein des rangs du Président et l’opposition prend un rôle de pivot qu’elle ne possède pas en période majoritaire. La majorité relative a ainsi permis aux députés de jouer un rôle plus actif dans le débat législatif, en imposant des amendements substantiels aux textes gouvernementaux. Le Parlement a également renforcé son contrôle du gouvernement via des motions de censure et des commissions d’enquête plus nombreuses.

Un exemple de cela est le vote de la loi immigration. Cette réforme a dû être profondément modifiée sous la pression des Républicains, du RN et d’une partie de la gauche. Certains articles du texte final allaient à l’encontre des orientations initiales du gouvernement, montrant un affaiblissement du pouvoir exécutif face au législatif. Le processus législatif se rapproche en cela de celui d’un régime parlementaire classique. Le renforcement des pouvoirs du Parlement présente de plus des vertus démocratiques. Toutefois, cela ne va pas sans poser des problèmes institutionnels. Le processus législatif est plus long et conflictuel, rendant chaque vote incertain. Un bon exemple de cela est la motion de censure votée contre le gouvernement Barnier. S’il est bon d’un point de vue démocratique que le Parlement puisse exercer pleinement ses prérogatives, le renversement d’un gouvernement au moment du vote du budget ne va pas sans poser son lot de problèmes. L’absence de vote du budget est très couteuse et ne permet pas d’adapter la loi à l’inflation et aux nouvelles données économiques, cela pouvant impacter fortement les ménages. Le ministère des comptes publics a ainsi estimé le coût de la motion de censure votée contre le gouvernement à 12 milliards d’euros. La charge revient ainsi au Gouvernement de tenter au mieux de trouver un terrain d’entente avec l’opposition au Parlement, à la manière d’un régime parlementaire. 

2 - Une évolution contrainte vers une forme de régime parlementaire 

La forme initiale de la Ve République est celle d’un régime parlementaire dans lequel le Gouvernement est responsable devant le Parlement et l’exécutif, par la voie du Président a le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale. Ce régime, sous l’influence du Général de Gaulle, a toutefois dérivé vers un régime présidentialiste d’un genre nouveau dans lequel le président concentre la grande majorité des pouvoirs et le Parlement est considérablement rationalisé. Toutefois, ce fonctionnement des institutions, valable en période majoritaire, s’étiole en période de majorité relative. Contrairement à la pratique habituelle de la Ve République, qui privilégie un exécutif fort, l’absence de majorité stable depuis 2022 a conduit à une logique de négociations permanentes entre le gouvernement et l’Assemblée. Cette situation rappelle en cela les régimes parlementaires d’Europe, où les gouvernements doivent former des coalitions pour gouverner. Tel est le cas à titre d’exemple de l’Allemagne, de la Belgique ou encore de l’Italie. 

Toutefois, si une telle situation n’est pas préjudiciable, notamment d’un point de vue démocratique, les institutions de la Ve République et la culture politique française actuelle ne sont pas du tout construites pour un tel fonctionnement institutionnel. Le seul mode de scrutin est par exemple un frein à ce type de compromis au Parlement. Le scrutin majoritaire à deux tours empêche la formation de coalitions électorales avant les législatives, ce qui explique l’éclatement du Parlement en blocs antagonistes. Les élections ont cours avec l’idée qu’il en ressortira un gagnant majoritaire et des perdants. Or, le Parlement se retrouve constitué avec un résultat typique d’un scrutin proportionnel, alors même qu’il résulte d’un scrutin, majoritaire. Certains observateurs proposent ainsi d’introduire une dose de proportionnelle, voire une proportionnelle intégrale, afin de favoriser des alliances et limiter les blocages en période de majorité relative. Cela éviterait à tout le moins une proportionnelle de facto, à laquelle aucune formation politique n’est préparée. 

En conséquence, si l’Assemblée nationale devient un véritable contre-pouvoir, imposant des concessions au gouvernement, la culture politique française reste peu favorable aux compromis, rendant cette nouvelle dynamique fragile. De plus, ce retour du Parlement ne permet pas de considérer l’émergence d’un véritable régime parlementaire. Au contraire, l’exécutif a tenté de maintenir sa domination en usant d’outils constitutionnels contraignants. Cette période s’apparente donc à une forme de parlementarisme contraint, où l’exécutif reste puissant mais doit composer avec une opposition fragmentée et une Assemblée nationale plus influente.