Introduction
« La responsabilité politique du Gouvernement est apparue en Grande-Bretagne à la fin du XVIIIe siècle. Elle est née alors de la transformation d’une procédure pratiquée depuis le XIVe siècle (1376) : l’impeachment » (Ph. ARDAN et B. MATHIEU, Droit constitutionnel et institutions politiques, 27e Ed., LGDJ, 2015, p. 216). Par la suite, la responsabilité politique du gouvernement est également apparue en France. Sous les IIIème et IVème Républiques, les mécanismes de responsabilité politique - accentués par la toute-puissance du Parlement - sont à l’origine d’une instabilité gouvernementale persistante. En effet, à de très nombreuses reprises, les chambres du Parlement ont pu décider de la chute de cabinets qui ne gouvernaient parfois que quelques jours ou semaines.
Bien que la Vème République conserve un caractère pleinement parlementaire, le souhait des constituants de la rationnaliser davantage a permis d’éviter cette instabilité (V. Michel DEBRÉ, Discours au Conseil d’État, août 1958). Pour autant, l’article 20 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit que le gouvernement « est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50 ». Il s’agit là de l’identité même d’un régime parlementaire. Si le régime moniste a durant longtemps permis que la responsabilité du gouvernement soit engagée uniquement devant le Parlement, il faut préciser que sous le régime actuel une nouvelle tendance dualiste a pu émerger. En effet, le gouvernement est dans le même temps responsable devant le Chef de l’État qui a d’ailleurs nommé son Premier ministre et validé sa composition. La Constitution prévoit également que les membres du Gouvernement sont responsables devant la Cour de justice de la République (CJR) pour ce qui est des crimes ou délits accomplis dans l’exercice de leurs fonctions (art. 68-1 et s.). Il s’agit là d’une responsabilité pénale des membres du gouvernement qui ne sera donc pas traitée dans cette étude.
Mais dans quelle mesure la responsabilité politique du gouvernement est-elle mise en œuvre par l’Assemblée nationale sous la Ve République ?
La Constitution du 4 octobre 1958 prévoit l’usage de mécanismes classiques (I), tout en mettant en œuvre une responsabilité gouvernementale tout à fait singulière (II).
I - Les mécanismes classiques d’engagement de la responsabilité du gouvernement
La Constitution du 4 octobre 1958 prévoit que l’Assemblée peut recourir à des mécanismes traditionnels pour engager la responsabilité du gouvernement : on retrouve notamment la question de confiance (A) et la motion de censure (B).
A - La question de confiance
La mise en œuvre de la responsabilité du gouvernement dans le cadre de la question de confiance est possible selon une procédure prévue à l’article 49 alinéa 1er de la Constitution (1). Il faut également s’intéresser à la pratique constitutionnelle en la matière pour en comprendre la substance (2).
1 - La procédure de l’article 49 alinéa 1er
L’alinéa 1er de l’article 49 de notre Constitution prévoit que : « Le Premier ministre, après délibération du conseil des ministres, engage devant l'Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale ». C’est ce qu’on appelle plus couramment la « question de confiance ». En effet, après le Conseil des ministres, le Chef du gouvernement fait une déclaration sur son programme ou la politique générale qu’il souhaite conduire pour le pays et mettre en œuvre sous son autorité. Après le discours du Premier ministre, un membre de chaque groupe politique de l’Assemblée va réagir et faire également une déclaration à la tribune. Très classiquement, les groupes « majoritaires » vont soutenir le gouvernement et les groupes d’opposition vont faire part de leurs désaccords plus ou moins irréconciliables. La procédure est précisée dans le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Le vote a lieu ensuite en scrutin public et à la majorité absolue des suffrages exprimés.
Cet engagement peut se faire après la nomination d’un nouveau gouvernement, mais également à des moments-clés du mandat parlementaire. Dans la pratique, elle s’avère facultative et elle est devenue relativement désuète.
2 - La pratique de la question de confiance sous la Ve République
Sous la IVe République (en 1947), le Président du Conseil, M. Paul RAMADIER, va accepter la pratique de la « double-investiture ». En effet, l’Assemblée se prononce ainsi tant sur le Chef du gouvernement que sur l’ensemble de ses membres. Sous la Ve République (en tout cas depuis 1962), la nomination du Premier ministre par le Président de la République lui donne une certaine légitimité puisque le Président est élu au suffrage universel direct. Ainsi, l’investiture à travers la question de confiance n’apparaît plus que facultative. Dans les années 1980, plusieurs gouvernements font donc le choix de ne pas participer à cette procédure laissée à leur libre initiative.
Au contraire, depuis 1993, l’ensemble des Premiers ministres ont effectué un discours en demandant la confiance des députés. En 2017, le Premier Ministre Édouard PHILIPPE a d’ailleurs sollicité cette confiance quelques jours après la nomination de son gouvernement.
L’Assemblée nationale dispose également d’un autre moyen traditionnel pour engager la responsabilité du gouvernement : la motion de censure.
B - La mise en œuvre de la motion de censure
La motion de censure est ainsi prévue à l’article 49 alinéa 2 de la Constitution de la Ve République (1), mais sa mise en œuvre reste particulièrement difficile (2).
1 - La procédure prévue à l’article 49 alinéa 2
La motion de censure apparaît comme un outil classique de mise en œuvre de la responsabilité du gouvernement dans un régime parlementaire. À ce titre, l’alinéa 2 de l’article 49 prévoit notamment que : « Une telle motion n'est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l'Assemblée nationale. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu'à la majorité des membres composant l’Assemblée ».
En effet, une soixantaine de députés doivent signer une motion de censure pour tenter de faire chuter le gouvernement et la déposer auprès du bureau du Président de la Chambre basse. Quelques jours après le dépôt de cette motion par les parlementaires, le gouvernement y répond lors d’une déclaration après qu’un premier orateur parmi les députés à l’origine de la motion ait pris la parole devant l’Assemblée. Là encore, chaque groupe politique est amené à réagir en séance publique. Seuls les députés favorables à la motion de censure sont recensés lors d’un vote. La majorité absolue des membres de l’Assemblée doit être atteinte pour acter la démission du gouvernement dans son ensemble.
Cependant, la mise en œuvre d’une motion de censure apparaît de plus en plus difficile et ce pour de nombreuses raisons.
2 - Une difficile mise en œuvre
Depuis le début de la Ve République, une seule motion de censure a été adoptée avec succès en 1962. En effet, les députés (avec une faible majorité gaulliste face à des groupes politiques très éparses mais qui rassemblés constituaient plus de 50% des élus de l’Assemblée nationale) avaient réussi à renverser le gouvernement de Georges Pompidou (http://www.leparisien.fr/politique/pompidou-renverse-en-1962-la-seule-motion-de-censure-qui-a-fait-mouche-27-07-2018-7835811.php).
Depuis le début des années 2000, la concordance des majorités présidentielle et parlementaire n’a pas facilité le succès des motions de censure. En effet, après l’élection présidentielle, la majorité à l’Assemblée nationale apparaît très large et soutient généralement la président. Les députés favorables à la politique d’Emmanuel MACRON et du gouvernement d’Édouard PHILIPPE sont ainsi plus de 300 sur 577 à l’heure actuelle. Les chances de voir une motion de censure aboutir sont alors très faibles. La dernière motion en date a échoué, en pleine crise des « gilets jaunes », avec seulement 70 députés favorables sur les 289 voix nécessaires.
Mais au-delà de ces moyens traditionnels – qui tendent à devenir désuets – l’engagement de la responsabilité gouvernementale apparaît plus singulière sous la Ve République.
II - La singularité de la responsabilité gouvernementale sous la Ve République
Au-delà des mécanismes traditionnels, la responsabilité politique gouvernementale sous la Ve République apparaît relativement singulière. Pour cause, les prérogatives parlementaires particulièrement réduites par la force de l’exécutif et la volonté de rationaliser la parlementarisme (A) et la présence de nombreux autres outils particulièrement utiles aux parlementaires (B).
A - Des prérogatives réduites par la volonté de rationaliser le parlementarisme
Les prérogatives des parlementaires apparaissent réduites notamment en raison de la menace d’une dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la République (1), mais aussi à cause de l’encadrement constitutionnel particulièrement large de certains outils classiquement utilisés (2).
1 - Un contre-pouvoir pour l’exécutif : la dissolution de l’Assemblée nationale
L’article 12 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit que : « Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents des Assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale ». Cet outil à la disposition du président est la marque des contrepouvoirs qui existent pour chaque acteur dans tout régime parlementaire. Le Président de la République peut ainsi agiter la menace d’une dissolution pour tenter de dissuader les membres de l’Assemblée nationale de voter une motion de censure ou de ne pas accorder la confiance au gouvernement conduit par le Premier Ministre qu’il a lui-même nommé. De même, la dissolution peut apparaître comme une réaction, une sanction à l’encontre des parlementaires à la suite d’un vote qui serait défavorable au gouvernement.
En 1962, c’est d’ailleurs ce qu’a fait le général de Gaulle en prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale après la chute du gouvernement Pompidou sous le coup d’une motion de censure. Une victoire pour le Président de la République qui remporta ensuite une large majorité lors des élections législatives qui ont suivi. Au-delà de cette menace, les constituants ont prévu certains freins à la mise en œuvre de la responsabilité du gouvernement.
2 - L’existence de « freins » constitutionnels à la mise en œuvre des mécanismes de responsabilité
Dans leur volonté de rationaliser le parlementarisme et d’éviter de renouer avec l’instabilité bien connue des régimes précédents, les constituants ont mis en œuvre un certain nombre de dispositions pour freiner les possibilités d’engagement de la responsabilité du gouvernement (au-delà même des difficultés de mise en œuvre qui apparaissent dans la pratique et que nous avons déjà traité).
Ainsi, pour ce qui est de la motion de censure, dans la plupart des configurations, l’article 49 alinéa 2 de la Constitution prévoit notamment qu’un « député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours d'une même session ordinaire et de plus d'une au cours d'une même session extraordinaire ». Cela permet d’éviter la multiplication des motions de censure au sein de l’opposition parlementaire. Pour ce qui est de la question de confiance, le Conseil constitutionnel a confirmé pleinement son caractère facultatif (dans la décision ° 76-72 DC). L’utilisation de ces mécanismes apparaît ainsi plus délicate que sous les IIIe et IVe Républiques. Heureusement, les parlementaires bénéficient de quelques autres outils intéressants.
B - La présence de nouveaux outils utiles à l’Assemblée nationale
D’autres outils permettent un engagement de la responsabilité du gouvernement, à travers notamment des mécanismes mis en œuvre à l’initiative même de l’exécutif (1), mais aussi dans le cadre de larges pouvoirs de contrôle (2).
1 - Des mécanismes de responsabilité à l’initiative de l’exécutif
Le célèbre article 49 alinéa 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit que : « Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l'alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session ».
À travers ce procédé, le gouvernement accélère l’adoption d’un texte qu’il considère comme particulièrement important et qui risque pourtant parfois de ne pas faire consensus y compris au sein de la majorité. Le Parlement peut ainsi mettre en échec le gouvernement, mais la majorité parlementaire n’osera pas le faire dans la plupart des cas. De nombreux gouvernements ont eu recours à l’article 49 alinéa 3, notamment Manuel Valls pour faire adopter des textes sur différents sujets notamment économiques. Le recours à ce mécanisme reste cependant limité et largement critiqué (v. « Réforme des retraites : l'utilisation du 49-3 serait "du délire" juge Laurent Berger », L’Express, 14 février 2020). Il permet toutefois aux parlementaires de sanctionner un gouvernement qui voudrait passer en force.
2 - De larges pouvoirs de contrôle
Au-delà d’un engagement direct de la responsabilité du gouvernement par l’Assemblée nationale, le Parlement dispose également de puissants moyens d’investigation, d’enquête, de contrôle sur le gouvernement. Les députés peuvent souvent mettre en œuvre les mécanismes de responsabilité à l’appui de ces éléments. Il est d’ailleurs à noter que l’article 23 de la Constitution prévoit une incompatibilité entre la qualité de parlementaire et celle de membre du gouvernement, contrairement au régime britannique par exemple.
Les députés peuvent ainsi contrôler l’action du gouvernement notamment à travers les questions écrites (publication dans le Journal Officiel des questions des députés et des réponses du gouvernement), les séances de questions au gouvernement (retransmises sur le net et à la télévision) etc… Des commissions d’enquête parlementaire (art. 51-2 de la Constitution : « Pour l'exercice des missions de contrôle et d'évaluation définies au premier alinéa de l'article 24, des commissions d'enquête peuvent être créées au sein de chaque assemblée pour recueillir, dans les conditions prévues par la loi, des éléments d'information. La loi détermine leurs règles d'organisation et de fonctionnement. Leurs conditions de création sont fixées par le règlement de chaque assemblée ») peuvent également être mises en œuvre pour enquêter sur telle ou telle problématiques. Quelques exemples récents : l’affaire Benalla, la question du terrorisme et des services de renseignements, les plans sociaux d’Alstom etc. Aussi, l’article 50-1 de la Constitution prévoit que : « Devant l'une ou l'autre des assemblées, le Gouvernement peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un groupe parlementaire au sens de l'article 51-1, faire, sur un sujet déterminé, une déclaration qui donne lieu à débat et peut, s'il le décide, faire l'objet d'un vote sans engager sa responsabilité ».
Évidemment, dans ces différentes hypothèses, la responsabilité du gouvernement n’est pas directement engagée, mais cela peut considérablement fragiliser l’exécutif. Ces outils sont aussi la marque du caractère parlementaire conservé dans le fonctionnement de la Ve République.
