Introduction
La Cinquième République suscite depuis ses origines de nombreux débats relatifs à la nature du régime. Présidentiel ? Parlementaire dualiste ? Ou moniste ? Consulaire ? Mi-parlementaire mi-présidentiel ? Les qualificatifs prolifèrent à foison selon les spécialistes et bien malin celui pouvant apporter une réponse claire et définitive, tant ce système institutionnel s’avère à la fois riche et complexe.
Qualifier le régime en le classifiant signifie, pour l’essentiel, opérer le traçage d’une ligne de répartition des compétences marquant la détention du pouvoir. C’est tout l’enjeu des lignes suivantes : qui détient véritablement le pouvoir ?
La Cinquième République, à la suite de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, demeure une république dont les fondements sont en majorité parlementaires (I) ainsi que les origines du régime comme les principes qui le sous-tendent le démontrent. Néanmoins, l’empreinte présidentielle est bien réelle (II) tant par la somme des prérogatives confiées au président de la République que par le renouveau de la fonction opéré depuis une vingtaine d’années.
I - Une république aux fondements parlementaires
La Cinquième République a été conçue, à l’origine, comme une république parlementaire (A). Cette orientation ressort, également, des principes qui la sous-tendent (B).
A - Une république conçue à ses origines comme parlementaire
Le 13 mai 1958, journée des barricades, la tension à Alger atteint son maximum et le régime ne parvient pas à faire face aux événements. Dès lors, la Quatrième République se voit condamnée en tant que telle aux yeux des français. Seul un pouvoir mieux armé pourrait saisir à bras le corps l’ensemble du problème algérien. Le Général de Gaulle, de retour au pouvoir, fait savoir que la question des institutions n’est pas pour rien dans l’incapacité de la République à régler cet épineux problème. Il fait donc massivement adopter par référendum la Constitution de la Cinquième République, le 28 septembre 1958, laquelle est promulguée le 4 octobre suivant. Le nouveau régime installé, l’analyse ne résiste pas à l’identification de la nature profonde de celui-ci et, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle a de quoi en surprendre plus d’un. Car, en effet, si d’aucuns seraient tentés de parler à tort de régime présidentiel, l’exégèse des textes démontre combien les constituants ont inscrit leurs pas et ont fait leurs les conceptions parlementaires.
En premier lieu, la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 pose comme un des cinq principes de base que devront respecter les constituants, celui de la responsabilité du gouvernement devant le Parlement, un des traits caractéristiques du régime parlementaire donc. Au-delà de la volonté de restauration de l’Etat et du renforcement des organes exécutifs, le nouveau régime accepte la filiation parlementaire et l’héritage de la Quatrième République, au moyen de la double référence dans le Préambule à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 et du Préambule de 1946.
La voie parlementaire est bien celle envisagée et les propos de Michel Debré, en charge de la rédaction du projet, devant l’Assemblée générale du Conseil d’Etat le 27 août 1958, ne laissent guère planer le doute : « Pas de régime conventionnel, pas de régime présidentiel, la voie devant nous est étroite, c’est celle du régime parlementaire ». Il faut cependant admettre qu’il y a bien un biais tant semble évidente la contradiction entre l’adoption d’un régime parlementaire et le rôle prépondérant qu’entendaient faire jouer au président de la République les rédacteurs du projet constitutionnel.
Le système initial ne prévoyait que l’élection au suffrage universel direct et au scrutin majoritaire de l’Assemblée nationale, le président de la République étant élu par un collège de notables. On ne saurait oublier de mentionner la possibilité de dissolution de la Chambre par le Chef de l’Etat, procédé classique en régime parlementaire.
Enfin, la lettre du texte est on ne peut plus claire. Il revient à la majorité parlementaire à l’Assemblée nationale et, éventuellement, contre le Sénat, de voter les lois et le budget. Le gouvernement, aux termes des articles 20 et 21 de la Constitution, « détermine et conduit la politique de la nation » et le Premier ministre « dirige l‘action du gouvernement ». Malgré le souhait de faire de lui un acteur essentiel à la vie du régime, le président de la République ne dispose, d’après la Constitution, que de peu de pouvoirs. Les principes adoptés en vertu de l’adhésion au régime parlementaire assurent cette filiation.
B - L’orientation parlementaire, soubassement du régime
Pour que le président de la République puisse utiliser l’ensemble de ses compétences, il a d’abord et avant tout besoin du soutien d’une majorité parlementaire. Que ce soutien vienne à lui manquer et le voilà réduit au « ministère de la parole ». Il suffit d’une divergence entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire, à l’occasion d’élections législatives, pour que le président s’efface devant la majorité parlementaire et le Premier ministre issue de celle-ci. Dans un tel contexte, le Premier ministre s’impose comme la figure principale du régime. Il assoit son autorité sur l’ensemble du gouvernement et de l’Administration. Il détermine la politique gouvernementale et nomme aux principaux emplois publics. Il jouit du pouvoir réglementaire et assure l’exécution des lois. Il veille à la préparation et à l’adoption des projets de loi ainsi qu’à la préparation et à l’exécution du budget. Il détermine l’action du gouvernement dans l’ensemble des domaines économique, financier, social … C’est donc en période de cohabitation que l’orientation parlementaire du régime prend toute sa dimension. Les exemples des périodes allant de 1986 à 1988, 1993 à 1995 et 1997 à 2002 en sont une claire démonstration.
Au-delà de la pratique, ce sont les principes directeurs de la Cinquième République, ainsi que l’ont décidé les rédacteurs du texte constitutionnel, qui lui confèrent une nature profondément parlementaire. La règle fondamentale de la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale, posée à l’article 49 de la Constitution, confirme l’inspiration parlementaire. La dimension collégiale et solidaire du gouvernement, les règles visant à la collaboration étroite et permanente entre les assemblées parlementaires et le gouvernement, la soumission du président de la République à l’obligation de contreseing pour nombre de ses décisions et la possibilité pour celui-ci de procéder à la dissolution de l’Assemblée nationale, rattachent nécessairement le régime de la Cinquième République aux principes directeurs propres au parlementarisme.
Cette orientation profonde ne saurait être démentie malgré des atténuations et des emprunts à d’autres types de régimes. Pour être marquée au sceau du parlementarisme, la Cinquième République n’en demeure pas moins un régime de type particulier et original. En effet, sans nier les origines proprement parlementaires du système institutionnel, d’autres traits apparaissent, depuis ses origines jusqu’à aujourd’hui, qui opèrent des emprunts au régime présidentiel et en font, en réalité, un régime mixte.
II - Une empreinte présidentielle propice à un régime mixte
La Cinquième République ne puise pas ses origines seulement aux sources parlementaires. Les prérogatives qui lui sont reconnues font du président de la République la « clé de voûte » du système et contribuent à lui donner une coloration présidentielle (A), à laquelle on ne peut, néanmoins, se limiter puisqu’il convient d’identifier, somme toute, une nature mixte à ce régime (B).
A - La marque présidentielle
En période de concordance des majorités présidentielle et parlementaire, le Chef de l’Etat jouit de la plénitude des fonctions. Le texte constitutionnel est là pour le rappeler au même titre que l’évolution du régime. Celle-ci intervient d’ailleurs très tôt. La révision constitutionnelle de 1962 qui a permis l’élection au suffrage universel direct du président de la République, lui donnant une légitimité et une autorité d’autant plus forte, n’a pas peu contribué à modifier l’équilibre du régime. En effet, elle introduit une concurrence des légitimités entre les députés, élus de la nation, et le président de la République, premier magistrat du pays, premier des élus de la nation. Symboliquement, le président est le chef de l’Etat et incarne la nation rassemblée, ce qui lui confère une influence morale de premier choix.
Dès les débuts du régime, les prérogatives relevant du président ont participé à brouiller les cartes. Il importe, peut-être, de se fier davantage à l’esprit qu’à la lettre de la Constitution puisque, comme le rappelait le Général de Gaulle dans sa célèbre conférence de presse du 31 janvier 1964, une Constitution, c’est « un esprit, des institutions, une pratique ». Il n’est pas permis de douter que selon les conceptions gaulliennes, le Général entendait imprimer une marque présidentielle au régime, à tout le moins d’orientation présidentielle. Quant à la pratique, les faits parlent pour lui. Le Général n’a jamais été un chef d’Etat effacé et discret. Il a souhaité orienter clairement la politique du pays dans le sens par lui déterminé. Le Premier ministre, procédant du Chef de l’Etat, lui doit son existence politique et se doit par conséquent de mettre en musique la politique voulue par celui-ci. De ce fait, le Premier ministre est aussi responsable devant le président malgré l’absence d’une telle mention dans le corps de la Constitution. Ainsi s’opère un partage vertical des compétences entre eux où le président intervient en premier et au plus haut niveau et le Premier ministre, en second et de manière subordonnée. Les attributions constitutionnelles du président de la République contribuent à en faire le pivot du système. Chargé, selon l’article 5 de la Constitution, de veiller au respect de la Constitution, d’assurer par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat, il est aussi le garant de l’intégrité du territoire, de l’indépendance nationale et du respect des traités. Outre le droit de dissolution de l’article 8, il dispose de toute latitude quant au choix de son Premier ministre en période de concordance des majorités présidentielle et parlementaire ainsi que de la durée du maintien en fonction de celui-ci, tant il lui est subordonné. Il dispose du droit de message et d’adresse à l’endroit du Parlement, de celui d’organiser un référendum, de signer les traités et de saisir le Conseil constitutionnel. Il assure de manière plus nette encore sa domination dans les domaines de la politique étrangère et de la défense, domaines clairement présidentiels. Si le président fréquente les cimes de la haute politique grâce à ces deux domaines, il marque aussi de son empreinte la définition de la politique intérieure dont il délègue au Premier ministre la mise en pratique quotidienne. Le renouveau institutionnel installé depuis une vingtaine d’années a renforcé la présidentialisation du régime.
B - Un renouveau institutionnel, empreinte d’une présidentialisation d’un régime mixte
La loi constitutionnelle du 2 octobre 2000, adoptée par référendum, pose le principe d’un « quinquennat sec », faisant passer la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans, sans autre modification. La loi organique du 15 mai 2001 modifie le calendrier électoral et fait suivre l’élection présidentielle par les élections législatives. Le calendrier, remis en ordre, indique à nouveau quelle est l’élection première.
Le chef de l’Etat, une fois élu, doit certes obtenir une majorité favorable. Cependant, il est évident que les députés, nouvellement élus ou reconduits, lui devront leur élection tant l’effet d’entrainement est important. Il n’est pas interdit de penser que, sans contradiction, les citoyens enverraient à l’Assemblée nationale une majorité de couleur politique différente de celle de la majorité présidentielle. Pour autant, il y a une logique politique, proche d’une loi d’airain, qui laisse à l’état purement théorique une telle supposition. Le P.S a perdu les élections législatives de 2002 dans la foulée de l’échec de Lionel Jospin à l’élection présidentielle et l’échec aux élections législatives était à peu près assuré dès les résultats de l’élection présidentielle connus. L’U.M.P a gagné les élections législatives dans la continuité de la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007. Il en a été de même après les élections de François Hollande en 2012 et d’Emmanuel Macron en 2017. Le mouvement, la tendance sont tellement forts qu’il semble improbable qu’il en aille autrement.
Par ailleurs, la durée du mandat présidentiel a transformé la fonction et sa nature. Le président apparaît désormais en première ligne. Il ne peut plus guère se retrancher derrière le Premier ministre. Celui-ci, lorsqu’il est à bout de souffle tel Jean-Pierre Raffarin, ne sert plus d’écran-protecteur, de fusible. L’échec est imputé alors directement au président. Dominique de Villepin, dans ses fonctions et malgré sa pugnacité, n’a pas pu protéger le président Chirac des critiques. Il est vrai que la période tournait à la « fin de règne », le président Chirac effectuant un deuxième mandat, deuxième mandat dont les effets ravageurs sont connus dans l’opinion publique si demeure à l’esprit l’ambiance caractérisant la fin du deuxième septennat de François Mitterrand, atteint, par ailleurs, par la maladie.
S’il faut y ajouter la personnalité du titulaire de la fonction présidentielle, plus ou moins présent dans la gestion des affaires quotidiennes, la balance penche clairement dans le sens d’une domination présidentielle. Charles de Gaulle, Georges Pompidou - Jacques Chaban-Delmas en a fait les frais -, Valéry Giscard d’Estaing - la démission fracassante de Jacques Chirac de Matignon est là pour le rappeler - et François Mitterrand n’étaient pas connus pour demeurer inertes et la conception qu’ils se faisaient de leur fonction était profondément interventionniste et première.
Nicolas Sarkozy, par la révision constitutionnelle qu’il a souhaité et fait voter en Congrès à Versailles le 23 juillet 2008 pour redorer quelque peu le blason des assemblées, a néanmoins atténuer la dimension d’arbitre du président de la République et l’a propulsé, pour filer la métaphore sportive, dans la mêlée et non au-dessus, ainsi qu’il en était auparavant. Rien n’a été hélas tranché dans la rédaction des article 5 et 20 de la Constitution au sujet de la définition des rôles impartis au chef de l’Etat et au Premier ministre. C’est là que le bât blesse, tant il eût fallu opérer un choix tranché entre régime parlementaire ou présidentiel, choix qui n’a pas été opéré.
L’ambiguité demeure toujours de mise du fait de l’absorption de la fonction gouvernementale par le président de la République. Le chef de l’Etat apparaît désormais comme le véritable chef de la majorité parlementaire. Les réunions de ministres à l’Elysée s’enchaînent et la majorité parlementaire s’y voit régulièrement convoquée. Les conseillers de la présidence, intervenant plus que de raison dans les médias, justifient et défendent l’action voulue par le président, à tel point que la fonction de ministre semble considérablement dévaluée et consiste aujourd‘hui seulement en une fonction subalterne d‘exécution. Le Premier ministre serait même devenu un « collaborateur » du chef de l’Etat, selon l’expression retenue par Nicolas Sarkozy à l’époque. Bref, le malentendu initial n’a pas été levé. Pire, il a été renforcé. La présence importante du président dans les médias traduit ce sentiment de responsabilité première du locataire de l’Elysée au détriment de la fonction. Il ne s’agit plus là de prépondérance présidentielle mais de sur-responsabilité, à travers un présidentialisme dangereux pour les institutions elles-mêmes. Lors du débat présidentiel de 2012, François Hollande avait appelé à changer ces pratiques récentes dans la fameuse tyrade « Moi président de la République… ». Il notait notamment ne pas vouloir être le chef de la majorité, participer à des collectes pour son parti politique, nourrir la surmédiatisation de la Présidence ou encore considérer son Premier ministre comme un collaborateur. La pratique a démontré que toutes ces promesses n’ont pas été suivies d’effets. La présidence Macron apparaît plus incertaine quant à la place du Président : d’une large médiatisation au début du mandat, notamment lors de la crise des gilets jaunes, à une mise en avant importante et renouvellée du Premier ministre sur des dossiers comme la réforme des retraites. Ces éléments nouveaux ne s’inscrivent pas dans la conception originelle des institutions voulues par le Général de Gaulle.
Parlementaire, la Cinquième République l’est bien. Elle est aussi présidentielle selon les circonstances. Elle est même devenue présidentialiste, ce qui constitue un dévoiement des institutions. Néanmoins et au-delà des événements conjoncturels qui s’atténueront nécessairement pour revenir à une pratique plus orthodoxe du régime, la Cinquième République relève plutôt d’un régime mixte à fonctionnement alternatif. Ni purement parlementaire ni purement présidentielle, elle utilise, selon les moments, les deux registres. Ce régime révèle surtout la faible cohérence originelle des institutions mais souligne aussi la souplesse, la capacité d’adaptation de celles-ci et donc leur force. Il faudra bien, pourtant, dans le futur, en venir à trancher entre l’orientation parlementaire ou présidentielle et traduire ainsi une responsabilité réelle qui ne peut demeurer davantage à l’état virtuel.
