Quel impact des principes de subsidiarité et de proportionnalité sur l'exercice des compétences de l'Union européenne ? (dissertation)

Introduction

« Les notions de subsidiarité et de proportionnalité ne sont pas réellement dissociables. Elles sont différentes, mais sans qu'il y ait une frontière nette entre les deux. On voit que ces exigences procèdent d'un même esprit : l'action de l'Union doit se limiter à ce qui est nécessaire pour pallier des insuffisances ». Ces mots tirés du rapport du sénat français « Dialogue avec la Commission européenne sur la subsidiarité » montrent pertinemment comme ces deux principes sont particulièrement imbriqués sans toutefois être les mêmes. Ils expriment des principes différents, différemment reconnus, et répondent à un contrôle d’une dimension sensiblement différente, tout en ayant un sens et un fonctionnement très similaire.

La compétence se définit comme un titre juridique habilitant un sujet de droit à exercer un pouvoir. En droit européen, elle se comprend comme la capacité de l’Union à édicter et mettre en œuvre des règles de droit européen. L’article 2 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit les différentes catégories de compétence de l’Union : la compétence exclusive, partagée, de coordination des politiques économiques et de l’emploi, en matière de politique étrangère et de sécurité commune et enfin d’appui de coordination ou complémentaire. L’exercice par l’Union européenne (UE) de ses compétences est régulé par les principes de subsidiarité et de proportionnalité. Le principe de subsidiarité est défini à l’article 5§3 du traité sur l’Union européenne (TUE) en vertu duquel, « dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu’au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union ». En outre, aux termes de l’article 5§4 TUE, « en vertu du principe de proportionnalité, le contenu et la forme de l’action de l’Union n’ex­cèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités ».

Le principe de subsidiarité est apparu dans la première moitié des années 1980, dans le rapport Spinelli proposant son intégration au projet de traité instituant l’Union européenne pour permettre à l’Union d’avoir compétence sur les actes pouvant être pris plus efficacement de manière commune qu’individuellement par les États membres. Ce projet n’a pas abouti mais le principe de subsidiarité a été reconnu pour la politique environnementale en 1986 avant qu’il soit définitivement reconnu en 1992 avec le traité de Maastricht puis à l’article 5§3 du TUE. Plus ancien, le principe de proportionnalité a été reconnu comme un principe général du droit par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans sa décision du 18 mars 1980 SpA Ferriera Valsabbia en reconnaissant l’exigence pour les institutions européennes d’adopter des actes propres à assurer la réalisation des objectifs poursuivis sans toutefois dépasser les limites de ce qui est nécessaire à leur réalisation. Ce principe est formalisé en droit positif par le TUE en son article 5§4, en faisant à la fois un PGD et une exigence de droit positif précisée par les traités européens.

Le présent sujet nous amène dès lors à nous questionner sur les impacts que peuvent avoir les principes de subsidiarité et de proportionnalité sur l’exercice des compétences de l’UE.

Dans une première partie il conviendra d’étudier la consécration normative des titres de compétence de l’Union et les limites qui leur sont imposées (I) avant de se pencher dans un second temps sur la mise en application pratique des principes de subsidiarité et de proportionnalité par les institutions de l’Union (II).

I - L'encadrement normatif des compétences de l'Union et de leurs principes régulateurs

L’Union possède plusieurs titres de compétence listés par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (A). Le traité sur l’Union européenne prévoit quant à lui en son article 5 deux principes régulateurs de l’exercice par l’Union de ses compétences (B).

A - Des titres de compétence de l'Union normativement encadrés par les traités européens

Les compétences de l’Union listées à l’article 2 TFUE (1) définissent pour l’Union la possibilité d’exercer un pouvoir graduel selon le titre de compétence envisagé (2).

1 - Une nomenclature des compétences de l’Union listée à l’article 2 TFUE

Le droit de l’Union liste cinq domaines de compétence de l’Union. Il est possible de relever au sein de l’article 2 TFUE trois catégories principales et deux catégories plus spécifiques, ces dernières portant sur les compétences de coordination des politiques économiques et de l’emploi, en matière de politique étrangère et de sécurité commune, sur lesquelles il ne sera pas nécessaire de revenir dans le cadre de cette dissertation.

En ce qui concerne les trois catégories qui seront traitées dans le cadre du présent travail, les compétences exclusive, partagée et d’appui de coordination ou complémentaire, celles-ci sont prévues aux premier, deuxième et cinquième paragraphes de l’article 2 TFUE. Elles représentent un niveau d’interventionnisme graduel de l’Union vis à vis des États membres selon les domaines concernés.

2 - Des compétences représentant un pouvoir graduel de l’Union selon le titre de compétence envisagé

L’article 2 TFUE prévoit un pouvoir normatif différentié de l’UE selon le titre de compétence envisagé dans le traité. Dans le cadre de la compétence exclusive, prévue à l’article 2§1, l’Union exerce un rôle plus extensif, en ce que les États membres sont, dans ce cadre, totalement dessaisis de leur compétence dans les domaines prévus comme relevant d’une compétence exclusive de l’Union.

Lorsque l’Union exerce une compétence partagée, aux termes de l’article 2§2 TFUE, les États membres et l’Union ont tous deux compétences dans les domaines concernés. Ainsi qu’il sera vu dans le cadre de cette dissertation, la compétence de l’État peut être doublement nuancée. D’une part, l’État devant respecter le droit de l’Union, si l’Union a légiféré dans un domaine, celui-ci ne peut plus s’en saisir en ce que son droit ne peut s’imposer vis à vis du droit européen. D’autre part, dans une dimension intéressant davantage le présent travail, le principe de subsidiarité peut conduire l’Union à exercer une compétence exclusive dans un domaine de compétence partagée si nécessaire.

Dans le cadre des compétences d’appui, prévues au cinquième paragraphe de l’article 2 TFUE, l’Union peut légiférer mais ne peut remplacer la compétence des États. La compétence des États est ici le principe et le rôle de l’Union est le plus en retrait dans ce cadre.

L’exercice de ces différents titres de compétence par l’Union est ensuite régulé par les principes de subsidiarité et de proportionnalité prévus par l’article 5 TUE.

B - La consécration normative des principes de subsidiarité et de proportionnalité

Si le principe de proportionnalité est un principe général du droit ayant pu être par la suite reconnu en droit positif au sein du TUE (2), le principe de subsidiarité ne bénéficiait quant à lui pas d’un tel statut et n’a trouvé sa consécration en tant que principe juridiquement opposable que par sa reconnaissance au sein des traités européens (1).

1 - Le principe de subsidiarité, un principe trouvant sa consécration par le droit positif de l’Union

Le principe de subsidiarité est à l’origine un principe reconnu par le projet Spinelli en 1984, puis, ce dernier n’ayant pas abouti, par l’acte unique européen de 1986 en matière de politique de l’environnement. Il est à noter qu’ainsi que le précise le Tribunal de première instance des Communautés européennes dans sa jurisprudence SPO e.a. c/ Commission du 21 février 1995, ce principe n’est toutefois pas reconnu comme un principe général du droit. Ce principe n’est juridiquement opposable qu’à partir de sa reconnaissance par les traités européens.

Le principe de subsidiarité est aujourd’hui consacré par l’article 5 du TUE. Aux termes de l’article 5§1 TUE, « [l]es principes de subsidiarité et de proportionnalité régissent l’exercice » des compétences de l’Union. L’article 5§3 TUE précise à son tour qu’ « en vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union ».

Contrairement au principe de subsidiarité, le principe de proportionnalité est un principe général du droit ayant bénéficié d’une reconnaissance en droit positif dans le cadre du TUE.

2 - Le principe de proportionnalité, un principe général du droit reconnu en droit positif par les traités européens

Le principe de proportionnalité a été reconnu comme un principe général du droit par la CJUE en son arrêt SpA Ferriera Valsabbia du 18 mars 1980. Pour la CJUE, ce principe se comprend comme l’exigence pour les institutions européennes d’adopter des actes propres à la réalisation de l’objectif fixés, sans toutefois en dépasser les limites. En d’autres termes, les moyens développés par le droit de l’Union doivent permettre d’atteindre les objectifs légitimes de la réglementation sans dépasser ce qui est nécessaire pour les atteindre (CJUE, 16 juin 2015, Gauweiler e.a. ; CJUE, 12 juillet 2012, Association Kokopelli).

Dans le droit positif de l’Union, l’article 5§4 TUE dispose qu’ « [e]n vertu du principe de proportionnalité, le contenu et la forme de l’action de l’Union n’ex­cèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités ». Bien que la rédaction de l’article 5§4 TUE semble plus restrictive que la définition donnée par la CJUE de ce principe, leurs contenus sont en réalité les mêmes et le texte de droit positif ainsi que le PGD cohabitent et peuvent être invoqués de la même manière devant la Cour pour en contrôler le respect par les institutions de l’Union.

II - Des principes impactant la compétence de l'Union nécessitant un contrôle de leur respect

En ce que les principes de subsidiarité et de proportionnalité peuvent avoir une influence variable sur l’exercice par l’Union de ses compétences selon l’interprétation que l’on en fait (A), leur contrôle est primordial pour assurer leur bonne application par les institutions de l’Union (B).

A - Entre limitation et extension : l'influence des principes de subsidiarité et de proportionnalité sur les domaines de compétence de l'Union

Si les principes de proportionnalité et de subsidiarité sont en principe destinés à encadrer et limiter l’exercice des compétences de l’Union (1), il est à noter que le principe de subsidiarité peut avoir une interprétation ambivalente en ce qu’il peut conduire à justifier une extension des compétences de l’Union dans certains domaines (2).

1 - Des principes régulateurs de l’exercice par l’Union de ses compétences

Les principes de proportionnalité comme de subsidiarité sont construits comme des principes régulateurs de l’activité de l’Union. Le respect de ces principes interdit à l’Union d’étendre outre mesure ses compétences vis à vis des États membres. Le principe de proportionnalité induit en effet un double contrôle sur les actes pris par l’Union. Ceux-ci doivent démontrer une aptitude objective à réaliser l’objectif poursuivi d’une part et une nécessité de cet acte pour accomplir cet objectif d’autre part. La mesure prise par l’Union doit être la moins contraignante possible et doit causer le minimum de dommages et inconvénients en comparaison de l’objectif à atteindre. Les inconvénients de la mesure prise par l’Union ne doivent pas être disproportionnés au regard de l’objectif poursuivi.

Le principe de subsidiarité, de son côté, implique pour l’Union une obligation de n’intervenir que si les objectifs de l’action envisagée ne peuvent être suffisamment atteints par les États membres ou s’ils peuvent l’être mieux par l’Union. Lors de la prise d’un acte, il convient dès lors de poser la question de l’entité, entre l’Union et les États membres, la plus à même de prendre cet acte.

En cas de compétence exclusive de l’Union, ce principe n’a pas lieu d’être puisque seule l’Union a compétence pour intervenir. En matière de compétence partagée en revanche, ce principe conduit à limiter l’extension de la compétence de l’Union. Ainsi que précisé plus haut, le respect par les États membres du droit de l’Union conduit à les déposséder des pans des domaines de compétences partagée dans lesquels l’Union a légiféré. Ce principe conduit à limiter l’action de l’Union aux points où elle est la plus à même d’intervenir. La présomption de compétence se fait ainsi au bénéfice des États à moins de pouvoir prouver la nécessité et la valeur ajoutée d’une action de l’Union. Ce principe, s’il limite par certains aspects la compétence de l’Union peut également conduire à l’étendre.

2 - L’ambivalence du principe de subsidiarité entre régulation et extension de la compétence de l’Union

Dans une lecture extensive du principe de subsidiarité par les institutions européennes, celui-ci peut amener à une extension des compétences de l’Union. L’Union peut avoir compétence pour toute initiative dans laquelle l’action des États membres est insuffisante pour atteindre l’objectif concerné et l’action de l’Union apporterait une valeur ajoutée. Le principe de subsidiarité est ainsi un concept particulièrement souple pouvant conduire tant à limiter l’action de l’Union qu’à l’étendre. Il peut à la fois être invoqué pour restreindre et pour justifier la prise par l’Union d’une initiative juridique dans un domaine de compétence partagée.

La subsidiarité diffère en cela de la proportionnalité, ce dernier principe étant davantage un principe de pondération de l’action de l’Union et ne faisant pas preuve d’une telle ambivalence là où le principe de subsidiarité peut conduire l’Union à avoir une action exclusive dans un domaine pourtant partagé. Dans un cas comme dans l’autre, le contrôle du respect de ces principes s’effectue à plusieurs niveaux et s’avère primordial tant leur interprétation peut impacter l’exercice de sa compétence par l’Union.

B - L'existence d'un double contrôle politico-juridique des principes de subsidiarité et de proportionnalité

Les principes de proportionnalité et de subsidiarité sont tous deux soumis à un double contrôle des parlements nationaux d’une part, ce contrôle politique étant particulièrement actif en ce qui concerne le principe de subsidiarité (1) et de la CJUE d’autre part, ce dernier contrôle étant plus extensif en ce qui concerne le principe de proportionnalité (2).

1 - L’exercice d’un contrôle plus actif des parlements nationaux concernant le principe de subsidiarité

Contrairement au principe de proportionnalité, le principe de subsidiarité possède une dimension politique plus forte conduisant à un rôle plus actif des parlements nationaux dans le contrôle de son respect. Les parlements des États membres sont les principaux acteurs du contrôle de l’application du principe de subsidiarité établi par le Protocole n°2 au traité de Lisbonne.

Concrètement, la Commission est chargée d’examiner le respect du principe de subsidiarité et de proportionnalité au vu des analyses d’impact des actes de l’Union. Elle est ensuite chargée de transmettre les projets d’actes concernés aux parlements des États membres (ainsi qu’au Parlement européen et au Conseil). Si le parlement d’un État membre estime que l’acte en question ne respecte pas le principe de subsidiarité, il peut adresser un avis motivé aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission.

Si le respect du principe de proportionnalité subit le même contrôle politique que le principe de subsidiarité, celui-ci ne reçoit pas la même attention des parlements nationaux. Ceux-ci ont tendance à davantage étudier le principe de subsidiarité et à ne traiter le principe de proportionnalité que comme une composante de la subsidiarité. En revanche, le contrôle par la CJUE du principe de proportionnalité s’avère bien plus extensif que celui du principe de subsidiarité, ce dernier se limitant à la seule erreur manifeste d’interprétation.

2 - Un contrôle du juge de l’Union plus extensif concernant le principe de proportionnalité

Outre le contrôle politique du principe de subsidiarité, et malgré sa dimension politique affirmée, celui-ci est invocable devant le juge de l’Union en ce qu’il constitue un principe juridique reconnu par les traités européens et s’imposant aux institutions de l’Union. Toutefois le contrôle effectué par la CJUE du respect du principe de subsidiarité reste assez largement en retrait en ce que celui-ci se limite à l’erreur manifeste. La Cour n’a jamais jugé un acte comme violant le principe de subsidiarité et s’est contentée de contrôler la motivation de l’acte au regard de ce principe (et ainsi les conditions énoncées à l’article 5§3 TUE) en se limitant à l’erreur manifeste d’interprétation (CJCE, 10 décembre 2002, British American Tobacco).

La CJUE a toutefois entamé une timide avancée vers un contrôle normal du respect du principe de subsidiarité en allant plus loin que la seule erreur manifeste d’appréciation en contrôlant la réalité de la valeur ajoutée de l’Union dans l’exécution de l’acte (CJUE, 4 mai 2016, Philip Morris Brands SARL ; CJUE 4 mai 2016, Pillbox 38 (UK) Ltd.).

La CJUE effectue en revanche un contrôle bien plus extensif du principe de proportionnalité. Elle a eu l’occasion, contrairement à la subsidiarité, de juger un acte invalide du fait de ce contrôle (CJCE, 6 décembre 2005, ABNA Ltd e.a.). Le Tribunal a même pu engager la responsabilité de l’Union sur cette question (Tribunal, 16 septembre 2013, Animal Trading Company BV).

Le pouvoir d’appréciation de la Cour est plus large en ce qui concerne le principe de proportionnalité. Toutefois, la CJUE tient compte, dans son examen du respect du principe de proportionnalité, du pouvoir d’appréciation de l’institution en cause dans le domaine concerné par l’acte. Si l’institution a un large pouvoir d’appréciation dans le domaine concerné (agriculture ou politique monétaire par exemple), la Cour peut se cantonner à un contrôle de l’erreur manifeste, au détournement de pouvoir ou aux erreurs procédurales. Depuis l’adoption de la Charte des droits fondamentaux, le contrôle du principe de proportionnalité prend en outre une dimension plus importante encore puisque le contrôle des limitations des droits et libertés fondamentaux se fait au regard du respect du principe de proportionnalité.