Introduction

L’exécution du budget fait, traditionnellement, intervenir deux grandes catégories d’acteurs : les ordonnateurs qui décident de l’opération en recette ou en dépense et les comptables publics qui procèdent au recouvrement ou au paiement de ces opérations. Chaque opération nécessite, donc, l’intervention successive de ces deux types d’acteurs.

Afin d’assurer un contrôle de régularité le plus étendu possible de la gestion financière publique, les fonctions d’ordonnateur et de comptable public sont confiées à des autorités différentes dont les compétences sont strictement délimitées. L’un et l’autre bénéficient, également, d’une indépendance réciproque. Une finalité et des exigences qui se confondent au sein de ce que l’on nomme le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables publics.

Les ordonnateurs disposent d’une compétence particulièrement large dans la mesure où les trois premières phases de chaque opération budgétaire relèvent de leurs prérogatives. Seul le maniement des deniers publics leurs est interdit, car réservé aux comptables publics. Ces derniers sont donc les seuls agents autorisés à manier les fonds publics, aussi bien en recette qu’en dépense. A ce titre, ils ont la charge de contrôler les ordres de recouvrer et de payer transmis par les ordonnateurs.

Ces deux catégories d’acteurs relevaient, jusqu’à il y a peu, d’un régime de responsabilité qui était spécifique à chacun d’eux. Mais, une ordonnance du 23 mars 2022 a créé un régime juridictionnel unifié de responsabilité des gestionnaires publics applicables tant aux ordonnateurs qu’aux comptables publics.

Il convient donc d’étudier, dans une première partie, le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables publics (I), d’analyser, dans une seconde partie, la situation des ordonnateurs (II), d’examiner, dans une troisième partie, celle des comptables publics (III) et de conclure, dans une quatrième partie, par l’étude du régime de responsabilité de ces deux catégories d’acteurs (IV).

I - Le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables publics

Ce principe se traduit, traditionnellement, par une nette distinction entre les deux fonctions et les titulaires qui les occupent (A). Son devenir est, actuellement, sujet à interrogations (B).

A - La conception classique du principe

Le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables publics vise à permettre un contrôle de régularité budgétaire (1). Il est assorti de certaines dérogations (2).

1 – Un principe qui vise à garantir un contrôle de régularité de la gestion financière publique

Le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables publics est ancien. Il est posé, dans un premier temps, pour les recettes par les décrets du 24 vendémiaire et du 17 frimaire An VIII, puis, dans un second temps, pour les dépenses, par une ordonnance royale du 14 septembre 1822, repris, par la suite, dans l’ordonnance du 31 mai 1838. Le principe est, ensuite, systématisé solennellement par le décret du 31 mai 1862. Il est actuellement énoncé par l’article 9 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.

Son objectif traditionnel est d’assurer un contrôle de régularité le plus étendu possible de la gestion financière publique. Il permet, en effet, de repérer en amont les erreurs et les irrégularités avant que l’argent n’ai quitté la caisse publique et garantit le respect de l’exigence de probité par le simple fait que toute opération nécessite l’intervention de deux acteurs. Un objectif atteint par une division organique et fonctionnelle des compétences, ainsi qu’une indépendance des autorités.

Sur le premier point, la séparation se veut organique et fonctionnelle. Ainsi, l’exécution de toute opération requiert l’intervention successive des deux catégories d’acteurs : leurs fonctions sont nettement délimitées et doivent être confiées à des titulaires différents. En d’autres termes, les agents qui décident des mouvements de fonds ne peuvent eux-mêmes procéder à l’exécution des mouvements, et inversement. L’ordonnateur et le comptable ne peuvent empiéter sur leurs fonctions respectives et accomplir des tâches incombant à l’un ou à l’autre. Cette exclusivité des fonctions est, notamment, assurée par la sanction prévue en cas de gestion de fait. Cette qualification est applicable aux agissements de tous ceux (ordonnateurs y compris) qui se sont irrégulièrement immiscés dans le maniement des deniers publics sans avoir la qualité de comptable public. Elle entraîne pour ces personnes les mêmes responsabilités que pour les comptables publics, ainsi que l’application d’une amende.

Sur le second point, l’ordonnateur et le comptable public sont placés dans une situation d’indépendance mutuelle. Ainsi, les comptables publics appartiennent à une catégorie particulière d’agents publics nommés par le ministre du Budget ou avec son agrément et ne sont pas dans une situation de subordination vis-à-vis des ordonnateurs. Bien que soumis au régime de droit commun de la fonction publique, les comptables publics n’ont, en effet, qu’une obligation d’obéissance limitée. Ils ne sont, par exemple, pas tenus de déférer à un ordre irrégulier donné par l’ordonnateur.

Cette indépendance s'observe, également, à l'égard des tiers. Ainsi, les ordonnateurs ne peuvent prendre ou recevoir des intérêts dans les affaires dont ils ont en tout ou partie l’administration ou la surveillance. Par ailleurs, ils ne peuvent, pendant l'exercice de leurs fonctions et dans les cinq ans qui suivent leur départ, acquérir ou conserver une quelconque participation dans des entreprises ayant passé des contrats avec les personnes publiques qu'ils représentaient. En outre, les conjoints ou partenaires liés par un PACS des ordonnateurs ne peuvent être comptables des organismes pour lesquels ces derniers travaillent. Enfin, certains comptables publics ne peuvent être maires ou adjoints dans les communes de leur circonscription.

2 – Les dérogations au principe

Comme tout principe, le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables publics connaît certains dérogations.

Ainsi, par dérogation à la règle selon laquelle toute opération de recette ou de dépense requiert l’intervention préalable de l’ordonnateur, certaines opérations peuvent être prises en charge par le comptable public soit sans intervention de l’ordonnateur, soit après une intervention allégée. La première hypothèse concerne les perceptions dites au comptant pour les impôts indirects et les droits de douanes dont le recouvrement est assuré d’après les déclarations des débiteurs. La seconde hypothèse vise, notamment, le cas du paiement sans ordonnancement relatif aux rémunérations et aux pensions des agents de l’Etat.

En sens inverse, le droit de la comptabilité publique prévoit, depuis longtemps, la possibilité de régies d’avances ou de recettes. Concrètement, un régisseur est autorisé à percevoir certaines ressources ou à payer certaines dépenses afférentes à des opérations simples et répétitives. Ce système vise à faciliter le fonctionnement des services publics. Il est, toutefois, strictement encadré. La création d’une régie nécessite, en effet, un arrêté conjoint du ministre intéressé et du ministre du Budget. Et, le régisseur, bien que nommé par l’ordonnateur, reste sous le contrôle du comptable qui doit lui donner son agrément lors de sa nomination.

B – L'avenir du principe

L’objectif fondamental du contrôle de régularité visé par le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables publics est, largement, reconnu comme atteint. La compatibilité de ce principe avec la conception moderne des finances publiques, notamment celle issue de la LOLF, pose, toutefois, des questions récurrentes. D’une part, ce principe induit des contrôles a priori des opérations de recettes et de dépenses. Or, les exigences contemporaines en matière de gestion financière impliquent une certaine liberté d’action des acteurs et leur responsabilisation pour un fonctionnement le plus efficace et au moindre coût. Ce modèle repose, au contraire, sur des contrôles a posteriori. D’autre part, la gestion financière actuelle poursuit prioritairement un objectif d’efficacité de la gestion publique et non de régularité. Ce discours managérial s’accommode mal du formalisme, jugé excessif, qui accompagne le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables publics.

Ces préoccupations ont, notamment, entraîné des modifications de l’organisation de l’administration fiscale. Cette dernière a, en effet, connu de nombreuses restructurations ces vingt dernières années qui ont remise en cause, du moins dans les faits, le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables. Par exemple, ont été mis en place de nouveaux services gestionnaires fiscaux des contribuables : Services des impôts des entreprises (SIE) pour les professionnels et Services des impôts des particuliers (SIP) pour les particuliers. Dans ces services, ordonnateurs et comptables sont les mêmes personnes. Ces derniers assurent, en effet, l’assiette et le recouvrement des impôts.

Surtout, l’ancien régime de responsabilité des gestionnaires publics épousait la distinction entre ordonnateurs et comptables publics : les premiers relevaient de la Cour de discipline budgétaire et financière et les seconds de la Cour des comptes. Or, l’ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics a supprimé le régime de responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics au profit d’un régime unifié des gestionnaires publics. Désormais, ordonnateurs et comptables publics relèvent du même régime de responsabilité. Le nouveau système vise à sanctionner plus efficacement les gestionnaires publics qui, par une infraction aux règles d’exécution des recettes et des dépenses, ont commis une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif. Lorsqu’une telle infraction est retenue, la juridiction peut prononcer à l'encontre tant de l’ordonnateur que du comptable une amende d'un montant maximal égal à six mois de rémunération annuelle de la personne faisant l'objet de la sanction à la date de l'infraction. Cette amende est proportionnée à la gravité des faits reprochés, à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées et, le cas échéant, à l'importance du préjudice causé à l'organisme.

La suppression de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics n’est pas sans conséquence. En effet, l’ancien système garantissait aux comptables sinon une indépendance, du moins une confortable autonomie à l’égard des ordonnateurs. La responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public était, en effet, une garantie d’autorité : elle lui permettait d’assoir son autorité à l’égard de ses interlocuteurs et le fondait à refuser d’exécuter une dépense irrégulière voulue par l’ordonnateur. Sans elle, les comptables publics risquent de devenir de simple « caissiers » sans moyen de résister à d’éventuelles pressions des ordonnateurs. La séparation entre les comptables et les ordonnateurs perd, ainsi, l’un de ses éléments organiques pour se limiter à une simple distinction fonctionnelle.

Aussi, s’il est, formellement, maintenu, le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables publics se trouve, par touches successives, privé de sa substance. Ce principe a, pourtant, prouvé qu’il était à même de protéger les deniers publics et de responsabiliser financièrement les fonctionnaires chargés de responsabilités dans ce domaine particulièrement sensible. Or, rien dans le dispositif prévu à l’heure actuelle ne permet de garantir que cet impératif sera, à l’avenir, respecté.

II - Les ordonnateurs

Deux points successifs doivent être examinés : les missions des ordonnateurs (A) et les catégories d’ordonnateurs (B). La responsabilité que ceux-ci encourent sera examinée en point IV.

A - Les missions des ordonnateurs

Les ordonnateurs sont des agents d’autorité qui sont placés à la tête d’un ministère, d’une collectivité, d’un établissement ou d’un service et qui sont amenés à exercer, en plus de leurs fonctions administratives principales, des attributions financières en matière de recettes ou de dépenses. C’est donc en leur qualité de décideurs ou de chefs de service que ces personnes se voient dotées de celle d’ordonnateur.

Leurs missions sont très vastes (art. 10 du décret du 7 novembre 2012). Elles couvrent une large partie du processus d’exécution des recettes et des dépenses, à l’exclusion du maniement des deniers publics. Elles s’organisent en trois phases : constatation, liquidation, et ordre de recouvrer pour les recettes ; engagement, liquidation et ordonnancement pour les dépenses. Leur étendue varie, toutefois, selon qu’il s’agit d’opérations de recettes ou de dépenses.

En matière de dépenses, les ordonnateurs disposent d’un large pouvoir d’appréciation. L’autorisation budgétaire n’ouvre, en effet, qu’une simple faculté d’emploi des crédits, de sorte qu’ils ne sont pas obligés de procéder à une dépense, sauf si un texte de loi, un règlement ou une décision de justice les y contraigne. Ils décident, par ailleurs, seuls, du moment de l’opération et du montant de la dépense, sans pouvoir, bien sûr, dépasser le plafond fixé en loi de finances. Lorsqu’une opération de dépense est décidée, ils doivent l’engager, la liquider, puis l’ordonnancer.

En matière de recettes, les ordonnateurs constatent les droits et les obligations, liquident les recettes et émettent les ordres de recouvrer. Leur marge d’appréciation est nulle lorsque sont en cause des recettes fiscales dans la mesure où ils doivent strictement appliquer les lois fiscales, sans tenir compte de l’évaluation faite par la loi de finances qui n’a qu’un caractère évaluatif.

B - Les catégories d'ordonnateurs

Le droit de la comptabilité publique distingue, traditionnellement, deux catégories d’ordonnateurs : les ordonnateurs principaux et les ordonnateurs secondaires.

Les ordonnateurs principaux correspondent aux autorités publiques auxquelles la loi de finances attribue les crédits et accorde les autorisations de recettes. Il s’agit des ministres pour le budget de l’Etat et du directeur de l’établissement pour les budgets des établissements publics.

Les ordonnateurs secondaires sont des agents administratifs en fonction dans une circonscription territoriale déterminée auxquels les ordonnateurs principaux ont confié une délégation de pouvoir dans le cadre de la gestion déconcentrée des services. Les préfets sont, en principe, les ordonnateurs secondaires des services déconcentrés de l’Etat. Mais, certains services ont leur propre ordonnateur secondaire (service de l’éduction, de l’armée, …).

Ces deux catégories d’ordonnateurs peuvent déléguer leur signature à des ordonnateurs délégués (par exemple, un ministre au profit d’un membre de son cabinet). Mais, cette délégation n’a pas pour effet de dessaisir l’autorité délégante de sa signature. Ils peuvent, également, en cas d’empêchement, être, temporairement, remplacés par des ordonnateurs suppléants.

Enfin, depuis la mise en œuvre de la LOLF, de nouveaux acteurs de la gestion budgétaire sont apparus : responsable de programme, responsable de budget opérationnel de programme, responsable d’unité opérationnelle et responsable de la fonction financière ministérielle. Ces nouveaux acteurs se sont vus attribuer de plein droit la qualité d’ordonnateurs par le décret du 7 novembre 2012, de sorte que la fonction d’ordonnateur se trouve, à présent, associée à la logique d’objectifs et de résultats qui irrigue la LOLF et non plus seulement à la préoccupation de régularité.

III - Les comptables publics

Les missions des comptables publics (A) et leur classification (B) appellent les observations qui suivent. La question de leur responsabilité sera examinée en point IV.

A - Les missions des comptables publics

Les comptables publics sont nommés par le ministre des Finances ou avec son agrément et sont assujettis aux règles particulières du droit de la comptabilité publique. Leurs fonctions sont, actuellement, définies par les articles 13, 14, 18, 19 et 20 du décret du 7 novembre 2012, ainsi que par l’article 31 de la LOLF. Ils sont les seuls à pouvoir manier les deniers publics, en termes tant de recettes que de dépenses. Deux grandes séries de tâches découlent de cette prérogative essentielle.

Ils sont, ainsi et d’abord, chargés de tenir la comptabilité générale, de prendre en charge et de recouvrer les ordres de recouvrer et de payer qui leurs sont transmis par les ordonnateurs, d’assurer le maniement des fonds (encaissement des recettes, paiement des dépenses), d’assurer la conservation des fonds et valeurs et de conserver les pièces justificatives des opérations exécutées.

Ils sont, par ailleurs, chargés d’exercer un contrôle de régularité des ordres de recettes et de dépenses qui sont émis par les ordonnateurs. Il s’agit d’un contrôle a priori avant l’encaissement ou le décaissement effectif. En matière de recettes, le contrôle porte sur la régularité de l’autorisation de percevoir la recette ou, encore, la régularité des réductions ou annulations d’ordres de recouvrer. En matière de dépenses, il s’agit de vérifier la qualité de l’ordonnateur, l’exacte imputation des dépenses au regard du principe de spécialité des crédits, la disponibilité des crédits, la validité de la dette (notamment au regard de la règle du service fait) et le caractère libératoire du paiement.

Ces missions ont été, significativement, complétées par la LOLF. Les comptables publics ont, ainsi, dorénavant, l’obligation de produire les comptes de l’Etat dans leurs trois dimensions (budgétaire, générale et d’analyse des coûts). Ils doivent, en outre, s’assurer de la sincérité des enregistrements comptables et du respect des procédures. Mais, l’évolution la plus importante concerne le contrôle de la chaîne de la dépense. Le contrôle a priori a, en effet, été allégé. Au contrôle exhaustif s’est substitué un contrôle hiérarchisé et partenarial : il s’agit d’un contrôle qui n’est plus systématique, mais qui est, au contraire, modulé selon une évaluation des risques et fondé sur des sondages.

B - Les catégories de comptables publics

Les comptables publics sont au nombre de 9 000 environ. Du point de vue hiérarchique, la distinction demeure entre comptable supérieurs et comptables subordonnés. Du point de vue fonctionnel, les comptables sont dits principaux ou secondaires : les premiers rendent directement leurs comptes au juge des comptes, tandis que les seconds ne les rendent que par l’intermédiaire des comptables principaux dont ils relèvent.

La fusion entre les anciennes Direction générale des impôts et Direction générale de la comptabilité publique au sein de la Direction générale des finances publiques (DGFIP) a bouleversé l’organisation antérieure des réseaux de comptables publics. La dénomination de comptable du Trésor a laissé place à celle de comptable public de l’Etat qui englobe, désormais, les différents réseaux antérieurs. Sur cette base, l’article 79 du décret du 7 novembre 2012 énumère six catégories de comptables publics de l’Etat : les contrôleurs budgétaires et comptables ministériels, les comptables des services déconcentrés de la DGFIP et de la Direction générale des douanes et des droits indirects, les comptables des budgets annexes, les comptables des comptes spéciaux, les comptables spéciaux définis par des dispositions réglementaires spécifiques et le comptable centralisateur des comptes de l’Etat.

IV – La responsabilité des ordonnateurs et des comptables publics

La responsabilité des ordonnateurs et des comptables publics est appelée à évoluer. En effet, jusqu’à présent, il existait un régime de responsabilité propre à chacun d’eux (A). Mais, à compter du 1° janvier 2023, il existera un régime unifié de responsabilité des gestionnaires publics applicable tant aux ordonnateurs qu’aux comptables publics (B).

A – La responsabilité des ordonnateurs et des comptables publics jusqu'au 31 décembre 2022

Les régimes de responsabilité des ordonnateurs (1) et des comptables publics (2) applicables jusqu’au 31 décembre 2022 appellent les observations qui suivent.

1 - La responsabilité des ordonnateurs

Jusqu’en 1948, la responsabilité encourue au titre de la gestion des deniers publics ne pesait que sur les seuls comptables publics. Les ordonnateurs n’étaient, quant à eux, susceptibles d’être mis en cause que sur le terrain de la gestion de fait.

La loi du 25 septembre 1948 est venue mettre fin à ce système déséquilibré. Elle a créé la Cour de discipline budgétaire, devenue, par la suite, Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), juridiction chargée de sanctionner la violation des règles budgétaires et financières commises par les ordonnateurs. Toutefois, cette avancée a vu sa portée atténuée en ce que n’en sont pas justiciables les ministres et les élus locaux (a). Quant aux autres ordonnateurs, leur responsabilité est, dans les faits, peu sanctionnée (b).

a / Les ministres et les élus locaux (sauf exceptions) ne sont pas justiciables de la CDBF. Autrement dit, la violation des règles budgétaires et de comptabilité publique qu’ils commettent échappe aux sanctions spéciales prévues par le droit financier à l’égard des ordonnateurs. La règle est que les irrégularités qu’ils accomplissent en matière budgétaire et financière relève du même régime de responsabilité que celui qui s’applique à leur fonction principale.

Ainsi, les ministres encourent les responsabilités prévues par la Constitution. Sur le plan politique, leur responsabilité est, toutefois, toute théorique puisqu'elle ne peut être mise en cause que par le biais d’une motion de censure visant l’ensemble du Gouvernement ou par une révocation individuelle décidée par le président de la République. Mais, sous la V° République, jamais aucune faute de gestion n'a entrainé de telles conséquences. Sur le plan pénal, les membres du Gouvernement sont justiciables de la Cour de justice de la République (art. 68-1 de la Constitution). Et, sur le plan civil, les ministres sont susceptibles de devoir réparer le préjudice causé à des tiers. Cette responsabilité est, cependant, inappliquée dans les faits en raison de la disproportion qui existe entre les crédits mis en œuvre et le patrimoine personnel des ministres.

Les élus locaux bénéficient, également, depuis 1971, d’une immunité devant la CDBF. Cette immunité souffre, cependant, deux exceptions : les élus locaux sont, ainsi, justiciables de la Cour lorsqu’ils ont engagé leur responsabilité propre à l’occasion d’un ordre de réquisition et qu’ils ont procuré à autrui un avantage injustifié, ainsi qu’en cas d’absence d’exécution d’une décision de justice. En dehors de ces deux exceptions, ne s’appliquent à eux que les responsabilités de droit commun. Ainsi, la responsabilité essentielle est sans doute la responsabilité politique avec la perte ou le non-renouvellement d’un mandat. A cette responsabilité, s’ajoutent les responsabilités civiles et pénales traditionnelles, la seconde étant celle qui est le plus sanctionnée de nos jours.

b / Le champ de compétence de la CDBF vis-à-vis des ordonnateurs « non politiques » est très large. En effet, sa compétence n’est pas limitée aux seuls ordonnateurs, mais embrasse un vaste secteur de personnes participant à l’exécution des opérations financières : membres des cabinets ministériels, fonctionnaires, agents de l’Etat, agents des collectivités locales et des établissements publics locaux, …

Du point de vue des fautes susceptibles d’être sanctionnées, sont seules punissables les infractions aux règles du droit budgétaire et de la comptabilité publique, l’octroi d’un avantage injustifié à autrui au préjudice du Trésor ou des organismes intéressés ou, encore, l’inexécution d’une décision de justice. En d’autres termes, c’est uniquement la violation de la légalité budgétaire et financière qui est sanctionnée, et non la faute de gestion. Cette faute, d’ordre exclusivement juridique, s’apprécie au regard des obligations qui, en droit, incombent à l’ordonnateur. Une telle conception ne vise que la préoccupation de régularité juridique et non l’exigence d’efficacité et de performance promue par la LOLF.

Dans le cadre de ce contrôle, la CDBF garde, cependant, un certain pouvoir d'appréciation qui conduit à ce que les fautes ne soient que rarement sanctionnées. Plusieurs raisons peuvent être invoquées. D’abord, les personnes qui exécutent le budget le font, la plupart du temps, sous l'autorité d'un ministre ou d'un élu local. Ces derniers ne pouvant être jugés par elle, la Cour répugne, alors, à sanctionner des personnes qui n'ont fait qu'exécuter leurs ordres. Ensuite, la CDBF peut être conduite à reconnaître des circonstances atténuantes lorsque, par exemple, la faute résulte d'une insuffisance du contrôle du supérieur hiérarchique ou d’une mauvaise organisation des services publics, ou quand l'ordonnateur a pensé agir dans l'intérêt général. Enfin, les personnes mises en cause peuvent voir leur responsabilité écartée, si elles peuvent justifier d'un ordre écrit de leur supérieur hiérarchique. Dans ce cas, c'est ce dernier qui sera justiciable de la CDBF, sauf s'il s'agit d'un ministre ou d'un élu local.

Enfin, les ordonnateurs « non politiques » encourent une responsabilité civile et pénale pour le même type d’infractions évoquées à propos des ministres et des élus locaux. A ces responsabilités, s’ajoute pour les ordonnateurs ayant la qualité de fonctionnaire ou d’agent public une responsabilité disciplinaire qui les expose à des sanctions telles que le retard à l’avancement, la rétrogradation, la suspension ou la révocation. Toutefois, ce dernier type de responsabilité est rarement engagé soit parce que le fonctionnaire a agi sur l’ordre de son supérieur hiérarchique, soit parce qu’il a cru agir dans l’intérêt du service.

2 - La responsabilité des comptables publics

Le régime de responsabilité des comptables publics est ancien. Déjà présent sous l’Ancien régime, il prend son assise dans la création de la Cour des comptes en 1807 et est actuellement organisé par l’article 60 de la loi de finances du 23 février 1963. Ce régime est d’une portée très vaste (a) et repose sur un principe de présomption (b).

a / Contrairement aux ordonnateurs, tous les comptables publics sont soumis à un même régime de responsabilité à raison des irrégularités ou manquements commis dans l’exercice de leurs fonctions. Outre les responsabilités de droit commun (disciplinaire, civile et pénale), les comptables publics encourent une responsabilité pécuniaire personnelle très lourde : ils sont, en effet, tenus de réparer sur leurs deniers personnels le préjudice qu’ils ont fait subir au Trésor. Cette rigueur trouve sa justification dans l’exclusivité du maniement des fonds publics dont ils disposent.

Les comptables publics sont, ainsi, personnellement responsables à raison de l’ensemble des opérations qui leurs incombent dans l’exécution des recettes et des dépenses. Les obligations qui pèsent sur eux diffèrent, toutefois, selon qu’il s’agit de recettes ou de dépenses. En matière de recettes, la responsabilité des comptables est engagée dès lors qu’elles n’ont pas été recouvrées ; si elles n’ont pu l’être, le comptable doit apporter la preuve de ses diligences. En matière de dépenses, le comptable doit s’assurer que les ordonnances reposent sur un acte juridique exécutoire autorisant le paiement et qu’elles sont appuyées des pièces justificatives nécessaires ; il doit, également, opérer un contrôle de la compétence de l’ordonnateur, du respect de la règle du service fait, de l’existence des crédits nécessaires ou, encore, de l’exactitude des calculs de liquidation.

Par ailleurs, les comptables ne sont pas seulement responsables à raison de leurs propres actes. Ils peuvent l’être également à raison des actes de leurs subordonnés ou des personnes placées sous leur surveillance. Cette responsabilité à l’égard des actes des subordonnés est inconditionnelle dans la mesure où le comptable est tenu à une obligation de surveillance et de contrôle.

Cette responsabilité court de la date de leur installation dans un poste jusqu’à la date de cessation de leurs fonctions. Toutefois, les comptables publics s’exposent à voir leur responsabilité engagée à raison de la gestion de leur prédécesseur pour les opérations qu’ils auraient prises en charge sans émettre de réserves lors de leur entrée en fonction ou qu’ils n’auraient pas contestées dans un délai de six mois à partir de cette date.

Cette responsabilité peut être mise en cause concurremment soit par l’autorité hiérarchique du comptable (le ministre intéressé ou le ministre du Budget), soit par le juge des comptes (Cour des comptes, Chambres régionales des comptes). En cas d’opinion divergente, la position du juge des comptes l’emporte sur celle de l’autorité administrative. Ces procédures peuvent déboucher sur ce que l’on nomme un débet (administratif ou juridictionnel) dont l’objet est de constater une irrégularité et d’obliger le comptable au reversement de la somme manquante.

b / Le régime de responsabilité des comptables publics repose sur une présomption de responsabilité. Les comptables voient, en effet, leur responsabilité engagée par le seul constat d’un manquement ou d’une irrégularité : fonds manquant en caisse, dépense irrégulièrement payée, recette non recouvrée, … Cette responsabilité est objective dans la mesure où elle repose uniquement sur des constatations de fait et de droit, sans qu’il y ait lieu d’apprécier le comportement personnel du comptable ou les circonstances. Cette présomption n’est, toutefois, pas irréfragable : le comptable peut se dégager de sa responsabilité en apportant la preuve de la régularité de sa gestion ou de l’accomplissement régulier de l’ensemble de ses obligations de contrôle ou en établissant que l’inexécution de celles-ci résulte de causes indépendantes de lui.

Ce principe de présomption a, récemment, fait l’objet d’atténuations. Ainsi, la loi de finances rectificative pour 2011 du 28 décembre 2011 a introduit une dose de subjectivité dans le contrôle en imposant de prendre en compte, dans la détermination de la responsabilité pécuniaire personnelle des comptables, l’existence ou non d’un préjudice financier. En cas de préjudice financier, c’est le régime traditionnel du débet qui s’applique, mais le comptable ne peut, dorénavant, bénéficier d’une remise gracieuse totale par le ministre du Budget qu’en cas de décès ou lorsqu’il a respecté les règles de contrôle sélectif des dépenses ; dans tous les autres cas, la remise ne peut être que partielle. En l’absence de préjudice financier, le juge ne peut plus prononcer de décision débet ; il peut, en revanche, mettre à la charge du comptable une somme qu’il détermine en fonction des circonstances de l’espèce, somme qui ne peut faire l’objet d’une remise gracieuse par le ministre des Finances.

B – La responsabilité des ordonnateurs et des comptables publics à compter du 1° janvier 2023

L’ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics, adoptée sur la base de l’article 168 de la loi de finances pour 2022, institue un régime juridictionnel unifié de responsabilité des gestionnaires publics, comptables comme ordonnateurs (1). Ce nouveau régime, qui s’appliquera à partir du 1° janvier 2023, vise sanctionner les fautes graves en matière d’exécution budgétaire (2) et relèvera d’une chambre spéciale de la Cour des comptes (3).

1 – Les acteurs relevant du nouveau régime

L’ordonnance de 2022 met fin à la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics. Elle institue, en lieu et place, un régime de responsabilité qui concerne tous les gestionnaires publics, c’est-à-dire les comptables publics comme les ordonnateurs. Il s’applique, plus généralement à toutes les personnes impliquées dans le processus d’exécution budgétaire, à savoir : les fonctionnaires et agents publics civils et militaires, les membres des cabinets, les représentants, administrateurs et agents des organismes soumis au contrôle des juridictions financières.

En revanche, les élus locaux comme les ministres bénéficient, comme par le passé, d’une large irresponsabilité financière, puisqu’ils demeurent en dehors du champ d’application du nouveau régime. Il n’est fait exception à ce principe, pour les ministres, qu’en cas de gestion de fait et, pour les élus locaux, qu’en cas d’inexécution d’une décision de justice entraînant le prononcé d’une astreinte, de gestion de fait ou lorsqu’ayant fait usage de leur pouvoir de réquisition, ils procurent à une personne morale, à autrui ou à eux-mêmes un avantage injustifié par intérêt personnel direct ou indirect.

2 – Les fautes sanctionnables

Le régime mis en place par l’ordonnance du 23 mars 2022 vise à réserver l’intervention du juge financier aux infractions les plus graves et renvoie la sanction des fautes purement formelles ou procédurales à un régime de responsabilité d’ordre managérial. A cette fin, l’ordonnance établit une liste d’infractions sanctionnables. Trois grandes composantes peuvent être relevées.

La plus importante est l’infraction aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l’Etat, des collectivités, établissements et organismes soumis au contrôle des juridictions financières dès lors qu’elles constituent « une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif ». Cette infraction générique peut être sanctionnée par le prononcé d’une amende dont le maximum ne peut pas excéder six mois de rémunération de la personne faisant l’objet de la sanction. Cette amende peut être proportionnée à la gravité des faits reprochés, à l’éventuelle réitération de pratiques prohibées et à l’importance du préjudice causé à l’organisme.

L’ordonnance de 2022 dresse, ensuite, une liste d’infractions pouvant faire l’objet de poursuites : la faute de gestion (carence, omission, négligence, …) au sein d’un établissement à caractère industriel et commercial ; l’octroi d’un avantage injustifié à autrui, à soi-même ou à toute personne morale par intérêt personnel direct ou indirect ; la gestion de fait ; l’inexécution d’une décision de justice entraînant le prononcé d’une astreinte ; tout agissement ayant pour effet de faire échec à une procédure de mandatement d’office ; les négligences des titulaires d’emplois de direction. Ces infractions encourent la même sanction que l’infraction générique.

S’ajoutent à ces infractions de fond trois infractions formelles : l’absence de production des comptes, l’engagement d’une dépense sans respecter les règles de contrôle budgétaire, l’engagement d’une dépense sans avoir reçu de délégation à cet effet. Pour ces infractions, l’amende ne peut excéder un mois de rémunération.

Il convient de noter que le justiciable ne sera pas passible de sanctions s’il n’a fait que se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique ou de toute personne habilitée ou s’il peut exciper d’un ordre écrit émanant d’une autorité non justiciable.

Le cadre juridique ainsi posé apparaît contraignant et laisse peu de marge de manœuvre au juge financier. Par exemple, s’agissant de l’infraction générique, la faute grave doit être associée à un préjudice financier et celui-ci doit, de surcroît, être significatif. Le but semble avoir été de limiter les cas d’engagement de cette responsabilité. L’avenir permettra de déterminer si le juge financier parviendra à s’affranchir du cadre juridique ainsi posé.

3 – Les instances juridictionnelles en charge du nouveau régime

Afin de contrôler le respect de ce nouveau régime de responsabilité, une nouvelle organisation juridictionnelle est mise en place. C’est, ainsi, que l’ordonnance du 23 mars 2022 supprime la Cour de discipline budgétaire et financière qui était chargée du contrôle des ordonnateurs. Les chambres régionales des comptes perdent, par ailleurs, leurs compétences juridictionnelles.

Le nouveau régime sera mis en œuvre par la chambre du contentieux de la Cour des comptes créée par le décret du 18 mai 2021. Celle-ci sera composée de magistrats de la Cour des comptes et des Chambres régionales des comptes. Elle sera seule compétente en première instance pour juger la responsabilité financière des gestionnaires publics.

L’appel relèvera d’une Cour d’appel financière conduite par le premier président de la Cour des comptes. Elle sera composée de quatre conseillers d’Etat, de quatre conseillers maîtres à la Cour des comptes et de deux personnalités qualifiées désignées par le Premier ministre en raison de leur expérience dans le domaine de la gestion publique. Le Conseil d’Etat restera la juridiction de cassation.