Les pouvoirs du Gouvernement dans la mise en œuvre des lois de finances (fiche thématique)

Introduction

En raison du monopole dont il dispose pour voter les lois de finances, le Parlement est l’autorité qui décide des ressources et des dépenses de l’Etat. Les choix ainsi effectués lient étroitement le Gouvernement quant aux premières, mais lui laissent une plus grande latitude d’appréciation quant aux secondes. A ce titre, le pouvoir exécutif dispose de différentes prérogatives lui permettant d’influer sur la mise en œuvre de la loi de finances.

En amont de l’exécution budgétaire, si la répartition des crédits entre les missions est fixée en loi de finances, le Gouvernement est, en revanche, compétent pour répartir les crédits entre les programmes, puis pour les décliner au sein de chaque programme.

Pendant l’exécution budgétaire, le Gouvernement conserve, également, une certaine marge de manœuvre. En effet, s’il est, en principe, lié par ce qu’a décidé le Parlement en vertu de la hiérarchie des normes, il est admis, pour des impératifs de bonne gestion financière, qu’il puisse apporter, en cours d’année, des modifications aux crédits votés, qu’il s’agisse de leur répartition, de leur montant ou de leur utilisation dans le temps. L’on parle de régulation budgétaire. Ces procédures sont anciennes. Elles existaient sous le régime de l’ordonnance du 2 janvier 1959, mais la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) du 1° août 2001 a renforcé leur encadrement en y associant plus étroitement le Parlement.

Il convient donc d’étudier, dans une première partie, la répartition des crédits préalable à l’exécution budgétaire (I) et d’analyser, dans une seconde partie, la régulation des crédits concomitante à l’exécution budgétaire (II).

I - La répartition des crédits préalable à l'exécution budgétaire

Sitôt la loi de finances votée, mais juste avant son exécution proprement dite, le Gouvernement doit répartir les crédits entre les programmes (A), puis les décliner au sein de chaque programme (B).

A - La répartition des crédits entre les programmes

Cette répartition était, habituellement, effectuée par des décrets de répartition. En effet, la loi de finances fixe, par mission, une autorisation budgétaire globale, ainsi qu’un plafond des autorisations d’emplois. Mais, la répartition plus fine des crédits par programme au sein de chaque mission relevait de la compétence du pouvoir règlementaire par le biais desdits décrets. L’article 44 de la LOLF prévoyait, ainsi, que, dès la promulgation de la loi de finances de l’année (ou d’une loi de finances rectificative), celui-ci devait prendre des décrets ayant pour objectif de répartir les crédits par programme, en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, en distinguant les dépenses de personnel des autres dépenses (afin de permettre la fongibilité asymétrique). Dans l’exercice de cette tâche, le Gouvernement était, cependant, tenu de respecter le contenu des bleus budgétaires annexés à la loi de finances.

La loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques a réformé le système. Dorénavant, les décrets de répartition sont supprimés. Ils sont remplacés par un décret portant désignation des ministres bénéficiaires des crédits ouverts sur chaque programme.

B - La répartition des crédits au sein de chaque programme

Une fois les crédits mis à disposition des ministres, leur ventilation au sein de chaque programme suit plusieurs étapes. Le responsable de programme doit, d’abord, répartir l’enveloppe de crédits alloués au programme en différents budgets opérationnels de programmes (BOP) confiés chacun à un des services centraux ou déconcentrés entrant dans le champ du programme. Les responsables de BOP répartissent, ensuite, les moyens entre les responsables des unités opérationnelles (UO) qui sont les structures élémentaires de réalisation des actions du programme.

Ce schéma d’organisation permet de décliner, au plus près du terrain, les objectifs stratégiques du programme en objectifs opérationnels dont la charge incombe aux différents responsables. Il révèle un déplacement des centres de décision contrastant avec la classique organisation administrative hiérarchique, verticale et descendante, car, à chaque niveau, l’autonomie des gestionnaires est permise, notamment, par la globalisation des crédits résultant de leur fongibilité asymétrique. En contrepartie, chacun de ces responsables doit veiller à atteindre les objectifs opérationnels qui lui sont assignés par le niveau supérieur : les responsables de BOP sous l’autorité du responsable de programme, les responsables d’UO sous l’autorité du responsable de BOP. Ainsi, se trouve réalisé l’un des objectifs de la LOLF : offrir une plus grande autonomie aux gestionnaires en contrepartie d’une exigence accrue quant aux résultats obtenus.

II – La régulation des crédits concomitante à l'exécution budgétaire

En principe, du fait même du respect de la hiérarchie des normes, le pouvoir règlementaire ne peut pas modifier ce que le Parlement a décidé dans la loi de finances. Toutefois, l’impératif de bonne gestion financière impose de laisser une certaine liberté au Gouvernement pour faire varier les crédits ouverts en fonction des besoins : on parle de régulation budgétaire. La LOLF permet, ainsi, au Gouvernement de modifier la répartition des crédits (A), le montant des crédits (B) ou leur utilisation dans le temps (C).

A - Les modifications de la répartition des crédits

En application du principe de spécialité, la loi de finances doit déterminer l’usage de chacun des crédits qu’elle autorise. En principe, la répartition des crédits, ainsi, décidée par le Parlement ne peut être modifiée. Toutefois, une application trop rigoureuse de ce principe conduirait l’Exécutif à ne pouvoir s’adapter lorsque, du fait de prévisions erronées, certaines dépenses s’avèrent soit sous-évaluées, soit surévaluées.

Aussi, il est nécessaire que le Gouvernement puisse, en cours d’exécution budgétaire, modifier la répartition des crédits. La pratique l’admet depuis longtemps. Mais, ce n’est qu’avec l’ordonnance du 2 janvier 1959 qu’ont été fixées précisément les procédures applicables : il s’agit des virements (1) et des transferts (2) de crédits. La différence entre ces deux procédés tient au caractère interne ou non à un ministère du changement d’affectation. La LOLF reprend ces deux procédures tout en renforçant leur encadrement (art. 12).

1 – Les virements de crédits

Les virements permettent de modifier la répartition des crédits entre programmes relevant d’un même ministère. Par voie de conséquence, ils entraînent une modification de la destination de la dépense. Cette procédure connaît une limite puisque le montant total des sommes pouvant, au cours d’une année, faire l’objet de virements est plafonnée : ce montant ne peut, ainsi, excéder 2 % des crédits ouverts par la loi de finances de l’année pour chacun des programmes concernés.

Pour être valables, les virements de crédits supposent un décret pris sur le rapport du ministre chargé des Finances. Ce décret ne peut être pris, depuis la LOLF, qu’après information des commissions des finances des deux assemblées et des autres commissions concernées. Par ailleurs, et c’est une autre nouveauté de la LOLF, l’utilisation des crédits virés doit faire l’objet d’un compte-rendu spécial inséré dans les Rapports annuels de performance annexés à la loi de règlement et faisant connaître, par programme, les écarts avec les prévisions initiales, ainsi que justifiant par titre les mouvements de crédits.

2 – Les transferts de crédits

Les transferts permettent de modifier la répartition des crédits entre programmes de ministères distincts, à condition, toutefois, que l’emploi des crédits ainsi transférés, pour un objet déterminé, corresponde à des actions du programme d’origine. En d’autres termes, il ne doit pas y avoir de changement de destination de la dépense.

A la différence de l’ordonnance de 1959 qui n’exigeait que de simples arrêtés du ministre chargé des Finances, la LOLF exige un décret pris sur le rapport dudit ministre. Les règles d’information préalable et a posteriori du Parlement sont, ensuite, identiques à celles applicables aux virements de crédits.

B – Les modifications du montant des crédits : les décrets d'avance

En vertu du principe de spécialité, le Gouvernement ne peut pas dépasser les crédits inscrits en loi de finances, faute de quoi l’autorisation parlementaire se trouverait privée de toute autorité. La lecture rigoureuse de cette règle pourrait, cependant, être une source de blocages dans le fonctionnement de l’Etat en cas de situation d’urgence nécessitant d’aller au-delà du montant des crédits votés. Ce problème peut advenir lorsque sont en cause des crédits limitatifs dont le montant ne peut, en principe, être dépassé par l’Exécutif (pour les crédits évaluatifs, le montant décidé par les parlementaires ne constitue qu’une simple prévision).

De tout temps, il a donc été prévu que, lorsque sont en cause des crédits limitatifs, le Gouvernement peut abonder les crédits dans certaines situations. Ainsi, la loi du 12 décembre 1879, donnait au Gouvernement, en cas d’absence des chambres et pour certaines dépenses, la possibilité d’ouvrir provisoirement par décret des crédits supplémentaires qui devaient, toutefois, être soumis à ratification ultérieure des chambres. Le principe a été repris par l’ordonnance de 1959, puis par la loi organique de 2001 en son article 13 qui a renforcé les obligations d’information au bénéfice des commissions des finances des deux assemblées. L’on parle, depuis 1959, de décrets d’avance.

Les décrets d’avance permettent d’ouvrir des crédits supplémentaires en cours d’année dans des conditions qui varient selon qu’il y a urgence ou urgence et nécessité impérieuse d’intérêt national.

En cas d’urgence, les conditions sont strictes. Ainsi, les décrets doivent être pris sur avis du Conseil d’Etat et après avis des commissions des finances des deux assemblées. Par ailleurs, l’ouverture des nouveaux crédits ne doit pas affecter l'équilibre budgétaire défini dans la dernière loi de finances : aussi, les décrets d’avance doivent procéder à l’annulation de crédits ou constater des recettes supplémentaires. Cette souplesse connaît, aussi, une limite : le montant cumulé des crédits ouverts ne peut excéder 1 % des crédits initiaux de la loi de finances de l’année. Enfin, les nouveaux crédits doivent obligatoirement être ratifiés par la plus prochaine loi de finances afférente à l’année concernée.

En cas d’urgence et de nécessité impérieuse d’intérêt national, la procédure est allégée puisqu’il s’agit de faire face à des circonstances d’une particulière gravité : aucun plafond n’est, ainsi, fixé et le respect de l’équilibre budgétaire de la dernière loi de finances n’est pas imposé. Le décret doit, toutefois, être pris en Conseil des ministres sur avis du Conseil d’Etat et après information des commissions des finances des deux chambres. Un projet de loi portant ratification de ces crédits doit, par ailleurs, être déposé immédiatement ou à l‘ouverture de la plus prochaine session du Parlement.

Dans les faits, le nombre de décrets d’avance reste limité ces dernières années : deux à quatre par an depuis le début des années 2000. En 2018 et 2019, aucune ouverture de crédits par décrets d’avance n’a même été opérée ; une première depuis 30 ans.

C – Les modifications des crédits dans le temps

Les crédits qui sont mis à disposition par la loi de finances s’analysent comme une simple autorisation juridique de dépense et non comme un droit définitivement acquis par les services, de sorte qu’ils sont toujours susceptibles d’être remis en cause. Tel est, notamment, le cas lorsque le Gouvernement souhaite éviter la détérioration du déficit budgétaire. Deux procédés sont de nature à avoir un tel effet : les reports de crédits (1) et les annulations de crédits (2).

1 - Les reports de crédits

En principe, les crédits ne peuvent être utilisés que pour l’exercice au titre duquel ils sont attribués. Toutefois, afin d’éviter le tentation de consommer dans la précipitation les crédits disponibles en fin d’année, des possibilités dérogatoires de report de crédits non utilisés d’un exercice sur l’autre sont prévues par la LOLF (art. 15) qui simplifie les règles qui étaient applicables sous le régime de l’ordonnance de 1959.

Ainsi, les autorisations d’engagement disponibles sur un programme à la fin de l’année peuvent être reportées sur le même programme ou, à défaut, sur un programme poursuivant les mêmes objectifs, avec pour seule limite l’interdiction de majorer les crédits relatifs aux dépenses de personnel.

Corrélativement, les crédits de paiement disponibles sur un programme à la fin de l’année peuvent être reportés sur le même programme ou, à défaut, sur un programme poursuivant les mêmes objectifs. Depuis la loi organique du 28 décembre 2021, les crédits inscrits sur le titre des dépenses de personnel ne peuvent plus faire l’objet d’un report sur l’année suivante (alors qu’ils le pouvaient jusque-là dans la limite de 3 %). Pour les autres crédits, le report est limité dans son montant : il ne peut excéder une limite globale fixée à 3 % des crédits initiaux. Ce plafond peut être majoré par une disposition de la loi de finances. Le montant total des crédits de paiement ainsi reportés ne peut, toutefois, excéder 5 % des crédits ouverts par la loi de finances de l'année. Il peut être dérogé à ce plafond de 5 % en cas de nécessité impérieuse d’intérêt national.

Dans les deux cas, les reports interviennent par arrêté conjoint du ministre des Finances et du ministre intéressé. Les arrêtés de report doivent être publiés au plus tard le 31 mars de l’année suivante.

Dans la pratique, les reports de crédits sont utilisés de manière récurrente pour freiner le déficit budgétaire de l’exercice. Ils tiennent aussi au caractère tardif du vote de la dernière loi de finances rectificative : dans les faits, celle-ci intervient fréquemment à la fin du mois de décembre, de sorte que les ordonnateurs ne disposent pas du temps pour utiliser les crédits sur l’année où ils ont été votés.

2 – Les annulations de crédits

Le mécanisme des annulations de crédits existait sous l’ordonnance de 1959 : celle-ci prévoyait que les crédits devenus sans objet en cours d’année pouvaient être annulés sur simple arrêté du ministre des Finances avec l’accord du ministre intéressé. Cependant, ce système, qui visait à adapter, en cours d’exécution, les autorisations de crédits aux circonstances nouvelles, a vite été détourné de son objet pour en faire un instrument de régulation budgétaire destiné à contenir le déficit budgétaire.

La loi organique de 2001 a officialisé ce rôle : ainsi, les annulations de crédits sont, comme par le passé, autorisées pour les crédits devenus sans objet, mais aussi, à présent, à titre préventif pour prévenir une détérioration éventuelle de l’équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances (art. 14).

Elle a, également, encadré cette procédure en prévoyant que le montant des crédits annulés ne peut dépasser 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l’année en cours. Par ailleurs, avant sa publication, tout décret d’annulation doit, dorénavant, être transmis pour information aux commissions des finances et aux autres commissions intéressées.

L’objectif de régulation budgétaire assigné aux annulations de crédits a été complété par la création d’une réserve de précaution par la loi organique du 12 juillet 2005 qui a modifié certaines dispositions de la LOLF. Cette réserve consiste à geler et donc à rendre indisponible, dès le projet de loi de finances initial, une fraction des crédits ouverts. Le but est de faire face aux besoins de la régulation qui sont susceptibles d’évoluer en cours d’année, ainsi qu’aux imprévus et aux aléas de gestion. Dans les faits, cependant, la réserve de précaution est, essentiellement, utilisée pour prévenir la détérioration du solde budgétaire.