Introduction
Les lois de finances revêtent une importance particulière en matière de fonctionnement de l’Etat. Mais, elles n’en demeurent pas moins des lois ordinaires. A ce titre, elles peuvent faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité mis en œuvre par le Conseil constitutionnel. Ce mécanisme de contrôle des lois, longtemps absent du droit français, a, en effet, été institué par la Constitution du 4 octobre 1958.
La conformité des lois de finances peut, ainsi, être examinée au regard d’un corpus de normes extrêmement riche. Celui-ci comprend, outre le texte même de la Constitution, son préambule (et donc les textes auxquels il renvoi) depuis que le Conseil constitutionnel lui a reconnu une valeur juridique. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) fait, également, partie des normes de référence. Ces textes posent un ensemble de règles, tant substantielles que procédurales, à partir desquelles le juge constitutionnel peut, ainsi, apprécier les lois de finances.
Du point de vue de la mise en œuvre du contrôle, la procédure est classique, malgré certaines spécificités tenant à l’intensité du contrôle du Conseil constitutionnel en matière financière. Ce contrôle peut, ainsi, s’exercer a priori, c’est-à-dire avant la promulgation de la loi, ou, depuis 2008, a posteriori dans le cadre de ce que l’on nomme la Question prioritaire de constitutionnalité. La portée des décisions du juge constitutionnel varie, ensuite, selon qu’il s’agit de l’un ou de l’autre de ces contrôles.
Il convient donc d’étudier, dans une première partie, le corpus de règles à l’aune desquelles le Conseil constitutionnel apprécie les lois de finances (I) et d’analyser, dans une seconde partie, la mise en œuvre de ce contrôle de constitutionnalité (II).
I – Le corpus normatif à la base du contrôle de constitutionnalité
Dans le cadre de son contrôle, le Conseil constitutionnel apprécie la conformité des lois de finances au regard de normes issues tant de la Constitution de 1958 que de la LOLF (A). Ces textes posent des règles aussi bien procédurales que substantielles (B).
A – Les textes applicables
Les règles à l’aune desquelles le Conseil constitutionnel examine les lois de finances découlent de trois grands textes.
Le premier est, bien sûr, le texte même de la Constitution de 1958 qui contient, notamment, un grand nombre de dispositions procédurales organisant le vote des lois de finances.
Le second est le préambule de la Constitution de 1958 auquel le Conseil constitutionnel a reconnu une valeur constitutionnelle dans sa décision Liberté d’association du 16 juillet 1971. Cette dernière doit sa postérité au fait que se trouvaient, dans le même temps, constitutionnalisés l’ensemble des textes auxquels ce préambule fait référence, à savoir : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le préambule de la Constitution de 1946 et la Charte de l’environnement de 2004.
Le troisième est la Loi organique relative aux lois de finances du 1° août 2001 qui a succédé à l’ordonnance du 2 janvier 1959. Cette loi organique, dite LOLF, fait partie des normes de référence du juge constitutionnel en vertu de l’article 47 de la Constitution qui prévoit que « le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique ». Dès lors, une disposition d’une loi de finances qui serait contraire à la LOLF serait censurée par le juge constitutionnel.
B – Les règles applicables
Sans prétendre à l’exhaustivité, trois grands types de règles peuvent être évoquées : les principes budgétaires (1), les règles de vote du projet de loi de finances (2) et l’interdiction des cavaliers budgétaires (3).
1 – Les principes budgétaires
La doctrine budgétaire classique identifie quatre grands principes budgétaires : l’annualité, la spécialité, l’universalité et l’unité. Ces principes, qui peuvent souffrir des aménagements, trouvent leur source tant dans le bloc de constitutionnalité que dans la LOLF. Ils font, régulièrement, l’objet d’enrichissements par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Le principe d’annualité signifie que l’autorisation budgétaire est accordée par le Parlement pour une année seulement. Elle doit, donc, être renouvelée tous les ans. Cette règle est ancienne puisqu’elle n’est que la traduction du principe de consentement à l’impôt posé par l’article 14 de la Déclaration de 1789.
Le principe de spécialité concerne uniquement les dépenses. Il implique que les crédits ouverts aient une destination précise afin de permettre le contrôle du Parlement et de faciliter la bonne gestion des finances publiques. Sa portée a, néanmoins, été atténuée par la globalisation des unités de spécialisation opérée par la LOLF.
Le principe d’universalité résulte, actuellement, de l’article 6 de la LOLF. Il impose que le budget soit complet, c’est-à-dire qu’il donne à voir l’ensemble des recettes et des dépenses dans leur montant exact, de manière à permettre un contrôle efficace du budget. Ce principe interdit, ainsi, de présenter un solde qui serait la compensation entre les recettes et les dépenses. Il prohibe, également, l’affectation d’une recette à une dépense déterminée.
Le principe d’unité suppose, lui, que le budget soit présenté en un seul document et que l’ensemble des opérations y figurent L’objectif est, ici aussi, d’assurer un meilleur contrôle des finances de l’Etat par le Parlement.
Enfin, deux autres principes budgétaires ont émergé au fil des textes et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le premier est le principe de sincérité budgétaire au terme duquel le budget doit être transparent et donner une image fidèle du patrimoine de l’Etat (conf. art. 27 de la LOLF, notamment). Le second est le principe d’équilibre budgétaire. Il s’agit, là, pour l’heure, plus d’un objectif de bonne gestion financière que d’un principe à proprement parler, même si l’article 1° de la LOLF fait référence à la notion d’équilibre budgétaire. Il est, néanmoins, appelé à gagner en autorité en raison de l’objectif contemporain de maîtrise de la dette publique et des engagements européens pris par la France.
2 – Les règles de vote du projet de loi de finances
La procédure parlementaire de vote du projet de loi de finances est encadrée concomitamment par la Constitution et par la LOLF.
Ces textes posent, d’abord, des délais de vote très stricts afin de garantir que la loi de finances soit votée avant le 31 décembre pour pouvoir être appliquée dès le 1° janvier de l’année qui suit. Ainsi, l’article 39 de la LOLF prévoit que le Gouvernement doit déposer le projet de loi de finances sur le bureau de l’Assemblée nationale au plus tard le premier mardi d’octobre. Les articles 47 de la Constitution et 40 de la LOLF accordent au Parlement un délai global de 70 jours pour voter le projet de loi. Les mêmes articles fixent, également, le délai de première lecture reconnu à chaque assemblée : ce délai est de 40 jours pour l’Assemblée nationale et de 20 jours pour le Sénat.
Du point de vue des modalités d’examen du texte, l’article 42 de la Constitution prévoit que la discussion en première lecture s’engage sur le texte présenté par le Gouvernement et non sur celui retenu par la commission des finances. L’article 42 de la LOLF impose, par ailleurs, que la première partie du texte ait été adoptée avant de procéder à l’examen de la seconde partie. Les modalités de vote sont, elles, organisées par l’article 43 de la LOLF.
Enfin, la Constitution régit les pouvoirs respectifs du Parlement et du Gouvernement. L’article 40 dudit texte place, ainsi, le premier dans une situation de nette infériorité constitutionnelle vis-à-vis du second en raison de la limitation du droit d’amendement des parlementaires. Quant au Gouvernement, il dispose de ses prérogatives constitutionnelles traditionnelles pour influer sur le cours de la discussion budgétaire.
3 – L’interdiction des cavaliers budgétaires
Lors du vote du projet de loi de finances, les parlementaires ou les ministres tentent, parfois, d’introduire dans le projet des dispositions qui n’ont aucun caractère financier. L’intérêt de cette pratique est de faciliter et d’accélérer l’adoption de la disposition litigieuse grâce à la rapidité de la procédure parlementaire prévue pour les lois de finances. Cette pratique, connue sous le nom de cavaliers budgétaires, est strictement interdite et le Conseil constitutionnel veille scrupuleusement au respect de cette règle.
Ces cavaliers peuvent être définis par opposition au contenu des lois de finances. Ainsi, ces dernières doivent déterminer les charges et recettes, les impositions, les emprunts et la dette de l’Etat. Il s’ensuit que toute disposition qui n’a pas de lien avec cet objet ne peut figurer en loi de finances et constitue, alors, un cavalier budgétaire par essence interdit.
II – La mise en œuvre du contrôle de constitutionnalité
Bien qu’ayant un objet particulier, les lois de finances demeurent des lois ordinaires. Dès lors, le contrôle auquel elles sont soumises relève, sous réserve de certaines spécificités, du régime général de contrôle de constitutionnalité des lois. Il en va, ainsi, de la saisine du juge constitutionnel (A) et des modalités de contrôle de ce dernier (B).
A - La saisine du Conseil constitutionnel
Le déferrement des lois de finances au Conseil constitutionnel obéit aux règles posées par les articles 61 et 61 - 1 de la Constitution qui organisent, respectivement, un contrôle a priori (1) et un contrôle a posteriori (2).
1 – La saisine dans le cadre du contrôle a priori
Le Conseil constitutionnel peut être saisi pour juger de la conformité de la loi de finances à la norme fondamentale pendant le délai de promulgation de la loi, c’est-à-dire pendant quinze jours au plus. Il dispose, ensuite, d’un délai d’un mois pour se prononcer, sauf si le Gouvernement déclare l’urgence, auquel cas ce délai est ramené à 8 jours.
Initialement, seuls le président de la République, le Premier ministre et les présidents des deux assemblées disposaient d’un tel pouvoir (art. 61 al. 2 de la Constitution). Les choses ont changé lorsque la révision constitutionnelle de 1974 a offert la même prérogative à soixante députés ou soixante sénateurs. Cette révision a constitué un véritable bouleversement aussi bien politique que juridique. Politique, car elle permis aux parlementaires et, notamment, à l’opposition, par le pouvoir ainsi reconnu, de peser dans le rapport de force avec le Gouvernement. Juridique, car elle a eu pour conséquence qu’un plus grand nombre de lois soient examinées par le Conseil constitutionnel. Les lois de finances ne font pas entorse à ce constat puisqu’elles lui sont quasi systématiquement déferrées.
2 – La saisine dans le cadre du contrôle a posteriori : la QPC
Jusqu’à il y a peu, le Conseil constitutionnel ne pouvait être saisi une fois la loi promulguée. Après moultes tentatives avortées, la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a instauré un contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori dans le cadre de ce que l’on nomme la Question prioritaire de constitutionnalité - QPC (art. 61 - 1 de la Constitution).
Dorénavant, les justiciables peuvent, à l’occasion des procès intentés devant les juridictions administratives et judiciaires, saisir le juge constitutionnel de la conformité aux droits et libertés constitutionnellement garantis de dispositions législatives promulguées. La saisine n’est pas directe. Elle passe par le filtre de la juridiction saisie, puis par celui du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation. Ces dernières doivent, conformément à la loi organique du 10 décembre 2009, s’assurer d’une part que la QPC porte sur une disposition applicable au litige et non déjà déclarée conforme à la Constitution, et d’autre part que la question présente un caractère sérieux. Le Conseil constitutionnel dispose, ensuite, d’un délai de trois mois pour statuer sur la constitutionnalité de la disposition législative contestée.
La matière financière n’a pas échappée à ce nouveau mécanisme de contrôle. D’ailleurs, la première QPC a été rendue à propos des lois de finances rectificatives pour 1981 et 2002, et de la loi de finances pour 2007. L’examen de la jurisprudence constitutionnelle rendue via cette procédure atteste que les QPC relatives aux finances publiques et, plus généralement, au droit fiscal y occupent une place significative. Néanmoins, il convient de noter que seuls les droits et libertés que la Constitution garantit peuvent être invoqués. Il s’ensuit que le juge constitutionnel ne peut pas, via ce mécanisme, contrôler, par exemple, le respect de la procédure parlementaire d’adoption de la loi de finances.
B – Les modalités de contrôle du Conseil constitutionnel
Le contrôle opéré par le juge constitutionnel en matière financière voit son intensité varier selon le type de lois de finances qui est en cause (1). Il se matérialise par des décisions qui obéissent aux mêmes mécanismes que pour les autres lois ordinaires (2).
1 – L’intensité du contrôle du Conseil constitutionnel
Le contrôle du juge constitutionnel sur les lois de finances varie en fonction de la catégorie de loi de finances concernée. Ce contrôle est plus étendu sur les lois de finances initiales et rectificatives que sur les lois de règlement. Cela s’explique par le fait que ce sont les deux premières qui « décident » des finances de l’Etat, de ses ressources, de ses dépenses, ou encore de sa dette. Il est donc logique que la Haute juridiction se montre particulièrement exigeante quant au respect des règles budgétaires, tant substantielles que procédurales, à leur égard.
En revanche, en ce qui concerne les lois de règlement, le Conseil fait preuve de moins d’intransigeance. Il apprécie, par exemple, plus souplement la plupart des règles de délais, dans la mesure où il n’est, ici, nullement question d’adopter en temps utile les mesures financières indispensables à la vie de la Nation.
2 – Les décisions du Conseil constitutionnel
Les décisions rendues par le juge constitutionnel voient leur portée varier selon qu’il s’agit du contrôle a priori ou du contrôle a posteriori.
Dans le cadre du contrôle a priori, trois grandes voies s’offrent au Conseil constitutionnel.
Il peut, d’abord, si aucun article n’est contraire à la Constitution, déclarer la loi conforme à celle-ci. Le texte peut, alors, être promulgué et produire ses effets.
Il peut, également, déclarer la totalité de la loi contraire à la Constitution, ce qui fait obstacle à sa promulgation. Cette hypothèse s’est présentée une seule fois s’agissant d’une loi de finances de l’année. La loi de finances pour 1980 a, ainsi, été censurée dans son intégralité pour un motif de procédure tenant à l’exigence du vote de la première partie du texte avant la mise en discussion de la seconde (art. 40 de l’ordonnance de 1959).
Il peut, aussi, décider qu’un ou plusieurs articles sont contraires à la Constitution. Dans cette hypothèse, la loi de finances peut être promulguée par le président de la République, mais amputée desdits articles. C’est le cas le plus fréquent. Les articles litigieux doivent, néanmoins, être « séparables » de l’ensemble du texte, sinon la loi est intégralement censurée (cette hypothèse ne s’est jamais produite en matière financière).
Dans le cadre du contrôle a posteriori, la disposition législative jugée inconstitutionnelle est abrogée. Mais, le Conseil constitutionnel peut moduler dans le temps les effets de sa décision et déterminer les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition abrogée a produits sont susceptibles d’être remis en cause.
