Introduction

L’article 72 al. 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit que « dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus ». Ce principe de libre administration des collectivités locales se traduit, sur le plan budgétaire, par celui d’autonomie financière locale.

Ce principe est apparu, en droit français, par touches successives et n’a, véritablement, été consacré que par la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République. Bien que constituant un progrès certain, cette réforme doit, toutefois, être relativisée. En effet, le critère permettant de déterminer si l’autonomie financière des collectivités territoriales est respectée apparaît peu satisfaisant. De plus, ce progrès s’inscrit dans un contexte général de disparition de pans entiers de la fiscalité locale, limitant, ainsi, le pouvoir financier de ces collectivités.

Les mêmes remarques peuvent être faites concernant les différents droits ou pouvoirs conférés aux collectivités locales pour donner corps à leur autonomie financière. Qu’il s’agisse de la liberté dans l’usage des ressources, de la reconnaissance de prérogatives fiscales, de la compensation des compétences transférées ou, encore, de la péréquation, chacune de ces avancées se trouve, d’une façon ou d’une autre, limitée dans ses effets.

Il convient donc d’étudier, dans une première partie, l’autonomie financière des collectivités territoriales dans l’histoire (I) et d’analyser, dans une seconde partie, les composantes de cette autonomie (II).

I - L'autonomie financière des collectivités locales dans l'histoire

L’autonomie financière des collectivités locales n’a été consacrée que tardivement. Initialement posée par touches successives (A), elle a fait l’objet d’une consécration solennelle en 2003 (B).

A - Une lente émergence

Bien qu’évidente aujourd’hui, l’idée d’autonomie financière locale a mis du temps à s’imposer en France. En effet, si l’autonomie locale est proclamée en 1789 quand les révolutionnaires rationnalisent l’espace national en créant les départements et en maintenant les communes qui correspondent aux communautés villageoises et paroissiales de la société traditionnelle, des résistances historiques s’opposent à l’autonomie financière locale. Lors des décennies qui suivent la Révolution, les questions financières locales restent, ainsi, dans l’orbite nationale, les finances locales étant, alors, déterminées par une loi nationale.

L’autonomie financière locale va, progressivement, s’imposer au cours du XIX° siècle. A compter de 1837 – 1838, les conseils locaux vont pouvoir adopter leurs budgets, mais, ceux-ci devaient, ensuite, être repris dans une loi pour devenir juridiquement opérants. En 1862, l’Etat sépare son propre budget des budgets locaux en votant ces derniers à part. Et, en 1892, les collectivités locales peuvent enfin voter directement leurs propres budgets.

Plus tard, à cette compétence budgétaire, viendront s’adjoindre des prérogatives de décision en matière fiscale. C’est, ainsi, que la loi du 10 janvier 1980 autorise les collectivités à décider, de manière encadrée, des taux d’imposition des quatre grands impôts directs locaux (taxe d’habitation, taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties et taxe professionnelle devenue en 2010 contribution économique territoriale).

Le juge constitutionnel viendra, ensuite, à la fin du XX° siècle, faire de l’autonomie financière des collectivités une composante de leur libre administration. Il s’assurera, ainsi, à l’occasion de la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle et de la vignette automobile, que les règles posées par la loi « n’ont pour effet ni de restreindre la part des recettes ni de diminuer les ressources globales des collectivités concernées au point d’entraver leur libre administration » (CC, 29/12/1998, n° 98-405 ; CC, 28/12/2000, n° 2000-442). Bien que bienvenues, ces décisions s’avéraient, cependant, insuffisantes. Elles ne permettaient pas, en effet, de déterminer un critère ou un seuil à partir duquel les atteintes au pouvoir financier local ne respectent pas la libre administration des collectivités. Ces imprécisions s’expliquaient, probablement, par le fait qu’il s’agissait, là, d’une question politique dépassant les prérogatives du juge constitutionnel. Ainsi, s’explique l’intervention du pouvoir constituant en 2003.

B - La réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 : une consécration ?

C’est en 2003 que le pouvoir politique se saisit de la question de l’autonomie financière locale. La réforme constitutionnelle prévoit un dispositif relativement riche (1), ainsi que le seuil à partir duquel l’autonomie financière locale est assurée (2). Les avancées qu’elle recèle ne doivent, toutefois, pas masquer le recul du pouvoir fiscal de ces collectivités (3).

1 – Le dispositif

Outre l’extension du champ de compétences des collectivités locales et l’introduction de la possibilité pour elles de « déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou règlementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences » (art. 72 al. 4 de la Constitution), la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République donne un fondement constitutionnel à l’autonomie financière locale. Elle introduit, en effet, au sein du texte constitutionnel, un article 72 – 2 qui prévoit plusieurs dispositions permettant d’élargir cette autonomie et de lui accorder une protection.

Cet article dispose ainsi : « Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi.

Elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine.

Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en œuvre.

Tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi.

La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales. »

Par ces dispositions, le pouvoir constituant vient donner corps à l’autonomie financière locale. Il y parvient en reconnaissant différents pouvoirs ou droits aux collectivités : la capacité de disposer librement de leurs ressources, la capacité de fixer l’assiette et le taux des impositions, ainsi que le droit de bénéficier de ressources complémentaires en cas de transfert de compétences (voir II). Il précise, également, le critère permettant de déterminer si l’autonomie financière des collectivités locales est ou non respectée.

2 – Le critère d’appréciation de l’autonomie financière locale

Comme indiqué, l’alinéa 3 de l’article 72 – 2 de la norme fondamentale prévoit : « Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en œuvre. » Aux termes de cette disposition, l’autonomie financière des collectivités locales est garantie dès lors que leurs ressources propres représentent une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources. La question se posait, donc, de savoir ce qu’il faut entendre par ressources propres et ce qu’est la part déterminante. La loi organique du 29 juillet 2004 est venue apporter des réponses à ces questions.

Elle a, d’abord, défini ce que sont les ressources propres. Il s’agit du produit des impositions de toutes natures dont la loi autorise les collectivités à fixer l’assiette, le taux ou le tarif ou dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d’assiette, ainsi que des redevances pour services rendus, des produits du domaine, des participations d’urbanisme, des produits financiers et des dons et legs. Cette définition ne retient pas, en revanche, les emprunts et recettes de trésorerie ou les subventions et dotations versées par l’Etat. Elle conduit, surtout, à inclure dans les ressources propres des ressources dont les collectivités n’ont pas la maîtrise, à savoir la part du produit des impôts nationaux transférés aux collectivités, ce qui est une approche étroite du pouvoir financier local.

La loi organique a, également, défini ce qu’il fallait entendre par « part déterminante ». Le Conseil constitutionnel a censuré une partie de la définition posée par ladite loi en raison de sa portée normative incertaine. Il a, en revanche, validé la seconde partie de la définition qui prévoit que « pour chaque catégorie de collectivités, la part des ressources propres est calculée en rapportant le montant de ces dernières à celui de la totalité de leurs ressources à l’exclusion des emprunts, des ressources correspondant aux financement des compétences transférées à titre expérimental ou mises en œuvre par délégation. » Cette part ne peut être inférieure, pour chaque catégorie de collectivités, au niveau constaté en 2003, soit : 60,8 % pour les communes et les EPCI, 58,6 % pour les départements et 41,7 % pour les régions. Du point de vue du fond, ce critère n’a pas de pertinence. Il s’explique seulement par le fait que l’année 2003 est l’année d’achèvement de la réforme de la taxe professionnelle. Pour autant, même s’il est intellectuellement peu satisfaisant, il se révèle parfaitement opérationnel.

3 - Une évolution couplée à un reflux du pouvoir fiscal local

Si l’autonomie financière locale a été renforcée, même imparfaitement, le pouvoir fiscal des collectivités locales s’est, lui, vu, régulièrement, amoindri. En effet, à compter de la seconde moitié des années 1980, les dégrèvements et exonérations en matière de fiscalité locale se sont multipliés. La suppression de la taxe d’habitation et la baisse des impôts de production décidées récemment n’ont fait que poursuivre cette évolution. Certes, l’Etat a procédé à des compensations du « manque à gagner » par un transfert d’une partie des impôts nationaux. Mais, ceux-ci sont voués à se transformer en dotations.

Ce mouvement a laissé intact l’autonomie de gestion des ressources locales dont bénéficient les collectivités, mais a vidé de sa substance leur autonomie fiscale. Cette conséquence a été parfaitement admise par le Conseil constitutionnel qui a considéré que l’article 72 – 2 de la Constitution n’offre, en aucun point, une autonomie fiscale aux collectivités locales (CC, 29/12/2009, n° 2009-599).

Ces évolutions s’expliquent, notamment, par la volonté de l’Etat de maîtriser les ressources des collectivités locales et donc, indirectement, leurs dépenses dans un contexte de lutte contre les déficits publics et de discipline budgétaire imposée par l’Union européenne. Elles vont dans le sens d’une régulation par le haut (c’est-à-dire par l’Etat) ou, à tout le moins, partenariale des finances locales et confirment le mouvement visant à piloter de manière globale l’ensemble des composantes des finances publiques.  L’une des voies envisagées est la création de lois de financement des collectivités territoriales et d’institutions chargées de réguler, par la concertation entre l’Etat et les collectivités, les évolutions des ressources et des dépenses publiques.

II – Les composantes de l'autonomie financière des collectivités locales

La lecture de l’article 72 – 2 de la Constitution amène à distinguer quatre grandes composantes de l’autonomie financière locale : la liberté dans l’usage des ressources (A), la reconnaissance de prérogatives fiscales (B), la compensation des compétences transférées (C) et la péréquation (D).

A - La liberté dans l'usage des ressources : une liberté partielle

Selon l’alinéa 1° de l’article 72 – 2 de la norme fondamentale, « les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi. » Cette disposition renvoie au concept d’autonomie budgétaire, partie intégrante de celui d’autonomie financière, qui permet aux collectivités locales de déterminer l’usage de leurs ressources, en d’autres termes de décider de leurs dépenses.

Cette liberté n’est, toutefois, que partielle. En effet, l’article 72 – 2 précise que cette prérogative s’exerce « dans les conditions fixées par la loi ». Cette limitation fait, notamment, référence à l’existence de dépenses qui présentent un caractère obligatoire pour les collectivités locales. En effet, la loi prévoit que celles-ci doivent, obligatoirement, inscrire certaines dépenses à leur budget : il s’agit, notamment, des dépenses liées aux secteurs de compétence de la collectivité (par exemple, les lycées pour les régions), des dépenses de personnel, des intérêts d’emprunt, du remboursement en capital de la dette ou, encore, des indemnités de fonction des élus. Si cette obligation n’est pas respectée, le préfet, mais, également, le comptable public ou toute personne y ayant intérêt, peuvent saisir la Chambre régionale des comptes afin que celle-ci mette en demeure la collectivité d’inscrire la dépense au budget. En l’absence d’exécution par la collectivité, la Chambre demande au préfet d’inscrire d’office la dépense au budget.

B – Les prérogatives fiscales : un reconnaissance en trompe-l'œil

Le second alinéa de l’article 72 – 2 de la Constitution reconnaît des prérogatives fiscales aux collectivités locales. Celui-ci prévoit, en effet, que celles-ci « peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine. » Cette avancée connaît, cependant, des limites.

D’une part, comme cela a été indiqué, le législateur a fait disparaître des pans entiers de la fiscalité locale, de sorte que cette reconnaissance enlève une bonne partie de ses effets à cette disposition. La suppression d’impôts locaux est parfaitement admise par le Conseil constitutionnel qui considère « qu’il ne résulte ni de l’article 72 – 2 de la Constitution ni d’aucune autre disposition constitutionnelle que les collectivités territoriales bénéficient d’une autonomie fiscale » (CC, 29/12/2009, n° 2009-599).

D’autre part, l’article 72 – 2 ne remet pas en cause l’impossibilité pour les collectivités territoriales de créer une nouvelle imposition. En effet, cet article doit être lu en liaison avec l’article 34 du texte constitutionnel aux termes duquel « la loi fixe les règles concernant … l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ». En d’autres termes, seul le législateur peut créer un nouvel impôt.

Enfin, si cet article reconnaît aux collectivités la capacité de fixer le taux (cette possibilité existait depuis la loi du 10 janvier 1980) et l’assiette des taxes locales, l’exercice de ce pouvoir doit s’opérer « dans les limites » que la loi détermine. La détermination des taux des quatre impôts directs locaux fait, ainsi, l’objet d’un encadrement par le législateur.

C - La compensation des compétences transférées

La réforme constitutionnelle de 2003 crée, également, un droit à compensation financière au profit des collectivités locales lorsque celles-ci se voient attributaires de nouvelles compétences. L’article 72 -2 al. 4° de la Constitution dispose ainsi : « Tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi. »

Cette obligation de compensation fait l’objet d’une surveillance étroite de la part du Conseil constitutionnel qui s’assure que la compensation est concomitante, intégrale, contrôlée et durable. Toutefois, le juge constitutionnel se refuse à consacrer l’obligation pour le législateur de transférer des ressources qui évoluent à la hausse. Seule une garantie minimale est imposée. En d’autres termes, l’Etat n’est tenu qu’au maintien des ressources à un niveau équivalent à celui existant avant le transfert des compétences et n’est pas obligé de les augmenter si les dépenses afférentes aux compétences transférées viennent à évoluer à la hausse.

D - La péréquation

Selon le dernier alinéa de l’article 72 – 2 de la Constitution, « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales. » Il s’agit, là, d’un mécanisme de redistribution visant à réduire les écarts de richesse, et donc les inégalités, entre les différentes collectivités territoriales. Ce dispositif concerne, indirectement, l’autonomie financière locale en ce qu’il est de nature à conforter leur situation financière.

La péréquation peut être horizontale, c’est-à-dire entre collectivités : il s’agit, ici, d’attribuer aux collectivités défavorisées une partie des ressources des collectivités les plus riches. Elle peut, également, être verticale : elle s’opère, alors, de l’Etat vers les collectivités territoriales par l’attribution de dotations étatiques.

Il ne s’agit pas d’une règle véritablement contraignante, mais d’un simple objectif de valeur constitutionnelle. D’ailleurs, la plupart des transferts financiers réalisés à ce titre relèvent de la péréquation verticale, ce qui confère à l’État un rôle majeur dans la correction des inégalités locales. En revanche, les solidarités entre les territoires restent encore insuffisantes.