La définition positive de la règle de droit (fiche darrêt – Cass., Civ .1re, 4 janv. 2005, n° 02-18.904)

Présentation de l’exercice

L’élaboration d’une fiche d’arrêt est une étape indispensable à la bonne compréhension de la décision étudiée, ainsi qu’un préalable à la réalisation du commentaire d’arrêt. Il s’agit donc du premier vrai exercice juridique exigé des étudiants en droit. Élaborer une fiche d’arrêt suppose de savoir correctement lire et déchiffrer une décision de justice (sur ce point, voir la fiche sur le vocabulaire et la qualification juridiques). 

La fiche d’arrêt a pour objectif de présenter, de manière structurée et synthétique, une décision de justice : en partant des faits bruts proposés, l’étudiant doit être capable de retracer l’histoire procédurale du litige, de présenter les arguments en tension de part et d’autre, d’en déduire le problème de droit posé à la juridiction dont la décision est étudiée, et de présenter clairement la solution choisie par les juges. 

Il convient d’abord de prendre connaissance de la décision à étudier et de la liste des questions. Les réponses aux séries de questions posées (Exercice 1) doivent permettre, ensuite, à l’étudiant de rédiger une fiche d’arrêt complète (Exercice 2) ainsi que de comprendre la valeur et la portée de l’arrêt proposé. 

Corpus documentaire et questions

Décision étudiée : Cass., Civ. 1re, 4 janv. 2005, n° 02-18.904

Attendu que l'arrêt attaqué (Bordeaux, 13 mai 2002) relève que l'engagement pris par écrit, par M. Philippe X..., de partager par moitié avec son frère, Bernard, les biens qui lui ont été légués comme héritage par leur "grand-père", Bernard Y..., a pour cause l'obligation morale, reconnue expressément dans l'acte, de respecter les volontés exprimées par leurs "grands-parents" ; que, par ce seul motif tiré de l'existence d'un legs verbal, lequel était expressément invoqué par le frère et emportait, indépendamment de tout lien de filiation avec le défunt, une obligation naturelle à la charge de M. Philippe X... servant de cause à l'obligation civile qu'il avait valablement souscrite, la cour d'appel, sans méconnaître le principe de la contradiction, a légalement justifié sa décision, l'engagement unilatéral pris en connaissance de cause d'exécuter une obligation naturelle transformant celle-ci en obligation civile, M. Philippe X... n'ayant pas soutenu s'être engagé par erreur ; que le moyen n'est donc pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Liste des questions

I.    Les faits matériels

1.    Qui sont les parties concernées par ce litige ? Quelles sont leurs relations ? Dans quelle situation juridique se situent-elles ? Quelle qualification respective peut-on leur donner ? 
2.    Quels sont les engagements concernés par ce litige ? Qui est à l’origine de ces engagements ? 
3.    Qui saisit le juge de première instance ? Qu’est-ce qui est demandé au juge ? Sur quel fondement juridique ?

II.    Les faits procéduraux

1.    Quelles informations sont données sur le jugement de première instance ? 
2.    Sait-on qui a saisi la cour d’appel ? 
3.    Quelle est la cour d’appel saisie ? Quelle est sa décision ? À quelle date est-elle rendue ? 
4.    Qui forme un pourvoi en cassation de l’arrêt d’appel ? 

III.    Les prétentions des parties et la formulation du problème de droit

1.    Quels sont les motifs de la cour d’appel pour statuer en ce sens ? Sur quel engagement se fonde-t-elle ? Quelle qualification en donne-t-elle ? Pourquoi ?
2.    Quelles sont les critiques adressées à la solution de la cour d’appel par le demandeur au pourvoi ? Quelle qualification donne-t-il de l’engagement pris envers son frère ? Pourquoi ?
3.    Quel était alors le problème de droit posé aux juges de la Cour de cassation ?

IV.    La solution de la Cour de cassation

1.    S’agit-il d’un arrêt de rejet ou de cassation ? 
2.    Que dit la Cour sur l’engagement pris par le légataire ? Comment le qualifie-t-elle ?
3.    Comment opère-t-elle le glissement d’une obligation naturelle en obligation civile ? Sur quelle notion juridique s’appuie-t-elle ? 

V.    Pour aller plus loin : sens, valeur, portée (facultatif)

1.    Quels sont les critères classiques de définition de la règle de droit ?
2.    Comment la décision étudiée remet-elle en perspective la définition classique de la règle de droit ? La règle de droit doit-elle toujours être assortie d’une sanction préalable pour être valable ? La règle de droit vise-t-elle une nécessité sociale ? Dans quelle mesure cet arrêt opère-t-il un rapprochement entre droit et morale ? 
3.    Quel est l’enjeu principal de la qualification de l’engagement pris par le légataire ? 
4.    Quelle distinction faites-vous entre obligation morale, obligation naturelle et obligation civile ? 
5.    Si la Cour avait statué aujourd’hui, sur quel texte aurait-elle pu s’appuyer pour fonder sa décision ? 
6.    La décision est-elle nouvelle ou constante ? Si elle est constante, de quelles décisions antérieures pouvez-vous la rapprocher ? 

Exercice 1 : Répondez aux questions suivantes

I.    Les faits matériels

On appelle les « faits matériels » la reprise des éléments factuels de l’arrêt. Il ne faut cependant pas tomber dans l’écueil d’un recopiage de l’arrêt. Il est attendu de l’étudiant qu’il synthétise les seuls faits pertinents, mais aussi qu’il qualifie les parties et les situations litigieuses. 

1.    Qui sont les parties concernées par ce litige ? Quelles sont leurs relations ? Dans quelle situation juridique se situent-elles ? Quelle qualification respective peut-on leur donner ? 

Il y a trois parties dans cette affaire : Philippe X, Bernard X et Bernard Y ainsi que sa femme (non mentionnée directement mais référence est faite aux « grands-parents »). 

Philippe et Bernard X sont frères. Bernard Y est leur ascendant. La Cour utilise des guillemets pour le qualifier de « grand-père » : on comprend à la lecture que Bernard X n’a pas de lien de filiation envers les défunts. 

Les trois parties au litige se retrouvent dans une situation successorale : Bernard Y et son épouse sont décédés. 

Philippe X peut être qualifié de légataire (il est bénéficiaire de la succession de ses grands-parents). Bernard X peut être qualifié de bénéficiaire de l’engagement. Bernard Y (ainsi que son épouse) peut être qualifié de de cujus (le défunt dont la succession est discutée). 

2.    Quels sont les engagements concernés par ce litige ? Qui est à l’origine de ces engagements ? 

Le premier engagement est celui des de cujus. La succession est intégralement léguée à Philippe X, du fait de l’absence de lien de filiation vis-à-vis de Bernard X. Pour assurer malgré tout une équité entre les deux frères, les de cujus ont verbalement fait connaître leur volonté de partager leur succession par moitié, respectivement entre les deux frères. 

Le second engagement est celui de Philippe X. Il s’est engagé par écrit à respecter le legs verbal de ses grands-parents et à partager par moitié avec son frère les biens qui lui ont été légués. 

3.    Qui saisit le juge de première instance ? Qu’est-ce qui est demandé au juge ? Sur quel fondement juridique ?

L’arrêt de la Cour de cassation ne reprend pas l’ensemble du déroulé procédural. Ces informations ne sont pas connues.

II.    Les faits procéduraux

On appelle les « faits procéduraux » l’ensemble des étapes de la procédure. Elle débute le plus souvent avec une assignation, ou avec une requête. Il s’agit de retracer le déroulé de la procédure jusqu’au pourvoi devant la juridiction suprême. 

1.    Quelles informations sont données sur le jugement de première instance ? 

L’arrêt de la Cour de cassation ne reprend pas l’ensemble du déroulé procédural. Ces informations ne sont pas connues. 

2.    Sait-on qui a saisi la cour d’appel ? 

L’arrêt de la Cour de cassation ne reprend pas l’ensemble du déroulé procédural. Il est impossible de savoir qui a interjeté appel.

3.    Quelle est la cour d’appel saisie ? Quelle est sa décision ? À quelle date est-elle rendue ? 

La cour d’appel de Bordeaux, par un arrêt en date du 13 mai 2022, condamne le légataire à partager la moitié des biens reçus de la succession avec son frère. 

4.    Qui forme un pourvoi en cassation de l’arrêt d’appel ? 

Même si cela n’est pas clairement dit, il est possible de déduire que le légataire, Philippe X, est mécontent de sa condamnation et forme un pourvoi en cassation. 

III.    Les prétentions des parties et la formulation du problème de droit

Une fois les éléments factuels et procéduraux posés et compris, il faut plonger davantage dans le fond du raisonnement : que souhaitent l’une et l’autre des parties ? En confrontant les prétentions de chacune des parties à l’instance, il sera possible d’en déterminer la question posée aux juges. 

1.    Quels sont les motifs de la cour d’appel pour statuer en ce sens ? Sur quel engagement se fonde-t-elle ? Quelle qualification en donne-t-elle ? Pourquoi ?

La cour d’appel se fonde sur l’existence du legs verbal fait par les de cujus. Elle constate ensuite qu’il y a bien eu un engagement écrit de la part du légataire de partager par moitié les biens qu’il a reçus de la succession avec son frère. Cet engagement écrit prend sa source dans le devoir moral d’exécuter les dernières volontés des grands-parents. La cour d’appel en conclut que le légataire s’est engagé en connaissance de cause, ce qui a transformé l’obligation naturelle en obligation civile.

2.    Quelles sont les critiques adressées à la solution de la cour d’appel par le demandeur au pourvoi ? Quelle qualification donne-t-il de l’engagement pris envers son frère ? Pourquoi ?

Les moyens du pourvoi ne sont pas repris dans la décision de la Cour de cassation. Cependant, on peut présumer que le légataire considère qu’un legs verbal n’est pas valable*, d’autant plus qu’il n’existe aucun lien de filiation entre son grand-père décédé et son frère. Dès lors et conséquemment, l’engagement écrit pris sur le fondement de ce legs verbal n’est pas valable non plus. La cour d’appel ne peut donc pas le condamner à partager la moitié des biens qu’il a reçus par legs avec son frère en dehors de tout fondement juridique.  

* C. civ., art. 970 : « Le testament olographe ne sera point valable, s’il n’est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur ». 

3.    Quel était alors le problème de droit posé aux juges de la Cour de cassation ?

La question posée à la Cour de cassation était ainsi la suivante : un engagement unilatéral basé sur une obligation naturelle peut-il se transformer en obligation civile exécutoire ?

IV.    La solution de la Cour de cassation

La fiche se termine avec la solution de la juridiction dont la décision est étudiée. Il s’agit de comprendre le sens de la décision, le raisonnement emprunté, les fondements choisis. Il s’agit également de synthétiser et de reformuler le raisonnement pour qu’en une phrase ou deux, l’essentiel puisse être retenu.

1.    S’agit-il d’un arrêt de rejet ou de cassation ? 

Il s’agit d’un arrêt de rejet. Cela signifie que la Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme l’arrêt d’appel.

2.    Que dit la Cour sur l’engagement pris par le légataire ? Comment le qualifie-t-elle ?

Suivant le raisonnement de la cour d’appel, la Cour de cassation considère que l’engagement écrit du légataire de respecter le legs verbal de ses grands-parents est une obligation civile. 

3.    Comment opère-t-elle le glissement d’une obligation naturelle en obligation civile ? Sur quelle notion juridique s’appuie-t-elle ? 

La Cour reconnaît que le legs verbal n’est pas valable et ne produit aucun effet. Mais lorsque le légataire s’est engagé par écrit à exécuter ce legs verbal, il s’est opéré une transformation : l’obligation morale (respecter les dernières volontés du défunt) est devenue une obligation civile en raison de l’engagement unilatéral du légataire.  

V.    Pour aller plus loin : sens, valeur, portée

Les dernières questions préparent l’étudiant à raisonner en vue de la construction du plan et de la rédaction du commentaire. Elles portent sur le raisonnement employé par la Cour de cassation pour parvenir à sa décision. 

1.    Quels sont les critères classiques de définition de la règle de droit ?

La règle de droit doit être abstraite (impersonnelle, générale, permanente…), nécessaire (notamment aux rapports sociaux entre les individus) et coercitive (la sanction est étatique). 

2.    Comment la décision étudiée remet-elle en perspective la définition classique de la règle de droit ? La règle de droit doit-elle toujours être assortie d’une sanction préalable pour être valable ? La règle de droit vise-t-elle une nécessité sociale ? Dans quelle mesure cet arrêt opère-t-il un rapprochement entre droit et morale ? 

La décision interroge tout d’abord le caractère nécessaire de la règle de droit. Ce caractère repose sur l’idée que la règle de droit vise l’intérêt social, les rapports sociaux. De manière générale, il y a un intérêt social indéniable à ce qu’une personne, qui déclare s’engager à exécuter une obligation naturelle, devienne débitrice d’une dette à caractère civil. Au cas particulier, l’obligation morale est fondée sur une volonté des défunts de répartir également leurs biens entre leurs descendants, indépendamment de l’existence d’un lien de filiation entre eux. Il y a donc la volonté d’une redistribution équitable des richesses, au sens aristotélicien du terme. L’obligation naturelle met en jeu à la fois une morale collective (le partage des biens légués relève de l’équité) mais aussi une morale individuelle (la promesse intime de s’exécuter, la bonne foi dans les relations familiales, mais aussi le respect des dernières volontés au-delà d’un obstacle purement formel). 

La décision interroge ensuite le caractère coercitif. La règle de droit est en principe fondée sur l’idée que son inexécution équivaut automatiquement à une sanction étatique. Or, dans l’arrêt présenté, l’obligation concernée ne faisait pas, au préalable, l’objet d’une sanction étatique car elle était qualifiée d’obligation morale ou naturelle. C’est donc bien la transformation en obligation civile qui entraîne l’application d’une sanction étatique (Civ. 1re, 14 févr. 1978, n° 76-11.428).

Enfin, la décision interroge la source de la règle de droit. La règle de droit peut avoir sa source dans la volonté individuelle. C’est l’exemple du contrat, mais ce dernier repose sur la rencontre de volontés. Le seul engagement unilatéral ne produit pas, de manière autonome et indépendante, d’effet juridique. Or, en l’espèce, l’engagement écrit pris par le légataire produit une obligation civile, obligeant le promettant à s’exécuter. La règle de droit peut donc provenir de la volonté individuelle, mais uniquement parce que préexiste une dette morale. Le droit prend en compte l’extériorisation de la volonté d’exécuter la dette morale. 

La décision de la Cour de cassation met en lumière que le droit et la morale, loin d’être hermétiques l’un à l’autre, sont deux sources distinctes de devoirs qui parfois se recoupent et se superposent. Ainsi, un simple devoir de conscience, réservé a priori à la sphère morale et intime, peut devenir une obligation civile à la faveur d’une « juridisation » opérée par l’engagement unilatéral et volontaire d’une personne de l’exécuter. 

3.    Quel est l’enjeu principal de la qualification de l’engagement pris par le légataire ? 

L’enjeu principal concerne l’exécution de l’engagement du légataire. En principe, le legs verbal est nul et ne produit aucun effet. Le légataire « virtuel » ne peut donc pas en demander l’exécution forcée aux autres légataires. En d’autres termes, un simple devoir de conscience n’est pas susceptible d’exécution forcée. Cela n’est pas le cas d’une obligation civile, qui est en principe susceptible d’exécution forcée. 

4.    Quelle distinction faites-vous entre obligation morale, obligation naturelle et obligation civile ? 

L’obligation morale correspond à l’engagement intime, au devoir de conscience. Elle n’a donc aucun caractère juridique. Elle correspond, dans les faits et selon la Cour de cassation, au respect des dernières volontés exprimées par les défunts. 

L’obligation naturelle est plus qu’une obligation morale car elle est prise en compte par le droit. Cependant, cette prise en compte est relative, car elle ne produit des effets juridiques que si elle est exécutée (il est impossible pour le débiteur d’agir en répétition de l’indu, par exemple). Elle correspond, dans les faits et selon la Cour de cassation, à l’obligation mise à la charge de Phillipe X de respecter les dernières volontés de ses grands-parents. 

L’obligation civile est une obligation créée et reconnue par le droit. Elle peut faire l’objet d’une action en justice, peut donner lieu à répétition, etc. Elle correspond, dans les faits et selon la Cour de cassation, à l’obligation tirée de la promesse faite par Philippe X d’exécuter les dernières volontés de ses grands-parents. 

On peut ici regretter l’absence de clarté dans les termes utilisés par la Cour de cassation, car la distinction entre obligation morale et obligation naturelle est peu lisible. 

5.    Si la Cour avait statué aujourd’hui, sur quel texte aurait-elle pu s’appuyer pour fonder sa décision ? 

La Cour de cassation aurait pu se fonder sur l’article 1100, al. 2 du Code civil, issu de la réforme du 10 février 2016 et qui dispose que « [les obligations] peuvent naître de l'exécution volontaire ou de la promesse d'exécution d'un devoir de conscience envers autrui ». Cet article consacre l’existence d’obligations naturelles, fondées sur « le devoir de conscience envers autrui » et donc sur un fondement moral. Par ailleurs, l’article rappelle que ce devoir de conscience peut se muer en obligation civile dès lors qu’une personne promet de l’exécuter. 

6.    La décision est-elle nouvelle ou constante ? Si elle est constante, de quelles décisions antérieures pouvez-vous la rapprocher ?

La décision n’est pas nouvelle. La Cour de cassation avait déjà pu statuer dans le même sens au sujet de legs verbaux pour lesquels le légataire ou l’héritier avait commencé à exécuter ou s’était engagé à exécuter le devoir moral (Civ. 19 déc. 1860, DP 1861. 1. 17 ; Req. 9 juill. 1873, DP 1874. 1. 219 ; Civ. 27 déc. 1963, RTD civ. 1964. 591, note R. Savatier).

Plus généralement, la Cour avait déjà pu consacrer l’idée de la « transformation » de l’obligation naturelle en obligation civile par l’engagement unilatéral de l’exécuter (Civ. 1re, 10 oct. 1995, no 93-20.300), solution réitérée par la suite (Civ. 1re, 3 oct. 2006, no 04-14.388 ; Civ. 1re, 21 nov. 2006, no 04-16.370).

Exercice 2 : Rédigez une fiche d’arrêt

Énoncé

A l’aide des réponses aux questions précédentes, rédiger une fiche d’arrêt structurée, avec une accroche et une annonce de plan circonstanciée.

Corrigé

La règle de droit est classiquement définie en parallèle à la morale, la première concernant de l’organisation de la vie en société, tandis que la seconde s’intéresse à la conscience intime de chacun. Il existe pour autant des situations dans lesquelles droit et morale se recoupent. Cela est notamment le cas lorsqu’une personne s’engage volontairement à exécuter ce qui n’est qu’un devoir moral de conscience. Il est revenu à la Cour de cassation de préciser la nature et la portée d’un tel engagement, dans l’arrêt étudié du 4 janvier 2005. 

En l’espèce, un homme décède et lègue une partie de ses biens à son petit-fils légataire. Il exprime la volonté que les biens concernés soient partagés de moitié avec le frère du légataire, bien qu’il ne partage aucun lien de filiation avec ce « petit-fils ». Le légataire s’engage par écrit à réaliser les dernières volontés de son grand-père, puis revient sur son engagement. La cour d’appel de Bordeaux condamne le légataire à exécuter son engagement de partager par moitié les biens reçus de la succession de son grand-père. Les juges d’appel se fondent sur le legs verbal du de cujus de partager ses biens entre ses deux « petits-fils ». Ils constatent ensuite l’existence d’un engagement écrit du légataire, s’engageant à respecter cette volonté.  La cour d’appel en conclut que le légataire s’est engagé en connaissance de cause : son engagement écrit a pour origine le legs verbal, ce qui a transformé l’obligation naturelle en obligation civile.

Le légataire forme un pourvoir en cassation contre cette analyse. Il considère qu’un legs verbal n’est pas valable, d’autant plus qu’il n’existe aucun lien de filiation entre son grand-père décédé et son frère. Dès lors et conséquemment, l’engagement écrit pris sur le fondement de ce legs verbal n’est pas valable non plus. La cour d’appel ne peut donc pas le condamner à partager la moitié des biens qu’il a reçus par legs avec son frère.  

La question posée à la Cour de cassation était donc la suivante : un engagement unilatéral basé sur une obligation naturelle peut-il se transformer en obligation civile exécutoire ?

Dans un arrêt de rejet en date du 4 janvier 2005, la première chambre civile de la Cour de cassation confirme la solution de la cour d’appel. Elle considère que l’engagement écrit du légataire de respecter le legs verbal de ses grands-parents doit être qualifié d’obligation civile. Pour statuer en ce sens, la Cour reconnaît que le legs verbal n’est pas valable. Mais lorsque le légataire s’est engagé par écrit à exécuter ce legs verbal, il s’est opéré une transformation : l’obligation morale (respecter les dernières volontés du défunt) est devenue une obligation civile en raison de l’engagement unilatéral pris par le légataire d’exécuter ce devoir de conscience.  

La Cour de cassation rappelle ici les modalités de transformation d’un devoir de conscience en obligation civile contraignante. La qualification de l’engagement pris par le légataire était ici essentielle, car c’est en réalité la possibilité d’une exécution forcée qui se jouait. Pour qualifier l’engagement pris par le légataire d’obligation civile, la Cour devait au préalable caractériser l’existence d’une obligation naturelle au sein du legs verbal du défunt au soutien de la promesse faite (I). C’est parce que le légataire s’était engagé sur le fondement de l’obligation naturelle préalable que cette dernière a pu se transformer en obligation civile susceptible d’exécution forcée (II). 

I - L’existence d’une obligation naturelle contenue dans le legs verbal

II - La transformation en obligation civile par l’engagement unilatéral du légataire