Introduction
D’une façon générale, le domaine sanitaire ou médical nous donne pléthore d’exemples en matière de responsabilité : faute d’un établissement hospitalier dans la prise en charge d’un patient, affaire du « sang contaminé », responsabilité pour dysfonctionnement des secours, gestion de l’épidémie de Covid-19, etc.
Comme tout ce qui touche au domaine médical, dès lors que les différentes actions ont un impact sur la vie ou la bonne santé des personnes, la vaccination n’est pas en reste en termes d’enjeux juridiques. Si l’administration de vaccins qui visent à protéger de certaines maladies démontre indéniablement son efficacité depuis Pasteur, elle n’est pas toujours sans risque. Des hypothèses d’engagement de la responsabilité civile sont ainsi prévues, notamment en cas de faute du fabricant (C. Civil, art. 1245 et s.). L’épidémie récente de Covid-19 et la vaccination qui a suivi ont inévitablement relancé des débats importants sur ces questions. L’engagement de la responsabilité des acteurs publics, qui encouragent à la vaccination en la rendant notamment obligatoire dans certaines situations, pose également question.
Si les lois du 1er juillet 1964 et du 26 mai 1975 ont été les premiers textes à mettre en œuvre un régime particulier de responsabilité administrative concernant les vaccins (I), les conditions pour être indemnisé apparaissent particulièrement strictes (II).
I - Un régime particulier de responsabilité administrative en matière de vaccination
Comme toujours en matière de responsabilité administrative, il s’agira de mettre en cause et d’engager la responsabilité de certains acteurs publics pour leur action en matière de vaccination (A). Le régime particulier de responsabilité sans faute à l’encontre de l’État est largement financé par la solidarité nationale (B).
A - La mise en cause d'acteurs publics en matière de vaccination
Ce sont principalement l’État (1) et les établissements publics hospitaliers (2) qui peuvent voir leur responsabilité être engagée devant le juge administratif.
1 - L’État : une responsabilité sans faute en matière vaccinale
Le législateur a décidé de faire bénéficier les victimes d'un régime de responsabilité sans faute de l'État, pour tout dommage directement imputable à la vaccination. Si l’État est compétent pour mettre en œuvre la politique de santé sur l’ensemble du territoire, en lien avec les collectivités territoriales, c’est lui qui fixe les grands axes en matière de santé publique. Le Code de la santé publique précise d’ailleurs que toute personne bénéficie d’un droit fondamental à la santé (CSP, art. L. 1110-1).
À ce titre l’État intervient sur les questions vaccinales. Le législateur fixe notamment la liste des vaccins obligatoires pour les enfants, conformément à l’article L. 3111-2 du Code de la santé publique qui précise que : « Les vaccinations suivantes sont obligatoires, sauf contre-indication médicale reconnue, dans des conditions d'âge déterminées par décret en Conseil d'État, pris après avis de la Haute Autorité de santé : 1) Antidiphtérique ; 2) Antitétanique ; 3) Antipoliomyélitique ; 4) Contre la coqueluche ; 5) Contre les infections invasives à Haemophilus influenzae de type b; 6) Contre le virus de l'hépatite B ; 7) Contre les infections invasives à pneumocoque; 8) Contre le méningocoque de sérogroupe C ; 9) Contre la rougeole ; 10) Contre les oreillons ; 11) Contre la rubéole ».
Pendant la crise du Covid-19, le vaccin a été rendu obligatoire pour certaines professions à risques (milieux médical et social notamment), tandis que la vaccination conditionnait pour d’autres citoyens l’obtention d’un « pass vaccinal » permettant d’accéder à un certain nombre de lieux. Mais ce régime de responsabilité sans faute ne doit pas occulter la possibilité, plus rare, d’engager la responsabilité pour faute des services hospitaliers.
2 - Les établissements publics hospitaliers : rare perspective de responsabilité pour faute
Classiquement en ce qui concerne les établissements publics hospitaliers, le juge administratif peut engager leur responsabilité dans différentes perspectives de fautes de service (Conseil d’État, Dossier thématique : « l’engagement de la responsabilité des hôpitaux publics », janvier 2015).
Pour la vaccination, la responsabilité de l’hôpital peut être retenue si l’acte de vaccination a été mal dispensé ou si les vaccins ont été mal conditionnés par cet acteur médical par exemple. Cette perspective existe dans la jurisprudence (voir notamment l’exemple jurisprudentiel : CE Ass., 7 mars 1958, Secrétaire d’Etat à la santé publique c/ Sieur D., n° 38230), mais elle apparait plus rare, les victimes d’injections et complications vaccinales ayant plutôt tendance à mettre directement en cause l’État, le régime sans faute leur étant plus favorable. Il faut dire que le régime de responsabilité sans faute est, en plus, financé par la solidarité nationale et spécialement prévu.
B - Un régime de responsabilité sans faute financé par la solidarité nationale
Le régime de responsabilité sans faute entraine une indemnisation largement fondée sur la solidarité nationale. Il convient de revenir brièvement sur ce principe juridique (1), avant d’en voir la concrétisation en matière vaccinale (2).
1 - La solidarité nationale : un principe constitutionnel
Le principe de solidarité nationale est profondément ancré dans le droit français et dans le fonctionnement de nombreux services publics. L’alinéa 12 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 en consacre notamment les contours en précisant que « La Nation proclame la solidarité et l'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales ».
Il est aujourd’hui pleinement reconnu, notamment en matière de santé et de secours avec un financement national qui permet d’en faciliter l’égal accès (sur le sujet, voir notamment : P. Charlot et Y. Laidié, La solidarité en droit public, L’Harmattan, 2005). La sécurité sociale est l’une des plus parlantes illustrations dans ce domaine.
En matière de responsabilités civile, pénale et administrative, des mécanismes de solidarité sont également mis en œuvre pour permettre aux victimes d’être indemnisées dans des situations complexes telles que l’insolvabilité des responsables.
2 - La mise en œuvre d’un régime d’indemnisation solidaire à travers l’ONIAM
Pour les vaccinations obligatoires, la loi du 9 août 2004 a introduit au Code de la santé publique, les dispositions suivantes : « (…) la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent titre, est assurée par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales institué à l’article L. 1142-22, au titre de la solidarité nationale » (CSP, art. L. 3111-9). L’ONIAM va, comme d’autres organismes ou fonds d’indemnisation, permettre un suivi des dossiers et une indemnisation rapide des victimes.
Pour autant, l’ONIAM veille à ce qu’un certain nombre de conditions soient respectées.
II - Un régime d'indemnisation difficile à mettre en œuvre : une indemnisation conditionnée
Le régime créé par le législateur ne concerne que les vaccins obligatoires (A), mais est également soumis à d’autres conditions que les victimes sont amenées à respecter (B).
A - Un régime de responsabilité sans faute qui ne concerne que la vaccination obligatoire
Le régime ne concerne que les vaccins qui sont listés par le Code de la santé publique comme obligatoires (1), ce qui pose un débat particulier pour le vaccin contre le Covid-19 (2).
1 - La vaccination obligatoire au sens du Code de la santé publique
Comme nous l’avions évoqué précédemment, le législateur et le pouvoir réglementaire fixent une liste de vaccins obligatoires notamment pour les jeunes enfants (CSP, art. L. 3111-2 et L. 3111-6). De même, ils viennent fixer des vaccinations obligatoires pour les adultes exerçant certaines formations ou professions à risques (CSP, art. L. 3111-3, L. 3111-4 et L. 3112-1).
Lorsque les vaccins sont obligatoires, les victimes pourront bénéficier du régime de responsabilité sans faute prévu par le Code de la santé publique et mis en œuvre par l’ONIAM. Ici, la victime n’est pas tenue de démontrer la gravité particulière des dommages, ni l’existence d’une faute du praticien qui a effectué la vaccination, ni d’un défaut du produit, pour être indemnisée.
Le vaccin contre le Covid-19, au cœur de la crise sanitaire, a posé la question de l’indemnisation, son caractère obligatoire n’étant pas extrêmement clair.
2 - Le cas particulier et flou du vaccin contre le Covid-19
Effectivement, le vaccin contre le Covid-19 demeure obligatoire pour les professions à risques, mais facultatif pour les autres. Toutefois, les opposants à la vaccination ont mis en avant le caractère obligatoire « détourné » ou « indirect » du vaccin dès lors qu’il était nécessaire durant une certaine période, dans le cadre d’un « pass vaccinal », pour accéder à certains lieux publics (bar, restaurants, etc.).
Le législateur a mis fin à ce débat en indiquant qu’il était possible pour l’ONIAM d’indemniser les victimes d’actes de soins – comprenant la vaccination – dans le cadre des mesures prises durant l’état d’urgence sanitaire (CSP, art. L. 3131-4). Finalement, le régime est assez semblable à celui qui s’applique aux vaccins obligatoires évoqués ci-dessus.
B - Un régime de responsabilité sans faute soumis à d'autres conditions
S’il apparait donc assez simple à mettre en œuvre, le régime d’indemnisation sans faute pour vaccination obligatoire requiert le respect d’autres conditions, notamment dégagées par la jurisprudence. L’établissement d’un lien de causalité apparait essentiel dans la jurisprudence (1) et cette condition est complétée par d’autres, plus marginales (2).
1 - L’établissement du lien de causalité entre la vaccination et un dommage : une condition fondamentale
L’affaire du vaccin contre « l’hépatite B » a notamment posé cette question du lien de causalité entre la vaccination obligatoire pour certains professionnels de santé et l’apparition de sclérose en plaques, malade neurologique, chez certains de ces patients.
Pour le juge administratif qui apprécie ce lien de causalité in concreto, il convient de prouver que la survenance de cette maladie est intervenue dans un laps de temps très court après la vaccination et de démontrer le bon état de santé antérieur du patient. Ainsi, il a pu accepter la responsabilité sans faute de l’État dans plusieurs dossiers (par ex. : TA Marseille, 5 novembre 2002, Molard ; CE, 9 mars 2007, n° 267635) et la refuser dans d’autres (par ex. : CE, 25 février 2011, n° 324051). L’état des connaissances scientifiques et d’éventuelles expertises doivent également servir au juge administratif pour justifier son raisonnement. La communauté scientifique reste sceptique sur l’affaire du vaccin contre l’hépatite B.
2 - D’autres conditions ou éléments à retenir
Quelques éléments ou conditions doivent également être mis en œuvre ou être rappelés dans le cadre de ce régime. Si des actions civiles ou pénales sont toujours possibles à l’encontre d’autres parties, ces actions n’ont pas de caractère obligatoire dans ce régime administratif de responsabilité sans faute.
Aussi, l’ONIAM est en droit de réaliser une expertise médicale pour déterminer les conditions nécessaires à l’indemnisation. Enfin, la victime ne pourra demander d’indemnisation complémentaire à l’État, dès lors qu’elle aura accepté l’indemnisation proposée par l’Office.
