La nullité du mariage (cas pratique)

Énoncé du sujet

Louise et Sultane sont mariées depuis six ans. Or Louise sent bien que ces derniers temps, Sultane est distante. Elle a alors pris la décision de fouiller son téléphone. Sa meilleure amie lui avait bien dit que « quand on cherche on trouve », mais elle ne s’attendait pas à ce qu’elle a trouvé… Louise est en effet tombée sur des discussions avec un certain Ali, qui lui demandait de rentrer au pays pour « leur huit ans de mariage », et « d’en finir avec l’autre française » puisque ce qui était prévu est arrivé : « obtenir la nationalité française ». Elle n'en revient pas, et est extrêmement triste, elle qui s’est tant investie dans leur idylle et l’a accompagnée à tous ses rendez-vous pour l’obtention de la nationalité, sans jamais n’avoir rien vu… Après l’avoir confrontée, Sultane lui assure qu’elle l’aime et qu’elle ne veut pas la quitter. Cependant, Louise n'a plus confiance et se sent trompée.

Que peut faire Louise ? 

Résolution du cas

Louise est mariée à Sultane depuis six ans. Grâce à ce mariage, Sultane a obtenu la nationalité française. Cependant, elle était déjà mariée dans son pays d’origine, et semble s’être mariée pour obtenir la nationalité, donc sans intention maritale, ce que Louise apprend de manière fortuite. 

Louise peut-elle annuler son mariage ? Quelles en seront les conséquences ?

Louise veut remettre en cause son mariage (I) et s’intéresse aux conséquences (II). 

I – La remise en cause du mariage

La remise en cause du mariage est justifiée selon plusieurs fondements (A) qu’il conviendra de prouver (B).

A – Les fondements de la remise en cause du mariage

La remise en cause du mariage peut être due à l’absence de consentement (1) ainsi qu’à la bigamie (2).

1 - Le défaut de consentement

L’absence d’intention matrimoniale peut-elle conduire à la nullité du mariage ?

L’article 146 du Code civil dispose que « il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement ». 

Or précisément la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a déjà jugé, le 20 novembre 1963 (n°62-12.722), que « le mariage est nul, faute de consentement, lorsque les époux ne se sont pas prêtés à la cérémonie qu’en vue d’atteindre un résultat étranger à l’union matrimoniale ». En effet, l’absence d’intention matrimoniale est assimilée à une absence de consentement, conduisant à la nullité du mariage. Cela explique que le mariage soit considéré comme nul lorsqu’un époux s’est marié dans le seul but d’acquérir ou de faire acquérir la nationalité française (civ. 1ère, 6 juillet 2000, n°98-10.462). Il s’agit alors d’une nullité absolue, comme le prévoit l’article 184 du Code civil, qui peut être invoquée par les époux dans un délai de trente ans à compter de la célébration du mariage.

En l’espèce, Louise a découvert que Sultane s’était mariée avec elle aux seules fins d’obtenir la nationalité française. En effet elle a lu des messages échangés avec un certain Ali qui évoquait un projet initial d’obtenir la nationalité française. Peu importe que Sultane dise à Louise que désormais elle l’aime, le moment pendant lequel l’intention matrimoniale doit être observée est au jour de la célébration du mariage. 

Le mariage ayant été célébré six ans plus tôt, Louise est largement dans les délais pour agir en nullité. 

Ainsi, si Louise arrive à prouver que Sultane s’est mariée avec elle aux seules fins d’obtenir la nationalité française, elle pourra obtenir la nullité du mariage.

2 - La bigamie

La conclusion d’un deuxième mariage peut-être conduire à sa nullité ? 

L’article 147 du Code civil dispose qu’il est ne peut être contracté un second mariage avant la dissolution du premier. Ainsi le droit français prohibe la polygamie. Toutefois, une nuance est apportée par la jurisprudence dans le cas où les lois nationales de chacun des époux concernés autorisent la bigamie (Paris, 14 juin 1995, D. 1996. 156, note F. Boulanger). Cependant, elle précise bien que dès lors qu’un des membres du couple est français, un tel mariage ne trouve pas d’effet (civ. 1ère, 24 septembre 2002, n°00-15.789). En effet, dès lors que la loi française s’applique, le mariage encourt la nullité absolue, et le deuxième mariage peut être attaqué dans un délai de trente ans à compter de sa célébration par les époux eux-mêmes, en application de l’article 184 du Code civil.  

En l’espèce, Louise a lu des messages dans lesquels il est écrit que Sultane est mariée avec un certain Ali, à l’étranger. Ce mariage aurait été contracté il y a huit ans, alors que le sien a duré six ans. Louise est donc dans une deuxième union. Bien qu’il ne soit pas précisé si la loi du pays en question autorise la bigamie, le fait que Louise soit française conduit à l’interdiction de toute deuxième union. Louise aura donc vingt-quatre ans pour arguer de la nullité absolue de son mariage avec Sultane. 

Ainsi, si Louise apporte la preuve du premier mariage de Sultane, elle obtiendra sans difficulté la nullité de son mariage.  

B – La preuve des fondements de remise en cause du mariage

En application de l’article 9 du Code de procédure civile, « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ». Le mode de preuve est alors différent selon qu’il s’agisse d’un acte ou d’un fait juridique. Le premier nécessite que soit apportée une preuve écrite (article 1359 du Code civil), quand le second peut être prouvé par tout moyen (article 1358 du Code civil). Or précisément, le mariage est un acte juridique, et doit être prouvé par écrit (articles 194 et 195 du Code civil), quand l’intention matrimoniale est, elle, un fait juridique et peut donc être prouvée par tout moyen. Cependant, la preuve n’est pas totalement libre dans la mesure où doit être respectée le principe du respect à la vie privée posé par l’article 9 du Code civil, bien que la jurisprudence fasse preuve de tolérance lorsqu’il s’agit d’apporter une preuve nécessaire à l’exercice d’une action judiciaire. En effet l’assemblée plénière de la Cour de cassation a déjà jugé le 22 décembre 2023 (n°20-20.648) que des preuves obtenues de façon déloyales étaient recevables, après avoir réalisé un contrôle de proportionnalité entre l’atteinte portée au droit à la vie privée et la raison pour laquelle les preuves avaient été obtenues. Au titre de la réalisation du contrôle de proportionnalité, lorsqu’il s’agit de la fouille dans le téléphone, les juges prennent en considération le fait de savoir s’il existait un mot de passe, et si celui-ci a été obtenu avec fraude (Paris, 17 nov. 2016, Dr. fam. 2017. Comm. 2, note Binet).

En l’espèce, Louise, doit apporter la preuve de deux éléments pour espérer obtenir la nullité de son mariage. 

D’abord, elle doit prouver que Sultane était dépourvue d’intention matrimoniale au moment de son mariage. Pour cela, elle dispose de messages sur son téléphone. Ces messages ont été obtenus de manière déloyale puisque le téléphone a été « fouillé », et portent donc atteinte à la vie privée de Sultane qui n’a visiblement pas donné son accord. Cependant, il est possible que les juges admettent l’usage de telles preuves afin de soutenir une demande en justice, surtout si le téléphone ne disposait pas de mot de passe afin d’être débloqué. Cependant, cela n’est pas garanti. Surtout, ces messages pourraient ne pas suffire à prouver l’absence d’intention matrimoniale au moment du mariage, car ils proviennent de ce que pense le mari Ali, et pas de ce que Sultane affirme. 

Ensuite, Louise doit prouver l’existence de la bigamie. La preuve sera ici plus simple à apporter dans la mesure où le premier mariage de Sultane a dû faire l’objet d’un acte de mariage, qu’il lui suffira de se procurer afin de le produire en justice. 

Ainsi si le défaut d’intention matrimoniale peut être difficile à prouver, l’existence de la bigamie le sera plus aisément et conduira très certainement à la nullité du mariage. 

II - Les effets de la nullité du mariage

Quels sont les effets de la nullité du mariage sur la nationalité acquise du fait de l’union ? 

L’article 201 du Code civil dispose que « le mariage qui a été déclaré nul produit néanmoins ses effets à l’égard des époux, lorsqu’il a été contracté de bonne foi ». Lorsque seul l’un des époux était de bonne foi, seul ce dernier bénéficiera des effets du mariage selon l’alinéa 2 du même article. L’époux de mauvaise foi perdra quant à lui tous les bénéfices des effets du mariage. Il ressort ainsi de la lecture a contrario de l’article 21-5 du Code civil que la déclaration de nationalité obtenue par l’époux de mauvaise foi devient caduque. La 1ère chambre civile de la Cour de cassation a d’ailleurs confirmé cette solution le 29 novembre 1989, en considérant que « doit être annulée la déclaration acquisitive de nationalité française faite de mauvaise foi par un étranger dont le mariage avait été annulé pour bigamie » (1ère civ., 29 novembre 1989, n°88-11.993). 

En l’espèce, le mariage de Louise et Sultane est sanctionné par la nullité, soit que la bigamie soit retenue, soit que le défaut d’intention matrimoniale le soit, ou encore les deux. Or si Louise ignorait la bigamie comme le défaut d’intention matrimoniale de sa conjointe, Sultane ne pouvait quant à elle pas l’ignorer, puisqu’elle est la première concernée. Sultane, contrairement à Louise, devrait donc perdre les effets attachés au mariage. Toutefois il sera nécessaire d’apporter la preuve de cette mauvaise foi, ce qui ne sera pas si évident. En effet deux choses. Si le défaut d’intention matrimoniale n’a pu être prouvé, il faudra prouver que Sultane avait connaissance de l’interdiction de la bigamie en France, si son pays l’autorisait. Si le défaut d’intention matrimoniale est prouvé cependant, il sera bien plus facile d’en déduire la mauvaise foi de Sultane, et ainsi d’obtenir qu’elle perde la nationalité française. 

Ainsi Sultane risque de perdre la nationalité française si Louise apporte la preuve de la mauvaise foi de Sultane le jour du mariage.