Le droit international, un droit consensuel ? (dissertation)

Introduction

« Le droit international est, pour les États, non seulement un ensemble normatif, mais aussi un langage commun. » Par cette formule, l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Boutros Boutros-Ghali, met en lumière la double nature du droit international : il est à la fois un ensemble de règles contraignantes et un cadre de communication fondé sur un socle d’accords partagés. Cette dimension consensuelle est consubstantielle à un ordre juridique sans autorité supérieure. Mais dans un contexte de transformations profondes du droit international, cette logique du consentement demeure-t-elle encore exclusive et suffisante ?

Le droit international est l’ensemble des règles juridiques régissant les relations entre les sujets du droit international, au premier rang desquels figurent les États. Sa spécificité réside notamment dans l’absence d’autorité législative ou exécutive centrale, ce qui distingue fondamentalement son fonctionnement de celui des ordres juridiques internes. Dans ce contexte, le fondement de la norme repose principalement sur un principe de souveraineté et d’autonomie des volontés. Dire que le droit international est un droit consensuel revient à affirmer qu’il ne produit d’effets juridiques obligatoires pour un État qu’à la condition que celui-ci y ait librement consenti, de manière explicite, par exemple, par la ratification d’un traité, ou implicite, par l’adhésion à une coutume reconnue comme telle. Cette conception, héritée du volontarisme classique, structure les principales sources du droit international, que sont les traités et la coutume, ainsi que le fonctionnement des juridictions internationales, dont les États acceptent volontairement la compétence. Toutefois, à mesure que se développent des normes à vocation universelle et des obligations inconditionnelles, la notion même de consensus interroge. Le caractère consensuel du droit international reste donc central, mais de plus en plus nuancé par l’évolution de ses sources et de ses mécanismes.

Historiquement, le droit international s’est construit sur la base du principe de souveraineté des États, affirmé dès le traité de Westphalie en 1648. En l’absence de pouvoir central, le consentement des États a longtemps été la condition sine qua non de la validité d’une norme internationale, qu’il s’agisse de traités ou de coutumes. Cette approche volontariste a été consolidée par la doctrine classique du XIXe siècle, influencée par le positivisme juridique, selon laquelle l’obligation internationale ne peut naître que d’un accord de volonté. L’article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice, adopté en 1945, en conserve l’empreinte : les conventions, la coutume et les principes généraux de droit y sont présentés comme fondés sur une reconnaissance par les États. Toutefois, dès la seconde moitié du XXe siècle, cette vision est confrontée à de nouveaux enjeux. La mondialisation des relations internationales, la montée en puissance des droits fondamentaux, de l’environnement ou de la sécurité collective, ainsi que l’émergence d’un intérêt général international, ont conduit à l’objectivation partielle du droit international, avec la reconnaissance de normes impératives (jus cogens) ou d’obligations erga omnes. Ces évolutions invitent à réinterroger la place du consentement dans le système juridique international contemporain.

Au vu de ces éléments, il convient de répondre à la problématique suivante : Le droit international repose-t-il toujours exclusivement sur le consentement des États, ou tend-il à s’en affranchir dans certains cas pour répondre à des exigences d’universalité ou de protection de l’intérêt général ?

Pour répondre à cette problématique, il conviendra de voir que le droit international est historiquement structuré par une logique consensuelle héritée du principe de souveraineté (I), mais que cette logique connaît aujourd’hui des limites importantes, à mesure que se développent des normes et mécanismes indépendants du consentement exprès des États (II).

I - Le droit international, un droit fondé historiquement sur le consentement souverain des États

Le droit international classique repose sur une conception volontariste, fondée sur le principe de souveraineté étatique. L’obligation juridique ne naît que du consentement librement exprimé par les États, que ce soit par des engagements conventionnels ou par l’acceptation implicite d’une pratique coutumière. Cette logique consensuelle est ainsi aux fondements mêmes de la construction du droit international (A) et est très largement consacrée dans les sources et mécanismes du droit international (B).

A - Le consentement comme fondement du droit international classique

La structure du droit international public repose depuis ses origines sur la reconnaissance de la souveraineté des États et sur la liberté des sujets internationaux de se lier ou non par une règle. Cette autonomie juridique fonde à la fois l’idée d’un droit consensuel, à travers la centralité du principe de souveraineté (1) et la valorisation de l’engagement volontaire dans le cadre des traités ou de la coutume (2).

1 - La souveraineté des États comme principe structurant du droit international 

Le principe de souveraineté étatique constitue la pierre angulaire du droit international classique. Hérité des traités de Westphalie et consacré par la Charte des Nations Unies en son article 2 §1, il implique que chaque État est juridiquement égal aux autres, indépendant, et maître exclusif de ses affaires internes. Dans ce cadre, aucune norme internationale ne peut s’imposer à un État sans son consentement. Cette conception entraîne une structuration du droit international fondée sur le volontarisme. En ce sens, seule la volonté expresse ou tacite d’un État peut faire naître à son encontre une obligation juridique. Ce fondement consensuel distingue fondamentalement le droit international des systèmes internes, où la loi s’impose sans que chaque individu y consente formellement.

La reconnaissance de la souveraineté a des conséquences directes sur les sources du droit. Ainsi, un État ne peut être lié par un traité qu’à la condition de l’avoir signé et ratifié librement. De même, en matière de coutume, la pratique ne devient obligatoire que si l’État concerné la considère comme du droit (opinio juris). Cette double exigence traduit une logique où le consentement est à la fois le fondement et la limite de l’obligation internationale. Ce modèle confère aux États une maîtrise quasi exclusive de leur engagement juridique. Il permet également de préserver la diversité des systèmes politiques, économiques ou juridiques, en autorisant des régimes différenciés selon les engagements pris (traités bilatéraux, multilatéraux à géométrie variable, réserves, etc.). 

Enfin, cette conception justifie également que les mécanismes de sanction ou de juridiction internationale reposent, eux aussi, sur l’acceptation des États. Une juridiction internationale ne peut exercer sa compétence qu’avec l’accord exprès ou implicite des États concernés. Cela est par exemple le cas devant la CIJ ou la Cour pénale internationale. Ainsi, le droit international, dans son architecture classique, est profondément marqué par la souveraineté des États, qui en conditionne le caractère essentiellement consensuel.

2 - Le principe pacta sunt servanda comme fondement de l’autonomie conventionnelle des États

Le caractère consensuel du droit international trouve sa traduction la plus claire dans le domaine des traités, qui sont par excellence des instruments juridiques fondés sur la volonté des États. Le principe pacta sunt servanda, inscrit à l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, énonce que « tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ». Cette règle exprime le respect fondamental dû à l’engagement volontaire. Un État n’est donc lié par un traité qu’à condition de l’avoir consenti formellement en suivant les procédures de signature, ratification ou adhésion prévues par le droit international et par son droit interne. Il peut également formuler des réserves à un traité multilatéral, c’est-à-dire accepter de s’engager sur certaines dispositions tout en refusant d’en appliquer d’autres, dans les limites prévues par la Convention de Vienne en ses articles 19 à 23.

Cette autonomie contractuelle permet aux États d’adapter leur engagement en fonction de leurs intérêts politiques, économiques ou culturels. Elle justifie également qu’ils puissent, dans certains cas, suspendre ou dénoncer un traité, dans les conditions prévues par celui-ci ou par le droit international général (notamment en cas de violation substantielle ou de changement fondamental de circonstances). Le même raisonnement s’applique à la coutume internationale, qui bien que non écrite, suppose un double fondement : une pratique constante et une opinio juris, c’est-à-dire la conviction que cette pratique est juridiquement obligatoire. En l’absence d’opinio juris, la pratique reste un simple usage sans valeur contraignante. Cette exigence traduit, là encore, la nécessité d’une acceptation implicite de la norme par les États concernés. Ainsi, que ce soit dans le cadre conventionnel ou coutumier, le droit international classique repose sur une logique de consentement librement exprimé, fondée sur le respect de la souveraineté étatique et de la liberté d’engagement. Cette structure confère au droit international son caractère essentiellement consensuel.

B - La reconnaissance du consensus dans les sources et institutions du droit international

Le caractère consensuel du droit international ne se manifeste pas uniquement dans la formation des normes, mais aussi dans les textes fondamentaux qui organisent le système juridique et dans les mécanismes institutionnels mis en œuvre. D’une part, les sources reconnues par le droit international consacrent la centralité du consentement étatique (1), et d’autre part, les modalités de participation aux juridictions et aux enceintes multilatérales reposent, elles aussi, sur une logique de consensus (2).

1 - L’article 38 du Statut de la CIJ comme consécration du volontarisme

Le fondement classique des sources du droit international se retrouve à l’article 38 §1 du Statut de la Cour internationale de Justice. Ce texte, adopté en 1945, énumère les sources applicables par la Cour : les conventions internationales, la coutume, les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées, ainsi que, de manière subsidiaire, la jurisprudence et la doctrine. Cette disposition reflète une conception volontariste et consensuelle du droit international, dans la mesure où elle ne retient comme sources principales que des normes fondées sur l’acceptation explicite ou implicite des États. Les traités n’ont d’effet obligatoire que pour les parties qui les ont ratifiés. La coutume n’est considérée comme contraignante que si elle repose sur une pratique générale et l’acceptation de cette pratique comme étant du droit (opinio juris). Même les principes généraux doivent être « reconnus » par les « nations civilisées ».

Par ailleurs, le statut de la CIJ lui-même est fondé sur le principe de consentement : la compétence de la Cour n’est pas automatique, mais repose sur l’accord des États concernés. Cet accord peut être exprès (compromis ad hoc), découler d’un traité (clause compromissoire), ou résulter d’une déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire. Toutefois, même dans ce dernier cas, l’État conserve la possibilité de retirer ou limiter son consentement, comme l’a illustré le retrait des États-Unis en 1985. Ainsi, le cœur du droit international codifié dans les textes fondamentaux reste attaché à une logique de liberté contractuelle et de reconnaissance mutuelle, ce qui confirme la prééminence historique du consensus dans l’ordre juridique international.

2 - La place importante laissée au consensus étatique dans les enceintes multilatérales

Au-delà des sources du droit, le principe de consentement continue d’imprégner les modes de fonctionnement des institutions internationales, en particulier dans les processus de négociation, d’adoption et d’application des normes. Dans les enceintes multilatérales, le consensus est encore largement recherché, non seulement comme fondement de la légitimité des décisions, mais aussi comme garantie d’acceptabilité par les États souverains. À l’Organisation des Nations Unies, le consensus est omniprésent, notamment à l’Assemblée générale, où les résolutions sont souvent adoptées par acclamation ou à l’unanimité, même si un vote est juridiquement possible. Cette pratique favorise une cohésion politique minimale, et évite d’imposer des normes perçues comme partisanes ou déséquilibrées. Le consensus est également au cœur des grandes conférences intergouvernementales, comme celles sur le climat (COP), où les décisions, bien que souvent dépourvues de force contraignante, sont adoptées sur la base de l’accord général des parties. Le Conseil de sécurité, bien que doté d’un pouvoir contraignant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, fonctionne également selon une logique de consensus limité. Les cinq membres permanents disposent d’un droit de veto, ce qui signifie qu’aucune décision ne peut être adoptée sans leur assentiment. Ce mécanisme empêche l’imposition de décisions à certaines grandes puissances, même en cas de majorité.

Dans d’autres enceintes multilatérales, comme les COP sur le changement climatique, le consensus est érigé en règle décisionnelle implicite. Bien que ces conférences ne soient pas des organisations internationales dotées d’un pouvoir contraignant comparable à celui du Conseil de sécurité, elles produisent des instruments politiques et juridiques d’une portée globale comme l’Accord de Paris par exemple. L’ensemble des décisions adoptées lors des COP, qu’il s’agisse de règles de mise en œuvre ou d’objectifs de réduction des émissions, repose sur la recherche d’un accord unanime entre les États parties. Ce mécanisme vise à garantir l’adhésion de tous les participants à des engagements communs, dans un domaine hautement sensible, marqué par des divergences de responsabilité et de capacité. Ainsi, même en l’absence de contrainte formelle, le droit international de l’environnement repose fortement sur la méthode du consensus comme fondement de légitimité et de stabilité juridique. Cela montre que la logique consensuelle reste, dans de nombreux domaines, un vecteur privilégié de la coopération internationale. Ainsi, malgré l’émergence de normes et de mécanismes visant à dépasser la logique purement volontaire, le consensus reste une pratique dominante dans les institutions internationales, à la fois comme outil de légitimation, de prudence diplomatique et de respect de la souveraineté étatique.

II - Les limites croissantes du consensualisme dans le droit international contemporain

Si le droit international s’est historiquement construit sur le fondement du consentement des États, cette logique volontariste est aujourd’hui remise en question par l’évolution des normes, des institutions et des mécanismes de contrainte. Le développement de normes impératives, l’élargissement des compétences juridictionnelles ou encore l’émergence d’obligations opposables à tous traduisent une objectivation progressive du droit international, qui tend à s’émanciper, au moins partiellement, du consentement étatique. S’observe ainsi une certaine transformation des fondements normatifs du droit international (A), qui ne va toutefois pas sans rencontrer encore d’importantes résistances, notamment de la part de certains États (B).

A - L’objectivation partielle du droit international : vers une atténuation du consentement

L’évolution contemporaine du droit international témoigne d’un mouvement de dépersonnalisation du fondement de certaines obligations juridiques, qui ne reposent plus exclusivement sur l’adhésion individuelle des États. Cette tendance se manifeste tant dans la reconnaissance de normes à portée impérative, qui s’imposent à tous, que dans l’émergence de mécanismes d’universalisation de certaines obligations. Ce mouvement est ainsi à la fois marqué par l’émergence de normes de jus cogens à la portée inédite (1) et par le développement d’obligations erga omnes (2), qui traduisent un dépassement du volontarisme étatique classique.

1 - Le jus cogens et les obligations impératives : des normes supérieures à la volonté étatique

Le concept de jus cogens, ou norme impérative de droit international général, constitue une rupture majeure avec le consensualisme classique. Défini à l’article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, le jus cogens désigne « une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale dans son ensemble comme norme à laquelle aucune dérogation n’est permise ». Ces normes s’imposent indépendamment du consentement des États et priment sur toute autre règle internationale. Ce principe trouve ses origines dans une rupture fondatrice du droit international contemporain : les procès de Nuremberg mis en place suite à la seconde guerre mondiale. Pour la première fois, les dirigeants d’un État, en l’occurrence, les plus hauts responsables du régime nazi, ont été jugés par un tribunal international non pas pour avoir violé le droit interne de leur État, mais pour des actes commis dans l’exercice de leur souveraineté. Ces poursuites ont marqué un tournant : la souveraineté étatique ne pouvait plus justifier des crimes contre l’humanité ou des actes de guerre d’agression. En d’autres termes, l’État n’était plus libre de faire ce qu’il voulait sur son propre territoire dès lors qu’il portait atteinte à des normes universelles. Cette évolution a conduit à la reconnaissance de certaines normes comme relevant de l’ordre public international. 

La particularité de ces normes impératives réside dans leur caractère indérogeable : un traité qui violerait une norme de jus cogens est nul ab initio. De même, une pratique coutumière contraire à une norme impérative ne saurait produire d’effets juridiques. Le jus cogens introduit ainsi une forme de hiérarchie normative dans un ordre juridique historiquement égalitaire entre sources. Les exemples généralement admis de jus cogens incluent l’interdiction de la torture, de l’esclavage, du génocide, de la guerre d’agression, ou encore la prohibition des crimes contre l’humanité. La jurisprudence de la CIJ a reconnu la valeur impérative de certaines de ces normes, comme dans l’affaire Belgique c. Sénégal (2012) à propos de l’interdiction de la torture. En consacrant des règles intangibles qui ne peuvent être écartées par la volonté individuelle d’un État, le jus cogens marque un glissement vers l’objectivation du droit international. Il consacre l’idée selon laquelle certaines valeurs universelles doivent l’emporter sur le principe de souveraineté, et constitue ainsi l’un des premiers fondements d’un droit international détaché du seul consentement étatique.

2 - Les obligations erga omnes comme source d’une universalisation de l’engagement juridique

Dans le prolongement de la reconnaissance du jus cogens, le droit international contemporain a vu émerger une autre forme de dépassement du consentement : les obligations erga omnes. Ce type d’obligations lie tous les États vis-à-vis de la communauté internationale dans son ensemble, indépendamment de leur participation à un traité ou à une coutume spécifique. Cette notion a été consacrée par la Cour internationale de Justice dans l’arrêt Barcelona Traction de 1970, où la Cour distingue les obligations envers un autre État individuellement, des obligations « envers la communauté internationale dans son ensemble ». Ces dernières ont vocation à protéger des intérêts fondamentaux, comme l’interdiction du génocide, de l’esclavage, de la torture ou de la discrimination raciale.

Les conséquences juridiques de cette distinction sont importantes. D’une part, tout État peut invoquer une violation d’une obligation erga omnes, même s’il n’est pas directement lésé. Cela remet en cause le schéma classique de la responsabilité bilatérale fondée sur l’accord des parties. D’autre part, cette notion renforce la tendance à l’universalisation de certaines normes, qui ne dépendent plus de l’adhésion individuelle de chaque État, mais s’imposent du seul fait de leur nature. Cette évolution est particulièrement visible dans le domaine du droit international humanitaire et des droits de l’homme, où la protection des individus tend à prévaloir sur la souveraineté étatique. Par exemple, les conventions de Genève sont considérées comme liant toutes les parties à un conflit, étatiques ou non, sans qu’il soit nécessaire de démontrer un consentement exprès. La logique des obligations erga omnes participe ainsi à une transformation de l’ordre juridique international. Elle fait émerger une dimension objective et collective de la norme, tournée vers la préservation de valeurs universelles. Si le consentement reste la règle dans de nombreux domaines, ces obligations témoignent d’une mutation vers un droit de plus en plus détaché de la seule volonté étatique.

B - L’existence de résistances persistantes au dépassement du consensualisme

Si le droit international contemporain tend à intégrer des normes et des mécanismes de plus en plus détachés du consentement explicite des États, cette évolution ne se fait pas sans résistances. De nombreux États continuent de défendre le principe de souveraineté comme fondement exclusif de leurs obligations, et contestent les tendances à l’objectivation du droit. De ce fait il est possible d’observer une persistance du volontarisme dans les fondements normatifs du droit international (1), et, d’autre part, des remises en cause concrètes de certaines institutions ou normes non consenties par des États influents (2).

1 - Le maintien de logiques volontaristes dans les fondements normatifs du droit international 

Malgré l’émergence de normes objectivées comme le jus cogens ou les obligations erga omnes, le droit international reste profondément structuré par le principe de consentement, en particulier dans la grande majorité des domaines où les règles continuent de naître de la volonté exprimée des États. Les traités demeurent la source principale de nombreuses branches du droit international, qu’il s’agisse du droit de la mer, du droit commercial ou encore de l’environnement. Leur force obligatoire repose exclusivement sur l’adhésion volontaire des États, qui peuvent non seulement choisir de signer ou non un traité, mais aussi émettre des réserves ou le dénoncer dans les conditions prévues. Cette autonomie est garantie par la Convention de Vienne de 1969, qui codifie les principes du droit des traités.

La coutume internationale, bien qu’elle puisse sembler moins dépendante d’un acte formel de volonté, repose également sur un double consentement implicite : une pratique répétée (élément matériel) et la reconnaissance par les États de son caractère juridique (opinio juris). Si un État manifeste clairement son opposition persistante à une règle coutumière en formation, il peut, dans certains cas, ne pas être lié (théorie du persistent objector). De plus, la plupart des juridictions internationales, dont la Cour internationale de Justice, ne peuvent exercer leur compétence qu’avec le consentement explicite ou implicite des parties. La compétence obligatoire reste l’exception, souvent limitée aux organisations régionales comme la CEDH ou la CJUE. Enfin, même les organisations internationales, bien qu’elles produisent un nombre croissant de normes, ne disposent d’un pouvoir normatif contraignant qu’en vertu des traités fondateurs librement acceptés par les États membres. En ce sens, le volontarisme demeure la matrice juridique du système international, même si certains espaces normatifs s’en émancipent ponctuellement.

2 - La contestation active du dépassement du consensualisme par certains États

L’objectivation progressive du droit international, à travers des normes impératives ou des juridictions à compétence élargie, suscite des réactions de rejet ou de retrait de la part de certains États. Ces comportements traduisent une résistance persistante à l’idée qu’un ordre juridique supranational puisse s’imposer indépendamment du consentement des souverainetés étatiques. Cette méfiance à l’égard d’un droit international qui s’imposerait sans consentement exprès des États n’est pas nouvelle. Dès les procès de Nuremberg, les États-Unis, tout en étant à l’initiative de la création du tribunal, ont exprimé des réticences à reconnaître certains chefs d’accusation, en particulier ceux relatifs aux crimes contre l’humanité. En effet, les autorités américaines redoutaient que la reconnaissance de ce type de crimes, commis en temps de paix contre leur propre population, puisse un jour justifier des poursuites internationales à leur encontre, notamment pour le traitement des Noirs américains sous le régime de la ségrégation raciale, ou celui des populations autochtones. Ce souci de ne pas créer un précédent contraignant reflète déjà à l’époque la crainte de voir la souveraineté nationale limitée par des normes perçues comme extérieures. Il illustre aussi une tension persistante dans le droit international entre l’idéal d’universalité des normes et la réalité des rapports de pouvoir et de souveraineté.

Les exemples les plus manifestes de ce mouvement de rejet de la part de certains États sont aujourd’hui ceux des grandes puissances, qui refusent de reconnaître certaines institutions ou de se soumettre à des normes qu’elles considèrent comme politiquement biaisées ou juridiquement excessives. Les États-Unis, par exemple, ont refusé de ratifier le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale (CPI), invoquant la crainte de voir leurs ressortissants, notamment militaires, poursuivis sans leur accord. Ils se sont également retirés de plusieurs accords multilatéraux, tels que l’Accord de Paris sur le climat, l’UNESCO, ou encore le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Ces retraits traduisent une volonté politique de réaffirmer la souveraineté nationale comme limite au droit international contraignant.

La Russie, quant à elle, a multiplié les violations du droit international, en particulier depuis l’annexion de la Crimée en 2014 et l’invasion de l’Ukraine en 2022. Ces actes constituent des violations graves du droit international humanitaire et de la Charte des Nations Unies. Moscou rejette également la compétence de la CPI, dont elle s’est officiellement retirée après que celle-ci a ouvert des enquêtes sur ses interventions militaires. La Russie justifie ses actions au nom de la sécurité nationale et de la non-ingérence, contestant ainsi la légitimité d’un droit international « imposé ». De nombreux États africains ont également contesté la CPI, l’accusant de partialité dans ses poursuites, principalement dirigées contre des dirigeants africains. Certains ont menacé de s’en retirer, comme le Burundi, ou l’ont effectivement fait. L’action militaire d’Israël sur la bande de Gaza montre aussi un mépris pour le droit international humanitaire au vu de l’importance des pertes civiles palestiniennes, de l’absence quasi assumée de distinction entre cibles civiles et militaires dans les frappes israéliennes et du nombre de morts historiquement important parmi les agents des Nations unies sur place. Ces exemples montrent que le droit international continue d’être soumis à l’épreuve de la souveraineté, et que nombre d’États rejettent les normes qui ne reposent pas sur leur adhésion explicite, réaffirmant ainsi le caractère encore fortement consensuel du système juridique international.