Introduction
« La Cour, dont la mission est de régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis, applique : les conventions internationales […] ; la coutume internationale […] ; les principes généraux de droit […] ; les décisions judiciaires et la doctrine […] comme moyen auxiliaire. » Par cette disposition fondatrice, l’article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice (CIJ) dresse la liste des sources reconnues du droit international public. Ce texte, adopté en 1945, témoigne d’une volonté de rationaliser et de codifier un ordre juridique sans législateur central. Il constitue, encore aujourd’hui, le point de référence fondamental pour identifier les modes de production normative dans un système international fondé sur la souveraineté des États.
En droit, une source désigne l’origine d’une norme obligatoire, c’est-à-dire le mécanisme par lequel une règle juridique acquiert une valeur contraignante. En droit international, cette notion revêt une importance particulière, car il n’existe pas, à l’échelle mondiale, d’autorité législative centrale comparable à celle d’un État. Il est par conséquent essentiel d’identifier selon quels procédés les normes internationales naissent, s’imposent et s’articulent. Les sources du droit international sont généralement divisées en sources formelles, qui confèrent leur caractère obligatoire aux normes (traités, coutume, principes généraux), et sources subsidiaires, qui servent à en interpréter ou à en compléter le contenu (jurisprudence, doctrine). L’article 38 §1 du Statut de la CIJ, bien que rédigé en 1945, constitue encore aujourd’hui la référence fondamentale en la matière. Il faut également distinguer les sources dites classiques, issues de la pratique interétatique, des formes émergentes de production normative (soft law, résolutions, engagements unilatéraux), et intégrer dans l’analyse la notion de norme impérative de droit international général (jus cogens), qui introduit une hiérarchie entre les sources, en interdisant toute dérogation à certaines règles fondamentales.
L’identification des sources du droit international s’est structurée progressivement autour d’un consensus minimal, en l’absence de législateur central. Jusqu’au XIXe siècle, le droit international repose essentiellement sur les traités (souvent des accords régionaux ou bilatéraux), les pratiques interétatiques et les usages diplomatiques, c’est-à-dire sur la coutume, sans toutefois qu’il existe un véritable corpus de normes de droit international applicable aux États. Ce n’est qu’avec le développement de la codification du droit international public à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle que la place des traités commence véritablement à dominer, comme source explicite et volontaire du droit. L’adoption du Statut de la Cour permanente de justice internationale (CPJI) en 1920, puis de son successeur, le Statut de la Cour internationale de Justice en 1945, marque un tournant. L’article 38 du statut de la Cour codifie pour la première fois les sources formelles du droit international de manière claire. Cette disposition devient le fondement doctrinal et juridictionnel pour hiérarchiser les normes applicables. Cependant, avec la diversification des sujets et des objets du droit international après 1945, de nouvelles sources ou quasi-sources émergent : résolutions onusiennes, soft law, normes impératives (jus cogens).Cette évolution témoigne de la nécessité d’adapter le régime des sources à un ordre juridique international en perpétuelle transformation.
Il convient dès lors de s’interroger sur la manière dont le droit international identifie ses sources dans un système sans législateur central, et si ces sources sont encore adaptées à la complexité croissante du droit international contemporain.
Afin de répondre à cette problématique, il sera vu dans un premier temps que les sources traditionnelles du droit international sont clairement identifiées par le Statut de la CIJ (I), mais que, dans un second temps d’analyse, leur portée doit être nuancée au regard de l’évolution du droit international et de l’émergence de sources complémentaires (II).
I - L’existence de sources classiques du droit international au sens du Statut de la Cour internationale de Justice
Les sources du droit international, dans leur définition traditionnelle, ont été codifiées à l’article 38 §1 du Statut de la Cour internationale de Justice. Ce texte, toujours en vigueur, établit une typologie fondée sur la pratique interétatique et sur la logique du consentement souverain. La première partie de l’analyse sera donc consacrée à l’étude de ces sources dites « classiques », en distinguant, d’une part, les sources principales que sont le traité et la coutume (A), et, d’autre part, les sources subsidiaires et complémentaires (B).
A - Les sources principales formellement reconnues : le traité et la coutume
Le droit international repose d’abord sur deux piliers centraux : les traités internationaux, qui résultent d’un accord exprès entre États (1), et la coutume, qui émane de leur pratique constante accompagnée de la conviction juridique de son caractère obligatoire (2). Ces deux sources combinent volonté étatique et régularité comportementale, formant ainsi le cœur du droit international classique.
1 - Les traités internationaux, des engagements volontaires à valeur obligatoire
Les traités constituent la source écrite principale du droit international. Ils sont définis à l’article 2 §1 a) de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 comme « un accord international conclu par écrit entre États et régi par le droit international ». Ils peuvent être bilatéraux, multilatéraux, régionaux ou universels. Leur validité repose sur le principe fondamental du consentement des parties, conformément à la souveraineté des États. La force obligatoire du traité est consacrée par le principe pacta sunt servanda, énoncé à l’article 26 de la Convention de Vienne : « tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ». Une fois un traité ratifié et entré en vigueur, les États signataires sont tenus de respecter ses dispositions sous peine d’engager leur responsabilité internationale. Un manquement peut donner lieu à une réaction diplomatique, voire à une sanction, dans les cas graves ou répétés.
Les traités remplissent plusieurs fonctions dans l’ordre international. Ils peuvent être fondateurs d’institutions (comme la Charte des Nations Unies), déclaratoires (codifiant des règles coutumières existantes), ou encore normatifs (créant de nouvelles obligations matérielles ou procédurales). Certains traités ont une portée générale, comme la Convention de Genève sur le droit humanitaire, tandis que d'autres sont très techniques (traités de commerce, de désarmement, d’environnement…). Par ailleurs, les traités peuvent participer à la cristallisation ou à la formation de la coutume, lorsqu’un grand nombre d’États y adhèrent et s’y conforment dans la durée. La jurisprudence internationale reconnaît également l’opposabilité de certains traités multilatéraux à des tiers dans des cas spécifiques (obligations erga omnes), notamment en matière de droits fondamentaux. Ainsi, les traités constituent un mode clair, formel et volontaire de production du droit international, essentiel dans un système fondé sur l’autonomie des États et la coordination consensuelle de leurs obligations.
2 - La coutume internationale, une norme obligatoire fondée sur la réunion d’une pratique étatique et d’une opinio juris internationale
La coutume internationale est une source non écrite du droit international. Elle est définie, selon la formulation classique, comme une pratique générale acceptée comme étant du droit. Cette définition est consacrée à l’article 38 §1 b) du Statut de la Cour internationale de Justice, qui reconnaît à la coutume la même valeur que le traité. Elle est particulièrement importante dans les domaines où aucun traité écrit ne régit les relations entre les États. La coutume repose sur la réunion de deux éléments cumulatifs. Pour être formée, la coutume doit réunir un élément matériel, correspondant à une pratique constante, uniforme et répétée des États dans le temps. Cette pratique peut par exemple prendre la forme d’une action diplomatique, de pratiques législatives ou encore d’un comportement en temps de guerre. D’autre part, la coutume se fonde sur un élément psychologique, appelé opinio juris, qui désigne la conviction par les États qu’ils agissent par devoir juridique, et non par simple habitude ou courtoisie. Sans cet élément subjectif, il ne peut y avoir de coutume obligatoire.
La coutume peut être universelle, lorsque la pratique est observée par une majorité significative d’États sur tous les continents, ou régionale, lorsque seuls certains États la suivent (par exemple, coutumes maritimes en droit latino-américain). Elle peut également évoluer avec le temps, être remplacée par des traités ou codifiée par eux. Malgré son absence de formalisme, la coutume conserve un rôle central dans l’ordre international. Elle permet de combler les lacunes conventionnelles, notamment dans les domaines de l’usage de la force, de la neutralité, ou encore de la responsabilité des États. Elle est reconnue et appliquée par la CIJ comme fondement autonome de ses décisions. Ce fut le cas par exemple dans l’affaire du Détroit de Corfou en 1949 où la Cour a pu apprécier le droit coutumier des États de faire passer de manière pacifique des navires de guerre en temps de paix par des détroits appartenant aux eaux territoriales d’un État et mettant en communication deux parties de haute mer. Toutefois, la formation de la coutume peut soulever des difficultés, notamment en raison de l’ambiguïté de la pratique étatique ou de la démonstration de l’opinio juris. La reconnaissance de coutumes « instantanées », dans des domaines nouveaux comme l’environnement ou le cyberespace, témoigne d’une volonté d’adapter la coutume aux enjeux contemporains, mais non sans débats doctrinaux.
B - Le rôle complémentaire des sources subsidiaires du droit international au sens du Statut de la CIJ
Aux côtés des traités et de la coutume, l’article 38 §1 du Statut de la Cour internationale de Justice mentionne d’autres fondements juridiques. Ces sources jouent un rôle supplétif ou interprétatif, en complétant le système normatif international. Il s’agit d’une part des principes généraux de droit, qui assurent une continuité entre les ordres juridiques nationaux et le droit international (1), puis de la jurisprudence et de la doctrine, utilisées comme moyens auxiliaires d’identification et d’interprétation des règles applicables (2).
1 - Les principes généraux de droit comme socle commun aux ordres juridiques
Les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées, mentionnés à l’article 38 §1 c) du Statut de la CIJ, sont des normes fondamentales issues des systèmes juridiques internes des États, transposables dans l’ordre international. Ils jouent un rôle supplétif, en particulier lorsqu’aucun traité ou coutume ne permet de résoudre un différend juridique. Ces principes ne sont pas proprement « internationaux » dans leur origine, mais ils expriment des valeurs juridiques universellement partagées, telles que le principe de bonne foi, l’interdiction de l’abus de droit, le respect des droits de la défense ou encore le principe de légalité « nullum crimen, nulla poena sine lege » tiré du droit pénal. Leur application permet d’éviter un déni de justice devant la Cour internationale de Justice lorsqu’aucune autre source formelle n’est disponible.
La jurisprudence de la CIJ y a recours de manière explicite ou implicite pour interpréter ou combler les lacunes du droit international. Par exemple, le principe de responsabilité internationale, la réparation intégrale du préjudice, ou la notion de compétence implicite des organisations internationales, trouvent leur fondement dans ces principes généraux. Il ne s’agit cependant pas d’introduire dans le droit international l’ensemble des règles du droit interne. Seuls les principes présentant un caractère de généralité et d’universalité peuvent prétendre être érigés en source formelle. Leur identification repose souvent sur l’analyse comparative des droits nationaux. En somme, les principes généraux permettent de garantir la cohérence et la complétude du droit international, tout en assurant une certaine continuité avec les grands systèmes juridiques nationaux.
2 - La jurisprudence et la doctrine comme moyens auxiliaires d’interprétation
Aux côtés des sources principales et des principes généraux, l’article 38 §1 d) du Statut de la Cour internationale de Justice mentionne la jurisprudence et la doctrine comme des « moyens auxiliaires » permettant d’identifier ou de préciser les règles applicables. Il ne s’agit donc pas à proprement parler de sources formelles du droit international, mais d’instruments d’interprétation, qui jouent néanmoins un rôle essentiel dans le raisonnement juridique. La jurisprudence internationale, en particulier celle de la Cour internationale de Justice, mais aussi des juridictions régionales, telles que la Cour européenne des droits de l’homme ou la Cour interaméricaine, ou arbitrales (CNUDCI, CIRDI), contribue à la détermination, la consolidation et l’évolution des règles de droit international. Bien que la jurisprudence n’ait pas de force obligatoire erga omnes aux termes de l’article 59 du Statut de la CIJ, elle possède une autorité persuasive, et les motifs retenus dans une affaire sont souvent réutilisés dans d’autres contextes similaires. Cela contribue à la sécurité juridique et à l’uniformité d’application des règles.
De même, la doctrine, c’est-à-dire l’ensemble des travaux de juristes spécialisés dans le droit international, joue un rôle d’éclairage et d’analyse critique. La référence aux « publicistes les plus qualifiés des différentes nations » vise les auteurs ayant une reconnaissance internationale. Par exemple, en droit international, Alain Pellet, James Crawford ou encore Rosalyn Higgins sont des membres éminents de la doctrine pouvant souvent être rencontrés. Leurs travaux peuvent influencer la codification, comme au sein de la Commission du droit international, ou nourrir l’argumentation des juridictions. La doctrine est également essentielle dans la formation du droit coutumier, en ce qu’elle contribue à identifier la pratique des États et à déterminer si elle est accompagnée de l’opinio juris. De plus, elle peut être à l’origine de l’élaboration de concepts devenus clés dans le raisonnement juridique, comme les obligations erga omnes ou la responsabilité pour fait internationalement illicite. En définitive, si la jurisprudence et la doctrine ne créent pas la norme, elles sont indispensables pour l’interpréter, la stabiliser et parfois l’orienter. Les normes internationales formelles sont ainsi des normes en constante évolution, tant par la nature de l’obligation que par l’interprétation dont elles peuvent faire l’objet, qu’elles soient écrites ou non.
II - Vers une conception renouvelée des sources dans un ordre international en mutation
À mesure que le droit international s’est étendu à de nouveaux domaines et a intégré de nouveaux acteurs, son régime des sources s’est progressivement assoupli et complexifié. Si les sources classiques conservent leur validité, elles ne suffisent plus à rendre compte de la diversité normative contemporaine. Le droit international a ainsi connu une double évolution d’une part, par l’élargissement des modes de production du droit (A), et d’autre part, par l’émergence d’une hiérarchie normative fondée sur des règles impératives (B).
A - L’élargissement des modes de production normative comme élément d’extension des sources du droit international
Le droit international moderne ne repose plus exclusivement sur les traités et la coutume. De nouvelles formes normatives, plus souples mais influentes, se sont imposées. Le droit international connait ainsi une certaine montée en puissance des normes de soft law et des résolutions internationales (1), et est impacté par le rôle normatif croissant des organisations internationales et des engagements unilatéraux (2).
1 - L’émergence de la soft law et la force normative croissante des résolutions
La soft law, ou droit souple, regroupe les instruments qui, sans être juridiquement contraignants, produisent des effets normatifs importants. Il inclut notamment les déclarations, recommandations, codes de conduite, lignes directrices ou résolutions non obligatoires adoptées par des organisations internationales. Bien qu’ils ne créent pas d’obligations formelles, ces textes orientent les comportements, fixent des standards et facilitent l’émergence de pratiques génératrices de coutume ou de consensus politique. Par exemple, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, bien que non contraignante à sa naissance, a exercé une influence normative considérable sur le développement du droit international des droits de l’homme, au point d’être désormais largement considérée comme une référence interprétative incontournable. De même, les résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU, telles que la résolution 2625 (Déclaration sur les principes du droit international) ou la résolution 1514 sur la décolonisation, ont contribué à structurer des normes coutumières.
La soft law se révèle particulièrement utile dans les domaines émergents du droit international tels que l’environnement, la bioéthique ou encore l’intelligence artificielle, où le consensus interétatique est difficile à atteindre. Il permet de poser les bases d’une régulation progressive sans attendre la conclusion de traités. Ainsi, la soft law illustre l’évolution du droit international vers une approche plus pragmatique et souple, où la normativité n’est plus strictement liée à la contrainte juridique, mais à l’acceptation collective et à l’influence normative.
2 - Le rôle normatif croissant des organisations internationales et des acteurs non étatiques
L’évolution contemporaine du droit international se caractérise également par la diversification des producteurs de normes, qui ne sont plus exclusivement étatiques. De plus en plus, des organisations internationales et des acteurs non étatiques participent activement à la création de règles ayant une portée juridique ou para-juridique. Cette transformation remet en cause la conception traditionnelle d’un droit fondé uniquement sur le consentement explicite des États souverains.
Les organisations internationales ne se contentent ainsi plus de mettre en œuvre des normes décidées par les États, elles produisent elles-mêmes des normes, parfois contraignantes pour leurs membres, parfois prescriptives au-delà de leur cercle de compétence. L’Union européenne, par exemple, adopte des règlements directement applicables aux États membres. L’OMS édicte des normes sanitaires mondiales, comme le Règlement sanitaire international. L’OIT ou l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) produisent également des standards techniques largement suivis.
En parallèle, des acteurs privés ou transnationaux participent à l’élaboration de normes globales, sans pourtant disposer classiquement en droit international de la personnalité juridique internationale. Les entreprises multinationales, notamment dans les domaines du numérique, de la finance ou du commerce, fixent des règles de fait comme des standards technologiques, des clauses contractuelles types ou des mécanismes d’arbitrage privé, qui s’imposent aux États ou influencent leur réglementation. Le développement des normes RSE (responsabilité sociétale des entreprises), des principes directeurs de l’ONU sur les entreprises et les droits de l’homme de 2011, ou encore des initiatives multipartites, comme les standards environnementaux du secteur minier, illustrent cette tendance.
Enfin, les réseaux d’experts, les ONG et les autorités de régulation transnationales contribuent à la définition de principes, de lignes directrices ou de mécanismes d’auto-régulation qui façonnent le droit international au fil du temps. Ainsi, la scène normative internationale contemporaine est marquée par un pluralisme croissant des acteurs et des mécanismes de production du droit, qui ne repose plus exclusivement sur la souveraineté étatique, mais sur une logique d’interdépendance fonctionnelle et d’autorité normative partagée.
B - L’émergence d’une hiérarchie normative : la question du jus cogens
Si le droit international repose historiquement sur une logique horizontale d’égalité entre sources fondées sur le consentement, son évolution récente révèle l’émergence de normes hiérarchiquement supérieures, appelées normes impératives de droit international ou normes de jus cogens. Cette dynamique rompt partiellement avec la structure égalitaire traditionnelle des sources. Ces normes impératives possèdent une nature juridique distincte et répondent à des critères particuliers (1) et ont un effet juridique singulier sur les autres sources du droit international (2).
1 - La consécration du jus cogens par la Convention de Vienne sur le droit des traités
La notion de jus cogens désigne une règle fondamentale à laquelle aucune dérogation n’est permise, quels que soient le consentement ou la volonté des États. Il s’agit d’une hiérarchie matérielle des normes, introduite dans un ordre juridique qui repose pourtant sur le principe d’égalité souveraine et sur la primauté du consentement étatique. La reconnaissance formelle du jus cogens figure à l’article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, qui définit une norme impérative comme « une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble comme norme à laquelle aucune dérogation n’est permise ». Une norme de jus cogens peut être modifiée uniquement par une autre norme de même nature. Cette définition consacre une rupture dans la logique purement volontariste du droit international, en reconnaissant que certaines règles s’imposent de manière absolue, indépendamment du consentement.
Le contenu précis du jus cogens n’est pas fixé de manière exhaustive, mais la doctrine et la jurisprudence s’accordent généralement pour y inclure certaines règles. Il est ainsi possible de citer l’interdiction du recours à la force armée, sauf en cas de légitime défense ou d’autorisation du Conseil de sécurité ; l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants ; l’interdiction de l’esclavage et de la traite des êtres humains ; l’interdiction du génocide ; l’interdiction des crimes contre l’humanité.
La Cour internationale de Justice et d’autres juridictions internationales ont reconnu dans leurs décisions l’existence de normes impératives. Par exemple, dans l’affaire Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal) de 2012, la CIJ a confirmé que l’interdiction de la torture constituait une norme de jus cogens. Ainsi, le jus cogens représente une forme d’ordre public international, garantissant le respect de principes fondamentaux communs à l’ensemble de la communauté internationale. Il marque une évolution vers un droit international fondé sur des valeurs communes, et non plus uniquement sur la volonté individuelle des États.
2 - Les effets du jus cogens sur les autres sources du droit international : invalidité des normes contraires et primauté des normes impératives de droit international
L’existence de normes impératives de droit international (jus cogens) implique non seulement une reconnaissance matérielle de leur supériorité, mais aussi des effets juridiques concrets sur les autres sources du droit international, y compris les traités et la coutume. Ces effets traduisent une forme de hiérarchisation normative, inhabituelle dans un système historiquement fondé sur le volontarisme étatique et l’égalité entre sources. Le premier effet majeur du jus cogens est l’invalidité des traités qui y contreviennent. L’article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités prévoit expressément qu’ « est nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative de droit international général ». Ainsi, un traité qui légaliserait la torture, la guerre d’agression ou le travail forcé serait considéré comme juridiquement nul, indépendamment du consentement des parties. De manière corrélative, l’article 64 de la Convention dispose qu’un traité devient nul et prend fin s’il entre ultérieurement en conflit avec une norme de jus cogens apparue après sa conclusion. Cette logique reflète la primauté du jus cogens sur la volonté conventionnelle, au nom de la protection des intérêts fondamentaux de la communauté internationale dans son ensemble.
Le jus cogens limite également la portée de la coutume internationale. Une coutume contraire à une norme impérative ne peut émerger ni être invoquée. Par exemple, aucune pratique étatique ne saurait justifier la torture, même si elle est répandue ou historiquement tolérée, car elle violerait une norme de jus cogens. De ce fait, le jus cogens agit comme une barrière à la formation de coutumes dérogatoires, renforçant la stabilité de certains principes fondamentaux. Enfin, dans le contentieux international, la reconnaissance du jus cogens confère aux juridictions le pouvoir de sanctionner les violations même en l’absence de traité applicable, en se fondant sur l’impérativité de la norme. Ainsi, le jus cogens constitue aujourd’hui une clé de voûte de la hiérarchie des normes internationales, assurant la prééminence des valeurs fondamentales sur les instruments conventionnels et les pratiques étatiques.
Toutefois, l’affirmation du jus cogens ne doit pas faire oublier que le volontarisme étatique demeure au cœur du droit international. En pratique, ce sont encore les États qui reconnaissent, contestent ou interprètent les normes impératives. Leur mise en œuvre dépend largement du bon vouloir des juridictions internationales et surtout de la volonté politique des États de les faire respecter. Ainsi, malgré l’existence de principes supérieurs, le droit international reste profondément marqué par la logique du consentement souverain. Les nombreuses exactions commises par la Russie en Ukraine avec des accusations de tortures, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, déplacements forcés de population ou par Israël sur la bande de Gaza pour les mêmes chefs, y compris l’accusation de crime de génocide, en sont des exemples criants.
