Introduction

« Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ». C’est en ces termes que l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 codifie le principe pacta sunt servanda. Cette formule, simple en apparence, traduit l’un des fondements essentiels de l’ordre juridique international. 

Le principe pacta sunt servanda (qui signifie littéralement « les conventions doivent être respectées ») est une règle cardinale du droit international public. Son contenu est simple : tout traité conclu de manière valable doit être respecté par les parties et exécuté de bonne foi. Cette exigence, codifiée à l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, consacre la force obligatoire des traités, qui sont la principale source du droit international contemporain. Elle s’applique aussi aux obligations coutumières, bien que la formulation juridique ait surtout concerné les engagements conventionnels. Ce principe repose sur deux éléments fondamentaux. D’une part, l’égalité souveraine des États : chaque État est libre de consentir à s’engager, ou non, par un traité. D’autre part, la nécessité de la stabilité juridique : sans la force obligatoire des accords, le droit international se réduirait à de simples déclarations politiques dépourvues de valeur contraignante. Cependant, le principe pacta sunt servanda n’est pas illimité. Il doit être concilié avec d’autres principes, comme celui de la hiérarchie des normes ou l’exigence de bonne foi, qui interdit les abus dans l’exécution. Certains mécanismes, comme la clause rebus sic stantibus (article 62 de la Convention de Vienne), permettent de mettre fin à un traité en cas de changement fondamental de circonstances.

D’un point de vue historique, le principe pacta sunt servanda puise ses racines dans le droit romain, où il exprimait déjà l’idée que les conventions librement conclues doivent être respectées. Il a ensuite été repris par lesjuristes médiévaux et classiques, comme Grotius au XVIIe siècle, qui voyait dans la fidélité aux traités la condition de la paix entre nations souveraines. Dans le droit international classique, tel que développé à partir des XVIIIe et XIXe siècles, ce principe s’imposait comme une règle coutumière : la stabilité des relations entre souverains reposait sur la confiance dans l’exécution des accords. Toutefois, à cette époque, les traités n’avaient d’effet obligatoire qu’entre les États signataires et restaient soumis à une logique bilatérale. Le XXe siècle marque un tournant. Après les deux guerres mondiales, la multiplication des traités multilatéraux (Charte des Nations Unies, conventions de Genève, traités de désarmement…) a fait du respect des engagements une exigence centrale. La codification du droit des traités par la Convention de Vienne de 1969 a consolidé ce principe en lui donnant une valeur normative explicite. Aujourd’hui, pacta sunt servanda est considéré comme une norme coutumière universelle, indispensable au fonctionnement de l’ordre international. Néanmoins, son application est nuancée par l’émergence de normes supérieures (jus cogens) et par des mécanismes d’adaptation, afin d’éviter qu’il ne devienne un carcan trop rigide pour les États ou le prétexte à des abus.

Comment le principe pacta sunt servanda, pilier de la force obligatoire des traités en droit international public, concilie-t-il sa valeur fondamentale avec les limites et les exceptions qui en encadrent l’application ?

Pour répondre à cette question, il faut d’abord analyser le rôle central du principe pacta sunt servanda comme socle de la force obligatoire des traités et de la sécurité juridique internationale (I), avant de montrer que ce principe connaît des limites et exceptions qui tempèrent son absolutisme afin de préserver la cohérence et l’équité de l’ordre juridique international (II).

I - Pacta sunt servanda : un principe fondamental du droit international garant de la force obligatoire des traités

Le principe pacta sunt servanda occupe une place centrale dans l’ordre juridique international, car il consacre l’idée que tout traité valablement conclu doit produire des effets obligatoires pour ses parties. Cette exigence a été formellement consacrée par la Convention de Vienne de 1969 et s’impose aujourd’hui comme une règle coutumière universelle (A). Elle constitue en outre le fondement de la sécurité juridique internationale, en assurant la stabilité des engagements tout en imposant leur exécution de bonne foi (B).

A - La consécration normative d’un principe coutumier 

Le principe pacta sunt servanda n’est pas seulement un règle coutumière implicite : il a été codifié et reconnu comme un fondement structurel du droit des traités. La Convention de Vienne de 1969 lui a donné une assise normative explicite, mais sa portée dépasse ce seul texte, puisqu’il exprime une règle générale et universelle (1). Cette double dimension, conventionnelle et coutumière, explique pourquoi il est aujourd’hui considéré comme une norme fondamentale du droit international public (2).

1 - Un principe codifié par la Convention de Vienne de 1969

L’article 26 de la Convention de Vienne dispose que « tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ». Cette formulation consacre juridiquement une règle déjà admise depuis des siècles dans la pratique internationale. Elle établit deux éléments essentiels : d’une part, la force obligatoire du traité dès son entrée en vigueur, et d’autre part, l’exigence de bonne foi dans son exécution.

Cette codification universalise et formalise un principe jusque-là coutumier. Elle élimine toute ambiguïté : un traité ratifié crée une obligation juridique et non simplement politique. L’exigence de bonne foi ajoute une dimension qualitative, en interdisant aux États d’éluder leurs engagements par des comportements abusifs ou des interprétations détournées. La portée de cet article est renforcée par son articulation avec d’autres dispositions de la Convention. L’article 27 interdit par exemple aux États d’invoquer leur droit interne pour justifier le non-respect d’un traité, consolidant ainsi l’idée que l’engagement international prime sur les contraintes nationales. Au-delà du texte de la Convention de Vienne, la pratique confirme la force du principe. La CIJ s’y réfère régulièrement, notamment dans l’affaire Sud Ouest Africain (Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif du 21 juin 1971) ou dans l’affaire Gabčíkovo-Nagymaros (Affaire relative au projet Gabčíkovo-Nagymaros, Hongrie c. Slovaquie, arrêt du 25 septembre 1997), où elle a rappelé que le respect et la stabilité des engagements est un pilier de la confiance internationale. 

2 - Un principe ayant une valeur coutumière et universelle dans l’ordre juridique international

Bien que codifié par la Convention de Vienne de 1969, le principe pacta sunt servanda ne tire pas exclusivement sa force de ce traité. Il constitue avant tout une règle coutumière, c’est à dire une pratique générale et constante des États, acceptée comme étant le droit (l’opinio juris). Cette dimension coutumière lui confère un caractère universel, car il s’impose à tous les États, qu’ils soient ou non parties à la Convention de Vienne.

La Cour internationale de Justice (CIJ) a à plusieurs reprises confirmé cette valeur coutumière. Dans l’affaire Gabčíkovo-Nagymaros (1997), relative à l’exécution d’un traité entre la Hongrie et la Slovaquie, la Cour a rappelé que le respect des engagements internationaux constituait un principe fondamental du droit des traités et faisait partie intégrante du droit international coutumier. De même, dans l’affaire Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne c. Danemark et République fédérale d’Allemagne c. Pays-Bas, arrêt du 20 février 1969), la CIJ avait déjà souligné que l’adhésion volontaire à des engagements imposait une obligation de les respecter de bonne foi.

Cette universalité explique pourquoi le principe est considéré comme une pierre angulaire du système international. Sans le respect de la parole donnée, les traités ne seraient que de simples instruments politiques, dépourvus de sécurité juridique. Le principe pacta sunt servanda incarne ainsi l’élément stabilisateur qui distingue le droit international du simple rapport de force.

Par ailleurs, le caractère coutumier du principe le protège contre les contestations. Même si un État n’a pas ratifié la Convention de Vienne, il demeure lié par le principe du respect des engagements. Cela en fait une règle objective et universelle, indispensable au bon fonctionnement de la société internationale. Dès lors, la valeur coutumière et universelle du pacta sunt servanda garantit son autorité au-delà de la codification conventionnelle. Il s’agit non seulement d’un principe juridique incontournable mais aussi d’un principe de légitimité politique, renforçant la confiance et la stabilité dans les relations internationales.

B - Un pilier de la sécurité juridique internationale

Au-delà de sa valeur normative, le principe pacta sunt servanda joue un rôle fonctionnel essentiel dans l’ordre international : il garantit la stabilité des relations entre États en assurant la continuité et la prévisibilité des engagements conclus (1). Mais cette stabilité ne se réduit pas à une application mécanique : le principe impose également une exécution de bonne foi, qui en constitue une condition qualitative fondamentale et prévient les comportements abusifs (2).

1 - Un principe garantissant la stabilité et la prévisibilité des relations internationales

Le principe pacta sunt servanda est avant tout le garant de la stabilité et de la prévisibilité dans les relations internationales. Dans un système dépourvu de législateur centralisé et de hiérarchie normative stricte, les traités constituent la principale source d’organisation juridique entre États. Leur force obligatoire, assurée par ce principe, est indispensable pour instaurer la confiance nécessaire à la coopération internationale.

Cette stabilité se manifeste par le caractère contraignant des engagements. Lorsqu’un État ratifie un traité, il s’engage à le respecter indépendamment des changements politiques internes ou des pressions extérieures. L’article 27 de la Convention de Vienne renforce cette idée en interdisant à un État d’invoquer son droit interne pour justifier la non-exécution d’un traité. Cette règle garantit que les obligations internationales survivent aux aléas internes, consolidant ainsi la sécurité juridique.

La prévisibilité, quant à elle, découle de la certitude que les engagements seront exécutés. Elle est essentielle dans de nombreux domaines du droit international tels que le commerce international, la protection de l’environnement ou la sécurité collective, où la coopération repose sur la confiance mutuelle. Cette assurance de respect de la parole donnée constitue une forme de protection contre l’instabilité et l’arbitraire dans les relations internationales. 

La jurisprudence internationale confirme ce rôle stabilisateur. Dans l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande, arrêt du 15 juin 1962), la CIJ a insisté sur l’importance de la stabilité des engagements pour préserver la sécurité juridique entre États. De même, dans l’affaire Gabčíkovo-Nagymaros (1997), la Cour a souligné que le respect des traités était indispensable à la confiance mutuelle entre partenaires internationaux.

En garantissant la continuité et la prévisibilité des engagements, le principe pacta sunt servanda constitue ainsi un des fondements de la coopération internationale. Sans ce principe, le droit international se réduirait à un ensemble de promesses politiques dépourvues de valeur contraignante, minant la possibilité même d’un ordre juridique international.

2 - Un principe exigeant une exécution de bonne foi des engagements

Le principe pacta sunt servanda ne comporte pas seulement une obligation d’exécuter les traités, il impose en outre que cette exécution se fasse de bonne foi. Cette dimension qualitative garantit que les engagements internationaux ne soient pas vidés de leur substance par des interprétations abusives ou par des comportements opportunistes des États.

La bonne foi est expressément mentionnée à l’article 26 de la Convention de Vienne. Elle implique, d’une part, que les États mettent en œuvre leurs obligations de manière loyale et sincère, sans chercher à en contourner les termes. D’autre part, elle interdit aux États d’abuser de leurs droits ou d’adopter des comportements contraires à l’esprit du traité, même si ceux-ci semblent conformes à la lettre du texte.

La jurisprudence a souvent rappelé cette exigence. Dans l’affaire Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria, arrêt du 10 octobre 2002), la CIJ a insisté sur l’importance de la bonne foi dans l’exécution des accords internationaux, considérant qu’elle conditionne la confiance mutuelle entre États. De même, dans l’affaire Gabčíkovo-Nagymaros (1997), la Cour a souligné que la bonne foi implique de respecter non seulement les obligations formelles, mais aussi l’objectif et la finalité du traité.

L’exigence de bonne foi joue également un rôle préventif. Elle permet de combler les lacunes laissées par les textes et d’éviter que les traités ne soient détournés de leur finalité. Ainsi un État qui remplirait ses obligations de manière purement formelle, mais en contredisant l’esprit du traité, violerait en réalité le principe pacta sunt servanda. En ce sens, la bonne foi renforce la stabilité du droit international en empêchant les manipulations juridiques. Elle fait du pacta sunt servanda une exigence de loyauté et de coopération sincère, essentielle au maintien de la confiance dans les relations internationales.

II - Pacta sunt servanda : un principe connaissant certaines limites et exceptions

Aussi fondamental soit-il, le principe pacta sunt servanda ne saurait être absolu : il est encadré par des limites visant à préserver la cohérence et l’équité du système international. Certaines tiennent à la hiérarchie des normes (A). D’autres sont liées à des mécanismes de relativisation, permettant d’adapter ou de mettre fin aux engagements conventionnels en cas de changement de circonstances ou selon les modalités prévues par la Convention de Vienne (B).

A - Les limites liées à la hiérarchie des normes

Le principe pacta sunt servanda ne s’exerce pas dans un vide juridique : il s’inscrit dans un ordre international où certaines normes sont considérées comme supérieures. Ainsi, la force obligatoire des traités trouve ses limites dans la hiérarchie normative, en particulier dans l’existence de règles impératives de jus cogens qui rendent nuls les traités contraires (1), ainsi que dans la primauté des obligations issues de la Charte des Nations Unies, consacrée par l’article 103 (2).

1 - La nullité des traités contraires au jus cogens

L’article 53 de la Convention de Vienne de 1969 fixe la règle selon laquelle tout traité en conflit avec une norme impérative du droit international général (norme de jus cogens) est nul et dépourvu d’effets juridiques. Cette disposition consacre l’existence de normes supérieures auxquelles même le consentement des États ne peut déroger.

Une norme de jus cogens, au sens de l’article 53 de la Convention de Vienne, désigne une norme au caractère impératif, reconnue comme telle par la communauté internationale dans son ensemble et qui s’impose aux États. Leur existence marque une rupture avec le volontarisme classique et introduit un élément de hiérarchie dans l’ordre international. En pratique, la règle fixée par l’article 53 implique qu’un traité violant une norme impérative ne peut être invoqué pour justifier une conduite illicite. Par exemple, on peut supposer qu’un accord visant à organiser un génocide, le commerce d’esclaves ou à autoriser l’agression armée serait frappé de nullité en vertu de cet article. De plus, l’article 64 de la Convention prévoit que l’apparition d’une nouvelle norme de jus cogens entraîne l’extinction de tout traité antérieur contraire. Cette limite à pacta sunt servanda a été confirmée par la jurisprudence. Dans l’affaire Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Rwanda, 2006), la CIJ a rappelé que certaines obligations internationales ont un caractère impératif, auquel aucun accord ne peut déroger (en l’espèce elle a considéré que l’interdiction du génocide relevait du jus cogens).

Il faut cependant relativiser la capacité pratique du jus cogens à limiter la portée du principe pacta sunt servanda. En effet si l’existence de cette notion est attestée par la Convention de Vienne de 1969 et par la jurisprudence de la CIJ son existence est contestée par une partie de la doctrine et par certains États (dont la France). De plus le contenu même du jus cogens n’est pas fixé, il n’existe pas de liste de normes ayant un caractère impératif ni d’autorité explicitement chargé d’identifier de telles normes. Le droit international conserve une nature essentiellement horizontale et consensualiste, ce qu’atteste la liberté des États de conclure des accords (qui n’a pour seul corollaire que l’obligation de respecter ces accords librement conclus). Ainsi, en vertu de son caractère relativement indéterminé la notion de jus cogens nous semble ainsi constituer une limite plus théorique que pratique au principe pacta sunt servanda. Le jus cogens pourrait tout au plus constituer une limite ponctuelle à la liberté de conclure des accords entre États au nom de la prohibition des crimes internationaux les plus graves tels que le génocide. 

2 - La primauté de la Charte des Nations Unies 

Outre le jus cogens, une autre limite au principe pacta sunt servanda réside dans la primauté accordée aux obligations issues de la Charte des Nations Unies. L’article 103 de ce texte fondateur dispose que « en cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront ».

Cette disposition établit clairement une hiérarchie entre les obligations conventionnelles classiques et celles issues de la Charte. Ainsi, un État membre ne saurait invoquer un traité pour échapper à une obligation découlant du système onusien, en particulier des résolutions obligatoires du Conseil de sécurité adoptées en vertu du Chapitre VII. Cette primauté traduit la volonté des fondateurs de placer le maintien de la paix et de la sécurité internationales au sommet de l’ordre juridique international. L’article 30 §1 de la Convention de Vienne de 1969 reconnait cette supériorité de l’article 103 de la Charte. En pratique cela implique que les États ne peuvent conclure un traité destiné à violer un des principes de la Charte ou à se soustraire à une résolution du Conseil de sécurité.

La jurisprudence a confirmé cette primauté de la Charte. Dans l’affaire Lockerbie (Questions d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l'incident aérien de Lockerbie, ordonnance en indications de mesures conservatoires du 14 avril 1992), la CIJ a reconnu que les obligations nées de résolutions du Conseil de sécurité priment sur celles d’un traité bilatéral d’extradition invoqué par la Libye. De même, la Cour de justice de l’Union européenne, dans l’affaire Kadi (2008), a admis la primauté des résolutions du Conseil de sécurité, tout en soulignant que leur mise en œuvre devait respecter les droits fondamentaux protégés au sein de l’ordre juridique européen.

Cette primauté a toutefois suscité des tensions. Certains auteurs s’interrogent sur la compatibilité entre l’article 103 et le respect du jus cogens. La doctrine majoritaire considère que les obligations de la Charte, bien que supérieures aux traités ordinaires, ne peuvent justifier la violation de normes impératives ce qui implique qu’en cas de conflit, le jus cogens primerait même sur la Charte. 

In fine il faut souligner, comme pour le jus cogens, que la suprématie de la Charte ne constitue qu’une limite ponctuelle, et limitée à un petit nombre de principes considérés comme fondamentaux, au principe pacta sunt servanda. Loin de remettre en cause ce principe général l’article 103 souligne simplement que la stabilité conventionnelle ne peut prévaloir sur la sécurité collective et les valeurs fondamentales de la communauté internationale.

B - Les mécanismes de relativisation et d’adaptation

Au-delà des limites imposées par la hiérarchie normative, le principe pacta sunt servanda connaît certains assouplissements qui permettent d’adapter ou de suspendre l’application des traités en fonction des circonstances. La clause rebus sic stantibus illustre cette flexibilité en autorisant la remise en cause d’un engagement en cas de changement fondamental de circonstances (1). Par ailleurs, la Convention de Vienne prévoit divers mécanismes d’extinction, de suspension ou de dénonciation des traités, qui encadrent juridiquement la possibilité pour un État de se libérer de ses obligations conventionnelles (2).

1 - La clause rebus sic stantibus et la prise en compte du changement fondamental de circonstances

La Convention de Vienne de 1969 prévoit, dans son article 62, une limite importante au principe pacta sunt servanda avec la clause rebus sic stantibus (ou clause de changement fondamental des circonstances). Ce mécanisme permet à un État de demander la fin d’un traité lorsque les circonstances qui constituaient une condition essentielle du consentement des parties ont radicalement changé. 

L’objectif de cette règle est d’éviter que le respect absolu des engagements ne devienne inéquitable ou irréaliste. Elle reconnaît que les traités sont conclus dans un contexte donné et que leur exécution peut devenir intenable si ce contexte se modifie profondément. L’article 62 énonce toutefois des conditions strictes : le changement doit être fondamental, imprévisible au moment de la conclusion du traité, concerner des circonstances qui constituaient une base essentielle du consentement des parties et avoir pour effet de transformer radicalement l’étendue des obligations encore à exécuter. De plus, cette clause ne peut être invoquée pour des traités fixant une frontière, afin de protéger la stabilité territoriale internationale, ou si le changement fondamental résulte d’une violation par l’une des parties du traité ou d’une autre obligation internationale. 

La jurisprudence illustre la prudence des juridictions dans l’application de cette exception. Dans l’affaire Gabčíkovo-Nagymaros (1997), la CIJ a reconnu que des circonstances nouvelles pouvaient affecter l’exécution d’un traité, mais elle a jugé que la Hongrie ne pouvait invoquer l’article 62 pour mettre fin unilatéralement à son engagement, les conditions posées n’étant pas remplies. Cette décision confirme que la clause rebus sic stantibus ne doit pas être utilisée comme un prétexte pour se soustraire à des obligations devenues simplement trop contraignantes. 

La clause rebus sic stantibus illustre ainsi une forme d’équilibre entre stabilité et flexibilité. Elle constitue une soupape de sécurité qui tempère l’absolutisme de pacta sunt servanda, sans pour autant affaiblir le principe. En encadrant strictement son invocation, la Convention de Vienne garantit que les États ne puissent s’en prévaloir qu’en de rares cas de changement exceptionnel et imprévisible.

2 - Les causes d’extinction, de suspension ou de dénonciation des traités prévues par la Convention de Vienne

Outre la clause rebus sic stantibus, la Convention de Vienne de 1969 prévoit plusieurs mécanismes permettant aux États de mettre fin à leurs obligations conventionnelles ou d’en suspendre l’exécution. Ces dispositifs relativisent le caractère absolu du principe pacta sunt servanda tout en offrant un cadre juridique destiné à préserver la sécurité et la prévisibilité des relations internationales.

L’extinction d’un traité peut résulter de plusieurs causes. L’article 54 prévoit qu’elle peut intervenir soit conformément aux stipulations du traité, soit par consentement de toutes les parties. L’article 60 autorise également la suspension ou la terminaison d’un traité en cas de violation substantielle par une partie, ce qui permet aux autres parties de ne plus être liées. Enfin, l’article 61 reconnaît que l’impossibilité d’exécuter un traité, par exemple du fait de la disparition d’un objet matériel essentiel à son application, peut entraîner sa fin.

La suspension constitue une mesure intermédiaire, permettant de mettre temporairement entre parenthèses l’exécution d’un traité, soit en vertu de ses clauses, soit par accord des parties. Elle peut également être décidée à titre de contre-mesure en réaction à une violation grave. La dénonciation, quant à elle, permet à un État de se retirer unilatéralement d’un traité, à condition que celui-ci le prévoie expressément ou que les circonstances l’autorisent. L’article 56 encadre strictement ce mécanisme en exigeant l’existence d’une volonté présumée des parties au moment de la conclusion.

Ces mécanismes montrent que pacta sunt servanda n’est pas un principe figé mais qu’il s’inscrit dans une logique de flexibilité contrôlée. La Convention de Vienne reconnaît que les engagements internationaux ne peuvent être respectés de manière absolue et immuable, mais elle encadre les possibilités de retrait afin d’éviter l’arbitraire. Ainsi, l’extinction, la suspension et la dénonciation des traités constituent des correctifs indispensables au principe de la force obligatoire des engagements internationaux, en assurant un équilibre entre la stabilité de ces engagements et l’adaptabilité du droit international aux évolutions des relations entre États ou aux circonstances.