« En vérité, ni l’un ni l’autre sexe de ces deux sexes n’est le mien […] je suis d’un troisième sexe à part qui n’a pas encore de nom ». Dans son roman Mademoiselle de Maupin, Théophile Gauthier entrevoyait déjà les problématiques posées par la division binaire des catégories sexuées et les carcans sociaux qui leur sont attachés. Il réclamait alors un « nom » pour ce sexe « à part ». Or, le temps du droit n’est pas le temps de l’art. Ce n’est que par cet arrêt du 4 mai 2017 que la Cour de cassation a été saisie, pour la première fois, en sa première chambre civile, de la question de la reconnaissance d’une troisième catégorie sexuée « neutre ».

À sa naissance, une personne est inscrite comme étant de sexe masculin. Ne se reconnaissant plus dans cette identité sexuée, le président du tribunal de grande instance (TGI) de Tours est saisi par requête du 12 janvier 2015, aux fins de faire rectifier l’acte de naissance du requérant et substituer la mention « sexe neutre » à celle de « sexe masculin », sur le fondement de l’article 99 du code civil.

Le TGI de Tours, par un jugement en date du 20 août 2015, accueille la demande et ordonne la rectification des actes d’état civil pour que soit mentionnée l’identité sexuée neutre du requérant. Un appel est interjeté, supposément par le ministère public. De cet appel résulte une infirmation du jugement de première instance, par un arrêt de la cour d’appel d’Orléans du 22 mars 2016. Pour statuer en ce sens, les juges de la cour d’appel se fondent d’une part sur l’apparence physique et sociale du requérant, qui se présentait sous une « apparence physique masculine », était engagé dans un mariage hétérosexuel et avait adopté un enfant avec son épouse. D’autre part, ils prennent en considération l’impossibilité qui leur est faite « de faire figurer, à titre définitif, sur les actes d’état civil, une autre mention que sexe masculin ou sexe féminin », renvoyant la question au législateur. Dès lors, le refus de procéder à la substitution de mentions n’était pas contraire au droit au respect de la vie privée du requérant, telle que protégée par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention EDH).

Le requérant forme un pourvoi contre cette décision. A l’appui de son recours, il organise une défense au sein d’un moyen divisé en huit branches. Le requérant rappelle, dans un premier temps (branches 1 à 4), que l’identité sexuée de tout individu est protégée par l’article 8 de la Convention EDH, en tant que composante du droit au respect de la vie privée. Le requérant définit cette identité sexuée comme résultant « de façon prépondérante du sexe psychologique ». Il relève qu’il se considère, psychologiquement, comme intersexué en raison de l’absence de formation d’une partie de ses organes génitaux et de production d’hormone sexuelle. Le fait qu’il présente une apparence masculine est purement artificiel. Il existe donc bien une contradiction entre le sexe ressenti par le requérant et le sexe inscrit sur son acte de naissance. Or, la cour d’appel d’Orléans s’est uniquement fondée sur l’aspect physique du requérant pour rejeter sa demande, alors même qu’elle avait relevé son ambiguïté sexuée. Dans un deuxième temps (branches 5 et 6), le requérant reproche à la cour d’appel d’avoir accordé un poids important à son comportement social. Il rappelle que la différence de sexe n’est plus une condition de mariage ou de l’adoption depuis la loi du 17 mai 2013, et que les juges ne peuvent se fonder sur cet argument pour le maintenir dans le sexe masculin. Par ailleurs et enfin (branches 7 et 8), le requérant soutient que le droit français ne comporte pas de « liste limitative des sexes » pouvant être mentionnés sur les actes de naissance. Il reproche dès lors à la cour d’appel de s’être retranchée derrière l’appel au législateur, alors qu’il lui était possible d’indiquer cette troisième mention « neutre ». Pour le requérant, une telle solution constitue, au cas particulier, une atteinte à son droit au respect de la vie privée tel que garanti par l’article 8 de la Convention EDH, alors même qu’il appartient au juge judiciaire interne d’assurer le respect du requérant à son identité sexuée.

La Cour de cassation, réunie en sa première chambre civile, se trouvait dès lors confrontée à un problème inédit : Est-il possible de faire figurer, sur les actes de l’état civil, une mention autre que celle de « sexe masculin » ou « sexe féminin » ?

Dans un arrêt d’importance du 4 mai 2017, la Cour de cassation apporte une réponse négative à la question posée. Elle pose à titre liminaire que « la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l’état civil, l’indication d’un sexe autre que masculin ou féminin ».

Une telle règle porte effectivement atteinte à « l’identité sexuelle » telle que garantie par l’article 8 de la Convention EDH. Mais une telle atteinte est justifiée et légitime selon la Cour de cassation : « la dualité des énonciations relatives au sexe dans les actes de l'état civil poursuit un but légitime en ce qu'elle est nécessaire à l'organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur ». Elle continue sa justification en indiquant que la solution inverse – de reconnaître une troisième mention – « aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes » et qu’un tel changement ne peut relever que du législateur au regard de ses conséquences.

Dès lors, en l’espèce, l’atteinte subie par le requérant du fait du refus de la rectification de la mention de son sexe n’était pas disproportionnée. La solution de la cour d’appel était justifiée par les impératifs précédemment rappelés, et les juges avaient par ailleurs relevé que le requérant « avait, aux yeux des tiers, l'apparence et le comportement social d'une personne de sexe masculin, conformément à l'indication portée dans son acte de naissance ».

La première chambre civile de la Cour de cassation répond ici à une question très attendue et inédite : le droit français autorise-t-il le juge à reconnaître d’autres catégories juridiques sexuées que celles « féminin » et « masculin » ? En elle-même, l’interrogation n’est pas nouvelle mais elle a repris une vitalité certaine par la mise en lumière des personnes dites intersexes, pour lesquelles la détermination du sexe est difficile, voire impossible. Elle s’insère, de plus, dans un contexte de protection des droits fondamentaux des individus, en particulier de leur droit au respect de la vie privée, lequel englobe notamment l’identité sexuée (nous parlerons d’identité sexuée, et non d’identité sexuelle, qui fait davantage référence à l’orientation sexuelle de la personne). La Cour de cassation rejette, sans surprise, la demande du requérant en consacrant l’existence d’un principe de binarité de la division sexuée (I). Si le rejet porte atteinte au droit à l’identité sexuée du requérant, il n’en demeure pas moins proportionné au but poursuivi par la binarité des sexes (II).

  • I – La consécration du principe de la binarité de la division sexuée
    • A - L’affirmation inédite de la binarité des catégories sexuées
    • B - L’affirmation fragile de la binarité des catégories sexuées
  • II – La proportionnalité du principe de la binarité de la division sexuée
    • A - La confirmation douteuse de la conformité abstraite de la binarité au droit au respect de la vie privée
    • B - L’absence préjudiciable de contrôle de la conformité concrète de la binarité au droit au respect de la vie privée
  • Cass., Civ. 1re, 4 mai 2017, n° 16-17.189

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