Tout au long du XX° siècle, les interventions de l’Etat n’ont eu de cesse que de se diversifier. L’une des tendances de fond de ce mouvement a été pour les autorités administratives d’associer, toujours plus fréquemment, des personnes privées à l’exécution des missions de service public, que cela soit par le biais d’une habilitation contractuelle, telle que la concession de service public, ou en dehors de tout lien contractuel (voir pour cette dernière hypothèse : CE, ass., 13/05/1938, Caisse primaire « Aide et Protection »). La question s’est, alors, posée de savoir si de tels organismes pouvaient édicter des actes administratifs et, si oui, à quelles conditions. L’arrêt Epx. Barbier apporte, ici, une réponse pour ceux de ces organismes qui sont en charge d’un service public industriel et commercial (SPIC).
Dans cette affaire, la compagnie Air France avait édicté, le 20 avril 1959, un règlement fixant les conditions de travail du personnel navigant commercial. Ce règlement contenait un article 72 prévoyant que le mariage des hôtesses de l’air entrainait de la part de ces dernières cessation de leurs fonctions. Une hôtesse qui avait été licenciée pour ce motif saisit, avec son mari, le Tribunal de grande instance de la Seine afin que la compagnie Air France soit condamnée à leurs verser des indemnités pour rupture abusive du contrat de travail. Déboutés, les intéressés firent, alors, appel devant la Cour d’appel de Paris qui leurs donna satisfaction le 30/04/1963. La compagnie intenta, ensuite, un pourvoi en cassation devant la Cour de cassation. Estimant que cette affaire présentait une difficulté sérieuse de compétence, sa chambre sociale renvoya, le 07/06/1967, au Tribunal des conflits le soin de déterminer l’ordre juridictionnel compétent pour connaitre de ce litige. Celui-ci décida, le 15/01/1968, que le règlement litigieux présentait un caractère administratif et relevait, dès lors, de la compétence du juge administratif.
Avec cette décision, le Tribunal des conflits admet, pour la première fois, qu’une personne privée, en l’occurrence, ici, la compagnie Air France, société anonyme, en charge d’un service public industriel et commercial, l’exploitation de transports aériens, puisse édicter des actes administratifs. Cet arrêt est remarquable en ce qu’il dépasse deux principes structurant la répartition des compétences entre juges administratif et judiciaire, aux termes desquels ce dernier bénéfice d’une compétence quasi-exclusive lorsqu’est en cause un acte édicté dans le cadre d’un SPIC et / ou par une personne de droit privé.
Cette consécration d’un domaine réservé au profit du juge administratif n’est pas, pour autant, illimitée. Le Tribunal des conflits circonscrit, en effet, très étroitement la portée de sa solution en la cantonnant aux seuls actes réglementaires relatifs à l’organisation du service public et traduisant la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique.
Il est, alors, possible d’étudier, dans une première partie, la jurisprudence Epx. Barbier en tant qu’elle fait fi de deux grands principes (I), puis d’analyser, dans une seconde partie, les conditions auxquelles la solution, ainsi, consacrée, est astreinte (II).
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I – Une jurisprudence qui fait fi de deux grands principes
- A – Fi de la nature industrielle et commerciale du service public
- B – Fi de la nature privée de l’auteur de l’acte
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II – Une jurisprudence soumise au respect de trois conditions
- A – Une condition centrale : l’acte doit être relatif à l’organisation du service public
- B – Deux conditions induites par le nécessaire lien avec l’organisation du service public
- TC, 15/01/1968, Epx. Barbier