C’est en 1968, par un célèbre arrêt de principe, que le Tribunal des conflits jugea que des personnes privées gérant un service public industriel et commercial (SPIC) pouvaient, sous certaines conditions, édicter de véritables actes administratifs (TC, 15/01/1968, Cie. Air France c/ Epx. Barbier). Ce faisant, la Haute juridiction consacrait une exception à la primauté du droit privé en la matière fondée, principalement, sur la notion d’organisation du service public. C’est cette notion que le juge des conflits appréhende plus strictement en l’espèce, tempérant, alors, la portée de la jurisprudence Epx. Barbier.
Dans cette affaire, les directeurs des « Unités Clients et Fournisseurs » d’Ile-de-France des sociétés ERDF et GRDF ont décidé, par des mesures du 19/12/2011, de réorganiser, selon une logique de spécialisation par énergie, les services communs de ces deux sociétés. Saisi par le Comité d’établissement de l’Unité « Clients et Fournisseurs Ile-de-France » desdites sociétés, le Tribunal administratif de Paris a, le 07/06/2012, annulé les décisions litigieuses. Les sociétés ERDF et GRDF ont, alors, saisi la Cour administrative d’appel de Paris qui a annulé, le 06/06/2013, le jugement rendu en première instance. Un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat a donc été exercé par ledit comité. Estimant que l’affaire soulevait une difficulté sérieuse sur la compétence de la juridiction administrative pour connaitre de telles décisions, les juges du Palais-Royal ont saisi, le 27/10/2015, le Tribunal des conflits afin que celui-ci détermine l’ordre juridictionnel compétent. Ce fut chose faite le 11/01/2016 : la Haute juridiction considéra, en effet, que le recours relevait de la compétence de la juridiction de l’ordre administratif.
Pour parvenir à cette solution, le juge des conflits a donc dû, préalablement, déterminer la nature administrative des décisions attaquées, ce qui n’était pas chose acquise, celles-ci étant édictées par ERDF et GRDF qui sont des sociétés de droit privé en charge de la gestion d’un SPIC. Cette difficulté l’a, alors, conduit à faire application de sa jurisprudence Epx. Barbier, par laquelle sont précisées les conditions à remplir pour qu’un acte affecté de ces deux particularités soit administratif. Celles-ci sont au nombre de trois : il faut que l’acte soit règlementaire, qu’il traduise la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique et qu’il se rattache à l’organisation du service public.
Parmi ces conditions, la troisième apparait déterminante. C’est, en effet, elle qui fonde les entorses à la primauté du droit privé en pareille hypothèse. Longtemps interprétée de manière extensive, elle a, récemment, fait l’objet d’un recentrage que l’arrêt du 11/01/2016 vient consacrer. Ainsi, le Tribunal des conflits distingue désormais l’organisation du service public lui-même et l’organisation interne de la société chargée de le gérer. La première relève du juge administratif, la seconde du juge judiciaire. Pour apprécier la ligne de partage entre ces deux notions, il faut, alors, déterminer si la mesure a ou non une incidence directe sur la manière dont le service public est assuré. La conséquence de cette évolution est que la portée de la jurisprudence Epx. Barbier s’en trouve limitée, ce qui a pour effet de re-privatiser tout un pan de l’activité des SPIC et de rééquilibrer la répartition des compétences en la matière au profit du juge judiciaire.
L’arrêt du 11/01/2016 est, alors, l’occasion d’étudier, dans une première partie, l’exception à la primauté du droit privé en matière de SPIC que constitue la jurisprudence Epx. Barbier (I), puis d’analyser, dans une seconde partie, le recentrage de la notion d’organisation du service public et ses effets sur la portée de cette célèbre jurisprudence (II).
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I – La jurisprudence Epx. Barbier : une exception à la primauté du droit privé en matière de SPIC
- A – Une exception sujette au respect de trois conditions …
- B – Une exception fondée sur la notion d’organisation du service public
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II – La jurisprudence Epx. Barbier : une portée limitée par la contraction de la notion d’organisation du service public
- A – Un recentrage de la notion d’organisation du service public …
- B – … qui re-privatise tout un pan de l’activité des SPIC gérés par des personnes privées
- TC, 11/01/2016, Comité d’établissement de l’Unité « Clients et Fournisseurs Ile-de-France »