La responsabilité sans faute est probablement l’une des particularités les plus marquantes de la responsabilité administrative française. Celle-ci peut se fonder soit sur le risque, soit sur la rupture de l’égalité devant les charges publiques. Dans cette dernière hypothèse, il s’agit de réparer le préjudice subi par un administré qui, du fait de l’application d’une loi, d’une convention internationale ou d’une décision administrative régulière, se trouve placé dans une situation plus défavorable que celle des autres citoyens. Le juge administratif estime, alors, que le traitement défavorable qui s’en suit mérite réparation. L’arrêt Mme. Saleh étend ces principes aux préjudices causés par une coutume internationale.
Dans cette affaire, Mme. Saleh était employée par l’ambassade du Koweit. Cette dernière a licencié l’intéressée sans que l’ensemble des heures travaillées aient été payées et sans indemnité de licenciement. Mme. Saleh a donc saisi le juge judiciaire qui, tant en première instance qu’en appel, lui a donné raison. Les juges ont estimé que l’Etat du Koweit ne bénéficiait pas d’une immunité de juridiction, ce qui a rendu possible les deux jugements au civil. En revanche, il existe une immunité d’exécution d’immunité dont bénéficient les Etats, ce qui signifie qu’après une décision juridictionnelle, la justice n’est pas en mesure d’exécuter légalement la décision ainsi prise. Cette immunité d’exécution trouve sa source dans une coutume internationale. Ne pouvant du fait de l’existence de cette coutume obtenir l’exécution du jugement au civil, la requérante a donc demandé à l’Administration une indemnisation sur la base de la responsabilité sans faute du fait d’une coutume internationale. Le refus implicite de cette dernière a été attaqué devant le Tribunal administratif de Paris, mais celui-ci, le 27 Avril 2007, a rejeté cette requête. Saisie en appel, la Cour administrative d’appel de Paris a confirmé ce jugement le 8 Décembre 2008. Mme. Saleh se pourvoit donc en cassation devant le Conseil d’Etat. Ce dernier, par un arrêt de section du 14 Octobre 2011, fait droit à cette demande en consacrant une nouvelle hypothèse de responsabilité sans faute.
Tel est là l’apport de l’arrêt commenté. Le juge administratif suprême étend la responsabilité sans faute du fait des lois ou des conventions internationales à l’hypothèse ou le préjudice trouve sa source dans une coutume internationale. Cette nouvelle hypothèse de responsabilité sans faute n’a pu être consacrée que parce que le juge administratif a fait évoluer sa position sur l’autorité des règles coutumières internationales en droit interne. En effet, jusqu’en 1997, le juge administratif déniait aux administrés la possibilité d’invoquer une coutume internationale ne bénéfciant pas d’un texte interne d’application. L’arrêt Aquarone marque un tournant : dorénavant la coutume internationale peut être invoquée, mais son autorité, du fait de l’absence de dispositions constitutionnelles expresses, demeure subordonnée à celle de la loi. Ainsi, s’explique que ce nouveau cas de responsabilité sans faute ne puisse être invoqué lorsqu’une disposition législative a écarté l’application de la coutume internationale. Si ce principe est dorénavant admis, les administrés ne pourront obtenir indemnisation que si le préjudice invoqué présente certains caractères. Et, l’on retrouve là les conditions classiques en matière de responsabilité sans faute. Ainsi, le préjudice doit être spécial et anormal, conditions dont l’appréciation restent difficiles lorsque l’on est confronté à des normes de ce type. Par ailleurs, mais c’est là une condition qui concerne l’ensemble de la responsabilité administrative, le préjudice doit être certain, cette dernière condition étant, en l’espèce, remplie du fait de l’existence d’une immunité d’exécution coutumière dont bénéficient les Etats.
Il convient donc d’étudier, dans une première partie, la consécration d’une hypothèse de responsabilité sans faute du fait d’une coutume internationale (I), puis d’analyser, dans une seconde partie, les caractères du préjudice (II).
- I – Un principe : la responsabilité sans faute du fait d’une coutume internationale
- A – Les origines : d’une responsabilité sans faute du fait des lois à une responsabilité sans faute du fait des conventions internationales
- B – La consécration : l’arrêt Mme. Saleh
- II – Des conditions : les caractères du préjudice
- A – Un préjudice anormal et spécial
- B – Un préjudice certain
- CE, sect., 14/10/2011, Mme. Saleh